Réforme de la formation des enseignants : peu d’évaluation pour de grandes ambitions (C-L. Martin)
« La nouvelle réforme de la formation des enseignants pour les “écoles normales du 21e siècle“ évacue une fois de plus l’obligation d’évaluation et en allège les contraintes », écrit Christian-Lucien Martin
Conseiller @ France Universités
, dans une analyse pour News Tank, le 14/06/2024. Il y traite de l’évaluation et de l’accréditation des Espé (aujourd’hui Inspé) et des masters Meef
Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation
, à la lumière des réformes engagées depuis 2013.
« Avec la loi Peillon du 08/07/2013, l’universitarisation des Espé (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation), prend la forme d’une accréditation et une évaluation nationale (…) Pourtant le Hcéres
Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur
, créé au même moment par la loi du 22/07/2013 sur l’enseignement supérieur et la recherche, ne s’empare pas vraiment de ces attributions particulières relatives à la formation des enseignants », selon Christian-Lucien Martin.
La réforme de 2019, transformant les Espé en Inspé, a encore minimisé le rôle de l’évaluation par le Hcéres. « Le Hcéres n’a pas encore trouvé une place influente dans l’évaluation de la politique publique de formation des enseignants. »
La Cour des comptes, quant à elle, offre une évaluation plus critique et globale des politiques de formation des enseignants, indique Christian-Lucien Martin. La réforme de 2023 s’en inspire pour clarifier les rôles entre l’État employeur et les universités, posant des questions sur l’avenir des structures de formation des enseignants.
« L’université devient un prestataire de services mettant à disposition des enseignants, apportant une dimension recherche, préparant aux concours de recrutement, organisant un master Meef agréé par le MEN
Ministère de l’éducation nationale
sur la base d’un cahier des charges », décrit-il.
Christian-Lucien Martin est administrateur général de l’État. Aujourd’hui, conseiller à France Universités, il s’exprime à titre personnel.
L’évaluation mise en sourdine
Avec la loi Peillon du 08/07/2013, l’universitarisation des Espé (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation), prend la forme d’une accréditation et une évaluation nationale.
L’accréditation est spécifique parce qu’elle concerne une composante interne d’une université et qu’elle permet aux EPSCP Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel concernés de délivrer des master Meef (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation, art. L.721-1 et 721-2 du code de l’éducation).
Pourtant le Hcéres Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur , créé au même moment par la loi du 22/07/2013 sur l’enseignement supérieur et la recherche, ne s’empare pas vraiment de ces attributions particulières relatives à la formation des enseignants, lesquelles rejoignent par ailleurs ses attributions générales (art. L 114-3 -1 à 6 du code de la recherche).
Le Hcéres reste en retrait, car l’accréditation initiale de l’Espé et des masters Meef Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation est un acte réglementaire ministériel ne nécessitant pas d’évaluation préalable. Pour la suite, pour le renouvellement de l’accréditation, le Hcéres aura la possibilité de s’appuyer sur dispositions réglementaires nombreuses et étoffées [1]et utiliser ses propres outils (référentiels d’évaluation pour les champs de formation, puis pour les formations du 1er et du 2e cycle).
Aucune synthèse des travaux
Quelques rapports d’évaluation du Hcéres, par exemple l’Université de Cergy - Pontoise (2019), l’Université de Caen Normandie (2021), l’Université de Bordeaux (2021) peuvent donner l’idée de bonnes pratiques pour chacun des quatre masters concernés (premier degré, second degré, encadrement éducatif, ingénierie), mais au sein d’organisations non vraiment stabilisées.
À l’enjeu d’établir une cohérence entre les différentes formations s’ajoute le défi de rassembler des universités de rattachement multiples.
Toutefois, aucune synthèse n’a été établie en raison d’un manque de recul par rapport aux réformes engagées, et du fonctionnement même du Hcéres, avec ses comités d’experts distincts selon des établissements, et la succession des vagues d’évaluation.
Depuis la réforme de 2019 qui transforme les Espé en Inspé, l’évaluation du Hcéres a même été mise en sourdine. Avec la modification du cadre juridique, le bilan des Espé, l’analyse d’un passé à transformer, n’a pas été tenue pour indispensable au moment de construire un nouveau projet d’avenir.
La nouvelle réforme pour les « écoles normales du 21e siècle » évacue une fois de plus l’obligation d’évaluation et en allège les contraintes.
Master Meef : une évaluation incomplète
L’évaluation du master Meef présente des incomplétudes majeures, mais non imputables au Hcéres.
- D’une part, l’instance nationale d’évaluation n’a pas la possibilité d’apprécier la partie de la formation liée à l’alternance et aux stages, celle qui relève des autorités scolaires académiques et qui permettrait d’apprécier l’adéquation des compétences théoriques et pratiques.
- D’autre part, demeure la possibilité pour les étudiants d’accéder aux concours de recrutement externe sans inscription en master Meef.
Ainsi, comme l’indique le Vademecum des Inspé publié par le ministère de l’éducation nationale , « la profession de professeur ou de CPE (conseiller principal d’éducation) n’est pas une profession réglementée. L’inscription au concours est conditionnée à la détention d’un niveau de diplôme, mais pas à celle d’un titre ».
S’ajoute également la place de l’agrégation et de l’excellence disciplinaire comme horizon des talents pour l’enseignement secondaire.
Le Hcéres n’a pas encore trouvé une place influente dans l’évaluation de la politique publique de formation des enseignants dans la mesure où, depuis plus d’un siècle, le pilotage et le contrôle et sont exercés dans ce domaine par l’inspecteurs généraux de l’éducation nationale intégrés désormais dans l’Igésr Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche .
Le regard des inspections
En 2013 et 2014, l’inspection générale a eu mission d’accompagner les nouvelles Espé dans la mise en œuvre de la réforme « marquée par l’urgence ».
Le rapport Igen Inspecteur.trice général(e) de l’éducation nationale -Igaenr Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche de 2014 sur « la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation » , qui mobilise 34 inspecteurs généraux dont 31 issus de l’Igen, témoigne de cette intervention directe du pouvoir central au plus près du terrain académique.
Les analyses de l’inspection soulèvent davantage des questions de fond portant sur l’articulation de l’autonomie universitaire au regard des directives ministérielles plutôt qu’elles n’apportent des réponses précises sur différents sujets de coordination, qu’ils soient :
- de nature institutionnelle (entre l’État-employeur, les deux ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, l’échelon rectoral déconcentré, l’Espé au sein d’un EPSCP, les différents universités rattachées),
- budgétaire,
- pédagogique (les compétences disciplinaires et didactiques au regard de l’exigence de « professionnalisation »),
- ou encore scientifiques (la crédibilité des Espé à fédérer la recherche).
Mais l’accompagnement et la prospective interrogative, voire inquiète, ne remplacent pas une évaluation, que les inspecteurs généraux appellent cependant de leurs vœux… pour l’avenir.
Et celui de la Cour des comptes
Dans ce contexte, la capacité critique et propositionnelle revient à la Cour des comptes dans son rapport de février 2023 « Devenir enseignant : la formation initiale et le recrutement des enseignants » .
La Cour dans sa mission d’’évaluation des politiques publiques adopte une approche vraiment globale. Elle s’interroge sur les raisons structurelles du défaut d’attractivité du métier d’enseignant, avec un regard comparatif à l’international, sur la question de la rémunération, du temps de service, des affectations, sur les différents formes de recrutement qui ne sauraient se focaliser sur le seul concours externe, sur la formation continue, sur les rôles des autorités académiques pour l’appui aux jeunes enseignants… Ainsi, elle ne se limite pas à la place du concours dans la formation universitaire du candidat.
Sans nul doute, l’analyse et une partie des recommandations extérieures aux ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur nourrissent la réforme actuelle.
La place de la formation des enseignants à l’université
Les réticences à l’ « universitarisation » , même estompées, n’ont jamais disparu. Pourtant, la loi Faure en 1968 faisait de la formation de professeur une mission fondamentale de l’université :
« Elles forment les maîtres de l’éducation nationale, veillent à l’unité générale de cette formation - sans préjudice de l’adaptation des diverses catégories d’enseignants à leurs tâches respectives - et permettent l’amélioration continue de la pédagogie et le renouvellement des connaissances et des méthodes ».
Les motifs de ces réserves ne manquent pas : ils tiennent au poids de la centralisation ministérielle et de l’inspection générale ; ils tiennent aussi aux défiances réciproques entre des structures universitaires aspirant à l’autonomie avec une liberté à la créativité pédagogique revendiquée, face à l’illusion performative de la réglementation surplombante de l’Etat.
Des ajustements incessants
Dans ce contexte, les intérêts de l’État-employeur (MEN Ministère de l’éducation nationale et académies) et l’État-formateur (MESR Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et universités) conduit à expérimenter pour la formation des maîtres depuis 2005 une formule juridique d’intégration à l’université (art. L. 713-9 du code de l’éducation) mais susceptible d’ajustements incessants dans sa mise en œuvre administrative (composition du conseil d’administration, nomination du directeur, place du recteur du l’académie) ou pédagogique (évolution des charges de la formation).
La réforme engagée en 2023 se situe dans la continuité de celle de 2019 dans la mesure où elle tend à distinguer nettement la position de l’État-employeur donneur d’ordres de l’opérateur de formation initiale et continue.
L’université, un prestataire de service
Dans cette optique, l’université devient un prestataire de services mettant à disposition des enseignants, apportant une dimension recherche, préparant aux concours de recrutement, organisant un master Meef agréé par le MEN sur la base d’un cahier des charges…
Une telle clarification des responsabilités entre État et universités ouvre une fois de plus la perspective d’une nouvelle évolution juridique des actuels Inspé, qui devra toutefois prendre appui sur un fondement législatif afin de les transformer en Écoles normales supérieures du professorat.
Un bond en arrière ou un échafaudage futuriste ?
Dans cette attente, la question du retour à la personnalité morale des futures « Écoles normales supérieures du professorat » (Espé) peut se poser : s’agit-il d’un grand bond en arrière - peu consensuel- vers les anciens IUFM Institut universitaire de formation des maîtres de 1989 ou un échafaudage futuriste de personnalités morales emboitées comme l’ordonnance du 12/12/2018 sur les établissements expérimentaux pourrait éventuellement le permettre ?
Inversement, si le statut juridique actuel de composantes, auquel les parties se sont accoutumées depuis 20 ans, est confirmé, le renforcement en leur sein de l’autorité ministérielle et académique de tutelle, soulève un débat politique et de principe sur le degré de dérogation acceptable dans le cadre des dispositions actuelles du code de l’éducation.
Aussi stimulant qu’il puisse être sur le plan juridique, et qu’il puisse sembler accessible au pouvoir exécutif, l’ouverture d’un front statuaire avec l’élaboration d’un droit exorbitant pour les Espé au sein des EPSCP à l’heure de l’Acte 2 annoncé de l’autonomie des universités, ne doit pas détourner la réforme de la formation des enseignants de son ambition première : l’attractivité du métier de professeur.
Parcours
Conseiller
Administrateur général de l’État, chargé de mission coordination des évaluations
Chargé de mission direction des sports
Délégué adjoint pour le sport
Sous-directeur des enseignements spécialisé et supérieur et de la recherche
Sous-directeur de l’emploi, de l’enseignement supérieur et de la recherche à la direction générale de la création artistique
Sous-directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche en architecture à la direction générale des patrimoines
Secrétaire général du Comité Stratégie nationale de l’enseignement supérieur
Chargé de mission auprès du médiateur de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur
Sous-directeur de la vie fédérale et du sport de haut niveau à la direction des sports
Adjoint au sous-directeur des écoles, collèges, lycées
Directeur général des services
Directeur général des services
Chef du bureau des écoles d’ingénieurs
Fiche n° 6194, créée le 25/09/2014 à 09:40 - MàJ le 06/11/2024 à 11:50
[1]Arrêté du MEN et Mesri du 27/08/2013 fixant le cadre national des formations dispensées au sein des masters « métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » ; arrêté du MEN et Mesri du 27/08/2013 fixant les modalités d’accréditation des écoles supérieures du professorat et de l’éducation ; arrêté du 01/07/2013 MEN-Dgesco relatif au référentiel de compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation.
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