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Libertés universitaires et liberté à l’université : du sanctuaire à l’agora (Christian-Lucien Martin)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°326169 - Publié le 29/05/2024 à 10:49
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©  D.R.
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« La position classique de la Haute Assemblée en tant que défenseur des libertés fondamentales assimile l’université à un espace public fondamentalement ouvert de plein droit aux débats politiques et sociétaux », écrit Christian-Lucien Martin, dans une analyse pour News Tank, le 29/05/2024.

Il évoque ici l’ordonnance du 06/05/2024 du Conseil d’État enjoignant l’Université Paris Dauphine - PSL Paris Sciences & Lettres d’autoriser une conférence politique, initialement interdite.

S’appuyant également sur un avis du collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche du 29/10/2024, il analyse la place de la liberté d’expression au sein des enceintes universitaires et les contours des libertés académiques.

« En même temps que s’élargissent le nombre et les catégories de bénéficiaires de la liberté académique, son contenu tend à se dissoudre dans la liberté d’expression et revêtir l’aspect d’une sous-catégorie de cette liberté fondamentale », estime Christian-Lucien Martin.

« La spécificité de la liberté académique est liée à la démarche scientifique caractérisant le travail des enseignants et chercheurs, et elle a pour conséquence que leurs propos, dans le cadre de leurs activités, ne peuvent se confondre avec une simple opinion. Pour autant, la séparation entre la liberté d’expression de l’enseignant-chercheur dans le cadre de ses activités d’enseignement et de recherche et hors de ces missions n’est pas pour les observateurs d’une limpidité totale. »

Avec la récente décision du Conseil d'État, « la sanctuarisation avec ses règles propres fait place à l’agora avec ses règles communes ».

Christian-Lucien Martin est administrateur général de l'État. Aujourd’hui conseiller à France Universités, il s’exprime à titre personnel.


Antisémitisme : les universités scrutées

Depuis le 07/10/2023, les universités sont scrutées pour de bonnes ou de moins bonnes raisons sur leur capacité à faire barrage à ou des agissements antisémites (lettres de la ministre de l’enseignement supérieur des 09 et 27/10/2023 aux chefs d’établissement, voire d’engager des procédures disciplinaires ou pénales, à préserver dans leurs enceintes les conditions d’exercice serein de leurs missions, ou plus généralement d’éviter les troubles à l’ordre public.

Alors que les médias, soucieux de l’événementiel, s’attardent sur des institutions d’enseignement supérieur présentées comme « prestigieuses » qui connaîtraient des « dérives » ébranlant le contrat social dans son ensemble, il est question de façon structurelle de la place de la liberté d’expression au sein des enceintes universitaires et du contour des libertés académiques.

Deux analyses, un avis du collège de déontologie  de l’enseignement supérieur et de la recherche du 29/10/2024 et une ordonnance du Conseil d’État  du 06/05/2024 peuvent éclairer la situation respective de l’une de l’autre de ces libertés.

La liberté académique : protéger des ingérences, de la censure et des pressions

Sans tenter de rassembler des références historiques bien plus anciennes, dans le contexte de l’université contemporaine (loi Faure puis loi Savary), la liberté académique est le droit et la possibilité donnée aux personnels universitaires « d’exercer leur activité d’enseignement et de recherche dans les conditions d’indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle » (loi n° 68-978 du 12/11/1968 d’orientation de l’enseignement supérieur).

Cette liberté académique est inscrite dans le décret statutaire des enseignants-chercheurs qui « jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du code de l'éducation, les principes de tolérance et d’objectivité » (décret n° 84-431 du 06/06/1984 - code de l’éducation art. L 952-2), consacrée pour les professeurs par la décision du Conseil constitutionnel de 1984 en tant que principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. const., déc. n° 83-165 DC du 20/01/1984).

Dans le cadre du droit de la fonction publique qui définit pour les agents de l’État des contraintes particulières, dont l’obéissance hiérarchique ou le devoir de réserve, la liberté académique permet la démarche scientifique et critique et constitue un écran de protection juridique contre des formes d’ingérence, de censure et de pression.

C’est dans cet esprit qu’est rédigée la recommandation de l’Unesco Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur du 12/11/1997.

Une liberté étendue

Initialement liée à la qualité de professeur des universités (1984) puis élargie aux maîtres de conférences - les deux corps spécifiques d’« enseignants-chercheurs »- la liberté académique va s’étendre de droit aux personnels « assimilés », notamment des chercheurs des organismes nationaux de recherche, puis se détacher des contraintes statutaires, dont la qualification par une instance nationale (Cons. const., déc. n° 2020-810 DC du 21/12/2020).

Et de façon générale, cette liberté académique peut sortir d’autant plus du champ de la fonction publique où elle était initialement circonscrite, qu’elle peut faire l’objet d’une revendication et d’une appropriation par des enseignants d’établissements supérieurs privés, ou qu’elle peut effectivement se déployer hors du territoire national dans des contextes universitaires qui ne relèvent pas de l’autorité directe de l‘État.

Dans ce cas, c’est la distinction entre « in the classrom » et « outside the classrom » qui prévaut et qui délimite le territoire de la liberté académique.

Mais là encore la ligne de démarcation n’est pas simple à tracer.

La liberté d’expression et la spécificité de la liberté académique

En même temps que s’élargissent le nombre et les catégories de bénéficiaires de la liberté académique, son contenu tend à se dissoudre dans la liberté d’expression et revêtir l’aspect d’une sous-catégorie de cette liberté fondamentale.

La spécificité de la liberté académique est liée à la démarche scientifique caractérisant le travail des enseignants et chercheurs, et elle a pour conséquence que leurs propos, dans le cadre de leurs activités, ne peuvent se confondre avec une simple opinion.

Pour autant, la séparation entre la liberté d’expression de l’enseignant-chercheur dans le cadre de ses activités d’enseignement et de recherche et hors de ces missions n’est pas pour les observateurs d’une limpidité totale (cf. décision du Conseil d’État du 15/11/2022, commentée par Olivier Beaud, recueil Dalloz - 23/02/2023).

  • Ou commence et où s’arrête la conviction ou le militantisme du citoyen s’ils participent d’une démarche scientifique ?
  • Où prend fin la liberté académique d’une personnalité scientifique qui prend part à des controverses dans son domaine de recherche sur la scène publique nationale ?

Des chartes pour sensibiliser les universitaires

Fort de ce type d’incertitudes, le collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche invite les établissements d’enseignement supérieur à élaborer des chartes de déontologie relatives à la libre expression des enseignants-chercheurs et ainsi de « sensibiliser » la communauté aux « délicats aspects du sujet ».

La liberté d’expression bénéficie aux universitaires comme à tous les personnels et usagers des universités.

En tant que liberté fondamentale, elle doit être protégée et garantie au sein des établissements universitaires.

La décision du Conseil d'État sur Paris Dauphine-PSL

Par son ordonnance du 06/05/2024, le Conseil d’État enjoint l’Université Paris Dauphine - PSL qui l’avait interdite pour des motifs liés au risque de trouble à l’ordre public d’autoriser une conférence de nature politique dans son sein.

En l’espèce, l’évaluation du risque aurait donc été surestimée par le président de l’université - qui voit ici sa capacité d’appréciation réduite -, à qui il appartient au sein de son établissement de mettre en place les conditions concrètes de l’exercice de la liberté d’expression.

La position classique de la Haute Assemblée en tant que défenseur des libertés fondamentales assimile l’université à un espace public fondamentalement ouvert de plein droit aux débats politiques et sociétaux.

De plus, cet espace public de n’est pas circonscrit à l’exercice des missions fondamentales de formation et de recherche des enseignants et chercheurs, mais il doit répondre aux autres missions très extensives du service public de l’enseignement supérieur dans les domaines du social et du sociétal ou de l’environnement (Art. L123 - 2 du code de l’éducation).

La sanctuarisation avec ses règles propres fait place à l’agora avec ses règles communes.

Christian-Lucien Martin


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Fiche n° 6194, créée le 25/09/2014 à 09:40 - MàJ le 14/06/2024 à 16:17

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