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Université cheffe de file pour la vie étudiante : une méthode et une ambition (C-L. Martin)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Actualité n°338144 - Publié le 20/09/2024 à 17:36
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©  D.R.
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« Le chef de filat universitaire, pour la vie étudiante comme pour d’autres domaines de l’enseignement supérieur, est d’abord une position de principe “décentralisatrice“, qui ne préjuge pas des relations - hiérarchiques, égalitaires ou fédératives - entre les membres de la file », écrit Christian-Lucien Martin Conseiller @ France Universités
, dans une analyse pour News Tank, le 20/09/2024.

Il revient sur la notion de chef de filat en l’appliquant au thème de la vie étudiante. L’Igésr Inspecteur/inspectrice générale de l’éducation, du sport et de la recherche proposait en effet en 2023 de donner à l’université un rôle d'« assemblier ».

« La notion de chef de file pourrait être utilement mobilisée dès lors qu’elle ferait l’objet d’une clarification sur le rôle et le positionnement des acteurs, entre l’autorité garante de la vision d’ensemble, entre pilote et opérateur, entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre », estime Christian-Lucien Martin, soulignant que « le droit constant n’est certainement pas suffisant ».

« En appeler au chef de file, c’est prendre acte de la complexité des choses et de la multiplicité des organes qui détiennent des compétences similaires, et souhaitent également pouvoir les exercer, pour tenter de définir un modèle d’organisation qui limite les chevauchements et les possibles confusions. Il s’agit d’une méthode pour rationaliser les interventions avec pour ambition l’efficacité et l’efficience.

Avec un chef et une file, la coordination de tous nécessite l’adhésion d’acteurs qui acceptent, au nom d’un intérêt supérieur, d’entrer dans la danse plutôt que de la mener », note Christian-Lucien Martin.

Christian-Lucien Martin est administrateur général de l’État. Il a été sous-directeur en charge de l’ESR en architecture puis des enseignements spécialisés au ministère de la culture. Aujourd’hui conseiller à France Universités, il s’exprime à titre personnel.


Vie étudiante : un rôle d'« assemblier » pour l’université ?

S’il est un domaine où l’université peut être, de toute évidence, cheffe de file, c’est bien pour la vie étudiante. D’abord, parce que dans le paysage morcelé de l’enseignement supérieur, elle est en première position, par les effectifs d’étudiants qu’elle accueille, par ses missions d’enseignement et de recherche qui sont le préalable des différents services sociaux et sanitaires, de restauration ou d’hébergement dont les usagers de l’enseignement supérieur souhaitent bénéficier, et qu’ils sont en droit d’attendre pour la réussite de leurs études et de leur insertion professionnelle.

À la différence du bon sens qui pourrait se partager en ce domaine, les évidences demandent des prouesses explicatives et un effort de définition dont elles s’exemptent habituellement.

Pour le mener à bien, l’Igésr a produit un rapport en 2023 « La structuration du réseau Cnous-Crous : forces, faiblesses et évolutions possibles du modèle actuel » [1], qui distingue les différentes composantes de la vie étudiante pour les rassembler sous le toit « assemblier » de l’université.

La maison-mère comprend plusieurs « lots » autonomes et interdépendants à la fois : la restauration, l’hébergement, le social, l’aide d’urgence, la santé, la vie de campus. L’ensemble participe de l’engagement de la Nation pour l’avenir de la jeunesse, et chaque segment relève de l’opérateur reconnu le plus apte à exercer sa compétence, y compris en commun.

Avec l’éclatement de chefs de file qui en résulte, au bénéfice de tous, la capacité fédérative de l’université, pour performative qu’elle soit, reste inopérante lorsque pour l’actionner les outils font défaut.

Notion de chef de file : une clarification nécessaire

La notion de chef de file pourrait être utilement mobilisée dès lors qu’elle ferait l’objet d’une clarification sur le rôle et le positionnement des acteurs, entre l’autorité garante de la vision d’ensemble, entre pilote et opérateur, entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre.

Parce qu’il conserve les compétences légales de la chèvre et du chou, et quand bien même il permet des ajustements complexes avec des comitologies adaptées, le droit constant n’est certainement pas suffisant.

En effet, le code de l’éducation définit un service public de l’enseignement supérieur [2] (art. L 111-5 ; art. L. 123-1) distinct des entités qui y participent et le mettent en œuvre, dont plusieurs départements ministériels et des établissements publics nationaux, mais pas uniquement eux.

Ce service public recouvre de très larges missions, dont celle de contribuer à « la réussite de toutes les étudiantes et tous les étudiants » (L.123-2 ), mais qui ne sont pas le seul apanage des universités, et qui sont aussi dans des termes similaires confiées au réseau des œuvres universitaires (L. 822-1).

L’intervention concurrente des acteurs publics se nourrit ainsi de l’équivalence de bases juridiques.

Le réseau des Crous

Pour la vie étudiante, le réseau des œuvres sociales a été conçu à sa création avec la loi du 16/04/1955 [3] comme un service de l’université, mais il a conquis progressivement des lettres d’autonomisation dans le code de l’éducation, tandis que le ressort académique des Crous, établissements publics administratifs présidés par le recteur, a fait le reste.

  • Comme d’autres secteurs publics, les directeurs généraux de Crous se sont substitués aux secrétaires généraux qui occupaient la même fonction ;
  • Des compétences renforcées ont été octroyées au Cnous en vue de « définir la politique des œuvres (art. L. 822-2) au lieu de la simple mission « d’aide et orientation de l’action des centres régionaux » qui lui était impartie initialement (loi de 1955). Cependant, malgré des apparences, la fonction de directeur général du Cnous, essentiellement d’animation, ne correspond pas, selon le Conseil d’État, à un emploi supérieur à la décision du Gouvernement (CE, 27/01/2016, n° 384873).

Prendre acte de la complexité des choses

En appeler au chef de file, c’est prendre acte de la complexité des choses et de la multiplicité des organes qui détiennent des compétences similaires, et souhaitent également pouvoir les exercer, pour tenter de définir un modèle d’organisation qui limite les chevauchements et les possibles confusions. Il s’agit d’une méthode pour rationaliser les interventions avec pour ambition l’efficacité et l’efficience.

Avec un chef et une file, la coordination de tous nécessite l’adhésion d’acteurs qui acceptent, au nom d’un intérêt supérieur, d’entrer dans la danse plutôt que de la mener.

Concernant les collectivités territoriales qui ont aussi à répondre à des enjeux de rationalisation de l’action publique, la Constitution qui interdit l’exercice la tutelle d’une collectivité sur une autre autorise la loi à désigner un chef de file (art. 72) [4].

Pour l’enseignement supérieur et la vie étudiante, et sans identification juridique du chef de file, il revient aux parties concernées d’en décider sur le mode du consentement éclairé des acteurs de bonne volonté.

Quand l’université peut être cheffe de file

Quand elle est en position dominante sur des territoires académiques, en raison de sa démographie, de son rayonnement pédagogique, scientifique et culturel, une université peut effectivement exercer la fonction d’« assemblier » chère à l’inspection générale.

La loi Fioraso de 2013 a permis ces cas de figure avec des établissements chargés de la coordination de site (art. 718-4) [5].

L’université s’impose alors comme cheffe de file de la vie étudiante dans sa globalité, car les services du Crous se déploient dans un schéma concerté qu’elle porte au bénéfice de tous, et auprès des collectivités locales et de l’État [6].

Cette cohésion autour de l’université pourrait prendre également la forme de l’intégration des Crous - avec le maintien de la personnalité morale - au sein de grands établissements issus de l’ordonnance du 12/12/2018 [7].

Idéale à maints égards, cette logique ne va pas de soi lorsque plusieurs universités relèvent d’une même académie ou d’une même région académique. Dans ces cas, les établissements d’enseignement supérieur qui rivalisent d’égale dignité, et prennent place dans une file définie par d’autres pouvoirs qui les surplombent.

On comprend aisément que la perspective et la charge de cheffe de file n’ont pas le même sens à l’Université Clermont-Auvergne ou Reims-Champagne-Ardenne qu’à Paris ou dans l’espace régional de Nouvelle-Aquitaine.

Cependant y renoncer est une forme de négation des ambitions d’autonomie universitaire, au profit des autorités centrales et déconcentrées fortes des trois niveaux superposés de compétence rectorale.

Le chef de filat universitaire, pour la vie étudiante comme pour d’autres domaines de l’enseignement supérieur, est d’abord une position de principe « décentralisatrice », qui ne préjuge pas des relations - hiérarchiques, égalitaires ou fédératives - entre les membres de la file et de l’absence de conventionnement entre universités d’un même territoire.


[1] « Le réseau Cnous - Crous : points forts, points faibles et évolution possible du modèle » https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2023-07/rapport-igesr-22-23-002b-28831.pdf

[2] Art. L111-5 « Le service public de l’enseignement supérieur rassemble les usagers et les personnels qui assurent le fonctionnement des établissements et participent à l’accomplissement des missions de ceux-ci dans une communauté universitaire ».

Art. L 123-1 « Le service public de l’enseignement supérieur comprend l’ensemble des formations postsecondaires relevant des différents départements ministériels »

[3] Loi nº 55-425 du 16 avril 1955 portant réorganisation des services des œuvres sociales en faveur des étudiants ; loi portée par Edgar Faure, président du Conseil des ministres et promulguée par René Coty, président de la République.

[4] Afin de réduire les conflits des compétences, la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe) supprime la clause générale de compétence pour les départements et les régions.

[5] Art. L. 718-4 « L’établissement d’enseignement supérieur chargé d’organiser la coordination territoriale dans les conditions fixées par l’article L. 718-3 élabore avec le réseau des œuvres universitaires et scolaires un projet d’amélioration de la qualité de la vie étudiante et de promotion sociale sur le territoire, en associant l’ensemble des établissements partenaires. Ce projet présente une vision consolidée des besoins des établissements d’enseignement supérieur implantés sur le territoire en matière de logement étudiant, de transport, de politique sociale et de santé et d’activités culturelles, sportives, sociales et associatives. Il est transmis à l’État et aux collectivités territoriales concernées, préalablement à la conclusion du contrat pluriannuel d’établissement mentionné à l’article L. 711-1 ».

[6] Le Guide méthodologique pour un académique schéma directeur de la vie étudiante (SDVE Schéma directeur de la vie étudiante ), publié en 2023, a été conçu par le MESR Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche dans cet esprit. Cf. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/guide-SDVE

[7] Ordonnance n° 2018-1131 du 12/12/2018 relative à l’expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

Christian-Lucien Martin


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Fiche n° 6194, créée le 25/09/2014 à 09:40 - MàJ le 27/09/2024 à 17:13

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