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Une « motivation de service public » qui impose de réaffirmer les valeurs des institutions (P. Colin)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°331832 - Publié le 12/07/2024 à 10:58
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©  D.R.
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Les approches déployées pour renforcer l’attractivité des métiers de la fonction publique, notamment en direction des enseignants, « occultent l’importance des valeurs et motivations spécifiques des agents publics », estime Pauline Colin, enseignante-chercheuse en sciences de gestion, le 11/07/2024. Elle évoque avec notre chroniqueur Romain Pierronnet ses travaux sur la « motivation de service public ».

« Depuis une dizaine d’années, la motivation et l’engagement des agents publics sont devenus des préoccupations majeures de la direction générale de l’administration et de la fonction publique. Ils constituent désormais les principaux objectifs de la politique des ressources humaines publiques, en particulier dans un contexte de crise d’attractivité du secteur public », expose celle qui est docteure de l’Université de Lorraine et qui va rejoindre l’Université de Strasbourg.

« Dans une étude menée auprès de managers publics et précisément de directeurs généraux des services dans les communes et intercommunalités (EPCI Établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre), nous avons ainsi pu constater que cette motivation de service public constitue un point d’ancrage notable dans leurs missions », indique Pauline Colin à Romain Pierronnet.

Elle estime qu'« il devient impératif pour les organisations publiques de réaffirmer l’essence de leurs valeurs » et de « repenser les pratiques managériales et les leviers de mobilisation ».

« L’élaboration d’une marque employeur permettrait à chaque université de se démarquer sur la scène de l’enseignement supérieur, de porter haut ses valeurs et de mettre en avant ses projets porteurs de sens. »


Des éléments de motivation spécifiques aux agents publics : la parole à Pauline Colin

Romain Pierronnet a interrogé Pauline Colin dans le cadre de ses chroniques sur les recherches en management. - ©  Ville de Nancy
Docteure en sciences de gestion, Pauline Colin a préparé et soutenu sa thèse de doctorat dans mon laboratoire (le Cerefige, Université de Lorraine). Elle vient d’ailleurs tout juste d’être récompensée par le prix de thèse de l’Airmap (Association internationale de recherche en management public).

Depuis toujours intéressée par le fonctionnement des organisations publiques et rapidement interpellée par les stéréotypes persistants sur l’image des fonctionnaires, elle a souhaité interroger, au travers de sa recherche doctorale, les spécificités et les formes d’engagement des managers publics … Ce qui trouve un prolongement naturel en matière de management dans les organisations universitaires.

Alors qu’elle s’apprête à rejoindre l’Université de Strasbourg où elle a été recrutée comme maîtresse de conférences à l’IEP Institut d’études politiques et au laboratoire Large (Laboratoire de recherche en finance de l’Université de Strasbourg), Pauline Colin a bien voulu nous en dire plus sur la « motivation de service public » sur laquelle porte ses travaux.

Des stéréotypes à déconstruire

Lenteur et bureaucratie excessive, manque d’efficacité et d’innovation, sécurité de l’emploi, paresse voire fainéantise sont autant d’images dépréciatives associées aux fonctionnaires français. La France compte plus de 5,66 millions d’agents publics[1], peut-on alors raisonnablement penser que tous sont démotivés ?

D’ailleurs, a-t-on déjà interrogé leurs motivations ? Qu’est-ce qui anime et motive les agents publics français ? Pourquoi rejoignent-ils le service public ?

Ces questions sont restées sans réponse alors qu’elles interrogent chercheurs, politiques et praticiens depuis plusieurs décennies. Alors ministre en charge de la fonction publique, Stanislas Guerini avait lui-même souligné à maintes reprises le manque d’attractivité du secteur public, et la nécessité impérieuse d’identifier et de déployer des leviers de motivation plus en phase avec les réalités d’aujourd’hui.

Crise de l’attractivité du secteur public et motivation

Depuis une dizaine d’années, la motivation et l’engagement des agents publics sont devenus des préoccupations majeures de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP Direction générale de l’administration et de la fonction publique ).

Ils constituent désormais les principaux objectifs de la politique des ressources humaines publiques, en particulier dans un contexte de crise d’attractivité du secteur public qui tend, hélas, à se renforcer. Une enquête réalisée en décembre 2023[2] souligne qu’un tiers des collectivités territoriales éprouvent des difficultés à recruter ; en parallèle, les concours d’accès aux métiers de l’enseignement accusent une chute alarmante[3].

Les efforts déployés au niveau institutionnel (comme le dispositif Pacte enseignant[4]) se sont focalisés sur le développement des leviers classiques de motivation (avancement, rémunération et régime indemnitaire) dans une approche utilitariste.

Ces approches occultent néanmoins l’importance des valeurs et motivations spécifiques des agents publics.

Des pratiques managériales à reconstruire

En effet, la plupart des réformes visant à favoriser la motivation des agents publics s’appuient sur les pratiques du secteur privé, elles s’inscrivent dans la mouvance du « Nouveau management public » (la prime de fonction et de résultat initiée en 2008 en est une illustration, remplacée depuis par l’indemnité de fonctions, des sujétions et d’expertise du Rifseep).

Pourtant, ces approches ne tiennent pas compte des motivations profondes des agents publics caractérisées par le concept de « motivation de Service public »[5].

Selon cette approche, les individus sont motivés par le fait de contribuer à l’intérêt général et de participer à la société et à son amélioration. Cette motivation se manifeste selon trois aspects distincts, mais caractéristiques :

  • premièrement, les individus rejoignent le service public afin de contribuer de manière significative à la société et de participer à la prise de décisions dans le développement des politiques publiques ;
  • deuxièmement, les agents publics sont motivés par les valeurs publiques, ils contribuent à leur respect et à leur diffusion dans l’exercice de leurs missions ;
  • enfin, les individus rejoignent le service public, car ils considèrent qu’ils lui sont redevables. Il existe une forme d’attachement émotionnel au service public presque sacrificiel dans certains cas, qui justifie la volonté de travailler au service de l’intérêt général.

Loin d’être une vision utopique du fonctionnariat, cette forme de motivation se manifeste de manière très concrète dans le quotidien des agents publics.

Dans une étude que nous avons récemment menée auprès de managers publics et précisément de directeurs généraux des services dans les communes et intercommunalités (EPCI Établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre), nous avons ainsi pu constater que cette motivation de service public constitue un point d’ancrage notable dans leurs missions.

Ce sont en particulier leurs valeurs publiques et leur attachement au service public qui contribue à leur choix de travailler dans ce secteur.

Ces éléments sont illustrés dans l’article « Comprendre la motivation et l’implication - à la recherche des valeurs dans le service public : illustration à partir d’une méthodologie mixte »  publié dans la revue @GRH Gestion des ressources humaines .

Si les facteurs extrinsèques de motivation tels que la sécurité de l’emploi et la rémunération participent de la satisfaction des managers publics, elles ne sont pas pour autant une source de motivation perpétuelle.

Il semble désormais opportun de se saisir des motivations profondes des agents publics en prenant appui sur la motivation de service public pour repenser les pratiques managériales et les leviers de mobilisation.

Dans cette perspective, il devient impératif pour les organisations publiques de réaffirmer l’essence de leurs valeurs, mettant en lumière comment chaque individu, en intégrant le service public, peut non seulement contribuer à la préservation, à la transmission, et à la propagation de ces principes fondamentaux, mais également participer activement à la réalisation d’un objectif plus vaste : celui de favoriser un bien-être sociétal harmonieux et durable.

Les origines de cette motivation

Si nos travaux éclairent la nature de la motivation des managers territoriaux, ils interrogent également les origines de cette motivation de service public. Il ne s’agit pas seulement de décrire et comprendre ce qui motive les agents publics, mais aussi de préciser d’où vient cette forme d’engagement.

Ces premiers résultats suggèrent que la motivation de service public trouve son origine dans le contexte familial et se renforce à l’occasion du parcours scolaire et universitaire.

Identifier les sources de cette forme de motivation, auprès d’autres fonctionnaires, est d’autant plus nécessaire qu’elle pourrait contribuer à répondre aux préoccupations associées au déficit d’attrait du service public. La lutte contre l’érosion des vocations pourrait s’appuyer sur le développement de marque employeur.

En tant que vecteur de sens, elle représente l’organisation et ses valeurs, elle participe à l’attractivité et favorise l’implication des individus, en ce sens, la marque employeur constitue un levier mobilisable par les organisations publiques afin d’attirer des candidats.

Affirmer une marque employeur

Longtemps négligé dans les organisations publiques, notamment au sein des universités, le développement des leviers d’attractivité, tels que la valorisation des valeurs associées à la motivation de service public du personnel (enseignants-chercheurs et Biatss Bibliothèques, Ingénieurs, Administratifs, Techniciens, Social, Santé ), est désormais crucial pour faire face aux enjeux de recrutement et de rétention des talents.

En effet, l’élaboration d’une marque employeur permettrait à chaque université de se démarquer sur la scène de l’enseignement supérieur, de porter haut ses valeurs et de mettre en avant ses projets porteurs de sens.

Ainsi, les candidats potentiels, qu’ils soient étudiants, enseignants-chercheurs ou Biatss, pourraient mieux identifier l’université qui correspond à leurs aspirations personnelles et professionnelles, et s’engager pleinement dans son développement.


[1] Chiffres clés 2022, ministère de la transformation et de la fonction publiques.

[2] Les métiers territoriaux en tension : attractivité et difficultés de recrutement des collectivités locales, CNFPT Centre national de la fonction publique territoriale 2023.

[3] Rapport annuel sur l’état de la fonction publique 2022.

[4] Le dispositif Pacte enseignant a été déployé par le ministère de l’éducation nationale afin de rémunérer davantage les enseignants qui réalisent des missions supplémentaires.

[5] Initialement défini par Perry & Wise (1990).

Romain Pierronnet


Romain Pierronnet assure des chroniques sur le management public et la recherche en sciences de gestion concernant l’ESR pour News Tank.


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Parcours

Cerefige (Centre européen de recherche en économie financière et gestion des entreprises, Université de Lorraine)
Chargé d’appui à la politique scientifique
Université de Lorraine
Chargé de mission « Système d’information Recherche, Algorithmes et Codes Sources »
Institut de Recherche en Gestion
Chercheur associé
Adoc Mètis
Consultant - Chercheur
Ville de Nancy
Adjoint au Maire délégué au Numérique, à l’Education et aux écoles
Métropole du Grand Nancy
Conseiller métropolitain délégué à la Recherche, à l’Enseignement Supérieur, à la Vie Etudiante
Université Henri Poincaré
Vice-Président Etudiant

Établissement & diplôme

Université de Lorraine
Maîtrise de mathématiques
Université Paris Est
Doctorat en sciences de gestion
Université Paris Est Créteil
Master Développement et Management des Universités

Fiche n° 12499, créée le 15/07/2015 à 21:19 - MàJ le 11/07/2024 à 07:27


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