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Internationalisation de l’enseignement supérieur : « Back to business as usual » ? (S. Linden)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°244401 - Publié le 08/03/2022 à 12:14
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©  D.R.
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« L’internationalisation ne fait en réalité pas consensus dans de nombreuses institutions universitaires. Dans le contexte de la présidence française de l’Union européenne, les universités européennes constituent une belle opportunité de réfléchir collectivement et de faire bouger les lignes, à la condition qu’elles soient portées institutionnellement et non cantonnées à quelques facultés », écrit Sébastien Linden Associé gérant @ Linden & Swift
, dans une analyse pour News Tank, le 8/03/2022.

« Il serait utile que l’internationalisation de l’enseignement supérieur soit davantage débattue, aux côtés des autres sujets importants, dans les campagnes présidentielles… des établissements d’enseignement supérieur comme de la République », estime le consultant en internationalisation, qui propose une revue des tendances.

Il revient notamment sur le retour de la mobilité étudiante internationale, les tensions entre coopération et compétitions entre établissements et entre pays, et la « géopolitisation » de l’Esri Enseignement supérieur, recherche et innovation .  

« Une des nouvelles tendances de l’internationalisation de l’enseignement supérieur a pris une place centrale en 2021 : sa politisation », indique-t-il. Et d’ajouter : « La crise a conduit à une prise de conscience de nombreux États et établissements de leur dépendance, en termes d’étudiants et de financements, vis-à-vis de la Chine, aujourd’hui plus grand système d’enseignement supérieur en nombre d’étudiants, second producteur de recherche et premier en nombre d’étudiants à l’étranger. »


« Beaucoup d’États et d’établissements espèrent un “retour à la normale” »

Alors que la perspective de sortir de la crise du coronavirus se précise et que les frontières se rouvrent progressivement, beaucoup d’États et d’établissements espèrent un « retour à la normale » dans les relations internationales de l’enseignement supérieur. Est-ce possible ? Surtout, est-ce souhaitable de simplement revenir à la situation antérieure ?

Commençons par observer l’évolution des tendances de l’internationalisation de l’enseignement supérieur, dans le contexte de la crise du coronavirus, identifiées dans un précédent article Publié le 26/01/2021 à 09:29
« L’internationalisation a peut-être besoin de se renouveler. Perçue comme une innovation dans les années 2000, n’est-elle pas devenue une tradition ? N’a-t-elle pas besoin d’idées nouvelles …
publié en janvier 2021. La plupart de ces tendances, visibles avant 2020, se sont amplifiées avec la crise, comme, par exemple, la digitalisation, qui s’est étendue dans les enseignements, les programmes, les collaborations, les mobilités, les stages, la promotion et le recrutement…

Quelques tendances méritent une attention particulière.

Mondialisation et régionalisation

Quel a été l’impact sur la mondialisation de l’enseignement supérieur (vu sous l’angle des mobilités étudiantes) de la crise sanitaire, des difficultés économiques qu’elle a pu engendrer, des fermetures de frontières et des restrictions de circulation ?

Après une forte baisse en 2020, on a vu s’amorcer une reprise en 2021, avec un retour vers la normale pour les pays leaders dans l’accueil d’étudiants internationaux, notamment la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada et, dans une moindre mesure, les États-Unis, mais une baisse persistante dans certains pays comme l’Australie.

Ces décalages s’expliquent principalement par la différence d’attitude des États vis-à-vis des étudiants étrangers : la France et l’Allemagne ont facilité leur accueil pendant la crise, le Canada et les États-Unis ont favorisé le suivi des cursus à distance, l’Australie au contraire n’a rouvert que très récemment ses frontières.

« La croissance des étudiants en mobilité va reprendre »

Ce retour, globalement rapide, vers la situation antérieure semble indiquer que la croissance des étudiants en mobilité va reprendre. Mais il sera intéressant d’observer les modifications de dynamiques et les possibles changements dans la hiérarchie.

Le phénomène de régionalisation s’est confirmé »

Parallèlement à la mondialisation, le phénomène de régionalisation s’est confirmé : mobilités plus proches, renforcement de nouvelles puissances régionales, rôle stratégique des campus off-shore, développement des coopérations régionales, notamment en Europe, à travers le programme Erasmus+ et les perspectives des universités européennes.

Cette nouvelle cartographie s’inscrit dans une multipolarisation du monde et une diversification des destinations des étudiants qui ont dû envisager de nouvelles solutions face aux difficultés à partir étudier dans certains pays.

Coopération et compétition

Dans un contexte de crise, de nombreuses institutions ont mis en avant les valeurs de solidarité, diversité, équité, inclusion, engagement, développement durable… et insisté sur leurs coopérations. Cette tendance se retrouve par exemple dans une approche plus inclusive des mobilités (notamment dans le programme Erasmus +).

Parallèlement au discours sur les valeurs et aux actions de coopération, la crise a surtout renforcé la compétition pour attirer les étudiants. Les difficultés économiques, les mobilités plus régionales, l’arrivée de nouveaux acteurs privés, le développement des formations en ligne, les ambitions de nouveaux États (Chine, Inde, Turquie, Arabie saoudite…) ou encore la diversification des destinations ont rendu le marché plus difficile pour les établissements et les systèmes d’enseignement supérieur.

« L’offre en anglais a continué à être développée »

Beaucoup ont adapté leur offre, en améliorant leur dispositif d’accueil, d’accompagnement et d’expérience étudiante, en s’engageant davantage sur l’insertion professionnelle, en travaillant sur leurs politiques de droits de scolarité et de bourses.

L’offre en anglais a continué à être développée : une étude publiée par le British Council et Studyportals en décembre 2021, ‘The changing landscape of English-taught programmes ’, montre, au cours des cinq dernières années, une croissance de 77 % des programmes en anglais proposés en dehors des quatre grands pays anglophones (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Canada) ; ils représentent aujourd’hui près de 20 % de l’ensemble des programmes en anglais dans le monde avec une majorité en Europe, mais une croissance plus forte en Asie.

Accentuation de la compétition

Beaucoup se tournent davantage vers l’Inde »

Tout en poursuivant leurs efforts en Chine, premier pays d’origine de la mobilité étudiante dans le monde, avec près d’un million d’étudiants, beaucoup se tournent davantage vers l’Inde, à l’image des grandes écoles françaises qui y sont de plus en plus présentes par des bureaux de représentation, et cherchent à diversifier leurs marchés sur tous les continents, en travaillant sur leur réputation et en mobilisant les outils de la communication et du marketing.

Cette accentuation de la compétition peut être associée à la logique de marchandisation, liée à la place croissante des investissements privés et au besoin de financement, qui passe par le développement des contrats de recherche privés, des écoles d’été, des formations exécutives ou encore de l’exportation de savoir-faire.

Cette tendance peut être également observée sous l’angle de la globalisation, c’est-à-dire de la standardisation et de la convergence vers un modèle unique, renforcé par les classements et les systèmes d’accréditation internationaux, avec un risque de déconnexion des institutions de leur environnement local et national.

Le 25/10/2021, Campus France a adopté avec huit institutions similaires dans le monde une déclaration pour soutenir l’éducation et la mobilité internationales . Ce texte exprime la volonté de construire, grâce aux échanges internationaux, un monde plus équitable, plus soutenable et davantage en paix. Il fait référence aux actions pour les réfugiés, aux coopérations, à l’internationalisation à domicile et à l’internationalisation pour la société. Mais il est frappant de constater que le point central reste la mobilité, encouragée par les organisations de neuf pays uniquement occidentaux (France, Allemagne, Canada, États-Unis, Finlande, Italie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni).

Cet exemple illustre la complexité de la relation entre coopération et compétition qui, en articulation avec la tension régionalisation / mondialisation, constituent les points centraux qui structurent l’évolution de l’internationalisation de l’enseignement supérieur.

L’enjeu de la coopération européenne

À cet égard, il est intéressant de constater que, dans son discours au Congrès de France Universités , le 13/01/2022 en Sorbonne, Emmanuel Macron Président de la République @ Présidence de la République (Élysée)
utilise neuf fois l’adjectif international, toujours pour l’associer à l’idée de concurrence : compétition (quatre fois), visibilité et attractivité (quatre fois), jurys de sélection (une fois).

Dans un contexte de présidence française de l’Union européenne, l’Europe est beaucoup plus présente, mentionnée à 25 reprises : huit fois pour exprimer une vision (valeurs, progrès, ambition, besoin, projet), 15 fois ses actions et outils (universités européennes, diplômes, programmes, projets, coopération, European research council, European innovation council, Horizon Europe, relance, expérience), deux fois pour montrer qu’elle renforce notre position dans la concurrence mondiale (attractivité, indépendance).

Pour résumer, la coopération européenne permet d’affronter la compétition internationale.

(Géo)politisation

Une des nouvelles tendances de l’internationalisation de l’enseignement supérieur a pris une place centrale en 2021 : sa politisation.

Politisation intérieure tout d’abord, avec des polémiques dans plusieurs pays sur une internationalisation qui serait devenue trop importante, mettant en difficulté la langue nationale face à l’anglais (aux Pays-Bas par exemple), les étudiants et professeurs locaux mis en concurrence avec les internationaux (Norvège) et l’identité même du pays, les étudiants internationaux étant associés à une immigration globale qu’il faudrait restreindre (France).

Politisation internationale ensuite, marquée par l’affirmation nationaliste de certains pays et les tensions géopolitiques avec la Chine. La crise a conduit à une prise de conscience de nombreux États et établissements de leur dépendance, en termes d’étudiants et de financements, vis-à-vis de la Chine, aujourd’hui plus grand système d’enseignement supérieur en nombre d’étudiants, second producteur de recherche et premier en nombre d’étudiants à l’étranger.

L’année 2021 a été marquée par de nouvelles initiatives limitant l’action des Instituts Confucius, luttant contre les actes d’espionnage, critiquant les limitations à la liberté académique. Plusieurs rapports publiés en 2021 analysent le phénomène et formulent des propositions, par exemple, en France, le rapport de l’Irsem sur « les opérations d’influence chinoise  » et celui du Sénat sur « les influences étatiques extra-européennes  » dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Défense de la liberté académique

La question de la liberté est de plus en plus présente. Le combat pour la libération de la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah, prisonnière académique en Iran depuis 2019, se poursuit. Les établissements d’enseignement supérieur semblent être de plus en plus stricts sur la défense de la liberté académique et même des libertés publiques au sens large, comme le montre la décision de l’Université de Cambridge prise il y a quelques mois de renoncer à un don de 400 M£ (environ 481,5 M€) des Émirats arabes unis en raison de son utilisation du logiciel Pegasus pour espionner des opposants. Il sera intéressant d’observer si cette tendance impacte à l’avenir la politique des campus off shore dans les pays qui ne les respectent pas.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie conduit également à interroger la place de l’enseignement supérieur et la recherche dans les relations internationales.

Cette géopolitisation de l’enseignement supérieur accentue l’approche compétitive et quantitative de l’internationalisation de l’enseignement supérieur.

Gagner la bataille des classements

Pour de nombreux gouvernements, l’essentiel est de gagner la bataille des classements et des chiffres des étudiants internationaux. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, présentant le 14/12/2021 la « feuille de route de l’influence de la diplomatie française », a insisté sur l’attractivité de l’enseignement supérieur et de la recherche française et européenne face aux défis d’une concurrence internationale forte et de la crise sanitaire.

Il a rappelé l’objectif de la stratégie « Bienvenue en France » d’accueillir 500 000 étudiants étrangers en 2027 (contre 350 000 en 2018) et de revenir sur le podium des pays les plus attractifs après être descendu à la 6e place.

Dans ce contexte, malgré les phénomènes de régionalisation, multipolarisation et diversification des destinations, on peut s’interroger sur le risque d’accentuation des inégalités entre le Nord et le Sud.

Transformation

L’internationalisation à domicile, qui vise, par de multiples initiatives, à transmettre des compétences internationales et interculturelles à tous les étudiants, s’est développée dans de nombreux pays et établissements, non seulement pour offrir une alternative aux mobilités, mais aussi pour répondre à la volonté d’inclusion (internationalisation pour tous), d’internationalisation pour la société, notamment en développant l’engagement des étudiants et les liens avec les communautés locales, et de formation des futurs citoyens et professionnels à la compréhension d’un monde globalisé dans lequel ils vont vivre, travailler, apporter des réponses plus coordonnées, voire imaginer de nouveaux modèles.

En France, deux rapports sur l’internationalisation à domicile ont été publiés en 2021 par la Cdefi  et la CGE , poursuivant des réflexions engagées avant la crise.

Ils offrent une grille d’analyse et un partage d’expériences utile aux établissements. Cette démarche montre une approche globale de l’international, une vision transformatrice, qui n’a pas pour unique objectif l’attractivité et pour seul outil la mobilité.

L’internationalisation n’est pas un but en soi

Tout en étant conscient qu’une enquête d’opinion nécessite évidemment de se concentrer sur quelques questions, il est frappant de constater que, réalisant un sondage en 2021 sur Les Français et leur rapport à l’université , France Universités n’aborde l’international que sous deux angles : le rôle des universités dans le rayonnement de la France et les échanges internationaux.

Certaines universités françaises ont toutefois entrepris des démarches d’internationalisation à domicile, mais souvent plus à l’initiative d’un ou une universitaire que par volonté institutionnelle.

En France, pendant la crise, des établissements d’enseignement supérieur, notamment des grandes écoles, ont renforcé la dimension stratégique, transversale et multifacettes de l’international, conscients que l’internationalisation n’est pas un but en soi, mais une politique au service du projet de l’établissement. Dans d’autres institutions, l’international reste peu pensé, fonctionne en silo, se concentre sur les mobilités, est vécu comme un petit plus, qu’il faut valoriser de temps en temps pour montrer son « attractivité ».

Bref, les difficultés de court terme et les défis de long terme ont conduit certains établissements à penser leur avenir en termes de changement et de transition pour continuer à progresser quand d’autres ont peu évolué et espèrent une sortie de crise qui les ramènera à la situation antérieure.

L’internationalisation ne fait en réalité pas consensus »

La poursuite de l’internationalisation de l’enseignement supérieur, articulant une logique de compétition, une volonté de coopération ou encore une ambition de préparer les jeunes au monde globalisé, nécessite l’engagement de tous les acteurs.

Mais des résistances existent, des critiques s’expriment. L’internationalisation ne fait en réalité pas consensus dans de nombreuses institutions universitaires. Dans le contexte de la présidence française de l’Union européenne, les universités européennes constituent une belle opportunité de réfléchir collectivement et de faire bouger les lignes, à la condition qu’elles soient portées institutionnellement et non cantonnées à quelques facultés.

Il serait utile que l’internationalisation de l’enseignement supérieur soit davantage débattue, aux côtés des autres sujets importants, dans les campagnes présidentielles… des établissements d’enseignement supérieur comme de la République.

Sébastien Linden

Email : sebastien.linden@lindenandswift.com

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Parcours

Linden & Swift
Associé gérant
Ambassade de France en Israël
Attaché de coopération scientifique et universitaire
Sciences Po Paris (IEP Paris)
Responsable des affaires internationales pour le Maghreb et le Moyen-Orient
Sciences Po Paris (IEP Paris)
Chef de projet, mission de conseil pour la création d’une grande Ecole au Maroc
Sciences Po Paris (IEP Paris)
Chargé de mission auprès du directeur
Sciences Po Paris (IEP Paris)
Chef de projet, Expérimentation dans des lycées de Seine-Saint-Denis
Sciences Po Paris (IEP Paris)
Secrétaire général de l’Ecole doctorale
Sciences Po Paris (IEP Paris)
Chargé des relations avec les élus
Agence Nationale pour l’Emploi (ANPE)
Chargé des relations avec les élus
Association des Petites Villes de France (APVF)
Chargé de mission

Établissement & diplôme

Dauphine - PSL
DESS Gestion publique

Fiche n° 39791, créée le 23/06/2020 à 09:15 - MàJ le 27/01/2021 à 17:01


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