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Enseignement supérieur Culture : enjeux et défis institutionnels (Christian-Lucien Martin)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°330004 - Publié le 01/07/2024 à 15:11
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©  Ministère de la Culture
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« Le ministère de la culture ou sa technostructure fait du foisonnement des forces vives d’enseignement le symbole de la spécificité, celle d’une identité culturelle française irréductible au sein d’un enseignement supérieur plus vaste de trois millions d’étudiants, où se trouvent les universités - imaginées voraces à son égard -, les écoles des autres ministères, et les autres privées. » C’est ce qu’écrit Christian-Lucien Martin, dans une analyse de l’enseignement supérieur Culture, pour News Tank, le 01/07/2024.

Avec ses 100 écoles, le ministère de la culture offre une palette diversifiée de formations supérieures touchant l’architecture, les arts, et le spectacle vivant.

Il souligne que « la proclamation du caractère propre de l’enseignement supérieur culture a pris la forme administrative du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche artistiques et culturels (Cneserac Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche artistiques et culturels ) ». De plus, « trois directions et une délégation composent leur chant polyphonique en matière d’enseignement supérieur ».

Christian-Lucien Martin estime que « cet assemblement administratif, de type fédéral-hiérarchique, a comme conséquence la duplication des services dans des directions générales dont le cœur de métier n’est pas l’enseignement supérieur ». Dans ce contexte, « le ministère de la culture se pose de façon récurrente la question de la pertinence de la carte de son enseignement supérieur ».

Christian-Lucien Martin est administrateur général de l’État. Il a été sous-directeur en charge de l’ESR Enseignement supérieur et recherche en architecture puis des enseignements spécialisés au ministère de la culture. Aujourd’hui conseiller à France Universités, il s’exprime à titre personnel.


Cent écoles fleurissent

Avec ses cent écoles ou presque, ses 37 000 étudiants, 20 000 pour le bloc des 20 écoles nationales d’architecture, 10 000 pour les 41 écoles d’art nationales (10) et territoriales (31), environ 4 000 pour le spectacle vivant (33 entités en musique, danse, cirque et théâtre), et quelques autres comme Chaillot, l’Institut national du patrimoine, l’école du Louvre, la FEMIS, le ministère de la Culture peut s’enorgueillir d’un bouquet multicolore d’enseignement supérieur.

Au-delà de cette liste fermée se trouvent des formations relevant des universités (départements d’arts plastiques, de musicologie, etc.) ou du ministère chargé de l’éducation (DNMAD/diplôme national des métiers d’arts et de design) préparés en lycée.

Prospèrent des écoles privées très mal répertoriées par le ministère de la culture, mais pour autant fortement visibles dans les salons d’orientation, où elles déroulent les partitions de la créativité inclusive, des technologies du numérique, et de l’image animée, les attraits de la gastronomie et de la mode et les compétences gestionnaires et managériales en matière de commissariat d’exposition ou d’organisation de spectacle.

Une grande diversité

La diversité prévaut parmi les cent fleurs du ministère de la culture, en fonction des domaines de formation concernés, des réputations d’établissements, de la taille des écoles et des promotions d’élèves, de l’existence ou non d’un deuxième voire d’un troisième cycle, des ressources budgétaires ou des biens immobiliers mis à disposition par l’État ou les collectivités locales, en fonction également du type de relations nouées avec l’université et l’environnement professionnel.

Les dissemblances renvoient aussi aux structures juridiques, établissements publics administratifs nationaux, établissements publics de coopération culturelle, établissements publics industriels et commerciaux, associations.

Elles concernent aussi les formes de tutelle exercée par les directions d’administration centrale, les directions déconcentrées des affaires culturelles (Drac) ou les municipalités.

Les disparités portent en outre sur les cadres d’emploi et de recrutement, avec des personnels relevant de la fonction publique d’État ou territoriale, parfois des enseignants-chercheurs pour l’architecture, des corps de fonctionnaires spécifiques à une seule école, enfin des intervenants contractuels, artistes et praticiens, pour chacun des secteurs concernés, avec leurs renommées internationales ou internes aux écoles.

Des spécificités mises en avant

Le ministère de la culture ou sa technostructure fait du foisonnement des forces vives d’enseignement le symbole de la spécificité, celle d’une identité culturelle française irréductible au sein d’un enseignement supérieur plus vaste de trois millions d’étudiants, où se trouvent les universités - imaginées voraces à son égard -, les écoles des autres ministères, et les autres privées.

Les essais de caractérisation de l’enseignement supérieur Culture forment un florilège séduisant de pratiques et de méthodes - que le ministère de la Culture heureusement n’a pas seul en partage :

  • un accompagnement pédagogique personnalisé, rendu possible par de faibles effectifs,
  • une forte participation des « professionnels », avec des « ateliers » comme lieux d’apprentissage, avec un rapport direct à la matière et à l’outil, avec la démarche de « projet » pour fédérer les savoirs et les savoir-faire, avec la valorisation de l’acte créatif et du « geste » artistique ou architectural, avec aussi l’acte de création comme activité de recherche.

Des enquêtes internes sur l’insertion professionnelle soulignent sa « grande qualité », pour des raisons à additionner : la sélection à l’entrée et la passion des étudiants, les prérequis et les exigences de virtuosité technique, le non-adéquationnisme des formations longues à bac + 5.

S’ajoute aussi l’acceptation du long terme pour une réussite après des tâtonnements initiaux.

Une cohérence administrative sujette à tiraillements

La proclamation du caractère propre de l’enseignement supérieur culture a pris la forme administrative du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche artistiques et culturels (Cneser Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche ac) créé par la loi n° 2016-925 du 07/07/2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine - la loi LCAP Liberté de création, architecture et patrimoine qui proclame en son article 1er que « la création artistique est libre ».

La gestation de cette instance s’est faite au sein du secrétariat général du ministère de la Culture qui voulait son propre Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser - art. L 232-1) par analogie avec le Cneser-AAV (agricole, agroalimentaire et vétérinaire - art . L. 814-3 du code rural).

Ce Cneserac était souhaité également par les écoles supérieures d’art territoriales qui voulaient, par une reconnaissance au niveau national, s’émanciper de la trop grande proximité des territoires communaux.

Il ne bénéficia pas de l’accompagnement spontané du secrétariat général du gouvernement qui faisait, alors comme souvent, la chasse aux commissions administratives redondantes au sein de l’État.

Un amendement parlementaire permit son enfantement en insérant dans le code de l’éducation (art. L. 239-1), au nom de l’enseignement supérieur culturel, davantage de lourdeur dans une complexité existante.

L’organisation du ministère de la culture

À côté d’un Cneserac unique mais pluriel, comme lieu de débats entre des responsables d’écoles, de secteurs d’activité qui y sont liés, et de représentants des personnels, trois directions et une délégation du même ministère de la culture composent aussi leur chant polyphonique en matière d’enseignement supérieur.

  • La direction générale du patrimoine et de l’architecture (DGPA) anime les réseaux des écoles nationales supérieures d’architecture avec une souplesse qui leur a permis de trouver leur place aux côtés des universités ou au sein des établissements publics expérimentaux prévus par l’ordonnance n° 2018-1131 du 12/12/2018 et de bénéficier des statuts d’établissement et d’enseignants-chercheurs construits en miroir de ceux des EPSCP Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel .
  • La direction générale de la création artistique (DGCA Direction générale de la création artistique ), besogneusement tatillonne, exerce un contrôle budgétaire précis sur chacune de ses écoles nationales et développe une « tutelle pédagogique » (loi LCAP de 2016) sur les autres formations qu’elle finance peu ou fort modérément et bénéficie pour cela des multiples compétences de « l’inspection de la création artistique ».
  • La charge de la Fémis (école nationale supérieure des métiers de l’image et du son) incombe à la direction générale des médias et des industries culturelles qui a autorité sur le CNC Centre national du cinéma et de l’image animée (Centre national du cinéma et de l’image animée).
  • Enfin, la récente délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle (DG2T), née au sortir de la crise sanitaire, est responsable de l’ensemble des crédits de l’enseignement supérieur Culture (programme 361), et de son pilotage par-delà les attributions résiduelles ou concurrentes des directions générales en la matière.

Des doublons

Cet assemblement administratif, de type fédéral-hiérarchique, a comme conséquence la duplication des services en charge de l’enseignement supérieur dans des directions générales dont le cœur de métier n’est pas l’enseignement supérieur.

  • La DGPA, héritière lointaine de Prosper Mérimée, et son programme budgétaire 175, a compétence sur les monuments historiques, l’archéologie, les archives, les musées.
  • La DGCA, fille de Jack Lang et du programme 131, s’étend sur le spectacle vivant, et délivre les aides diverses à la libre création pour les arts visuels, les théâtres subventionnés, la musique, la danse, se fait garante du régime particulier de l’intermittence des artistes et techniciens du spectacle dont le ministère du travail détient les clés juridiques.
  • La DG2T, dotée du programme 361, arbitre ses financements entre la promotion de la carte culture, la dotation aux établissements publics nationaux, et l‘animation culturelle territoriale qui est confiée aux Drac.

Dans ce contexte, le ministère de la culture se pose de façon récurrente la question de la pertinence de la carte de son enseignement supérieur, que la Cour des comptes lui demande de « rationaliser »  alors même qu’il n’a pas la main sur les paramètres territoriaux, qu’ils soient liés à l’histoire ancienne et municipale des écoles ou aux outils juridiques d’intervention dans le droit des collectivités locales protégé constitutionnellement.

Étatisme culturel

Il se pose également la question de la rationalisation de sa propre organisation interne d’enseignement supérieur, avant d’y renoncer pour des raisons variées parmi lesquelles figure l’amaigrissement de directions d’administration centrale, notamment l’architecture et la création artistique, au bénéfice d’une autre recevant la pleine compétence de coordination et de pilotage des réseaux d’écoles.

L’argument avancé pour préserver l’éclatement ministériel de l’enseignement supérieur Culture est celui de la proximité nécessaire entre les bureaux en charge de « tutelle » des établissements et les « bureaux » en charge des « métiers » au sein même de l’administration.

Cet étatisme culturel peut surprendre au regard des principes d’autonomie des établissements d’enseignement supérieur qui ont déjà des liens avec les secteurs professionnels.

Une implication inégale dans les défis de l’ESR

Les écoles du ministère de la culture, parfois avec enthousiasme et parfois faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ont pris part aux mutations majeures de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis Bologne en 1997 et se sont inscrites dans cadre européen des diplômes.

  • Pour les écoles d’architecture, le mouvement d’adhésion au LMD Laboratoire de météorologie dynamique a été immédiat. Dès 2005, le décret n° 2005-734 relatif aux études d’architecture établit à bac + 3, le diplôme national d’architecture conférant le grade de Licence, et à bac + 5 le diplôme national d’architecture conférant celui de Master.
  • Pour les écoles d’art territoriales, le mouvement d’adhésion s’est accéléré à partir de 2010, avec la mise en place d’établissements publics de coopération culturelle (EPCC Établissement public de coopération culturelle ), puis avec l’aménagement des cursus [1]. Cette évolution est consacrée par la Loi LCAP de 2016 qui concerne également le spectacle vivant, et qui affirme l’obligation d’évaluation préalable à l’accréditation des écoles et des formations par les pouvoirs publics.
  • Selon les écoles du ministère de la culture, les traductions du « D » du LMD et la relation à la recherche sont diversement appréhendées. Ici en architecture, elles peuvent participer à des unités mixtes de recherche, ailleurs en art et design, elles peuvent élaborer des formes de doctorats-action et sur projet, là encore elles peuvent assimiler « la recherche » à la production et à l’acte artistiques.

De telles différenciations se retrouvent dans la relation des écoles à leur environnement d’enseignement supérieur universitaire.


[1] Décret n° 2013-156 du 20/02/2013 portant organisation de l’enseignement supérieur d’arts plastiques dans des établissements d’enseignement supérieur délivrant des diplômes ; Diplôme national d’art à bac + 3 et diplôme national supérieur d’expression plastique

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