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Essai Discovery : « Manque de moyens pour nous coordonner en séquence rapide en Europe » (F. Ader)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Actualité n°182757 - Publié le 11/05/2020 à 11:56
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« Je vous confirme que le Luxembourg a bien rejoint notre protocole - un patient sur 740 - et qu’aucun pays ne s’est formellement retiré des négociations », déclare Florence Ader, infectiologue à l’hôpital de la Croix-Rousse de Lyon, responsable de l’essai clinique européen Discovery qui vise à recruter 3000 patients pour tester quatre médicaments contre le Covid-19 au niveau européen.

Elle répond à la sénatrice Catherine Deroche (LR Les Républicains ) qui lui demandait si le Luxembourg était le seul pays à avoir maintenu sa participation aux côtés de la France dans cet essai, dans le cadre d’une audition en téléconférence par la commission des affaires sociales du Sénat, le 06/05/2020.

« Nous travaillons actuellement à l’harmonisation des protocoles, des procédures et des réglementations qui nous permettront de fonctionner tous ensemble (…). Je l’ai dit, un patient a été enrôlé au Luxembourg. J’ai mentionné les difficultés d’organisation que nous pouvons avoir avec nos collègues européens. Il n’y a pas de mauvaise volonté, mais des difficultés réglementaires à aplanir », précise-t-elle.

« Nous ne sommes pas encore opérationnels dans l’harmonisation des procédures européennes de montage d’essais transfrontaliers. Nous manquons de moyens pour nous coordonner en séquence rapide les uns avec les autres, les réglementations restant compliquées d’un pays à l’autre.

Après une séquence rapide, marquée par un protocole élaboré en six jours et une autorisation obtenue en 15, nous mettons désormais plus de temps à gérer les circuits réglementaires des différents pays. C’est sur ce sujet que nous devons travailler pour monter en puissance ».

Elle indique aussi que « dans l’hypothèse où il ne serait pas possible de conclure en raison d’un nombre insuffisant de patients, nous continuerons d’inclure afin d’obtenir le nombre de patients nécessaire pour répondre aux questions posées par l’essai », ajoutant par ailleurs qu’aucun effet secondaire sous essai n’a encore été signalé.

« Dans un contexte où se prépare le déconfinement de la population alors qu’aucun traitement ni vaccin ne sont disponibles, les résultats de cet essai sont bien sûr très attendus. L’impatience a parfois confiné à l’hystérie si l’on considère les débats sur les réseaux sociaux sur l’hydroxychloroquine ou encore l’envolée des cours de bourse de la société Gilead après que le Dr Fauci a anticipé des annonces, même assorties de précautions, sur les résultats du remdésivir », déclare pour sa part le sénateur LR Alain Milon qui préside la commission.


740 patients inclus en France

« Dans la sphère de l’essai Solidarity, auquel 1 800 patients participent, la France est le pays qui a le plus inclus de patients dans ce protocole, avec actuellement 740 patients. Nous pouvons nous féliciter de notre maillage hospitalier efficace et de l’impulsion absolument majeure donnée à ce projet par des structures de recherche comme l'Inserm Institut national de la santé et de la recherche médicale et l'ANRS Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les hépatites et d’appui comme l'ANSM Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé  », indique Florence Ader.

La réussite du confinement réduit l’inclusion de nouveaux patients

« Le confinement a fonctionné, ce dont nous pouvons nous réjouir, si bien que la moindre affluence de malades dans les hôpitaux qui en résulte explique que nous incluons désormais peu de patients en France à l’heure actuelle. Dès lors que certains pays peuvent endosser un protocole impliquant des examens biologiques, virologiques ou d’imagerie qui représentent un certain coût, il paraît logique que l’essai se développe au-delà de nos frontières afin d’atteindre un chiffre qui nous permette de conclure ».

L’objectif de 3000 patients inclus au niveau européen toujours d’actualité

« Les méthodologistes de l'OMS Organisation mondiale de la santé et de l’essai Discovery estiment, pour conclure sur des médicaments repositionnés et dont on peut anticiper que l’efficacité sera partielle, qu’il faudra au moins 600 patients par bras, soit un total de 3 000 patients. L’ambition est de s’entendre avec les autres pays européens afin, sous l’égide de l’OMS, d’inclure les 3 000 patients et de passer, ensuite, à d’autres essais pour nous inscrire dans une dynamique sur plusieurs années qui nous permette de proposer des solutions ».

4 500 à 5 000 € par patient

« Je vous confirme le chiffre de 4 500 à 5 000 euros par patient [inclus dans l’essai Discovery]. Si nous avons les moyens de le faire en France, c’est plus problématique dans certains pays. C’est pourquoi l’étude Solidarity a mis à disposition un protocole plus simple que celui de Discovery. C’est en effet le rôle de l’OMS de proposer des protocoles que tous les modèles socio-économiques puissent assumer.

La problématique de Discovery est la suivante : tous les pays européens peuvent-ils assumer d’inclure 500 patients à ce prix, et où sont les financements pour y parvenir, étant entendu que l’Inserm en est le promoteur, mais ne peut pas financer toute l’Europe ? Nous nous tournons maintenant du côté de l’Union européenne. » 

« Aplanir les difficultés logistiques »

« Il est évidemment impossible de communiquer à ce stade sur le moindre résultat de l’essai. Sur le terrain, je pilote l’essai et m’emploie à aplanir les difficultés logistiques pour permettre aux 30 centres d’inclusion de travailler dans les meilleures conditions possibles. Toutes les données recueillies dans l’essai sont transmises à une base de données complètement anonyme.

Des extractions de la base sont régulièrement envoyées à un comité d’experts qui les analyse en totale indépendance afin de déterminer si des signaux s’en dégagent. Ce comité, dénommé « Data Safety Monitoring Board », se réunit régulièrement. Les résultats de l’essai seront publiés en fonction des analyses effectuées par ce comité qui est souverain ».

Résoudre une équation triangulaire

 « Il existe en effet des différences d’un pays à l’autre. Il y a deux enjeux : nous sommes tous sous le parapluie de l’OMS, censée nous aider à la mise en place des recherches en temps réel. Mais chaque pays doit adapter les règles générales à son mode de fonctionnement. Tous les systèmes de santé ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, dans chaque pays, des structures de leadership propres se mettent en place, ce qui est important.

On ne peut pas complètement lisser ces réalités. C’est une équation triangulaire qu’il faut résoudre : il faut à la fois un leadership positif, une harmonisation réglementaire entre pays et une capacité à se mettre en ordre de marche avec les mêmes protocoles afin de répondre le plus rapidement possible à la crise. »

« Avec les Allemands, la discussion est très intéressante : elle reprend exactement la triangulaire dont je viens de parler. Nous avons des échanges de courriels tous les jours. En tant qu’État fédéral, l’Allemagne fonctionne différemment, elle a aussi des exigences, mais elle doit composer avec des questions réglementaires françaises.

Nous devons mettre au point et harmoniser un protocole commun, tout en laissant les gens sur place être leaders du projet, ce qui constitue quelque chose d’inédit en Europe, le tout en un temps extrêmement court. Mais je ne doute pas que nous y arriverons un jour ».

« La semaine prochaine, le comité indépendant (DSMB) de l’essai se réunit pour analyser les données collectées depuis le 22/03/2020 », indique l’Insem le 07/05/2020. « À l’issue de cette réunion, comme l’a évoqué le président de la République, ce comité indépendant produira une synthèse qui conclura soit à :

• un signal positif  : l’une ou l’autre des molécules testées est plus efficace que les soins standards optimaux),

• un signal négatif : l’une ou l’autre des molécules testées est moins efficace que les soins standards optimaux)

• pas de signal : auquel cas il faudra continuer à inclure des patients selon les mêmes modalités.

En cas de signal positif ou négatif, des modifications de l’étude seront envisagées en concertation avec Solidarity.

Quel que soit le résultat de cette analyse, il est toujours aussi important pour les chercheurs et médecins de l’étude de réussir à sceller une alliance européenne autour de ce projet à vocation internationale. Le Luxembourg a d’ores et déjà rejoint l’essai Discovery et les échanges avec l’Allemagne, l’Autriche et le Portugal sont à une phase très avancée.

Les échanges avec les partenaires européens sont longs, notamment pour des questions d’harmonisation réglementaire et organisationnelle qui sont incontournables. En respect des règles internationales de bonnes pratiques qui régissent la recherche clinique, la synthèse produite par le DSMB n’a pas vocation à être rendue publique ».

« Épidémie de recherche » 

« Vous avez également posé la question du foisonnement d’essais non randomisés ; je risquerais l’expression d'“épidémie de recherche“. Avec toutes les réserves que je me dois d’employer, je trouve peu judicieux d’avoir initié 30 ou 40 études qui ne concerneront qu’une dizaine de patients chacune plutôt que de s’être accordé sur un nombre limité d’études, mais avec un plus grand échantillon de patients.

La robustesse des résultats produits n’est pas suffisante, alors même que ces études ont obtenu des financements. J’irais même jusqu’à dire que le principe d’une étude à large public s’imposait : lorsque l’on ignore tout de l’efficacité d’une certaine molécule pour une certaine infection, on ne peut tirer de résultats pertinents qu’à partir d’un panel de patients le plus large possible. »

Une « abondante littérature chinoise qu’il faut lire avec beaucoup de prudence »

« Nous avons avancé en marchant, avec les patients et au rythme de la littérature scientifique. Il y a une épidémie de recherche en matière de Covid-19, dont une abondante littérature chinoise qu’il faut lire avec beaucoup de prudence dans le cas de certaines publications. Nous avons progressé de façon rapide et nous avons déjà apporté cinq amendements au protocole, sur la forme comme sur le fond, notamment s’agissant de la prise en charge des patients. »

«  J’ai répertorié trente-deux études thérapeutiques autorisées en France sur des patients hospitalisés, contre seulement trois sur des patients ambulatoires. Trente-quatre études sont en attente d’autorisation, ce qui est considérable. Peut-être convient-il de réguler ces recherches différemment en se concentrant sur des études de grande taille », indique Florence Ader.

Encore du chemin et des remises en question

« Nous en sommes encore à découvrir ce virus »

« Pour l’heure, nous en sommes encore à découvrir ce virus, à le démembrer pour en connaître tous les impacts. Une fois cette phase achevée, nous serons en mesure d’identifier chacune des cibles immunitaires touchées par ce dernier, et de prévoir les traitements spécifiques en conséquence.

Vous devez bien comprendre qu’un traitement immunomodulateur n’aura de pertinence qu’à l’issue de ce travail, lorsque nous aurons précisément défini les cibles. Une fois ces dernières définies, pourra alors commencer la phase de recherche sur les médicaments dits de seconde génération, ou molécules dites de haute affinité, qui concentreront leur action modulatrice sur les seuls éléments du système immunitaire attaqués par le virus. »

Notre mode de vie « remis en question »

« Notre monde est asynchrone à plusieurs niveaux. Le virus vient d’une zone géographique qui vend au monde entier des objets d'“hyper-connexion“ et où il existe en même temps une pression zoonotique plus importante qu’ailleurs. Dans un monde globalisé avec des différences socio-économiques importantes, cela a abouti à une pandémie. Avec le changement climatique en arrière-plan, notre mode de vie est ainsi remis en question.

Nous avons choisi de vivre dans un monde globalisé, mais il y a peut-être un prix à payer. La nature n’est pas déconnectée de notre mode de vie. En tant que médecins, nous nous inquiétons de cette accélération. Je considère donc que la réflexion doit être globale : oui, il faut s’habituer à vivre avec, et cela va au-delà de la pression médicale exercée par un virus sur la société. J’espère qu’à l’occasion du déconfinement, les gens vont y réfléchir ».

L’essai Discovery

« Florence Ader est le pilote d’un essai clinique coordonné par l’Inserm qui doit tester quatre traitements, sur 3 200 patients en Europe, dont au moins 800 en France. Ces patients sont hospitalisés et gravement atteints », précise le sénateur LR Les Républicains Alain Milon qui préside la commission.

En introduction de cette audition, Florence Ader avait fait un rapide topo sur l’essai Discovery : « L’essai Discovery est interventionnel et teste quatre traitements. Le virus étant totalement nouveau, nous évaluons des médicaments existants, repositionnés sur de nouvelles indications dans une démarche de ‘repurposing’, dont certains étaient jusqu’ici utilisés dans le traitement d’autres infections virales. »

Les quatre traitements testés

« L’un de ces médicaments est le remdésivir, initialement testé pendant la crise d’Ebola, et pour lequel nous disposons de données d’efficacité in vitro. De même, ce sont des données in vitro recueillies en Chine qui nous ont amenés à ajouter dans le week-end du 12/03 un bras incluant l’hydroxychloroquine. Outre ces deux molécules, nous testons la combinaison lopinavir/ritonavir, jusqu’ici utilisée dans le traitement du virus d’immunodéficience humaine (VIH), et plus ou moins un immunomodulateur, l’interféron bêta.

Les patients sont répartis entre les différents bras de l’essai de façon aléatoire. En testant des médicaments dont l’efficacité n’est pas certaine, nous n’avons pas d’autre choix méthodologique que de les comparer à un bras contrôle sans traitement, mais avec une prise en charge optimisée, avec, par exemple, l’administration d’oxygène, d’antibiotiques, de cortisone ou encore d’anticoagulants, ce qui correspond à un bras de traitement de base, également dénommé en anglais ‘standard of care’ et fait de cet essai randomisé un essai contrôlé ».

Un essai « adaptatif »

Florence Ader précise que l’essai Discovery « est également adaptatif dès lors qu’il a vocation à durer. Il se peut que nous ayons à gérer cette maladie pendant plusieurs années. Nous sommes donc en recherche de thérapeutiques actives qui ne se conçoivent pas du jour au lendemain. Quand nous aurons répondu à la première question posée, nous pourrons soit mettre en œuvre d’autres bras, soit en arrêter d’autres dont les molécules n’atteignent pas l’échelle d’efficacité pour justifier leur utilisation pour un plus grand nombre.

Discovery : une émanation de l’essai Solidarity de l’OMS

La chercheuse ajoute que l’essai Discovery est « est international : il est une émanation de l’essai Solidarity de l’OMS. Ce dernier regroupe divers pays qui se caractérisent par des systèmes de prise en charge sanitaire et de recherche distincts. L’objectif de l’OMS est que cet essai, qui définit de grands axes et des recommandations, soit adapté par chaque pays à ses spécificités en matière de santé et de recherche.


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