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« Il faut que les réformes éducatives soient qualitatives » (É. Charbonnier, OCDE, au Sgen-CFDT)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°246751 - Publié le 30/03/2022 à 18:27
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Éric Charbonnier - © OCDE

• « Améliorer la qualité de l’enseignement et de la transmission du savoir ;
• lutter contre l’échec scolaire dès l’école maternelle ;
• soutenir les élèves et les établissements défavorisés ;
• rehausser la qualité et la valorisation des filières professionnelles ;
• assurer à chaque jeune une trajectoire sécurisée vers l’emploi ;
• investir dans la mise en œuvre et l’évaluation des réformes. »

Telles sont les recommandations faites par Éric Charbonnier Analyste éducation @ Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)
, analyste à la direction de l’éducation de l’OCDE Organisation de coopération et de développement économiques , dans le cadre de l’assemblée générale des syndicats du Sgen-CFDT Syndicat général de l’Éducation nationale - Confédération française démocratique du travail , sur le thème « L’École à l’heure de l’intelligence collective  », organisée le 24/02/2022 à Dijon.

Les difficultés du système éducatif français se situent à différents niveaux, selon Éric Charbonnier, qui présentait plusieurs résultats de l’étude « Regards sur l’éducation » de l’OCDE en 2018 : « Il faut investir le mieux possible. En France, ce qui pose un problème, c’est la dépense par élève dans l’enseignement élémentaire. Elle est inférieure de 8 % à la moyenne des pays de l’OCDE. »

Mais aussi, trouver des axes de réflexion sur l’enseignement des fondamentaux, car comme il le souligne : « Selon une étude du Céde Centre d'études en droit économique (Centre d’études en droit économique), 39 % des élèves en 2015 quittent l’enseignement primaire avec des difficultés notamment en lecture (…) beaucoup de candidats [à l’élection présidentielle] veulent augmenter le nombre d’heures de maths ou de compréhension écrite, mais il faut que les réformes éducatives soient des réformes qualitatives et non quantitatives. »

L’analyse revient également sur la difficulté du métier d’enseignant, dont l’un des enjeux est la formation initiale et continue : « La formation initiale des enseignants est moins axée sur le volet pédagogique du métier que dans de nombreux pays de l’OCDE : il faut mieux former nos enseignants, le contenu de la formation initiale en France est parfois déconnecté des besoins du métier », indique-t-il.


Forces et faiblesses du système éducatif français

« Plus de 40 % des jeunes de 25 à 34 ans ont un diplôme »

Éric Charbonnier indique que « le niveau d’éducation de la population a considérablement augmenté depuis 30 ans aujourd’hui : plus de 40 % des jeunes de 25 à 34 ans ont un diplôme. On peut donc dire que la France a rattrapé son retard en matière d’éducation, notamment grâce à la création des DUT Diplôme universitaire de technologie /bac+2, mais aussi des filières universitaires qui se sont développées ».

En revanche, il note que « 100 000 jeunes qui sortent chaque année sans qualifications se retrouvent en très grande précarité sur le marché de l’emploi avec un jeune sur quatre en France qui se retrouve au chômage alors qu’ils ont un baccalauréat ou un diplôme de l’enseignement supérieur ».

« Avec un taux de chômage inférieur à 10 % pour les jeunes qui sortent avec un diplôme de l’enseignement supérieur, cela justifie les investissements en éducation et la nécessité de lutter contre l’échec scolaire le plus possible tout au long de la scolarité des jeunes. Notre dépense d’éducation est un élément qui me semble important de rappeler parce que la France dépense plus que la moyenne des pays de l’OCDE Organisation de coopération et de développement économiques en termes d’éducation », ajoute l’analyste.

Une dépense insuffisante par élève dans l’enseignement élémentaire

Pour autant, l’investissement est mal réparti selon lui : « La dépense pour le primaire et l’enseignement supérieur est de 5,2 % du PIB Produit intérieur brut en France contre 4,9 % en moyenne dans les pays de l’OCDE et pourtant, il y a un déséquilibre flagrant.

En France ce qui pose un problème, c’est la dépense par élève dans l’enseignement élémentaire alors qu’elle est supérieure à la moyenne de l’OCDE de 35 % dans l’enseignement au niveau du lycée. Quand on sait que les inégalités commencent dès le plus jeune âge, on peut se dire qu’il fallait investir massivement. »

Lecture, mathématiques… la problématique des fondamentaux

Des enseignants plus complexés à enseigner les mathématiques

Quant aux classements internationaux, Éric Charbonnier ne se veut pas alarmiste : « La France est dans la moyenne des études de l’OCDE dans les études Pisa Program for International Student Assessment  2018. Dans une étude qui évalue les élèves de 15 ans et leur compréhension écrite, les mathématiques et les sciences, on voit que c’est en recul sur les mathématiques, donc il y a quelques points de vigilance à avoir.

Sur l’élémentaire, il y a plus de problématiques : les dernières études sur le niveau des élèves en mathématiques de CM1 ont été assez alarmantes, la France est en queue de peloton dans les pays européens.

Nos enseignants sont parmi ceux qui se sentent le plus complexés pour enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté. Il y a donc matière à réflexion, mais aussi sur la transmission du savoir : est-ce que nos enseignants sont bien préparés pour transmettre le savoir sur tout ce qui touche aux mathématiques ? On sait que dans l’élémentaire, les étudiants qui se destinent à devenir enseignants, viennent souvent des filières littéraires et n’ont pas forcément comme domaine de prédilection, les mathématiques », indique-t-il.

Des réformes qualitatives et non quantitatives

Sur la compréhension de l’écrit, là encore les résultats sont inférieurs à la moyenne de l’OCDE, selon Éric Charbonnier. « Ce qu’on voit, sur ce qui la compréhension de l’écrit, c’est que nos élèves en France passent déjà beaucoup plus de temps sur cette matière que dans la plupart des autres pays : 37 % du temps scolaire est consacré à la compréhension écrite dans l’école élémentaire et pourtant nos élèves sont en difficulté. La réflexion doit être plutôt qualitative que de croire qu’en augmentant le nombre d’heures, on règlera les problèmes du système d’éducation », analyse Éric Charbonnier.

Un climat scolaire hétéroclite

« La France est l’un des pays les plus inégalitaires de la zone OCDE »

Selon Éric Charbonnier, « la France est l’un des pays les plus inégalitaires de la zone OCDE. Selon une étude Pisa qui date de 2018, les pays qui sont les plus performants et équitables sont : l’Estonie, le Canada, la Corée-du-Sud, le Royaume-Uni, l’Australie. Ce sont des pays avec des systèmes d’éducation très différents, mais qui arrivent à associer qualité et équité.

En France, les élèves de 15 ans issus des milieux défavorisés ont quatre fois plus de risques que les autres d’être en difficulté. Aux tests Pisa, sur toutes les dimensions des inégalités sociales et scolaires, malheureusement, la France se positionne mal et est très inégalitaire dans ces filières. Les élèves des milieux défavorisés sont souvent orientés vers les filières professionnelles au lycée et elles ne sont finalement pas considérées aussi bien qu’elles devraient l’être. Cette lutte contre les inégalités doit commencer dès le plus jeune âge parce que les inégalités commencent dès l’accès aux crèches et à l’école maternelle ».

« 7 % des enseignants se sentent suffisamment valorisés par la société »

Concernant le bien-être des élèves et des enseignants, « bien que les élèves se sentent plutôt heureux à l’école en France et les enseignants également (ils sont neuf sur dix à dire qu’ils aiment leurs métiers), ces derniers se sentent souvent insuffisamment valorisés par la société : “seulement 7 % des enseignants au collège s’estiment valorisés à leur juste valeur par la société” ».

« Selon des statistiques assez anciennes datant de 2012, nos élèves de 15 ans étaient les plus anxieux vis-à-vis de l’apprentissage des mathématiques et 75 % des élèves en France s’inquiétaient à l’idée d’avoir de mauvaises notes en mathématiques »

Les mathématiques « restent toujours un domaine qui a été privilégié pour l’orientation, on le voit encore aujourd’hui dans le débat sur Parcoursup : on ne parle que des problèmes avec le nombre d’élèves scolarisés dans les filières mathématiques, mais on n’en oublie que finalement le développement des élèves c’est maîtriser l’ensemble des fondamentaux et puis être préparé aux enjeux du monde du 21e siècle », pointe l’analyste.

Pénurie de moyens humains dans les établissements défavorisés

La France fait partie des pays où le climat de discipline à l’intérieur des écoles perturbe le plus l’enseignement : « 75 % des enseignants déclarent que le début du cours est souvent perturbé par du bruit et fait perdre du temps.

Il faut soutenir les établissements défavorisés, car on sait que les écoles défavorisées, en général, ont moins de moyens que les autres. Ils ont plus de moyens financiers, mais quelque part, quand on regarde les enseignants qui y travaillent, ils sont plus jeunes, il y a plus de turnover donc il y a moins de moyens humains dans ces écoles, alors qu’elles devraient vraiment bénéficier de tous les atouts pour aider les élèves à pouvoir rattraper ce retard qu’ils vont traîner tout au long de la scolarité. »

La difficulté du métier d’enseignant

Des salaires faibles et une crise de la vocation

Concernant le métier d’enseignant, Éric Charbonnier souligne qu'« aujourd’hui, notre débat se focalise malheureusement uniquement sur la dimension du salaire, qui est très importante, mais je crois qu’il faudrait réfléchir aussi à l’ensemble des dimensions du métier pour améliorer le bien être des enseignants.

Le problème principal en France c’est le salaire en début de carrière qui est inférieur à la moyenne. Il faudrait revaloriser les enseignants en tout début de carrière, mais c’est surtout la progression dans la carrière qui est très lente, alors que, dans des pays comme les États-Unis, les Pays-Bas, le Canada, l’Irlande, il y a une progression beaucoup plus rapide. Après 15 ans d’ancienneté, un enseignant français est payé autour de 20 % de moins que la moyenne.

Mais tout n’est pas une question uniquement de salaire, parce que dans un grand nombre de pays européens, l’Allemagne comprise, où les enseignants gagnent le double de ceux en France, il y a un véritable problème d’attractivité vers le métier ».

Créer une culture de coopération, fondée sur le volet pédagogique

L’une des explications données au manque d’attractivité du métier par l’analyste est la formation des enseignants. Selon lui, « nos enseignants sont moins bien préparés sur la pédagogie générale, sur la gestion de classe, sur l’enseignement en milieu multiculturel.

Il y a seulement 22 % des jeunes enseignants qui se sentent préparés lors de leur première affectation à la gestion de classe. C’est quelque chose qui n’est pas vraiment dans la culture française. Jusqu’à présent, l’enseignant est livré à lui-même alors que dans un grand nombre de pays, on a cette culture de coopération, notamment au niveau de la pédagogie, de l’observation de ses collègues, d’échanger, de partager les bonnes pratiques.

En France, 80 % des enseignants déclarent n’avoir jamais observé les classes des autres enseignants. Ce manque de coopération entre enseignants existe aussi avec le chef d’établissement qui est très éloigné de ses équipes pédagogiques », indique-t-il.

Et d’ajouter : « La France est l’un des pays où les élèves ressentent le moins de soutien de la part de leurs enseignants pour progresser dans les apprentissages. Il faut créer une culture de coopération et permettre aux enseignants d’avoir du temps aussi pour travailler avec les élèves les plus en difficulté en c’est bien notre programme scolaire hyper lourd, hyper chargé n’offre pas forcément les opportunités nécessaires aux enseignants pour permettre aux élèves d’en acquérir les bases. »

Un besoin de renforcer la formation continue des enseignants

S’ajoute au besoin de renforcer la formation initiale des enseignants, celui de développer davantage la formation continue, selon Éric Charbonnier : « Il y a un besoin sur la gestion des élèves qui ont des besoins éducatifs particuliers. Mais aussi sur la pédagogie différenciée ou sur l’utilisation des nouvelles technologies par exemple.

Avant la crise de la Covid-19, on pouvait voir en France que seuls 36 % des enseignants déclarent inviter les élèves à utiliser les technologies pour des projets ou des travaux de classe. C’était inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE qui est à 50 %. Cela montre qu’il y a des besoins de formation continue et cela explique peut-être aussi cette volonté de garder les écoles ouvertes parce que finalement l’utilisation des nouvelles technologies ne faisait pas partie de notre système d’éducation.

On sait que les inégalités s’aggravent quand les écoles ferment et donc cela a créé une volonté de garder les écoles ouvertes en France, même si on sait qu’il y a eu des dysfonctionnements entre le ministère de la santé et le ministère de l’éducation. »

Résistance au changement et à l’innovation

En effet, « la peur du changement est plus marquée qu’ailleurs : 45 % des enseignants sont dans des écoles où l’un des facteurs qui entravent le plus l’apprentissage, c’est la résistance au changement et à l’innovation des enseignants ».

Toutefois, Éric Charbonnier pondère ces résultats : « Je pense que nos enseignants ont eu énormément de réformes à s’approprier depuis une quinzaine d’années. Parfois des réformes allant dans une direction puis dans une autre. Cela a créé un climat assez négatif par rapport à la nouvelle réforme qui arrive, donc je crois qu’il faudrait vraiment une cohérence dans la politique éducative. »

Leviers et bonnes pratiques

Éric Charbonnier propose un focus sur les pays performants dans Pisa, qui ont tous mis la formation des enseignants au cœur de leurs réformes, avec quatre objectifs présentés ci-dessous :

Éric Charbonnier


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Fiche n° 17043, créée le 13/04/2016 à 13:28 - MàJ le 18/12/2023 à 16:14


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