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Éducation : « Nous sommes confrontés à une forme d’injonction paradoxale » (C. Nave-Bekhti, Sgen-CFDT)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Entretien n°245930 - Publié le 25/03/2022 à 17:59
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Catherine Nave-Bekhti - ©  Sgen-CFDT

« Nous, acteurs du système éducatif, devons prendre toute notre part dans la transformation de nos pratiques et de nos organisations. Mais si l’objectif que la Nation porte pour l’école et le système éducatif n‘est pas clairement orienté en ce sens, cela va être compliqué. Nous sommes confrontés à une forme d’injonction paradoxale, tiraillés entre les objectifs affichés et la réalité de ce que nous sommes amenés à faire, parfois contre notre gré. Ce qui peut contribuer, aussi, à expliquer les difficultés perçues et ressenties au travail par les agents. »

Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen-CFDT Syndicat général de l’Éducation nationale - Confédération française démocratique du travail , a répondu à News Tank lors des conclusions de la matinée de tables rondes organisée le 24/02/2022 à Dijon dans le cadre de l’assemblée générale des syndicats du Sgen-CFDT, sur le thème «  L’École à l’heure de l’intelligence collective  ».

Pour Catherine Nave-Bekhti, « si l’on veut transformer le système éducatif, d’y faire de la place à autre chose que le temps d’enseignement en face-à-face avec une classe ».

Le Sgen-CFDT veut aussi « penser la modularisation, de la formation et de la certification », mais « cela suppose de mettre des moyens conséquents sur l’accompagnement des parcours des élèves, de faire vraiment de la place dans l’organisation même du temps scolaire et dans l’explicitation des missions des différents professionnels ».

Tirant le bilan du quinquennat écoulé au regard des revendications du syndicat, elle pointe « une démarche niant les cycles, enfermant chacun dans sa classe, dans son école, dans son établissement et invitant à se concentrer sur l’année scolaire elle-même et non sur les transitions ».

Interrogée sur l’autonomie, en particulier de recrutement pour les chefs d’établissement, elle répond : « L’autonomie, au Sgen-CFDT, nous y sommes favorables, mais au sens d’une autonomie du collectif de travail, pas de celle du personnel de direction dans un EPLE Etablissement public local d’enseignement , ni celle du directeur ou de la directrice dans une école. »


 « L’alternance de 2017 a rompu un certain nombre de dynamiques extrêmement constructives »

Que vous inspire le constat peu indulgent fait du renforcement des inégalités sociales par le système éducatif français ?

Effectivement, de longue date, les enquêtes internationales, ainsi qu’un certain nombre de recherches sociologiques et économiques, mettent en lumière les mécanismes par lesquels la reproduction des inégalités sociales continue d’agir dans le système éducatif. Y compris là où l’on pensait avoir mis en place des dispositifs ou institué des pratiques pédagogiques propices à réduire ces inégalités.

Il peut être difficile de recevoir et accepter ces constats, mais le faire, c’est aussi être en capacité de repérer des leviers pour agir et pour transformer. Je pense à l’ouvrage récent de Marie Duru-Bellat et François Dubet : « L’école peut-elle sauver la démocratie ? »[1], qui insiste sur le fait que l’on demande au système éducatif de lutter contre les inégalités, or celui-ci n’est pas configuré pour.

Et l’analyse des dépenses engagées pour les différentes filières de formation de l’enseignement supérieur démontre que la structuration du système d’éducation et de formation est tout entière tournée vers ce que les auteurs qualifient de « distillation fractionnée ».

Prendre toute notre part dans la transformation de nos pratiques et de nos organisations »

A savoir qu’à chaque phase d’orientation sélective avec, derrière, des voies de formation d’inégale dignité, l’écrémage se fait. Même s’il paraît infinitésimal au début, multiplié à chaque étape du parcours scolaire du jeune, cela donne, au final, un renforcement des inégalités.

Cela veut dire, aussi, que nous, acteurs du système éducatif, devons prendre toute notre part dans la transformation de nos pratiques et de nos organisations. Mais si l’objectif que la Nation porte pour l’école et le système éducatif n‘est pas clairement orienté en ce sens, cela va être compliqué. Nous sommes confrontés à une forme d’injonction paradoxale, tiraillés entre les objectifs affichés et la réalité de ce que nous sommes amenés à faire, parfois contre notre gré. Ce qui peut contribuer, aussi, à expliquer les difficultés perçues et ressenties au travail par les agents.

Entretien de clôture de l'AG du Sgen-CFDT à Dijon, entre Théo Haberbusch (News Tank) et Catherine Nave-Bekhti - ©  Philippe Antoine / Sgen CFDT

Quelles concertations collectives organiser pour transformer le système de l’intérieur ?

Il est en effet indispensable, si l’on veut transformer le système éducatif, d’y faire de la place à autre chose que le temps d’enseignement en face-à-face avec une classe. Car cette transformation ne peut se faire que par celles et ceux qui y travaillent au quotidien, et non par circulaire. Si l’on veut que des acteurs qui enseignent et travaillent dans des lieux différents se rencontrent, il faut pouvoir organiser cette rencontre.

Notre conviction profonde : le besoin de démocratie sociale »

Cela suppose de la collégialité, des instances qui fonctionnent et de l’investissement dans ces instances. Lesquelles vont permettre de s’accorder sur la direction dans laquelle on va, ainsi que sur la manière d’y aller. Mais il faut que cet investissement soit reconnu lui aussi. Ce qui, souvent, n’est pas suffisamment le cas.

Notre conviction profonde : le besoin de démocratie sociale. A savoir l’idée que ce sont celles et ceux qui font qui peuvent transformer leurs pratiques. Nous pensons que les acteurs de terrain détiennent une expertise dans l’accomplissement de leur mission, mais aussi une capacité à imaginer des pistes pour améliorer à la fois leurs conditions de travail et l’efficacité de celui-ci.

Par ailleurs, c’est un axe de réflexion fort au Sgen-CFDT que de penser la modularisation, de la formation et de la certification. C’est très articulé à une réflexion syndicale globale sur l’accompagnement des personnes. Cela suppose de mettre des moyens conséquents sur l’accompagnement des parcours des élèves, de faire vraiment de la place dans l’organisation même du temps scolaire et dans l’explicitation des missions des différents professionnels. Missions pour lesquelles on a tout à gagner à articuler des compétences professionnelles variées, comme dans l’enseignement supérieur.

En effet, des regards différents sur l’élève peuvent aussi éviter que certains ou certaines d’entre nous soient agis par leurs stéréotypes et aider les élèves à ouvrir leurs horizons.

Le quinquennat qui s’achève, avec Jean-Michel Blanquer comme ministre de l’éducation n’a pas répondu à ces attentes ? 

Dans la politique de refondation de l’éducation prioritaire, il y a eu des tentatives pour installer ce temps de rencontre. Ainsi, pour les conseils école-collège, il n’a pas été simple de construire du temps commun, reconnu institutionnellement, tant pour les professeurs des écoles que pour ceux du second degré. Personne n’a réellement pensé l’adaptation de l’organisation du temps de travail entre des corps professionnels aux obligations de service et aux plannings différents, pour qu’ils puissent même se rencontrer. Cette difficulté à organiser du temps de concertation se retrouve aussi au sein d’un même établissement, quel qu’en soit le niveau.

Autre écueil rencontré : les ruptures politiques. La dynamique de la refondation de l’éducation prioritaire et cette réflexion sur l’articulation école-collège a été affaiblie par la politique menée depuis 2017. Celle-ci a rompu un certain nombre de dynamiques qui nous paraissaient extrêmement constructives.

Les questions de l’accompagnement des élèves et des parcours ont échoué »

Une démarche niant les cycles, enfermant chacun dans sa classe, dans son école, dans son établissement, et invitant à se concentrer sur l’année scolaire elle-même et non sur les transitions. Nous avons eu aussi deux réformes du lycée, en 2010 et 2018, dans lesquelles les questions de l’accompagnement des élèves et des parcours - que ce soit un filage entre collège et lycée ou le bac moins 3 - bac plus 3 - ont échoué. Parce que pas vraiment organisées, ni dans le fonctionnement de l’établissement, ni dans le sens du travail des personnels.

Les cinq années écoulées n’ont pas non plus rimé avec renforcement de l’autonomie, semble-t-il ?

L’autonomie, au Sgen-CFDT, nous y sommes favorables, mais au sens d’une autonomie du collectif de travail, pas de celle du personnel de direction dans un EPLE Etablissement public local d’enseignement , ni celle du directeur ou de la directrice dans une école.

Mais officiellement, aucune autonomie ne nous est laissée, en particulier dans le premier degré. Durant ce quinquennat, nous avons reçu des circulaires ministérielles disant, au quart d’heure près, ce qu’il faut faire dans une journée de classe à l’école primaire.

Négation de notre autonomie »

L’autonomie peut toutefois être totale, si on n’a pas un inspecteur qui vient observer, chronomètre à la main, qu’on suit bien ce déroulé à la lettre. Et certains n’agissent pas ainsi, car ils ont bien compris que ce n’était pas le sens d’une journée de classe.

Cette négation de notre autonomie, nous l’avons vécue très violemment lors de la parution d’une circulaire fameuse - signée par le ministre, qui avait pourtant dit qu’il ne gouvernerait pas par cette voie - selon laquelle il fallait « circuler dans la classe » quand on fait cours.  Personne n‘y avait pensé avant ! Ni les profs, ni les inspecteurs, ni les personnels de direction, ni les formateurs… Ecrire cela, cela revient à dire : « vous avez besoin d’une circulaire ministérielle pour bien faire ».

Ce n’est pas à proprement parler un verrou, car nous sommes libres dans la classe, à partir du moment où personne ne vient observer et évaluer. Mais ce n’est pas un signe qui va renvoyer vers l’autonomie. Et le faible nombre de décisions qui peuvent être prises à l’échelle d’un établissement, ça non plus, ce n’est pas l’autonomie. Il y a des verrous institutionnels à faire sauter en matière de mode de pilotage.

Le recrutement des enseignants par les personnels de direction : une fausse bonne idée, pour vous ?

Nous ne sommes pas pour, en effet. Puisque les autres personnels vont rester longtemps - davantage, souvent, que le chef d’établissement - ils ont tout intérêt à trouver ensemble un mode de fonctionnement et d’organisation qui va leur permettre de trouver du sens à leur travail.

Personnellement, j’ai exercé dans un établissement où, à mon arrivée, on comptait seulement 45 % de réussite des élèves de la filière ES au bac. Personne ne peut se satisfaire de cela. On a forcément à gagner à i une dynamique collective pour se demander ce qu’on peut faire pour changer la donne, là où l’on est, avec les ressources dont on dispose, et ce, que le personnel de direction reste ou non.

Ce mode de recrutement nous semble en partie un leurre »

Par ailleurs, l’idée de ce mode de recrutement nous semble en partie un leurre. En effet, cela veut dire quoi ? Qu’à chaque fois qu’on change de personnel de direction on change toute l’équipe enseignante ? Comment pourrait-on répartir autant d’enseignants sur l’ensemble des établissements dans les territoires où l’on manque de personnels ? Et il y a des établissements scolaires où les élèves sont restés sans enseignant pendant quatre mois dans une discipline…

Par ailleurs, si la seule manière de faire collectif et de créer un sentiment d’appartenance dans un établissement, c’était le recrutement par le personnel de direction, cela voudrait dire qu’on n’est pas capables de construire cet engagement avec celles et ceux qui sont là à une période donnée.

D’une certaine manière, ce serait renoncer à chercher des solutions à d’autres questions qui, elles, sont structurelles. Le ministère essaie de nouveau de revenir à cette logique en créant beaucoup de postes à profil, notamment pour installer des professeurs référents dans les collèges d’éducation prioritaire. Or, ces postes, à la fin du mouvement, n’étaient pas pourvus : ils l’étaient par des contractuels.

Regardons donc concrètement ce qu’on observe sur les modalités d’affectation des enseignants. Des choses très intéressantes ont été notées par des formateurs et des chercheurs, notamment de l’Ifé Institut français de l’éducation , dans le cadre de la refonte de l’éducation prioritaire, sur l’accompagnement d’équipes qui étaient celles qui étaient là, et pas recrutées ad hoc. Cela a permis de développer des formations adaptées tant aux besoins des personnels qu’à cet enjeu de mieux faire réussir les élèves.

Catherine Nave-Bekhti


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Parcours

Ministère de l’éducation nationale (MEN)
Professeure de sciences économiques et sociales

Établissement & diplôme

ENS cachan
Agrégation de SES
IUFM de Villeneuve d’Ascq
Formation à l’enseignement et à l’éducation, titularisation à l’éducation nationale
Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ)
Diplôme d’études approfondies, sociologie du travail et rapports sociaux de sexe, DEA
Université Paris Nanterre
Maîtrise de sociologie

Fiche n° 44860, créée le 09/12/2021 à 11:45 - MàJ le 05/06/2024 à 11:55

CFDT Éducation, Formation, Recherche Publiques (SGEN - CFDT)

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Fiche n° 4527, créée le 30/11/2016 à 10:22 - MàJ le 13/11/2024 à 17:46


[1] Seuil, 2019.

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