Demandez votre abonnement gratuit d'un mois !

Valeurs, confiance, temps de service : les facteurs d’un travail plus collectif à l’école (AG Sgen)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°245928 - Publié le 24/03/2022 à 11:17
- +
©  D.R.
Damien Dubreuil, Lætitia Aresu, Benoît Becquart - ©  D.R.

« Le Sgen souhaite réexaminer la question du temps de service des enseignants pour améliorer l’organisation du travail, en fonction d’un certain nombre d’éléments : temporalité de cycle, contraintes climatiques et structurelles, modularité des ORS obligations réglementaires de service . » C’est ce que déclare Lætitia Aresu, secrétaire nationale du syndicat, lors de la table ronde « Travailler mieux collectivement : bienveillance, responsabilité, efficacité », le 24/02/2022. Celle-ci se tient à Dijon (Université de Bourgogne) à l’occasion de l’assemblée générale des syndicats du Sgen-CFDT Syndicat général de l’Éducation nationale - Confédération française démocratique du travail

« Comment favoriser une conduite partagée du projet de l’établissement scolaire ? », se demande Damien Dubreuil, chef d’établissement du lycée pilote innovant LP2i (Jaunay-Marigny, Vienne), au cours de la même séquence. « En 2021, Romuald Normand produisait un guide numérique “Le leadership du chef d’établissement. L’anti-manuel de pilotage pédagogique“, dans lequel je me suis beaucoup retrouvé. L’amélioration réussie de l’organisation scolaire et la conduite du changement sont moins une affaire de conception organisationnelle et de structure que de socialisation, de valeurs et de finalités partagées, ainsi que de la possibilité donnée à chacun de pouvoir s’engager. Des valeurs auxquelles j’adhère davantage et que j’essaie de mettre en œuvre au quotidien. J’envisage toujours l’établissement comme un écosystème. »

Enfin, Benoît Becquart, inspecteur de l’éducation nationale en disponibilité et responsable des relations institutionnelles chez SynLab (qui porte les deux plateformes Manag’Educ et Être Prof), estime que « pour que les gens méritent notre confiance, il faut commencer par la leur donner ». « Je pense qu’il faut commencer par là pour changer le système éducatif, ce qui implique de toucher aux pratiques pédagogiques. Cette confiance doit s’accorder sans contrepartie. »

News Tank, qui animait les échanges lors de l’AG du Sgen-CFDT, vous propose une synthèse des interventions.


« Le chef d’établissement, promoteur et garant de l’intelligence collective » (Damien Dubreuil)

Promouvoir la coopération et le travail collectif

Pour promouvoir la coopération et le travail collectif, nous disposons d’énormément de leviers sur lesquels agir. Je retiens plusieurs mots-clés :

  • “Évaluation“ : comment fait-on fonctionner un établissement en évaluant de manière régulière : en gros, quelle est notre boussole ?
  • “Climat scolaire“ : comment le rendre favorable ? Savoir prendre le temps et s’adapter à la disponibilité des élèves et des personnels.
  • “Travail collectif“ : c’est-à-dire rassemblant l’ensemble de la communauté éducative, mais aussi les agents de la collectivité. Comment le chef d’établissement peut-il promouvoir la question du “ensemble“ via des interstices organisationnels ? Comment penser le temps de concertation, y compris au moment de la répartition de la DGH (dotation horaire globale) ?
  • “Communication“ : interne et externe, celle-ci me semble très importante pour asseoir le sentiment d’appartenance.

Le profil du chef d’établissement engagé

Damien Dubreuil -
Le chef d’établissement, c’est quelqu’un qui doit être discret, qui doit se poser la question de son autorité et pas de son pouvoir. Il doit veiller à être en dynamique et à allier en permanence, avancer et accompagner. Ma boussole : les compétences psychosociales ou soft skills.

Et notamment l’intelligence émotionnelle, qui est l’une des qualités à promouvoir car elle permet d’aller vers deux objectifs : la question de la capacitation (donner à chacun les outils pour agir) et l’empouvoirement (donner la capacité d’agir, de créer, de se sentir reconnu et donc de pouvoir pleinement investir dans son développement professionnel).

Ma ligne de conduite : congruence et transparence. L’une de mes manières de “faire collectif“ est d’être présent sur les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter. C’est se retrouver en tant que chef d’établissement en lien avec un enseignant, un homologue, un Dasen Directeur académique des services de l’éducation nationale , un recteur, le tout sur un plan d’horizontalité. Sans se poser la question de la cravate ou des galons, mais simplement celle de l’envie. »

 « Faire confiance aux personnels de terrain : la clé d’un changement réussi. » (Benoît Becquart)

« Quand Éric Charbonnier [analyse éducation à l’OCDE, intervenant en ouverture de la journée sur les comparaisons internationales] nous parle, cela fait un peu mal : une gifle pour le chef d’établissement, une pour les corps d’inspection, une pour les enseignants…

Si je caricature : rien ne va, il faut tout changer, notre système éducatif accroît les inégalités. D’où la question : comment conduire le changement, notamment au vu de la forte résistance à ce changement des acteurs de notre système éducatif ?

Cela m’a donné envie de partager une expérience toute personnelle de “ratage“ du changement et de l’accompagnement des équipes, avec génération de résistance.

Une erreur formatrice

Benoît Becquart -
C’était en 2015-2016. Jeune inspecteur, précédemment formateur, j’avais beaucoup travaillé sur le climat scolaire. Avec quelques collègues, nous avons voulu trouver des solutions pour aider les directeurs d’écoles à améliorer ce climat scolaire, clé d’une amélioration du système éducatif au service des élèves.

Nous nous sommes lancés dans ce travail avec énergie et motivation, persuadés de pouvoir trouver un levier formidable pour aider les enseignants. Et proposé une démarche intitulée : “Démarche d’engagement : mon école est bienveillante et exigeante.“

Les premiers tests n’ont pas été très concluants. Au bout d’un an, nous avons réuni des enseignants ayant participé à l’expérimentation et leur avons donné la parole. C’est là que j’ai pris une énorme gifle, car j’ai compris que la démarche, dans son titre même, portait tout ce qu’il fallait pour rater l’accompagnement des équipes.

  • Sur la “démarche d’engagement“ d’abord : pour les enseignants, elle sous-entendait qu’on ne les trouvait pas assez engagés.
  • Même logique pour la phrase “mon école est bienveillante et exigeante“ : “Cela veut dire que vous pensez qu’on n’est pas bienveillants.“

En réalité, avec mes collègues, j’avais tout fait pour installer la résistance au changement. Ce jour-là, j’ai compris qu’il n’y a que ceux qui font l’école au quotidien qui peuvent transformer celle-ci si besoin il y a de le faire. Et ces personnes, ce sont les enseignants en premier lieu et bien sûr les chefs d’établissements, ainsi que tous ceux qui accompagnent la vie des élèves. Cela m’a profondément transformé et a participé à ma transition professionnelle.

Partir du postulat que les enseignants sont compétents

Quels apprentissages tirer de cette expérience malheureuse ? D’abord, commencer par reconnaître le travail et l’expertise professionnelle des enseignants. Ensuite, prendre comme postulat que ces derniers sont des praticiens compétents, presque des artisans. Ils se reconnaissent d’ailleurs comme tels entre pairs. Mettez-les autour d’une table, ils vont naturellement partager tout ce qu’ils mettent en œuvre pour aider les élèves à réussir.

Ce postulat suppose de faire confiance, et je voudrais citer Marcel Pagnol : “Dès que les professeurs commencèrent à le traiter en bon élève, il le devint véritablement.“

Pour vous suivre sur un chemin inconnu, potentiellement à risques, j‘ai vraiment besoin de vous faire confiance. Le développement professionnel se poursuit tout au long de la vie, or tout ce qui relève d’une formation ou d’un apprentissage est, par définition, une mise en danger : c’est sauter dans le vide, vers un “ailleurs“ inconnu. Il y a un lien très fort entre le travail collaboratif et le bien-être professionnel. »

« Des temps de concertation collective compris et reconnus dans le service des enseignants. » (Lætitia Aresu)

AG des syndicats du Sgen-CFDT à Dijon : Benoît Becquart, Damien Dubreuil, Lætitia Aresu - ©  PhA/Sgen CFDT

« Dans le préambule de notre dernière résolution de congrès, nous soulignions la nécessité de nous affirmer comme acteurs et actrices d’un syndicalisme qui permette aux personnels de s’organiser collectivement en vue d’améliorer leurs conditions d’exercice et ainsi infirmer le sens de leur travail et de leur action au service du public. Nous pensons effectivement que nous devons agir pour que ce travail des personnels soit porteur d’émancipation. Et que la capacité à construire collectivement, à agir, pour soi, pour les autres, avec les autres, est essentielle pour accompagner au mieux les enfants et les jeunes vers leur réussite, de la maternelle à l’université.

Différents besoins pour réussir le collectif

  • De quoi a-t-on besoin pour construire collectivement des réponses efficaces, au service de la réussite de toutes et tous ?
  • Comment permet-on aux équipes d’organiser leur travail collectivement et de s’investir comme elles les souhaiteraient ?
  • A quelles évolutions aspirons-nous pour que la qualité de vie au travail devienne réalité pour tous les personnels ?

Premier élément de réponse : le temps. Les enseignants et les autres personnels des établissements ont besoin de temps pour prendre du recul et réfléchir collectivement au projet pédagogique. Cela étant, les espaces de réflexion et de discussion collectifs sur le projet éducatif semblent faire défaut actuellement.

Un manque intimement lié à l’organisation du travail et à la question du temps. En effet, du fait que ce temps ne soit pas officiel - la réunion de service, pour les enseignants, n’est pas prévue telle quelle dans les ORS obligations réglementaires de service  (obligations réglementaires de service) - participer à la réflexion collective sur les orientations du projet et le pilotage collectif se fait sur du temps personnel.

De ce fait, certains agents s’excluent peut-être de la démarche.

Une meilleure reconnaissance des missions des enseignants

Je rappelle ici l’une des revendications historiques du Sgen-CFDT : le 15+3, toutes tâches comprises. A savoir 15 heures de face-à-face pédagogique et trois heures de concertation comprises dans le service.

D’où la nécessité d’aller plus loin dans la reconnaissance des différentes missions : reconnaissance amorcée en 2014 avec la répartition des missions des personnels du second degré en trois blocs. Ce qui a permis de rendre plus visibles un certain nombre de ces missions.

Pour les enseignants du premier degré, c’est la redéfinition des 108 heures et le temps de face-à-face pédagogique qui doivent être réinterrogés. C’est d’ailleurs le mandat du congrès de Dijon.

Des temps de formation et de partage entre professionnels

Lætitia Aresu -
Deuxième condition qui permette aux personnels de prendre toute leur part dans les décisions : prévoir des temps de formation, notamment sur la coopération, qui ne se décrète pas.

Certaines conditions doivent être réunies et il faut intégrer progressivement la culture de la coopération pour susciter l’adhésion aux projets. C’est donc l’une des revendications du Sgen que les équipes de travail soient formées à travailler ensemble, pour être plus autonomes dans l’exercice de leurs missions. Ce qui rejoint aussi la question de la confiance.

Une autre condition essentielle est de se donner le temps de la réflexion et du partage entre professionnels : une démarche qui peut contribuer à l’acquisition de connaissances et de compétences et permettre la continuité des projets.

À ce titre, le Sgen revendique des temps de supervision et/ou d’analyse de pratiques, notamment dans le cadre de la mise en œuvre de l’école inclusive au sens large (enfants en situation de handicap mais aussi ceux en grande difficulté scolaire).

À l’heure où les besoins de différenciation pédagogique s’amplifient et après deux ans de crise sanitaire, il est essentiel de pouvoir partager ces difficultés et de réfléchir collectivement aux solutions envisageables.

Au Sgen, nous faisons le pari qu’une réelle coopération professionnelle entre tous les personnels d’un même lieu de travail permette plus de solidarité et impacte positivement le climat scolaire. Parce que les personnels ainsi organisés sont mieux au travail et parce que la coopération permet de mieux se connaître. »