Du secondaire au supérieur, repenser les parcours des élèves et étudiants (AG du Sgen-CFDT)
« Il serait bienvenu d’avoir une communication plus claire et affirmée sur le potentiel des formations professionnelles du secondaire, notamment les filières industrielles, pour lesquelles les indicateurs d’insertion sont au moins aussi bons que dans certaines formations d’enseignement supérieur », déclare Isabelle Recotillet, économiste du travail et spécialiste de l’évaluation des politiques publiques en matière d’emploi et de formation professionnelle. Elle s’exprime au cours de la table ronde « Repenser les parcours des élèves et étudiants pour un système juste, équitable et durable », à Dijon le 24/02/2022, lors de l’assemblée générale des syndicats du Sgen-CFDT.
Autre intervenante, Élise Huillery, professeure d’économie à l’université Paris-Dauphine et à Sciences-Po. « Depuis 2010, on note un décrochage assez préoccupant de la dépense par étudiant, qui augmentait jusque-là. À l’université, la période 2010-2020 a vu une augmentation de 20 % des effectifs, pour une baisse du nombre d’enseignants de 2 %. L’université craque et les conditions de formation ne sont plus du tout à la hauteur », affirme la co-auteure d’une note pour le Conseil d’analyse économique sur l’investissement dans l’enseignement supérieur, axée sur les questions qu’équité et d’égalité.
Alexis Torchet, secrétaire national à la politique éducative au Sgen-CFDT, revient pour sa part sur ce que propose le syndicat pour améliorer et reconnaître l’accompagnement des parcours des élèves : « Au Sgen-CFDT, nous sommes très attachés à la question de l’accompagnement des parcours scolaires, car elle rime avec construction de l’émancipation des individus. Cela fait écho à ce que le syndicat porte en termes d’accompagnement des parcours professionnels, et cela se retrouvera dans le projet de résolution que nous préparons pour le congrès confédéral de juin prochain. »
News Tank, qui animait les échanges lors de l’AG du Sgen-CFDT, vous propose une synthèse des interventions.
« L’orientation en bac professionnel reste encore trop souvent un choix par défaut » (Isabelle Recotillet)
« L’enseignement professionnel dans le cycle secondaire a été profondément modifié. D’une part, par la réforme de 2008, qui a conduit à homogénéiser la durée des études menant au bac pour les filières générales, technologiques et professionnelles. D’autre part, plus récemment, par la réforme de 2018, qui a conduit à modifier les circuits de financement de l’apprentissage.
Aujourd’hui, deux diplômes principaux peuvent être obtenus par la voie professionnelle (sous statut scolaire ou par apprentissage) : le CAP Certificat d’aptitude professionnelle et le bac pro. Le premier est en perte de vitesse au profit du second, qui accueille plus de 500 000 élèves, de la seconde à la terminale, c’est-à-dire environ 40 % des lycéens. Avec toutefois des effectifs en baisse régulière, jusqu’à une stabilisation récente en 2020. Un point sur lequel il faut s’interroger.
Déficit d’image persistant
À la rentrée 2020, 25 % des élèves de 3e ont intégré une formation professionnelle, davantage en seconde pro qu’en CAP. Les vœux vers la filière pro ne sont pas les premiers choix des élèves et des familles, notamment quand celles-ci sont de niveau social plutôt élevé. La question des inégalités sociales se joue donc au moment de l’orientation, dès la classe de 3e.
En France comme ailleurs dans l’ODCE, la voie professionnelle souffre d’un déficit d’image comparativement aux voies technologiques et générales. Cette voie est encore trop souvent perçue comme une orientation par défaut.
L’orientation professionnelle concentre aussi plus d’élèves avec du retard scolaire et reflète, depuis des années, une reproduction sociale très forte, qui perdure malgré les réformes. Plus d’un élève sur deux de la voie pro est enfant d’ouvrier, de retraité ou d’inactif, contre un sur trois en formation technologique ou générale.
La réforme du bac pro a toutefois amélioré l’image de la voie professionnelle. Le fait que ce soit un bac, comme dans les autres filières, est un point très positif, même si la question de la poursuite des études se pose. Aujourd’hui, 6 bacheliers pros sur 10 poursuivent leurs études, dont la moitié en STS Sections de technicien supérieur . Mais 7 % seulement continuent en licence et le taux d’abandon y reste très élevé.
Un positionnement qui fait question
Cette mise en tension a fait émerger de nouveaux enjeux autour du positionnement du bac pro dans le système éducatif.
- »Faut-il renforcer la composante générale, dans une logique de socle commun dans le secondaire ?
- Faciliter davantage l’accès à l’enseignement supérieur et si oui, de quelle manière, comment et jusqu’où ?
- Penser différemment l’acquisition des diplômes professionnels, dans une logique de flexibilité et de modularisation, avec par exemple le développement des blocs de compétences ?
- Ou encore réduire une offre de formation au nombre de spécialités jugé pléthorique, au risque d’être illisible pour les futurs élèves comme pour les futurs recruteurs ?«
Enseignement supérieur : « Les écarts d’investissement entre filières aggravent encore les inégalités sociales » (Élise Huillery)
« On observe d’importantes disparités dans l’investissement à la formation entre les différentes filières.
Notre étude a considéré les coûts de formation en termes d’enseignement, d’équipement, d’infrastructures, en bref tout ce qui est associé à la formation d’un étudiant.
- Sur une licence en langues étrangères, l’investissement, sur trois ans, est d’un peu moins de 11 000 euros, contre 25 000 euros, par comparaison, pour le BTS, qui se fait en deux ans.
- Un master de droit, c’est 15 000 euros sur cinq ans, soit un investissement par an extrêmement faible si on le compare avec le master sciences et technologies (mathématiques-ingénierie-informatique), et où l’investissement s’élève à plus de 31 000 euros.
- Quant aux diplômes d’ingénieurs, pour deux ans de prépa plus trois ans d’école, on arrive à 60 000 euros. »
Gaspillage humain et financier
Comment expliquer ces écarts ? Ils ne sont dus ni aux salaires des enseignants, ni aux supports administratifs, aux infrastructures ou aux équipements. En réalité, seuls deux facteurs sont pertinents : l’encadrement, en termes d’étudiants par enseignant, et le volume horaire. Mais on ne peut pas faire aussi bien avec moins !
On constate que les taux de réussite “à l’heure“, à savoir dans le temps imparti pour la formation ou en retard d’un an, sont directement corrélés à l’investissement consenti dans la formation. Ce qui n’est pas lié à un profil scolaire de départ, car, par exemple, celui des élèves de BTS est un peu moins bon, en moyenne, que celui des étudiants de licence.
On peut donc a minima émettre l’hypothèse que l’investissement dans la formation joue énormément dans les abandons et les redoublements dans les différentes filières. Avec un gaspillage humain et financier important, étant donnés les taux de réussite en licence, inférieurs à 40 %.
L’État investit deux fois plus sur les enfants de familles aisées
Ces inégalités sont encore creusées par les inégalités sociales. Cela saute aux yeux si l’on considère le montant investi dans la formation pour les enfants, entre 6 et 24 ans, en fonction du décile de revenu des parents.
Alors qu’on est à niveau inférieur à 10 000 euros au total pour les 40 % de familles les plus pauvres, ce montant s’élève à plus de 28 000 euros pour les 10 % les plus riches.
Si l’on s’attache à la part publique et la part privée supportée par les familles, on voit que l’État investit deux fois plus sur les enfants de familles aisées que sur ceux de familles populaires ou classes moyennes inférieures.
La principale raison, c’est que l’accès à l’enseignement supérieur lui-même est très différencié en fonction du revenu des foyers.
La seconde est liée au type de parcours suivi : dans les écoles d’ingénieurs, on retrouve beaucoup plus d’enfants des déciles les plus hauts que des plus bas. Par ailleurs, les filières les plus dotées sont aussi celles qui accueillent les enfants les plus favorisés. Avec un bémol du côté des licences, accueillant moins d’élèves défavorisés que les BTS et finalement moins bien dotées qu’eux.
Des mesures à 7 milliards pour améliorer le système
Nous avons chiffré différentes recommandations visant à améliorer l’efficacité et l’équidé dans l’enseignement supérieur.
- D’abord, créer des places supplémentaires dans les filières courtes (BTS et BUT), très demandées, qui marchent bien et qui amènent à de beaux parcours. Et surtout, renforcer les moyens en licence et en master, des filières qui “crèvent de faim“ et qui, du coup, pénalisent beaucoup les étudiants qui n’y réussissent pas bien.
- Ensuite, revaloriser les bourses, insuffisantes pour réellement permettre aux enfants de familles défavorisées de faire des études ; augmenter l’accès au logement étudiant, pour leur permettre d‘aller étudier dans les grandes villes.
- Troisième recommandation : mettre en place des mesures plus volontaristes en termes de quotas ou de bonifications dans les filières sélectives, les mieux dotées. Et communiquer davantage, en amont de Parcoursup, sur les coûts et les bénéfices des formations.
- Enfin, créer des postes d’enseignants pour ne pas baisser le niveau d’encadrement qui, notamment à l’université, est déjà très limité. Une facture estimée à 7 milliards. »
« Relancer la politique des cycles, pour améliorer le rapport au travail des élèves comme des enseignants. » (Alexis Torchet)
« Le parcours d’un jeune dans le système de formation initiale, c’est 15-20 ans. Question : est-ce que c’est 15 ou 20 fois un an ou 15-20 ans ? Et quels effets cela a-t-il sur le rapport au travail ? Une question qui avait donné lieu, lors des ministères Peillon et Vallaud-Belkacem, à la mise en place de la politique des cycles, avec l’acquisition du socle commun dans la scolarité obligatoire. Mais aussi à la lutte contre le décrochage avec les MLDS (missions de lutte contre le décrochage scolaire).
Ainsi qu’à la création - avec moins de succès, car s’empilant déjà sur d’autres dispositifs existants - de différents parcours dans la scolarité obligatoire : parcours citoyen, parcours Avenir…
Autre mesure intéressante : l’orientation des élèves de lycées professionnels vers le BTS par le conseil de classe de terminale, là aussi dans une logique de parcours, pas par l’aval mais par l’amont.
Retour dommageable à la logique annuelle sous Blanquer
Autant d’éléments mis sous le boisseau par le mandat Blanquer. Depuis cinq ans, on est revenus à la référence annuelle, avec un professeur, une classe, une année et un programme.
Avec toutefois quelques velléités de logiques pluriannuelles : l’inclusion scolaire, l’extension du dispositif bac pro-BTS, la logique bac moins 3 - bac plus 3… Mais c’est allé de pair avec un certain nombre d’incohérences, car d’un côté dans le supérieur on a mis en place le dispositif « oui si », et de l’autre, dans le scolaire, on a supprimé l’accompagnement personnalisé en cycle terminal.
Ce cadre annuel a explosé avec la pandémie et ne tient plus depuis deux ans. Il oblige à des adaptations en urgence de toutes les procédures, avec une logique intenable, pour les personnels comme pour les élèves : celle du rattrapage du temps perdu, du CP à la terminale. C’est source de pression, de tensions et cela interroge le sens du travail.
Différentes revendications syndicales
Au Sgen-Cfdt, nous proposons de relancer la politique des cycles, dans la scolarité obligatoire et au cycle terminal du lycée. Pour dessiner une continuité première-terminale, nous avons des propositions en termes de tutorats multi-âges, sur au moins deux ans.
La question se pose aussi de la manière de faire évoluer la logique de certification et de délivrance des diplômes, puisque - comme l’a notamment montré le débat du mois de mars sur les épreuves de spécialités - l’examen terminal pose des problèmes croissants en termes d’organisation et de sentiment d’injustice.
Il faudrait aussi se pencher sur la question des certifications en cours de formation : un chantier beaucoup plus avancé dans la formation professionnelle que dans l’initiale.
Autre élément revendicatif : intégrer la concertation dans les obligations de service des personnels. En effet, pour nous l’accompagnement des parcours des élèves doit se faire en équipes pluriprofessionnelles : enseignants, psy-EN Psychologues de l’éducation nationale , AESH Accompagnants d’élèves en situation de handicap , CPE Conseiller principal d’éducation et équipes de direction.
Mieux reconnaître l’accompagnement des parcours scolaires
Cette concertation permettrait de remplir un vide béant en termes de reconnaissance des missions d’accompagnement - professeurs principaux ou enseignants référents - notamment au lycée, avec les fameuses 54 h [d’accompagnement dédié au projet d’orientation des élèves de seconde] instaurées par la loi « Avenir professionnel ».
Cela permettrait aussi de conforter des dispositifs que nous avions défendus, comme les conseils école-collège, et peut-être aussi d’initier d’autres éléments importants, tels que des conseils collège-lycée mais lycée-enseignement supérieur, avec la question de Parcoursup. Tout cela oblige à investir dans l’enseignement scolaire.