Think Education : « Créer des cadres de liberté évolutifs et féconds » (François Taddei)
« Nous avons besoin d’une réflexion systémique sur l’éducation à tous les âges de la vie, il faut agir à tous les niveaux. Notre système éducatif faisait partie des meilleurs au 19e siècle. Mais aujourd’hui, il faut créer des cadres de liberté évolutifs et féconds », affirme François Taddei, fondateur du CRI
Centre de recherches interdisciplinaires
, lors de sa master class pendant la journée Think Education organisée par News Tank à l’université Paris-Dauphine le 02/02/2016.
« Il est très difficile de prévoir quels seront les métiers de demain. La question est donc comment on permet à nos étudiants de s’adapter et de penser fondamentalement différemment. Voilà l’enjeu majeur pour l’ESR
Enseignement supérieur et recherche
. On peut espérer que le PIA 3 nous incite à créer une dynamique différente de celle qui existe aujourd’hui. »
« La VAE
Validation des acquis de l’expérience
peut être un réel avantage pour notre pays si nous sommes capables de la faire évoluer de la bureaucratie vers le numérique. Cela peut nous rendre très attractifs à l’échelle mondiale. »
Le monde de demain
« Le monde change très vite. Il y a 35 ans, Shenzen était un petit port de pêche chinois. Aujourd’hui c’est une ville de 18 millions d’habitants qui cherche à construire l’université du 21e siècle. Ces changements ne sont pas simplement l’internationalisation et la compétition, il faut penser la coopération entre les nations pour conserver une planète viable avec bientôt 10 milliards d’habitants. »
Quelles compétences ?
« Nous avons besoin de penser très différemment. Les compétences des métiers les plus demandés et les compétences que la machine ne sait pas bien faire sont les mêmes et doivent être nos objectifs. Il s’agit de :
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la créativité ;
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l’esprit critique ;
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la capacité à communiquer avec d’autres humains ;
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la capacité à collaborer ».
Quels défis ?
« Les Nations-Unies ont défini 17 objectifs de développement durable pour transformer notre monde. Ces grands défis parlent du droit des femmes, de la pauvreté, de l’éducation et de garder notre planète vivable pour toujours plus de population. »
Changer le système éducatif
« Notre système éducatif repose davantage sur la compétition, la mémorisation et les connaissances des solutions d’hier que sur la capacité à collaborer pour trouver de nouvelles solutions. Une transformation est essentielle. Si on n’y arrive pas, il ne faudra pas s’étonner si un certain nombre de solutions nous sont imposées par l’extérieur. »
Changer l’éducation en changeant le monde
Comment mobiliser l’intelligence collective des étudiants pour résoudre, les défis de notre temps ? »« La question, c’est de révolutionner l’éducation tout en contribuant à relever les défis majeurs du monde. Comment mobiliser l’intelligence collective des étudiants pour résoudre les défis de notre temps ? L’éducation, c’est un défi qui permet aussi de préparer les jeunes au monde de demain. Si on invite nos élèves et nos étudiants à prendre conscience de ces objectifs et à contribuer à la recherche de solutions, au moins en partie, localement, on fait œuvre utile pour leur formation et pour rendre cette planète le plus agréable à vivre possible. »
« Par exemple, je discute avec les Nations-Unies, et notamment l’Unesco, sur la manière de mobiliser les étudiants sur le thème des villes durables. »
Nécessaire changement de paradigme pédagogique
- « Nous sommes en train de découvrir que les enfants et les étudiants ont un cerveau, découverte majeure ! Les résultats des sciences cognitives démontrent que les enfants naissent chercheurs et philosophes. Ils ont une grande capacité à questionner le monde, à apprendre de leurs erreurs et à partager leurs résultats. Les plus jeunes auteurs scientifiques au monde ont 8 ans. »
- « Face à Internet, sans esprit critique, face à l’hétérogénéité des informations disponibles, on tombe facilement dans des dérives. Il faut donc accompagner les enfants et les étudiants. »
- « Au CRI Centre de recherches interdisciplinaires , nous avons un programme, les “Savanturiers”, d’enfants chercheurs. Globalement, il faut apprendre à accompagner le questionnement des enfants. Quand un enfant pose une question dont vous n’avez pas la réponse, c’est une chance, il faut apprendre à s’en saisir. »
- « Je crois en la notion d’excellence, mais sur quels critères ? Si l’on sélectionne sur des compétences pour lesquelles la machine est excellente, est-ce que cela est utile pour demain ? »
Changer le système de carrière des enseignants-chercheurs
« La capacité à enseigner de manière innovante est tout sauf un critère de recrutement et de promotion dans notre gestion des carrières des enseignants-chercheurs. Nous évoluons dans un système extrêmement disciplinarisé, et bloqué au niveau local et national par le CNU Conseil national des universités , mais il faut savoir s’en défaire. »
- « Quand j’ai créé une école doctorale pluridisciplinaire, on m’a demandé dans quelle section je voulais inscrire mes étudiants. J’ai répondu “je ne sais pas comment je vais les faire rentrer dans le CNU, mais si notre système ne les accueille pas, je serai plus inquiet pour notre système que pour eux”. Et de fait, chaque année, nous perdons des talents qui partent à l’étranger parce qu’ils ne peuvent pas s’exprimer en France. »
« Nous devons créer des cadres de liberté évolutifs et féconds, permettre aux enseignants-chercheurs et aux étudiants de créer, avec une nouvelle méthode d’évaluation. Pourquoi ne pas créer une section blanche au CNU ? il faut inventer de nouvelles formes de reconnaissance. »
« Le CRI a commencé il y a douze ans dans 10 mètres carrés, par la réunion de personnes qui voulaient faire quelque chose de différent ensemble. Depuis, nous doublons de taille tous les dix mois. Il est possible de créer. »
Des doctorants multidisciplinaires qui choisissent leur sujet
Aucune discipline n’est plus intelligente que l’ensemble des disciplines »« Nous avons besoin d’offrir un maximum d’ouverture à nos doctorants. Les découvertes essentielles du 20e siècle ont été réalisées par des personnes qui avaient voyagé géographiquement ou intellectuellement, des personnes avec une fibre artistique, capables d’accepter l’incertitude et la complexité du monde. »
« Aucune discipline n’est plus intelligente que l’ensemble des disciplines. Il faut donc intégrer ces différents regards et éviter que les jeunes se déforment à vouloir entrer dans des cases trop serrées. »
- « Au CRI, les doctorants choisissent eux-mêmes leur sujet de thèse. Pour nous, c’est très important, cela donne des degrés de liberté, des capacités d’exploration. Les premières personnes de l’AERES venues nous évaluer ont eu du mal à nous croire. »
- « Nous incitons nos doctorants à créer des clubs sur les sujets qu’ils veulent chaque année. Ils disposent des locaux, de moyens et cela fait émerger des projets très fertiles. Ils créent eux-mêmes leur cadre de liberté évolutif et fécond. »
- « Nous n’avons jamais donné un cours sur l’entrepreneuriat, mais beaucoup sont devenus entrepreneurs. Je crois que c’est parce que nous leur avons permis d’entreprendre concrètement en créant un cadre de liberté qui autorise l’erreur. »
Bibliothèques : des lieux de partage et de certification du savoir
« Les bibliothèques sont des lieux qui doivent évoluer. Nous passons d’un monde très hiérarchisé, où elles représentent le lieu du savoir à un monde très distribué, où le savoir est partout, et elles doivent devenir des lieux de convivialité et de partage qui permettent de s’assurer de la qualité de la connaissance. »
« Comment s’assurer de la qualité des connaissances disponibles ? On peut imaginer qu’au lieu d’avoir des “likes” (comme sur Facebook) différents types d’acteurs valident un contenu. Un livre recommandé par des professeurs et des étudiants n’aurait pas la même valeur qu’un livre recommandé par un créationniste. On peut imaginer de nouvelles formes de validation croisée des données et inventer de nouvelles manières de labelliser la connaissance et sa qualité.
Comment est-ce qu’on crée une carte des connaissances et des formations, dans laquelle on peut savoir où on est et où en va, comment on peut y aller et éventuellement avec qui ? Et vous pourriez faire des zoom in et des zoom out. Ce genre d’outil devrait être public, en open source, avec des open data, dans lequel on peut tous contribuer, en “open cia, open collective agengy”. Comment pourrait-on rendre aux étudiants, à tous les citoyens, des informations sur eux-mêmes, qui les aident à mieux se former, à mieux apprendre, à détecter des opportunités, éventuellement près de chez eux.
La fourmilière est un écosystème apprenant. »C’est une vision bio-inspirée. Je ne connais personne qui maîtrise l’ensemble du Web ou de l’ensemble des connaissances. Aucune fourmi n’a une connaissance de l’ensemble de son environnement physique. Mais quand une fourni trouve une ressource, de la nourriture par exemple, elle va laisser une trace qui va permettre aux autres fourmis de trouver plus facilement de la nourriture. La fourmilière est donc un écosystème apprenant.
On peut imaginer exactement la même chose sur le Web et dans le monde de la connaissance. Chaque fois qu’un étudiant aurait appris quelque chose, un autre étudiant pourrait apprendre la même chose plus facilement, chaque fois qu’un étudiant innoverait, un autre étudiant pourrait innover plus facilement, chaque fois que quelqu’un se serait engagé, quelqu’un d’autre pourrait s’engager plus facilement.
Si on est dans le partage d’expérience, tout en respectant l’anonymat, qui est essentiel, on peut créer des cartes des connaissances dynamiques, dans lesquelles chacun d’entre nous explore une partie des connaissances du Web et décider de partager ce qui lui a paru pertinent pour ses apprentissages.
Cela me fait une sorte d’open portfolio des choses que j’ai progressivement acquises, quitte à ce qu’on réinvente progressivement la validation des acquis de l’expérience en disant : “si vous avez appris tout ça, vous avez peut-être l’équivalent d’une licence. Venez en parler dans notre université”. La VAE est essentielle et une chance pour la France. Il y a très peu de pays qui la pratiquent. Si on est capables de faire autre chose que de la bureaucratie, si on arrive à la faire entrer dans le monde numérique, on peut être extrêmement attractifs à l’échelle mondiale. »
« Le MIT Massachusetts Institute of Technology signe des collaborations avec les bibliothèques municipales de la ville de Chicago. Nous avons mis la mairie de Paris en contact avec eux car le modèle peut être dupliqué. Les bibliothèques municipales deviennent des lieux de co-apprentissage, où, par exemple, se retrouvent les personnes qui suivent un même Mooc Massive open online courses . Une sorte de classe inversée à la bibliothèque, où le bibliothécaire doit être formé à l’animation de ce “Learning circle”. »
François Taddei
Directeur @ Institut Innovant de Formation par la Recherche
Fondateur @ Learning Planet Institute (LPI)
Professeur @ Université Paris 5 - Descartes
Directeur de recherche @ Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
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Parcours
Directeur
Fondateur
Professeur
Directeur de recherche
Chercheur
Établissement & diplôme
Diplômé
Doctorat en génétique moléculaire
Fiche n° 13751, créée le 18/10/2015 à 22:13 - MàJ le 23/03/2017 à 15:38
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