« L’année triste que nous venons de passer a montré l’importance que l’on puisse s’appuyer, en complémentarité de dispositifs internationaux et nationaux, sur une autonomie des territoires », déclare Pierre Koch
, directeur de l’Université de technologie de Troyes et responsable de la commission structuration de l’enseignement supérieur et de la recherche de la Cdefi Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs , lors du webinaire intitulé « Le défi de l’attractivité, la revanche des villes moyennes », organisé dans le cadre de Think Education et Recherche 2021, le 03/02/2021.

En effet, depuis le début de la crise sanitaire, « nous sommes en train de dépasser l’opposition entre les grandes métropoles et les villes moyennes, les grandes universités et les plus petites, pour construire quelque chose de beaucoup plus complémentaire », renchérit Khaled Bouabdallah Recteur délégué Esri @ Région académique de Provence-Alpes-Côte d’Azur
, recteur délégué à l’Esri Enseignement supérieur, recherche et innovation de la Région Occitanie.

Il donne notamment l’exemple des campus connectés pour lesquels il préside le jury de sélection d’un appel à manifestation d’intérêt dont la troisième vague est en cours. « Presque quarante campus ont été labellisés depuis deux ans. Il s’agit d’une nouvelle façon de mailler le territoire de l’ESR Enseignement supérieur et recherche  ». La troisième vague est en cours « et nous avons reçu presque 80 candidatures, ça a beaucoup de succès », précise-t-il.

L’égalité sociale est au coeur de la territorialisation de l’enseignement supérieur. Mais selon Virginie Dupont Rectrice @ Académie de Clermont-Ferrand
, présidente de l’Université Bretagne-Sud, « il y a encore une réflexion à avoir pour voir tout ce que l’on peut mettre en place pour apporter une vie étudiante et pas seulement de la formation aux territoires isolés ».

Enfin, une bonne articulation entre les collectivités territoriales et les établissements d’ESR « constitue un enjeu très important et stratégique : depuis 15 ans, les collectivités investissent de plus en plus d’argent dans l’Esri », explique Catherine Vautrin Ministre @ Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles
 présidente de l’Avuf Association des villes universitaires de France et présidente du Grand Reims.

L’université comme « un levier d’égalité sociale »

Dans les “villes universitaires d’équilibre”, c’est-à-dire, au sein d’une région, les villes universitaires « hors sol » partenaires d’universités implantées dans les métropoles, « la proportion d’élèves boursiers est souvent supérieure à 50 %, l’offre universitaire dans ces villes permet donc de faciliter l’accès à l’enseignement supérieur pour certains étudiants », déclare Catherine Vautrin, présidente de l'Avuf Association des villes universitaires de France et de la communauté urbaine du Grand Reims. 

Virginie Dupont, présidente de l’Université Bretagne-Sud dans le Morbihan présente son établissement comme une « université de territoire » répartie sur deux villes moyennes : Lorient et Vannes.

« Cette université est un vrai levier d’égalité sociale pour un certain nombre d’étudiants qui n’auraient peut-être pas pu aller faire leurs études ailleurs, et aujourd’hui en ces temps de crise, cela se ressent encore davantage parce qu’ils ont pu rester chez eux dans leur famille peut-être plus que ceux qui étudient en métropole.

Au début de la crise, en septembre, nous avons d’ailleurs écrit à l’ensemble des maires des communes pour leur demander s’ils n’avaient pas la possibilité de permettre à des étudiants en fracture numérique d’accéder à des locaux publics, des médiathèques, des espaces en mairie », indique celle qui est aussi vice-présidente de la CPU Conférence des présidents d’université depuis décembre 2020.

Pour Bruno Neil Directeur Général @ Excelia
, directeur général du groupe Excelia , étendre les offres de formation dans les villes moyennes est aussi l’occasion d’y développer « l’offre de logements étudiants et de logements sociaux ». 

« La diversité fait partie de notre mission et nous développons l’apprentissage dans nos villes moyennes. L’objectif est d’y attirer les étudiants », ajoute-t-il.

L’essor des campus connectés 

Selon, Khaled Bouabdallah, recteur délégué à l’Esri de la région Occitanie, les campus connectés dont il préside le jury « répondent à la montée en puissance de la territorialisation et à ses enjeux ».

« L’idée des campus connectés est née au Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation , fortement poussée par la ministre Frédérique Vidal qui a démarré une expérimentation sur quelques endroits. Ensuite, cela a été repris par le PIA Programme d’investissements d’avenir pour faire quelque chose de beaucoup plus systématique sur l’ensemble du territoire avec un appel à projets. »

Sur la Région Occitanie en particulier, Khaled Bouabdallah indique que six campus sont labellisés à ce stade, « nous espérons en avoir encore quelques-uns. Cela permettra de compléter le maillage du territoire » qui comporte 25 % de zones relativement éloignées, « géographiquement, mais aussi socialement et culturellement, de l’enseignement supérieur. Nous savons qu’in fine, cela correspond à une élévation du capital culturel, mais aussi du bien-être des populations ».

Selon Catherine Vautrin, « on ne naît pas ville universitaire, on le devient ! À travers ces campus connectés, l’idée est de mettre à disposition des étudiants des équipements que l’on ne retrouverait normalement que dans une grande ville universitaire ».

La présidente de l’Avuf s’interroge sur l’avenir de l’enseignement supérieur après la crise :

« Est-ce qu’il y aura autant de cours magistraux qu’avant ? Ou bien cela va-t-il évoluer vers davantage de travail dans des “tiers lieux” ? Dans un tel scénario, ce type de campus connecté pourrait donc être généralisé, on pourrait imaginer la mise en place de “pseudo campus connectés” partout sur le territoire. »

« Des stratégies d’établissements nourries de l’ancrage territorial »

Il y a « un enjeu de construction de stratégies d’établissements qui elles-mêmes se nourrissent de l’ancrage territorial », selon Khaled Bouabdallah. « L’enjeu des villes moyennes est parfois beaucoup moins perçu au sens de ce qu’elles peuvent apporter en tant que villes moyennes en développant de l’enseignement supérieur, mais surtout en s’inscrivant dans une complémentarité plus globale avec les autres territoires ». 

Le recteur délégué prend l’exemple de sa région :

« La Région Occitanie est un véritable laboratoire de cette vision d’un Esri qui se construit sur la base d’un maillage complémentaire, de coopération et qui finalement bénéficie à l’ensemble de la société.

Nous avons deux grandes métropoles scientifiques, académiques et économiques que sont Montpellier et Toulouse, mais nous avons aussi un maillage d’un très grand nombre de villes moyennes qui jouent un rôle loin d’être négligeable en matière d’Esri puisqu’elles accueillent près de 60 000 étudiants, soit plus d’un quart des étudiants d’Occitanie. »

Virginie Dupont acquiesce et situe l'UBS Université de Bretagne-Sud dans un schéma similaire : « L’UBS a toujours eu à cœur d’être en complémentarité des établissements qui l’entourent, Brest, Rennes et Nantes, trois grands pôles universitaires, et de réaliser une mission de service public sur le niveau licence, puis de se spécialiser davantage sur le volet master en lien avec l’activité de recherche et d’innovation locale.

Le travail en réseau est extrêmement important à l’UBS. Nous attendons peut-être un peu plus de soutien de la région, même si ce ressenti n’est sûrement pas équivalent partout. Ce sont des choses que nous devons mieux travailler avec eux pour mieux faire connaître nos projets, notamment en recherche pour être davantage accompagnés par certaines structures. »

L’implantation d’ESR sur un territoire : une « symbiose avec le projet politique et économique » 

Pour Pierre Koch, directeur de l’Université de technologie de Troyes, « le projet de développement de la présence d’ESR Enseignement supérieur et recherche sur un territoire se fait en symbiose avec le projet politique et économique de ce même territoire. En effet, il y aura des retombées sur les entreprises et cela renforce donc les capacités d’interaction entre l’ESR et les entreprises ».

« Dans le cas de l’UTT, Université de technologie de Troyes  avec la Région Grand Est, nous nous inscrivons dans des dispositifs thématiques, mais nous avons déjà eu des échanges avec le conseil régional pour une contractualisation sur un projet de territoire, c’est-à-dire comment les acteurs troyens de l’ESR s’entendent avec les collectivités sur des lignes de force, et là la région a été philosophiquement et politiquement prête à abonder, mais n’avait pas encore les outils pour le faire. C’est en train d’arriver », indique-t-il.

Bruno Neil Directeur Général @ Excelia
constate pour sa part que « les stratégies d’établissements et les stratégies d’aménagement des territoires convergent vers un objectif commun ».

« Le premier enjeu est de garder les étudiants sur les territoires. Nous constatons que les étudiants ont tendance à faire le choix de rester sur des villes moyennes comme Niort ou La Rochelle si une offre de formation leur est proposée.

Un deuxième enjeu est d’attirer des étudiants qui viennent de grandes métropoles comme Bordeaux, en leur proposant des offres de formation attractives, et des transports et des loyers à bas coût », indique-t-il. 

Il ajoute que le groupe Excelia a créé « un écosystème territorial afin de pouvoir être investi dans un projet d’investissement d’avenir qui s’appelle “La Rochelle, territoire zéro carbone”.

Le territoire sera amené à être de plus en plus valorisé si l’on arrive à mettre en place un écosystème territorial réussi, comme nous l’avons fait à La Rochelle ».

L’implantation sur un territoire d’industrie

Pierre Koch donne l’exemple de l’UTT qui s’est installée à Troyes il y a un peu plus de 25 ans « quand l’industrie textile s’est effondrée ». 

« À l’époque, les promoteurs de l’établissement - le département, la ville de Troyes, et la région - avaient donc choisi ce positionnement stratégique en se disant que dans la durée cela permettrait de redynamiser l’économie du territoire. C’était un pari, une volonté politique très forte.

Aujourd’hui, l’UTT réfléchit à ce qui pourrait être un schéma directeur de sa présence territoriale, notamment sur l’Aube, mais aussi sur la Haute-Marne, pour comprendre pourquoi on va à certains endroits et comment nous nous y projetons ».

« Nous faisons cela en ayant à l’esprit l’accompagnement des entreprises, je pense au cluster en métallurgie de Nogent en Haute-Marne, à des territoires d’industrie comme Bar-sur-Aube.

Le sujet maintenant est d’avoir une doctrine qui permette de ne pas s’épuiser, mais de projeter notre capacité d’intervention auprès des entreprises, ainsi que des publics. Cela peut se faire via des dialogues avec les collectivités pour notamment disposer de l’infrastructure nécessaire », indique-t-il.

L’enjeu de l’équilibre des dotations publiques

Virginie Dupont pointe le fait que sur la question des financements, « depuis un certain nombre d’années, avec les PIA Programme d’investissements d’avenir  et l’émergence de grands établissements bien plus visibles au niveau international, cela a peut être un peu fragilisé les établissements dans les villes moyennes, souvent aussi plus récents et donc moins bien dotés ».

« L’État n’a pas forcément la facilité de venir accompagner ces établissements. Mais dans le cadre du dialogue stratégique et de gestion de 2021, il y a une part qui sera regardée pour le rééquilibrage des dotations. J’espère que le Mesri aura une attention particulière sur ces établissements un peu moins positionnés dans les grandes métropoles. 

Le fait d’être des établissements de petite taille rend les universités de ville moyenne beaucoup plus agiles et dynamiques pour aller chercher des ressources propres, à la fois dans le cadre du développement de l’alternance par exemple, mais aussi dans la recherche contractuelle. On s’aperçoit que nos collègues sont extrêmement dynamiques pour trouver des partenariats avec des entreprises locales, nationales ou autre », conclut-elle.

Pour Catherine Vautrin, dans l’élaboration de la stratégie Esri, il est effectivement « indispensable de faire attention à ne pas favoriser uniquement les grandes métropoles, au risque que ce soit le désert ailleurs ».