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Think Education : Quelle stratégie internationale pour les établissements ?

Paris - Actualité n°61810 - Publié le 09/02/2016 à 16:12
©  News Tank - LM
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« L’international nous pousse à une perpétuelle remise en cause, nous oblige à nous frotter à une concurrence extérieure que l’on avait oubliée », déclare Barthélémy Jobert, président de l’université Paris-Sorbonne (Paris 4), lors du débat « Quelle stratégie internationale pour les établissements d’ESR Enseignement supérieur et recherche  ? », dans le cadre de l’événement Think Education organisé par News Tank le 02/02/2016, à l’université Paris Dauphine.

La politique internationale bénéficie aux établissements mais aussi aux étudiants, selon Frank Bournois, directeur général d’ESCP Ecole supérieure de commerce de Paris Europe : « Les alumni qui font les meilleures carrières ont eu une exposition internationale pendant leurs études. On n’apprend pas et on ne forme pas à l’international en restant dans son pays ».

Concernant la position des établissements français, Thierry Coulhon, président de PSL Paris Sciences & Lettres research university estime qu'« il ne faut pas se tromper de constat ». Dans les classements, par le nombre d’accords avec les grandes universités internationales et par l’accès aux programmes européens, « nous ne sommes pas bons, mais nous progressons », estime-t-il.

Ce débat animé par Gilbert Azoulay, directeur général associé de News Tank, a permis aux sept intervenants, Alice Guilhon, directrice générale de Skema Business School; Olivier Faron, administrateur général du Cnam Conservatoire national des arts et métiers  ; Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’Essec ; Frank Bournois, directeur général de l’ESCP Europe ; Barthélémy Jobert, président de Paris-Sorbonne ; Thierry Coulhon, président de PSL ; et Thierry Valentin, directeur général adjoint de Campus France, d’échanger leurs points de vue sur la création de campus à l’étranger, la francophonie ou encore la signature de grands partenariats internationaux.

Tous concurrents ou tous partenaires ?

Atelier - Quelles stratégies internationales pour les établissements - ©  News Tank - LM

« Notre diversité est notre richesse », Thierry Valentin, directeur général adjoint de Campus France

« Notre richesse, c’est la diversité de nos stratégies », déclare Thierry Valentin, directeur général adjoint de Campus France. « Nous avons, en France, une diversité d’acteurs, qui pose des problèmes de coordination mais qui est un gage d’expérimentations. Cela nous évite de nous enferrer dans une seule et même voie. Nous parlons beaucoup d’excellence aujourd’hui, mais nous préférons souligner la grande qualité de l’ensemble de nos formations. »

« Le marqueur français en matière d'ESR Enseignement supérieur et recherche est que nous postulons toujours le partenariat et le dialogue plutôt que la compétition. Nous dialoguons avec les acteurs locaux. »

« La crédibilité des uns fait avancer celles des autres », Thierry Coulhon, président de PSL

« Il existe, à l’international, une estime pour la science française mais d’un point de vue institutionnel, nous sommes perçus comme mal organisés et peu efficaces. Il est donc très positif que nous ayons des acteurs bien identifiés, avec des stratégies de marques différentes. Dans ce cadre, si Saclay marque un point à l’étranger, cela fait avancer mes affaires. La crédibilité des uns fait avancer celles des autres ».

« Nous allons vers une concentration des meilleurs avec les meilleurs », Frank Bournois, directeur général de l’ESCP Europe

« Il faut être capable de penser collectivement notre compétitivité et notre avantage concurrentiel sur le long terme. Nous allons assister à des concentrations, des mouvements de tectoniques des meilleurs avec les meilleurs ».

« Nous devons travailler ensemble », Olivier Faron, administrateur général du Cnam

Olivier Faron - ©  News Tank - LM
« Je voudrais insister sur un point : les ambassades, Campus France et les établissements doivent se coordonner, nous devons travailler ensemble. Quand le ministre marocain dit “les Français, vous allez arriver en désaccord les uns les autres et vous allez essayer de vous piquer la clientèle”, c’est un problème. Nos politiques doivent être concertées. »

« Nous avons un savoir-faire, nous sommes attendus, et nous travaillerons mieux si nous travaillons ensemble ».

« Être intelligents collectivement pour continuer à être visibles », Alice Guilhon, directrice générale de Skema Business School

« Skema Business School est le fruit d’une fusion qui a fonctionné et dont l’objectif était de s’affranchir des problématiques locales et de changer de braquet. Nous avons une certaine idée de la France, de comment former un leader de l’économie de la connaissance globalisée. Sur notre site, à Nice, le projet Idex a également fonctionné. Je pense qu’il est impératif d’être intelligents collectivement pour continuer à être visibles. Chaque stratégie a ses avantages et ses inconvénients, il convient de ne pas être rigide et de savoir s’adapter. »

« Il est nécessaire de réfléchir à une politique de prix », explique Jean-Michel Blanquer. La question se pose tant du point de vue de la cohérence interne que du positionnement sur un marché international.

« En France, nous avons fait le choix du financement des études par l’impôt. Mais pourquoi former des étudiants étrangers qui ne participent pas à l’impôt, gratuitement ? », s’interroge Thierry Coulhon.

« La gratuité peut même paraître suspecte, comparée aux prix pratiqués par nos concurrents », renchérit Franck Bournois.

Comment implanter un campus à l’étranger ?

« La France est le quatrième pays au monde en nombre de campus implantés à l’étranger, derrière les grands pays anglo-saxons qui se sont massivement orientés vers cette stratégie », explique Thierry Valentin. Une stratégie qui n’est pas sans inconvénients. « PSL Paris Sciences & Lettres ne s’implantera pas à l’étranger, car c’est une démarche très difficile et onéreuse à mettre en place », assure Thierry Coulhon.

« Le campus propre permet de garder le contrôle de la valeur pédagogique », Frank Bournois

« Par rapport à une stratégie d’accord de double diplôme, le choix des campus propres à l’étranger permet de garder le contrôle de la valeur pédagogique. Mais il induit une incontestable complexité de gestion », assure Frank Bournois.

« A l’ESCP Europe, nous avons opté pour l’obligation pour nos étudiants de circuler entre plusieurs campus durant leur scolarité. Les campus à l’étranger permettent une internationalisation concrète des étudiants, sur le terrain, avec la confrontation directe à la culture locale. »

« Une stratégie internationale ne s’improvise pas, elle s’installe dans le temps, avec le développement du réseau des anciens notamment. Il est extrêmement important de faire progresser son internationalisation dans le temps, et pas du jour au lendemain. »

« L’Europe est un premier bassin très particulier, qui peut être une première marche dans l’apprentissage de l’internationalisation. Il est possible de développer des choses fantastiques avec nos partenaires européens. Par exemple, notre campus espagnol développe des formations au numérique qui vont apporter des bonnes pratiques à tous nos autres campus. »

« Nos étudiants sont chez eux partout dans le monde », Alice Guilhon

« Nous sommes implantés sur différents continents avec des campus en propre, mais avec la volonté d’en fait des campus locaux. Nous nous ancrons durablement sur nos territoires. Sur notre campus chinois, nous avons des personnels chinois et nous accueillons aujourd’hui 1 000 étudiants. Aux Etats-Unis, nous délivrons des diplômes américains. »

« Mais la volonté n’est pas de former des étudiants chinois en Chine ou américains aux Etat-Unis. Nous formons des étudiants internationaux en France, aux Etats-Unis, en Chine. Nous avons plus de 50 nationalités sur nos campus. L’objectif est de donner cette expérience, que nos étudiants se sentent chez eux partout dans le monde, avec le même apprentissage à la française, le même tissu associatif et social ».

« Cette démarche permet à l’étudiant d’être directement opérationnel dans l’entreprise car il s’est adapté à la culture, à la langue et aux codes sociaux et sociétaux du pays d’accueil durant ses études. »

« Je reconnais que cette stratégie est d’une grande complexité et nécessite un business model solide. Nous avons 2 500 étudiants partout dans le monde et nous voulons créer un environnement numérique de travail pour tous. Nous sommes obligés de le créer ex-nihilo car aucun opérateur au monde n’a développé ce type d’outil. Il y a encore peu d’écoles globales. »

« Un établissement de droit émirien opéré par une université française et délivrant des diplômes français aux Emirats Arabes Unis », Barthélémy Jobert

« Il y a dix ans, le gouvernement d’Abou Dhabi est venu nous voir car il souhaitait se préparer à l’après-pétrole et miser sur l’économie de la connaissance. Il voulait une grande université de lettres et SHS Sciences humaines et sociales en langue française. Cette démarche nous a conduit à établir la Sorbonne sur place, avec nos diplômes et à  créer un établissement de droit émirien, opéré par une université française, et délivrant des diplômes français aux Emirats Arabes Unis. »

« Le financement provient du gouvernement d’Abou Dhabi. Nous accueillons 1 000 étudiants de 83 pays et nous sommes proches de l’équilibre financier, même si nous avons pris un peu de retard. Aujourd’hui, avec la baisse des cours du pétrole, nous vivons là-bas ce que nous vivons ici : on nous demande de réduire nos budgets. »

« Faire de nos campus des hubs régionaux », Jean-Michel Blanquer

Atelier - Quelles stratégies internationales pour les établissements ? - ©  News Tank - LM
« Nous implantons nos campus dans des lieux stratégiques pour en faire des hubs régionaux. Quand nous nous installons au Maroc, nous développons une offre pour l’Afrique du Nord. Quand nous nous installons à Singapour, nous visons la zone Asie-Pacifique. L’Australie vient de mettre en place des bourses pour ses étudiants qui vont étudier en Asie. Grâce à notre campus à Singapour, nous sommes éligibles. En 2017, nous visons une installation au Mexique. »

« Nous avons une approche multipolaire. C’est à dire, qu’à Singapour, nous développons une vision asiatique du monde et de la société. Au Maroc, une vision africaine. Demain au Mexique, une vision d’Amérique latine. Cela passe notamment pas un respect de la diversité du corps enseignant et des étudiants. »

« Notre implantation au Maroc se fait en partenariat avec Centrale Paris. Une alliance ingénieurs/managers est très pertinente pour le déploiement international. »

« Un modèle économique adapté au pays d’accueil », Olivier Faron

« Le Cnam représente une autre forme d’excellence, en formation professionnelle. C’est moins glamour mais nous comptons 8 000 auditeurs formés hors de nos frontières chaque année. Nous sommes également leader des Mooc Massive open online courses en France avec 200 000 auditeurs chaque année dont la moitié en dehors de nos frontières. »

« Je converge avec plusieurs constats de mes collègues comme l’importance d’identifier le bon partenaire local ou l’idée de hub qui ouvre vers un bassin de population. Nous nous développons en co-construction avec des centres implantés dans les pays, portés par des équipes locales.  »

« Je dirais qu’il faut aussi plusieurs modèles économiques. Le modèle de développement doit être raisonnable et adapté au public des différents pays. Nos auditeurs inscrits en Côte d’Ivoire ont des frais de scolarité adaptés. »

« Notre stratégie international repose sur trois voies de développement :

  • nos formations numériques à distance sont intégrées dans des formations d’université, au Laos, en Haïti, à Madagascar ;
  • nous nous efforçons de fédérer une communauté d’apprenants sur place ;
  • nous apportons notre expertise pour accompagner le développement économique local. »

Signer avec un grand partenaire international

« Il faut offrir de l’excellence dans tous les domaines où le partenaire est actif », Barthélémy Jobert

« Pour signer avec une grande université internationale, il faut pouvoir offrir de l’excellence dans tous les domaines où le partenaire est actif. C’est l’intérêt de la reconstruction actuelle en France de vraies universités globales quel que soit leur nom : PRES Pôle de recherche et d’enseignement supérieur , Comue Communautés d’universités et d’établissements , université fusionnée…

Il faut une entité globale avec laquelle le partenaire puisse discuter. C’est le sens de la fusion que nous souhaitons engager avec l'UPMC Université Pierre et Marie Curie . Nous sommes très bien classés dans le THE Times Higher Education , par exemple, mais uniquement en SHS. L’UPMC a de très bons classements, mais uniquement en sciences et techniques… »

« Les meilleurs d’aujourd’hui ne sont pas les meilleurs d’hier », Jean-Michel Blanquer

« Pour signer avec un grand, il faut parfois miser sur le devenir. Les meilleurs d’aujourd’hui ne sont pas les meilleurs d’hier. Je regarde avec attention ce que font les Suisses, ce que fait Singapour. Ils évoluent et émergent au plus haut niveau très rapidement. »

« J’adhère à l’idée des universités pluridisciplinaires, mais dans mon expérience, il est parfois plus facile de signer un accord avec ceux qui nous complètent qu’avec ceux qui nous ressemblent. En Chine, je discute plus facilement avec l’école de santé qu’avec la business school. Mais il faut être convaincu d’une chose : une politique d’excellence conduit à une politique d’attractivité. »

« La distance à parcourir n’est pas immense et nous la réduisons rapidement », Thierry Coulhon

« Si on en croit la dernière simulation sur le classement de Shanghai, PSL est à la 25ème place et Paris-Saclay à la 26ème et tout le monde monte. C’est un tsunami ! Il faut donc arrêter de se flageller. Les institutions que nous représentons ont de la valeur, et une valeur élevée », déclare Thierry Coulhon.

« Quand nous nous présentons en tant que PSL auprès de QS Quacquarelli Symonds , du THE Times Higher Education , du Financial Times, ils comprennent plus vite que des interlocuteurs français ce que nous sommes et la manière dont ils nous perçoivent est bien meilleure. Nous sommes entre train de réduire rapidement la distance qui nous sépare des grandes universités internationales. Elle n’est pas immense. Nous arrivons à accéder à la présidence de NYU New York University mais pas encore du MIT Massachusetts Institute of Technology ou de Harvard. »

« L’ESR français est le système non anglophone le plus développé au monde », affirme Jean-Michel Blanquer. « Mais quelle politique avons-nous sur le sujet ? Faut-il développer la francophonie ? Faut-il développer les formations bilingues français-anglais ? »

« La langue n’est pas la bonne question », rétorque Olivier Faron. « Le Cnam forme essentiellement en français. En Côte d’Ivoire, nous augmentons de 400 auditeurs tous les 6 mois parmi lesquels nous attirons des Libériens, anglophones. De grâce, ne soyons pas bornés dans notre vision du monde. Traduire les Mooc en anglais ne sert à rien, les meilleurs Mooc sont faits par les universités anglo-saxonnes. Par contre, traduisons nos Mooc en russe, en chinois, en arabe. Là, nous pourrons apporter un plus. »

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