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Enseignement supérieur spectacle vivant : « Une structuration incomplète » (C-L. Martin)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°338881 - Publié le 27/09/2024 à 17:16
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Conservatoire national supérieur d’art dramatique - ©  CNSAD

« La structuration du paysage de l’enseignement supérieur en spectacle vivant s’est faite progressivement et de façon incomplète, sans schéma d’ensemble abouti. L’histoire joue son rôle et les limites des finances publiques en matière culturelle aussi », écrit Christian-Lucien Martin Conseiller @ France Universités
, dans un panorama de l’enseignement supérieur culture spectacle vivant, le 27/09/2024.

« Peu connues sauf pour les trois conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse de Paris et de Lyon (CNSMD Conservatoire national supérieur de musique et de danse ), ou d’art dramatique (CNSAD Conservatoire national supérieur d’art dramatique ), les écoles du ministère de la culture proposant des diplômes de l’enseignement supérieur en spectacle vivant sont peu nombreuses. Elles sont 30 en tout et elles rassemblent 4 000 étudiants, dont 3 250 en musique et danse pour 15 écoles ; et 430 en théâtre, cirque et marionnettes, pour 15 écoles aussi », rappelle-t-il.

Certains établissements, en tant que têtes de réseaux d’excellence, ont reçu le statut juridique d’établissement public administratif national. D’autres établissements remarquables sont opérateurs de l’État, d’autres encore sont EPCC Établissement public de coopération culturelle ou constitués sous forme associative.

« Les diplômes nationaux du spectacle vivant conservent leur spécificité culturelle et professionnelle que vérifie le seul ministère de la culture. La double tutelle ministérielle culture et enseignement supérieur ne porte que sur les diplômes conférant des grades universitaires, une voie que le spectacle vivant n’a pas empruntée d’office à la différence des secteurs de l’architecture et des arts plastiques. »

Christian-Lucien Martin est administrateur général de l’État. Il a été sous-directeur en charge de l’ESR en architecture puis des enseignements spécialisés au ministère de la culture. Aujourd’hui conseiller à France Universités, il s’exprime à titre personnel.


Des écoles très sélectives et très professionnalisantes, imparfaitement réparties sur le territoire

Peu connues sauf pour les trois conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse de Paris et de Lyon (CNSMD Conservatoire national supérieur de musique et de danse ), ou d’art dramatique (CNSAD Conservatoire national supérieur d’art dramatique ), les écoles du ministère de la culture proposant des diplômes de l’enseignement supérieur en spectacle vivant sont peu nombreuses. Elles sont 30 en tout et elles rassemblent 4 000 étudiants, dont 3 250 en musique et danse pour 15 écoles ; et 430 en théâtre, cirque et marionnettes, pour 15 écoles aussi.

Pour faire valoir leurs intérêts et surtout leurs préoccupations, des écoles de musique, de danse, de théâtre, et cirque s’associent au sein de l’Association nationale d’établissements d’enseignement supérieur de la création artistique, arts de la scène (Anescas), et plus spécifiquement pour les écoles de comédiens, elles se fédèrent au sein de l’Association nationale des écoles supérieures d’art dramatique (Anesad Association nationale des écoles supérieures d’art dramatique ).

Des effectifs restreints, parfois confidentiels

L’admission aux écoles publiques du spectacle vivant est très sélective, avec des concours, appelés « tours » pour le théâtre, portant sur la pratique, et comprend aussi des filières d’accès aux établissements publics les plus prestigieux au terme de cours préparatoires ou d’une formation en école privée.

Les prérequis disciplinaires pour la musique et la danse impliquent une éducation technique et artistique pluriannuelle de haut niveau — un enseignement spécialisé que délivrent les conservatoires territoriaux à rayonnement communal, intercommunal, départemental ou régional [1].

L’apprentissage commence parfois dès l’enfance et se poursuit en collège et en lycée avec des sections scolaires spécifiques qui permettent de répondre au projet de vie des jeunes, classes à horaires aménagés en collège et filière du bac technologique (S2TMD, sciences et techniques du théâtre, de la musique et de la danse).

Le rapport 2022-2023 sur « l’état de l’enseignement supérieur Culture »  fournit la liste et les effectifs de chaque école [2].

  • Hors le CNSMD de Paris et ses 1 240 élèves, voire le CNSMD de Lyon avec ses 670, les effectifs des écoles du spectacle vivant sont très limités.
  • En Île-de-France, les deux pôles supérieurs de musique et la danse, du 92 et du 93, forment respectivement 265 et 120 étudiants, et dans les autres régions, les « pôles sup » en accueillent chacun moins de 100.
  • Les écoles de comédiens sont plus confidentielles, moins de 40 et parfois 14 étudiants comme à Montpellier, le CNSAD à Paris surplombant cet ensemble avec ses 80 étudiants.

Des statuts variés

Certains établissements, en tant que tête de réseaux d’excellence ont reçu le statut juridique d’établissement public administratif national.

  • C’est le cas des deux conservatoires nationaux de Paris qui trouvent leur origine dans l’académie royale de musique (1669) et l’école royale de chant et de déclamation (1784) puis le Conservatoire de musique constitué par loi du 16 thermidor de l’an III (3/08/1795).
  • Issu du CNSMD Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, le CNSAD [3] s’est émancipé en 1946, et le CNSMD de Lyon a été constitué (décret n° 2009-201 du 18/02/2009 portant statut des conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse de Paris et de Lyon).

D’autres établissements remarquables sont opérateurs de l’État, le Théâtre national de Strasbourg (TNS), établissement public industriel et commercial (Epic Établissement public à caractère industriel et commercial ) avec son école supérieure d’art dramatique [4], l’Opéra national de Paris, Epic également, abritant une école de danse qui alimente son ballet, et le Centre national des arts du cirque [5] (CNAC) à Châlons-en-Champagne qui est une association loi 1901.

La Haute école des arts du Rhin, à Strasbourg et Mulhouse, réussissant des formations en arts visuels, design, et musique, et le Pont Supérieur à Nantes et Rennes, avec des formations similaires auxquelles s’ajoutent la danse et le théâtre, sont tous deux constitués en EPCC Établissement public de coopération culturelle [6].

D’autres écoles sont des associations.

  • Ces écoles de spectacle vivant sont fortement reliées aux filières artistiques, les écoles de musique aux orchestres et opéras ;
  • les écoles de danse aux centres chorégraphiques nationaux (CCN) ;
  • les écoles de théâtre aux centres dramatiques nationaux (CDN) ;
  • les écoles du cirque aux pôles nationaux du cirque (PNC).

La validation de fin de cycle en troisième année peut prendre la forme d’une représentation publique, rite d’intégration qui lance de nouveaux diplômés dans une carrière d’artiste parmi leurs pairs.

Compte tenu du petit nombre de lauréats et de la parfaite maîtrise technique exigée d’eux, l’insertion professionnelle en bout de cursus est remarquable, malgré des nuances à apporter selon les disciplines, les perspectives internationales des plus talentueux ou le niveau de protection sociale élémentaire que rend possible l’intermittence du spectacle.

Cartographie imparfaite

La structuration du paysage de l’enseignement supérieur en spectacle vivant s’est faite progressivement et de façon incomplète, sans schéma d’ensemble abouti. L’histoire joue son rôle et les limites des finances publiques en matière culturelle aussi.

La période malraucienne est celle d’un projet d’organisation nationale de l’enseignement de la musique et de la danse, avec la création d’une direction de la musique, de l’art lyrique et de la danse au ministère des affaires culturelles, confiée au compositeur Marcel Landowski en 1966. Le « plan décennal pour la musique » devait répondre aux fortes demandes des milieux musicaux de la musique classique, de l’art lyrique et de l’enseignement spécialisé et devait aboutir à doter chaque région française d’au moins d’un orchestre, d’un opéra et d’un conservatoire national de région.

Pour l’enseignement supérieur, il en est ressorti le CNSMD de Lyon et les différents pôles supérieurs en région constitués, autant que faire se peut, avec des bouts de cycles terminaux d’enseignement spécialisé et des centres de formation des enseignants de la musique (Cefedem).

En raison de ce contexte, les enseignants titulaires relèvent du même statut juridique que les enseignants des conservatoires territoriaux (décret n° 91-857 du 2/09/1991 portant statut particulier du cadre d’emplois des professeurs territoriaux d’enseignement artistique). Quant aux locaux pour l’enseignement supérieur, ils sont parfois les mêmes, à partager autant et le mieux que possible, que ceux de l’enseignement spécialisé.

Lors de la période jacklanguienne de démocratisation des esthétiques, le ministère de la culture a donné des lettres de noblesse aux Circassiens avec le Centre national des Arts du Cirque à Châlons-en-Champagne inauguré en 1986, installé dans le cirque municipal, et aux Marionnettistes à Charleville-Mézières avec l’École nationale supérieure des arts de la marionnette, créée par Margareta Niculescu en 1987.

Dans ce bricolage progressif de la carte des formations, les collectivités locales d’implantation des établissements et l’État assument leurs responsabilités financières de façon assez équilibrée.

45 % à 50 % des financements des associations d’enseignement supérieur et des EPCC en spectacle vivant proviennent du ministère de la culture via les DRAC, alors que les EPCC en arts plastiques aux origines municipales ne bénéficient que d’un apport budgétaire ministériel de 10 % en moyenne.

Un enseignement supérieur spécifique

Les écoles du spectacle vivant connaissent la même évolution juridique que pour les arts plastiques avec comme point d’orgue la loi LCAP Liberté de création, architecture et patrimoine (article 53 de la loi n° 2016-925 du 7/07/2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, codifié au L. 759-1 à L.759-5 du code de l’éducation).

À ce titre, ils s’inscrivent dans le cadre européen des diplômes issus de la Déclaration de Bologne 1997, ils participent aux missions du service public de l’enseignement supérieur, et relèvent de la coordination générale des établissements de l’enseignement supérieur que la loi Fioraso du 22/07/2013 confie au ministère de l’enseignement supérieur (art. L. 123-1 du code de l’éducation).

Pour autant, les diplômes nationaux du spectacle vivant conservent leur spécificité culturelle et professionnelle que vérifie le seul ministère de la culture.

  • L’évaluation est menée par l’inspection de la création artistique à la direction générale de la création artistique (DGCA Direction générale de la création artistique ) sur la base d’un référentiel propre.
  • L’organisation règlementaire des diplômes nationaux de musicien, danseur de comédiens et d’artiste du cirque relève du décret n° 2007-1678 du 27/11/2007 relatif aux diplômes nationaux supérieurs professionnels (DNSP) délivrés par les établissements d’enseignement supérieur dans les domaines du spectacle vivant [7].

La double tutelle ministérielle culture et enseignement supérieur ne porte que sur les diplômes conférant des grades universitaires, une voie que le spectacle vivant n’a pas empruntée d’office à la différence des secteurs de l’architecture et des arts plastiques.

  • En effet, avec le décret de 2007, le ministère de la culture a imposé aux écoles du spectacle vivant délivrant des diplômes nationaux à bac + 3, l’obligation d’un partenariat avec une université conduisant à l’obtention d’un diplôme national de licence.
  • Cette double diplomation a été remise en question depuis 2020, elle n’est plus obligatoire depuis 2023 [8].

Grade de licence

À la suite d’une réingénierie du diplôme professionnel délivré par les trois écoles du Cirque, le CNAC, l’Académie Fratellini à Saint-Denis, le Lido à Toulouse, le grade de licence est attribué depuis 2024, aux titulaires du DNSP de cirque (décret n° 2024-455 du 21/05/2024, pris par les ministères de la culture et de l’enseignement supérieur après avis favorables du Cneserac Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche artistiques et culturels et du Cneser Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche ). Pour la musique, les pôles supérieurs prennent le même chemin.

  • Cette évolution prend acte des difficultés d’ordre matériel ou pédagogique à organiser pour les étudiants de spectacle vivant deux diplômes à bac + 3 en parallèle, DNSP et licence, l’un technique et très professionnalisant, l’autre généraliste, en vue d’un parcours de formation cohérent.
  • Les doubles cursus conduisent à un nombre d’heures excessif pour les étudiants et à de lourdes contraintes de localisation des lieux d’apprentissage.
  • Mais surtout, la légitimité des diplômés en spectacle vivant, y compris pour des poursuites d’études à l’international en master et pour des carrières de haut niveau national ou à l’international, est strictement dépendante de leur technicité professionnelle.
  • En un sens, et c’était là le fondement de la démarche 3-5-8 puis LMD Licence Master Doctorat , le grade de licence sanctionne un haut niveau de compétences particulières et non un cadre national large et banalisé.

Dans le domaine de la musique, les deux conservatoires nationaux, qui disposent des ressources humaines indispensables, ont organisé des diplômes de second cycle spécifiques conférant le grade de master, et ont mis en place des coopérations universitaires dans le domaine de la recherche. À Paris, au sein de l’Université PSL Paris Sciences & Lettres , le CNSMDP Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et le CNSAD sont parties prenantes, avec l’ENSBA, l’ENSAD et la Femis, du parcours doctoral Sacre (Sciences, Arts, Création, Recherche) qui valorise la spécificité et la pratique créatrices dans la recherche artistique.

Le projet scientifique de PSL aura permis de construire des lieux scientifiques partagés pour la culture auxquels l’historique sectorisation juridique française entre écoles et universités ne faisait pas de place.

Fortement ancrés sur les premiers cycles — DNSP et les diplômes d’État, de professeur de théâtre, de musique, ou de danse [9] —, les établissements du spectacle vivant, ne disposent pas toujours de forces suffisantes pour mener des activités scientifiques denses.

Toutefois, ils ont pu tirer profit de leurs spécificités artistiques et patrimoniales, comme à Châlons pour le Cirque ou à Charleville-Mézières pour la Marionnette, pour y développer des centres de ressources exceptionnels, ouverts aux chercheurs de toutes les disciplines, coordonnés à la BnF Bibliothèque nationale de France [10].

Globalement, la recherche reste encore balbutiante , malgré des encouragements du ministère de la culture qui tente de bâtir une stratégie globale pour la définir ou la structurer.

De façon moins performative, pour des réponses concrètes, différents appels à projets ouverts aux structures professionnelles et aux établissements de formation en spectacle vivant, favorisent les coopérations d’artistes et d’universitaires, alimentent la réflexion critique sur les pratiques et les techniques, et la transmission de l’œuvre et des savoirs qui l’accompagnent et la transforment.


[1] Décret n° 2006-1248 du 12 octobre 2006 relatif au classement des établissements d’enseignement public de la musique, de la danse et de l’art dramatique.

[2] À signaler l’ENSATT à Lyon qui relève du ministère chargé de l’Enseignement supérieur — Décret n° 91-601 du 27/06/1991 relatif à l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre.

[3] Décret n° 2011-557 du 20/05/2011 portant statut du Conservatoire national supérieur d’art dramatique.

[4] Décret n° 72-461 du 31/05/1972 portant statut du Théâtre national de Strasbourg ; art. 2 « Le Théâtre national de Strasbourg mène également des actions de formation initiale et continue à destination des professionnels du spectacle dans le cadre d’une école d’enseignement supérieur spécialisé constituée au sein de l’établissement et dénommée école supérieure d’art dramatique du Théâtre national de Strasbourg

[5] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-centre-national-des-arts-du-cirque

[6] Également EPCC : ISTAD de Toulouse, l’ESAL de Metz, le Pôle sup 93, le Pôle Sup 92 (PSPBB)

[7] Pour plus de précisions : arrêté du 1/02/2008 relatif au diplôme national supérieur professionnel de musicien ; Arrêté du 23/12/2008 relatif au diplôme national supérieur professionnel de danseur ; arrêté du 23/02/2007 relatif à l’organisation du cycle d’enseignement professionnel initial et du diplôme national d’orientation professionnelle de danse ; arrêté du 21/02/2008 relatif au diplôme national supérieur professionnel de comédien ; arrêté du 13/07/2021 relatif au diplôme national supérieur professionnel d’artiste de cirque. [8] Modification du décret n° 2007-1678 du par le décret n° 2023-91 du 10/02/2023

[9] Cf. arrêtés 21/11/2023 relatif au diplôme d’État de professeur de théâtre. du 3/07/2024 relatif au diplôme d’État de professeur de musique ; arrêté du 23/07/2019 relatif aux différentes voies d’accès à la profession de professeur de danse en application de l’article L. 362-1 du code de l’éducation

[10] L’Institut international de la Marionnette regroupe l’ESAM et le centre de ressources. Un festival mondial des théâtres de marionnettes a lieu tous les deux ans à Charleville-Mézières, le prochain en septembre 2025.

Christian-Lucien Martin


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Fiche n° 6194, créée le 25/09/2014 à 09:40 - MàJ le 06/11/2024 à 11:50

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