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Un violon dans mon école : « Transmettre le relais à l’éducation nationale d’ici 2025 » (H. Vareille)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Entretien n°279741 - Publié le 10/02/2023 à 11:48
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Hélène Vareille - ©  D.R.

« Nous voulons prouver que l’on change assez considérablement la donne pour ces enfants. Nous nous sommes donné dix ans d’expérimentation à grande échelle. En cas de conclusion positive d’ici 2025, l’éducation nationale peut se poser la question d’adapter les programmes scolaires. Notre ambition finale est de transmettre le relais à l’éducation nationale et l’amener à intégrer Un Violon dans mon école dans les programmes scolaires », déclare Hélène Vareille, présidente éponyme de la fondation, le 10/02/2023.

« Entre 2015 et 2025, nous aurons financé à titre personnel entre 18 et 20M€ dans notre fondation », indique-t-elle dans un entretien à News Tank. 7,8 M€ supplémentaires ont été apportés par quelques partenaires.

Ces moyens permettent de financer le programme « Un violon dans mon école » qui consiste à enseigner le violon, pendant les heures de classe, aux enfants de la grande section de maternelle au CE1 dans des écoles de l’éducation prioritaire. Hélène Vareille retrace la genèse du projet en Suisse et son développement en France, dans l’académie de Versailles.

Point clef pour la fondation : l’évaluation du dispositif et la démonstration scientifique de son efficacité. Plusieurs études d’impact (pédagogique, neurosciences, économique) sont donc en cours. 

« Nous avons beaucoup travaillé sur le coût du projet et avec cette grande expérimentation, nous voulons proposer un système qui soit prouvé en termes de fonctionnement, mais aussi économiquement réaliste. »


« Prendre les choses à la racine »

Quelle a été la genèse de la Fondation Vareille que vous avez co-fondée en 2014  ? 

Après une carrière entière dans le monde de l’industrie, mon mari et moi avons décidé de créer la Fondation Vareille et de monter le projet Un violon dans mon école. Un vrai changement de milieu d’activité, mais avec la volonté de conserver le souci d’efficacité souvent présent dans l’entreprise. 

Nous avons très tôt décidé de nous consacrer à l’éducation et, plus particulièrement, à celle des plus jeunes dans les milieux les plus défavorisés puisqu’en matière d’éducation, il vaut toujours mieux prendre les choses à la racine.  

En effet des études ont montré que 1€ investi sur un enfant de quatre ans a le même potentiel de résultat que 7 ou 8€ investis sur un enfant de 12 ans. Cela nous a donc poussés à nous occuper en priorité d’enfants très jeunes et donc à concevoir le projet Un violon dans mon école.   

La fondation est donc très liée à votre engagement personnel. De quels moyens l’avez-vous dotée  ?  

Durant les toutes premières années, nous l’avons dotée complètement seuls. Mon mari a fait une carrière brillante et a eu l’opportunité de participer à deux LBO Leveraged buy-out (achat à effet de levier), rachat d’entreprise par endettement et emprunt qui se sont extrêmement bien passés, nous nous sommes donc retrouvés avec une importante somme d’argent.

L’approche américaine qui consiste à dire « Learn, Earn and Return » nous paraissait tout à fait justifiée, même si elle n’est pas encore vraiment passée dans la mentalité française.  

Entre 18 et 20 M€ investis à titre personnel »

Nous n’avons pas de département de mécénat/recherche de fonds. Entre 2015 et 2025, nous aurons investi à titre personnel entre 18 et 20 M€ dans notre fondation qui est une structure complètement opérationnelle et qui pilote le projet Un violon dans mon école. Je précise d’ailleurs que cela n’a rien à voir avec les déductions fiscales qui sont extrêmement limitées par rapport à cette somme. Il s’agit d’un vrai choix de notre part parce que nous estimons avoir eu de la chance au départ. 

Vous avez néanmoins accueilli quelques partenaires au fil des années. 

Depuis 2020, nous avons effectivement amené quelques très rares partenaires. Ce sont des gens qui, d’une part, connaissaient nos carrières et qui avaient une très grande confiance dans la façon dont le projet était géré  ; et d’autre part qui se disaient que grâce aux mesures d’impact mises en place, ils financeraient un projet dont l’efficacité était mesurée. Ce qui est un aspect assez attrayant pour le secteur privé.

La philanthropie à fond perdu ce n’est pas inutile, mais si en plus on regarde si cela marche vraiment, c’est encore mieux.  

Ainsi, aux 18 à 20 M€ s’ajoutent 7,8 M€ qui seront dépensés entre 2021 et 2025. Ce sont des fonds qui viennent essentiellement de l’étranger, à l’exception d’un particulier français et de la Fondation France, qui héberge notre fondation française, qui a fait une donation conséquente au projet. Les autres donateurs sont brésiliens, américains et suisses. Dans les trois cas, il s’agit de personnes qui ont de fortes relations avec la France.  

« Le violon a de nombreux d’avantages »

Les moyens de la fondation sont concentrés sur le projet Un violon dans mon école qui consiste à enseigner le violon, pendant les heures de classe, aux enfants de la grande section de maternelle au CE1 dans des écoles de l’éducation prioritaire. Pourquoi le choix du violon  ? 

Le violon a de nombreux d’avantages. D’abord, il s’agit d’un instrument bien adapté à des petits - à quatre ans, ils n’ont pas le souffle encore suffisamment développé pour faire de la trompette, par exemple - et qui existe dans de petites tailles - à la différence du piano par exemple.  

Ensuite, le violon n’a que quatre cordes, ce qui est aussi un avantage parce que vous pouvez parfaitement démarrer le violon sans connaître le solfège. Ainsi, on peut déjà faire faire beaucoup de choses aux élèves, qui ne sont pas trop complexes en termes de lecture, mais qui demandent beaucoup en termes de finesse de toucher, de motricité fine, de perception fine, toutes choses extrêmement compliquées et parfaitement bien alignées avec ce que les enfants sont en train de mettre en place à ces âges.   

Le violon génère de la fierté dans la famille »

Sur le plan de l’oreille, le violon oblige à écouter finement et à réagir en conséquence, à la différence d’autres instruments. Lorsqu’on appuie sur une touche de piano, elle joue juste, par exemple.    

Enfin, c’est un instrument d’Europe de l’Ouest extrêmement élitiste, donc les parents sont très fiers. Le violon est un bel objet que les enfants rapportent à la maison ce qui génère de la fierté dans la famille. C’est un élément non négligeable.  

« L’accueil de l’éducation nationale a été excellent »

Quel accueil a fait le secteur public à votre projet  ? Comment avez-vous procédé pour nouer des partenariats et associer la puissance publique de l’éducation nationale à votre projet  ?  

Nous avons commencé le projet en Suisse en 2015, avec deux écoles, suivi très rapidement par la France en 2017.  

En Suisse, nous sommes allés voir les autorités de l’éducation du Valais - puisque c’est un système décentralisé - accompagné du fondateur et Président du Festival de Verbier, l’un des plus grands festivals suisses. C’était une façon pour lui d’apporter sa caution au programme, qui est un programme éducation, mais qui repose sur l’enseignement de la musique. Cela a beaucoup plu aux autorités.  

Nous nous sommes donc dit que nous allions essayer de réaliser la même chose en France. Pour cela, nous sommes entrés en contact avec la Fondation Royaumont, dans le Val-d’Oise, dont les activités culturelles sont réputées. Elles touchent un public très parisien, mais Royaumont a toujours été très engagée pour que ces activités culturelles soient accessibles à tous les publics du Val d’Oise, y compris ceux qui en sont à priori très éloignés. Nous leur avons parlé du projet qui leur a beaucoup plu et nous sommes allés voir l’éducation nationale ensemble. De la même façon, ce faisant, ils ont apporté leur caution.   

Nous n’avons rien à vendre »

Nous avons commencé avec une première école à Persan. Rapidement, on nous a demandé d’ouvrir une autre école, puis une troisième, une quatrième, etc. Les villes dans lesquelles nous nous sommes déployés sont très essentiellement dans le sud-est du Val d’Oise avec Sarcelles, Villiers-le-Bel, Garges-lès-Gonesse.  

L’accueil de l’éducation nationale a été excellent. Il est vrai que nous n’avons rien à vendre, ce qui évite les arrière-pensées sur les intérêts cachés.  

Quel est votre objectif final ?  

Nous voulons prouver que l’on change assez considérablement la donne pour ces enfants. Nous nous sommes donné dix ans d’expérimentation à grande échelle. En cas de conclusion positive d’ici 2025, l’éducation nationale peut se poser la question d’adapter les programmes scolaires.  

Notre ambition finale est de transmettre le relais à l’éducation nationale et l’amener à intégrer Un Violon dans mon école dans les programmes scolaires.

Vous indiquez un coût annuel de 500 € par enfant, que comprend cette somme  ? 

L’essentiel des 500 € ce sont les heures d’enseignement prises sur le temps scolaire à partir de la grande section de maternelle et jusqu’au CE1.  

Chaque enfant qui participe au programme a son propre violon et, à partir de la grande section, le rapporte à la maison. Ce sont des violons de bonne qualité et qui coûtent environ 250 €. Ils sont amortis sur dix ou douze ans.   

Si le programme était pris en charge par l’éducation nationale son coût serait peut-être ramené à 400 €, car nous avons aussi des frais de recherche, etc.   

Nous avons beaucoup travaillé sur le coût du projet »

Nous avons toujours eu en tête, sûrement à cause de notre histoire professionnelle liée au secteur privé, que quelque chose qui marche très bien, mais qui est totalement inacceptable en termes de prix, n’a pas de sens pour le système public. Nous avons donc beaucoup travaillé sur le coût du projet et avec cette grande expérimentation, nous voulons proposer un système qui soit prouvé en termes de fonctionnement, mais aussi économiquement réaliste. 

L’un des points clés du projet repose en effet sur la mesure d’impact. Comment fonctionne-t-elle  ? 

Dès le début du projet nous avons mis en place une partie de mesure d’impact - qui a pris une année de retard avec la pandémie Covid.    

  • Le premier volet est réalisé par l’équipe de Philippe Coulangeon et Julie Pereira, du laboratoire CRIS (CNRS Centre national de la recherche scientifique - Sciences Po Paris). Leur étude suit deux cohortes pendant quatre ans, l’une de test (enfants violonistes) composée de 1 300 élèves et l’autre de contrôle avec près de 1 000 élèves. Ces cohortes sont actuellement en CP.
    • D’ici à fin 2024, nous aurons les résultats de cette étude qui est absolument essentielle.
    • Elle montrera ce que cela donne en termes de résultats scolaires sur la base de tests spécifiques développés par les équipes de chercheurs, ainsi que de l’analyse des évaluations de l’éducation nationale, qu’elles soient départementales ou nationales. En outre le suivi totalement anonymisé mis en place par la Depp permettra un suivi ultérieur.   
  • Le deuxième volet est entre les mains de Stanislas Dehaene, directeur de NeuroSpin, qui conduit une étude en neurosciences qui suit également des enfants à partir du CP, car ils sont trop petits pour aller dans une machine d’IRM Imagerie à résonance magnétique avant.
    • Trois relevés de données seront réalisés et permettront de comparer une trentaine d’enfants de la cohorte de violonistes suivis par l’équipe CNRS - Sciences Po avec une trentaine d’enfants du groupe de contrôle.
    • L’idée est de regarder l’évolution de leur cerveau sur cette durée.
    • Il n’y a jamais eu d’étude à travers le monde sur des enfants de cet âge-là et dans la durée.    
  • Le troisième volet est complètement différent et consiste à réaliser une étude économique pour évaluer la rentabilité du projet pour la collectivité.
    • Le but est de projeter le niveau en sortie de CE1 des enfants bénéficiaires du projet pour estimer ce qu’il serait quelques années plus tard : à l’entrée en sixième, en fin de troisième, et éventuellement au niveau du bac.
    • Une fois ces projections connues, on peut en tirer des conclusions sur les économies potentielles pour la société. L’idée étant de montrer que lorsque l’on dépense quatre fois 500 € pour un enfant qui a 80  % de chances d’échouer à l’école, vous êtes susceptible, en tant que société et collectivité, d’économiser bien davantage dans la durée.    

Le think tank Terra Nova a réalisé une étude du coût du décrochage scolaire pour la collectivité, aboutissant à 230 k€ par décrocheur sur l’ensemble de sa vie et donc à 24 Md€/an à l’échelle du pays.

Aujourd’hui, 20  % d’une classe d’âge est en REP Réseau d’éducation prioritaire (Réseau d’éducation prioritaire), soit 150 000 enfants, lesquels fourniront une bonne partie des décrocheurs scolaires. La comparaison des chiffres (230 k€ et  2 000 € en 4 ans), laisse espérer une rentabilité forte pour la collectivité. Bien sûr ces chiffres sont à affiner et confirmer.  

À l’échelle du temps du projet, nous sommes proches de cette échéance de 2025. Qu’est-ce que vous mettez en œuvre pour qu’en 2025, il soit effectivement généralisé ?  

En plus de la mesure d’impact, nous rencontrons les différentes parties prenantes du projet (éducation nationale, élus des territoires, élus nationaux…) pour développer leur connaissance du projet, et réfléchir collectivement sur les prochaines étapes qui aboutiront, nous l’espérons à une reprise et un déploiement du dispositif par les pouvoirs publics.    

Des discussions avec la Juilliard School à New York »

Par ailleurs, nous avons un certain nombre de demandes de l’étranger, et qui peuvent permettre de faire rayonner le projet. Nous avons entamé des discussions avec la Juilliard School à New York, qui a déjà des projets dans les quartiers difficiles, mais qui est enthousiasmée par Un violon dans mon école et voudrait étudier un lancement dans le Bronx. L'Unesco Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture veut également mettre en avant le programme et nous avons des discussions avec la ville de Montréal au Canada.  

Enfin, dans le Valais où nous avons débuté, les autorités ont décidé de lancer leur propre projet pilote. Ils veulent expérimenter la prise en charge de l’organisation par leurs services, pour ensuite étendre le dispositif. Nous sommes en train de discuter la même approche en France, afin que l’Éducation nationale teste l’opération dans le cadre de ses structures.   

Et si le projet n’est pas généralisé, comment se poursuivra votre engagement  ? 

Notre objectif est qu’à partir de 2025, il y ait un passage de relais, une prise en main par l’Éducation nationale. En termes de démarrage de nouveaux enfants, nous n’irons probablement pas au-delà de 2024 - 12 000 enfants en auront alors profité.     

Si l’éducation nationale ne souhaite pas reprendre le projet, nous considèrerons que nous aurons échoué dans notre objectif de convaincre et nous passerons à autre chose. Nous resterons dans cette démarche de vouloir faire quelque chose qui fasse changer le système, très probablement dans le domaine de l’éducation. 

Hélène et Pierre Vareille sont respectivement présidente et vice-président de la fondation éponyme.

•  Diplômée de l'Essec École supérieure des sciences économiques et commerciales Hélène Vareille commence sa carrière chez DuPont de Nemours avant de rejoindre dès 1982 le groupe Vallourec où elle exerce diverses fonctions jusqu’à la direction générale de Valtimet, une filiale internationale du groupe oeuvrant dans le secteur des équipements pour le secteur de l’énergie, implantée en Europe, en Asie et aux États-Unis.

En 2000, elle rejoint le cabinet de conseil Mercer Management Consulting (aujourd’hui Oliver Wyman), puis le cabinet en intelligence stratégique ESL en 2003 et, enfin, le cabinet de recrutement de dirigeants Spencer Stuart en 2007, jusqu’en 2012.

•  Passé par CentraleSupélec (alors Centrale Paris) et Sciences Po, Pierre Vareille commence sa carrière chez Vallourec, où il évolue jusqu’à divers postes de direction générale de filiales du groupe. Il travaille ensuite chez GFI Aerospace (directeur général puis P-DG Président(e)-directeur(rice) général(e) ), puis Faurecia. De 2002 à 2004, il est membre du comité exécutif de Pechiney et président de Pechiney Rhenalu.

Il dirige ensuite la société britannique Wagon Automotive (équipements d’automobile), avant de rejoindre FCI, le 4e fabricant mondial de connecteurs avec des sites industriels dans 20 pays. Il devient ensuite le président du directoire de Constellium, l’un des leaders mondiaux du secteur de l’aluminium.


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Hélène Vareille - ©  D.R.