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Covid-19 : « Rien ne justifie qu’on contourne les exigences de la démarche scientifique » (Comets, MIS)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Actualité n°180109 - Publié le 08/04/2020 à 14:50
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« Rien ne justifie qu’au nom d’un pragmatisme de l’urgence, on contourne les exigences de la démarche scientifique et les procédures usuelles, en particulier la fiabilité et la transparence des méthodes utilisées, l’évaluation critique des publications par les pairs et l’absence de conflits d’intérêts », écrivent le Comets Comité d’éthique du CNRS (Comité d’éthique du CNRS Centre national de la recherche scientifique ) et la MIS Mission à l’intégrité scientifique du CNRS (Mission à l’intégrité scientifique du CNRS), dans un message commun, le 07/04/2020.

« Les questions éthiques que pose la recherche biomédicale peuvent faire débat, tout particulièrement dans le contexte de la crise actuelle », ajoutent-ils. Et de reprendre à leur compte certains propos tenus par Emmanuel Hirsch Président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique @ Comue Université Paris-Saclay
, président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique de l’Université Paris-Saclay, dans un article intitulé « Recherche biomédicale : quels principes éthiques en temps de pandémie ? » (The Conversation, 27/03/2020), notamment :

• « Le recours à un traitement non validé en période de crise sanitaire pose des questions d’éthique. »

• « Il y a un devoir moral de mettre en œuvre des essais rigoureux et à respecter les critères internationaux de bonne pratique des essais cliniques. »

• « L’éthique de la recherche en situation de pandémie est une éthique de la responsabilité, de la rigueur, mais aussi de la prudence. Son cadre d’exercice est inspiré par des valeurs d’humanité, de préservation de la dignité, du respect de la personne, d’intégrité et de loyauté. »

« Les promesses de la recherche, dans un contexte où l’on en espère tant, sont d’une importance telle qu’il nous faut ne pas les trahir. Il est nécessaire de les préserver des polémiques, car celles-ci risquent de susciter, au-delà d’une défiance qui déjà menace notre cohésion nationale, une difficulté à développer des stratégies médicales dans un contexte favorable aux meilleures avancées », affirme le professeur d’éthique médicale.

Si le message du Comets et de la MIS ne cite pas d’exemple, pour Emmanuel Hirsch, « les débats autour de la chloroquine illustrent bien la prégnance et l’actualité de ces questions ».

« L’équilibre doit (…) être trouvé entre la qualité d’une expérimentation menée dans des conditions qui permettent d’aboutir à des données incontestables, et le souci d’éviter que des procédures par trop contraignantes n’entravent la mise à disposition des traitements urgemment attendus en situation de crise sanitaire. Il apparaît que c’est ce à quoi visent en ce moment les dispositifs consacrés aux études cliniques menées avec sérieux et compétence dans le cadre d’une mobilisation internationale. »

Un point d’équilibre qui n’est pas identifié de la même manière par les auteurs de la pétition « Traitement Covid-19 : ne perdons plus de temps ! », parmi lesquels deux anciens ministres de la santé, Philippe Douste-Blazy et Michèle Barzach. Publié sur Change.org, ce texte demande à Édouard Philippe Président @ Entente Axe Seine • Président @ Le Havre Seine Métropole • Maire @ Ville du Havre
, Premier ministre, de « mettre à disposition immédiate dans toutes les pharmacies hospitalières de l’hydroxychloroquine ou, à défaut, de la chloroquine pour que chaque médecin hospitalier puisse en prescrire à tous les malades atteints de formes symptomatiques de l’affection à Covid-19 ».

Le 08/04/2020, à 13 h 20, la pétition avait recueilli près de 431 700 signatures.


La recherche scientifique « confrontée à trois exigences en tension » (Comets, MIS)

« Face à la pandémie du coronavirus Covid-19, la recherche scientifique se trouve confrontée à trois exigences en tension les unes avec les autres », analysent le Comets Comité d’éthique du CNRS et la MIS Mission à l’intégrité scientifique du CNRS .

  • « D’un côté, la recherche biomédicale se doit de respecter des principes éthiques humanistes, tout en agissant dans l’urgence afin de trouver au plus vite des solutions thérapeutiques pour mettre fin à la pandémie.
  • D’un autre côté, dans sa communication avec le grand public, elle doit répondre aux questionnements légitimes de la population, tout en évitant les effets d’annonce et en demeurant sobre, prudente, didactique et précise.
  • Enfin, dans sa quête inconditionnelle de vérité, la recherche scientifique doit fonder sa démarche sur des principes d’intégrité scientifique qui paraissent, parfois, difficilement compatibles avec l’urgence. Pour autant, cette situation n’autorise pas que l’on s’affranchisse d’aucun de ces principes. »

« Rappelons que l’intégrité scientifique recouvre l’ensemble des règles et valeurs qui régissent l’activité scientifique et en garantissent le caractère fiable, rigoureux et honnête. Leur observance est indispensable ; elle seule assure la crédibilité de la science et justifie la confiance que lui accorde la société. »

« Quelques raisons de rester optimistes »

« Nous avons quelques raisons de rester optimistes dans la situation de crise actuelle », affirment par ailleurs les deux instances du CNRS Centre national de la recherche scientifique .

  • « D’une part, la mise à disposition mondiale des données permet d’alimenter le débat sur la fiabilité du travail réalisé ;
  • d’autre part, l’ouverture des publications par les revues traditionnelles et la mise en ligne de preprints permet une diffusion rapide de l’information et une réactivité immédiate à un article soumis et à son analyse critique. »

Et de souligner à nouveau que « face à une situation exceptionnelle à bien des égards, la communauté scientifique doit se rappeler, et rappeler à tous, que son rôle est de pratiquer, sans compromis, une recherche honnête et responsable ».

L’essai clinique européen Discovery, destiné à évaluer quatre traitements expérimentaux contre le Covid-19, a démarré le recrutement de patients le 22/03, annonçait l’Inserm Institut national de la santé et de la recherche médicale à cette date. Coordonné par l’organisme français dans le cadre du consortium Reacting, cet essai inclura au moins 800 patients français atteints de formes sévères du Covid-19.

L’objectif est d’évaluer l’efficacité et la sécurité de quatre stratégies thérapeutiques expérimentales « qui pourraient avoir un effet contre le Covid-19 au regard des données scientifiques actuelles », en répartissant les patients en cinq groupes :
• soins standards (groupe contrôle) ;
• soins standards plus l’antiviral remdesivir ;
• soins standards plus lopinavir et ritonavir (traitements utilisés contre le VIH) ;
• soins standards plus lopinavir, ritonavir et interféron beta (molécule impliquée dans la réponse immunitaire) ;
• soins standards plus hydroxychloroquine indiquée dans le traitement du paludisme.

Il s’agit d’un essai ouvert : si l’attribution des modalités de traitement se fera de façon aléatoire, patients et médecins sauront quel traitement est utilisé. L’analyse de l’efficacité et de la sécurité du traitement sera évaluée 15 jours après l’inclusion de chaque patient, précisait l’Inserm.

La position de l’IHU Méditerranée Infection et de Didier Raoult dans la crise sanitaire

Un traitement hydroxychloroquine et azithromycine proposé à tous les patients testés positifs au Covid-19 depuis le 22/03

Le 22/03/2020, l'IHU Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection annonce avoir pris deux décisions :

  • « pour les tous les malades fébriles qui viennent nous consulter, de pratiquer les tests pour le diagnostic d’infection à Covid-19;
  • pour tous les patients infectés, dont un grand nombre peu symptomatiques ont des lésions pulmonaires au scanner, de proposer au plus tôt de la maladie, dès le diagnostic :
    • un traitement par l’association hydroxychloroquine (200 mg x 3 par jour pour 10 jours) et azithromycine (500 mg le premier jour puis 250 mg par jour pour 5 jours de plus), dans le cadre des précautions d’usage de cette association (avec notamment un électrocardiogramme à J0 et J2), et hors AMM Autorisation de mise sur le marché ,
    • dans les cas de pneumonie sévère, un antibiotique à large spectre est également associé ».

« Nous pensons qu’il n’est pas moral que cette association ne soit pas incluse systématiquement dans les essais thérapeutiques concernant le traitement de l’infection à Covid-19 en France ».

« Conformément au serment d’Hippocrate que nous avons prêté, nous obéissons à notre devoir de médecin. Nous faisons bénéficier à nos patients de la meilleure prise en charge pour le diagnostic et le traitement d’une maladie. Nous respectons les règles de l’art et les données les plus récemment acquises de la science médicale. »

« Dans la mesure où cette association pourrait conduire à des allongements de l’intervalle QT et donc à des torsades de pointes (arythmie ventriculaire maligne), il a été décidé à la demande de l’équipe du Professeur [Didier] Raoult [directeur de l’IHU] de mettre en place dans l’urgence une procédure pragmatique de sécurisation de cette prescription », précise l’institut marseillais le 01/04/2020.

« Actuellement, sur un nombre conséquent d’électrocardiogrammes avant prescription (plus de 500), le traitement n’a été contre-indiqué que dans des cas exceptionnels. Le traitement n’a été ensuite arrêté pour raison cardio-vasculaire qu’encore plus exceptionnellement. »

« Je réagis (…) à la vue, ces dernières heures, des files d’attente devant l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille pour bénéficier d’un traitement, l’hydroxychloroquine, dont l’efficacité n’a pas été prouvée de façon rigoureuse. Certains peuvent être contaminés et risquent de diffuser le virus. C’est n’importe quoi », déclarait Françoise Barré-Sinoussi Présidente @ Care • Membre @ National academy of medicine (USA) • Présidente du conseil scientifique @ Agence nationale de recherche sur le sida • Présidente @ Sidaction • Membre du CA @ Institut… , dans une interview accordée au Monde, publiée le 24/03/2020. La virologiste est également présidente du Care (Comité analyse recherche et expertise), qu’Emmanuel Macron Président de la République @ Présidence de la République (Élysée)
a installé le même jour.

Elle ne pense « pour l’instant, pas grand chose » de ce traitement, dans son utilisation contre le Covid-19, dans la mesure où « les premiers résultats publiés portent sur un tout petit nombre de personnes, une vingtaine, et l’étude comporte des faiblesses méthodologiques », affirme-t-elle, faisant référence à l’essai clinique sur 24 personnes réalisés par l’IHU de Marseille, dirigé par Didier Raoult.

« J’attends les résultats de l’essai Discovery, conçu dans le cadre du consortium Reacting, qui vient de démarrer et qui portera sur 3 200 personnes, dont 800 en France », ajoute Françoise Barré-Sinoussi. Elle estime qu'« il n’est (…) pas raisonnable de proposer [de l’hydrochloroquine] à un grand nombre de patients pour l’instant, tant qu’on ne dispose pas de résultats fiables. »

« L’éthique du traitement contre l’éthique de la recherche » (Didier Raoult)

Didier Raoult a écrit une tribune , publiée par Le Quotidien du médecin le 02/04/2020 et intitulée « l’éthique du traitement contre l’éthique de la recherche ».

Il y écrit que les « études comparatives randomisées (les patients sont tirés au hasard pour recevoir un traitement ou un autre) ont bénéficié depuis le début du 21e siècle d’un engouement considérable », notamment « poussé » par « un nouveau groupe de chercheurs spécialistes d’analyses des data produites par les autres, que sont les méthodologistes ».

« Les méthodologistes ont réussi, dans à un certain nombre de cas, à imposer l’idée que leurs pensées représentaient la raison, mais en pratique, ce n’est jamais qu’une mode scientifique parmi d’autres. »

Selon Didier Raoult, la notion de « clinical equipoise », datant de la fin du 20e siècle, « introduit l’idée que l’on ne peut faire une étude randomisée que si l’on est certain qu’il n’existe pas de traitement efficace, sinon il n’est pas éthique, bien sûr, de choisir l’expérimentation plutôt que le soin. Le premier devoir du médecin est le soin, et non l’expérimentation. »

Non pas au nom de la science mais au nom de la certitude d’avoir raison »

« Concernant le coronavirus, dès l’annonce officielle des autorités chinoises de l’efficacité des médicaments du groupe de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine, se posait la question de la légitimité de l’utilisation d’une branche placebo d’expérimentation. C’est-à-dire un groupe sans médicaments, dans l’essai Discovery. Ceci, sur le plan de l’éthique du soin, n’était pas tenable.

Il faut éviter les raisonnements circulaires qui, généralement, sont promus par les partisans d’une solution, non pas au nom de la science, mais au nom de la certitude d’avoir raison ».

« Je souhaite que l’occasion de cette épidémie permette au pays de remettre sur place réellement ce à quoi le comité d’éthique était destiné au départ, c’est-à-dire une réflexion sur la morale du choix entre le soin et l’expérimentation », ajoute le directeur de l’IHU, qui affirme « la priorité du soin sur la recherche ». « Et je crois être aussi un chercheur ! »

« Pour pouvoir réaliser un essai clinique (comparant des traitements A et B ou plus) conforme à l’éthique une situation dite d’équipoise clinique est nécessaire. Autrement dit, il faut que la communauté scientifique ne sache pas lequel des deux traitements est le plus efficace », écrit Juliette Ferry-Danini , docteure en philosophie des sciences de Sorbonne Université, le 01/04, en réponse à des propos de Didier Raoult sur la question.

« Le but des essais cliniques est de dissiper une incertitude au sein de la communauté scientifique à propos de la supériorité d’un traitement A vis-à-vis d’un traitement B (B pouvant être un placebo). Ainsi, il ne s’agit pas simplement de considérer un scientifique seul face à “son” essai clinique, mais de considérer la communauté scientifique dans son ensemble. »

En outre, selon Benjamin Freedman, qui est à l’origine du terme d’équipoise clinique, pour être éthique, un essai clinique doit être « mené de façon robuste, pour espérer que les résultats de l’essai aient un effet sur l’équipoise », c’est-à-dire permettre d’aller « vers un consensus au sujet de l’efficacité et la sécurité d’un traitement donné ». Sinon, ce n’est « pas justifiable moralement vis-à-vis des patients qui y ont participé ».

« Nous sommes certes dans une situation d’urgence, mais cela ne justifie pas l’abandon de la rigueur scientifique et du respect de nos principes éthiques. Seul ce respect permet en retour de protéger les malades. Dans la situation actuelle, le temps étant précieux, il faut éviter de le perdre à mener des études qui ne permettront pas de sortir de l’équipoise clinique. En bref, l’éthique prescrit l’exact inverse de ce que professe Raoult. »

Remerciements de Didier Raoult pour la pétition « Traitement Covid-19 : ne perdons plus de temps ! »

« Merci à mon ami Philippe Douste-Blazy pour cette pétition. Ne perdons plus de temps ! Merci également aux autres signataires : médecins, anciens ministres, urgentistes, chefs de service… », écrit Didier Raoult dans un tweet , le 07/04/2020. Philippe Douste-Blazy, PU-PH Professeur des universités - praticien hospitalier , est membre du conseil d’administration de l’IHU Méditerranée Infection, en tant que personnalité qualifiée.

Dans cette pétition, les auteurs et signataires appellent notamment le Premier ministre à modifier le décret n° 2020-337 du 26/03/2020 , publié au Journal officiel du 27/03, qui permet la prescription, la dispense et l’administration d’hydroxychloroquine et de l’association lopinavir/ritonavir aux patients atteints de Covid-19, « après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut conseil de la santé publique et, en particulier, de l’indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe ».

« À ce stade trop tardif de la maladie, ce traitement risque d’être inefficace. Si l’efficacité de l’hydroxychloroquine se confirme, il faudra rapidement ouvrir le protocole aux médecins libéraux pour éviter la saturation des hôpitaux », estiment les auteurs de la pétition.

Par ailleurs, ils demandent à l’État d’effectuer « des réserves ou des commandes d’hydroxychloroquine afin que, si l’efficacité se confirmait dans les prochains jours, nous ne soyons pas en manque de traitement ».

L’IHU Mediterranée Infection a mené deux essais cliniques sur l’efficacité du traitement du Covid-19 par l’association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine :

• un premier sur 24 patients, dont les résultats ont été publiés  dans l’International Journal of Antimicrobial Agents le 17/03/2020, et commentés par Didier Raoult dans une vidéo  publiée sur Youtube le 18/03 ;

• un deuxième sur 80 patients, dont les résultats  ont été publiés par l’institut le 27/03/2020.

Concernant ce premier essai, l’International Society of Antimicrobial Chemotherapy, à qui appartient l’International Journal of Antimicrobial Agents, a exprimé sa « préoccupation  » à propos de l’article scientifique de l’IHU qu’il a publié. Elle indique que la publication « ne correspond pas aux standards attendus par la société, notamment en ce qui concerne l’absence de meilleurs explications concernant les critères d’inclusion et le triage des patients pour assurer leur sécurité ».

La société précise toutefois que le processus de validation de la publication a suivi les règles d’évaluation par les pairs, et que Jean-Marc Rolain, rédacteur en chef de la revue, qui fait partie des coauteurs de l’article, « n’a pas été impliqué dans l’évaluation par les pairs du manuscrit » ni eu accès aux informations sur les évaluations.

« Même si [la société] reconnait qu’il est important d’aider la communauté scientifique en publiant rapidement de nouvelles données, cela ne peut se fait au prix d’une réduction de l’examen scientifique et des meilleures pratiques. »


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