Les mathématiques au lycée, une polémique inutile ? Première chronique de Daniel Auverlot pour News Tank
« À quand une réflexion de fond sur l’enseignement des mathématiques de l’école maternelle à l’université, à partir d’une analyse fine des évaluations nationales, envisageant les modalités les plus efficaces d’accompagnement des enseignants ? », interroge Daniel Auverlot, administrateur de l’État, inspecteur général honoraire et ancien recteur, dans sa première analyse pour News Tank, le 19/09/2025.
En 2026 aura lieu la première session d’une nouvelle épreuve de mathématiques pour tous les élèves de première générale, en réponse notamment aux résultats peu favorables de l’enquête Pisa
Programme international pour le suivi des acquis des élèves
. « Mais penser que l’introduction d’1h30 de mathématiques et la création d’une d’épreuve en fin de première vont suffire à inverser la tendance est bien illusoire », écrit Daniel Auverlot.
Pour lui, « le mal vient de plus loin » : « c’est à l’école maternelle que déjà des différences se créent en fonction de l’origine sociale, même si le dévouement et le sérieux des enseignants y sont sans limite ».
Pour améliorer les résultats, celui qui a présidé le conseil d’évaluation de l’école d’août 2023 à août 2025 met en avant la nécessité de changer « radicalement » la formation initiale des enseignants, mais aussi de mieux les accompagner une fois dans leur classe, avec une attention renforcée pour ceux de maternelle.
« Le mal vient de plus loin »
Dès la session 2026 tous les élèves de première générale passeront une épreuve de mathématiques destinée à évaluer leur connaissance, dont la note figurera dans Parcoursup.
C’est la conséquence d’une double cause : la réforme du lycée avait eu pour conséquence de limiter le nombre d’élèves recevant un véritable enseignement des mathématiques, même si Jean-Michel Blanquer avait réintroduit en 2023 un enseignement d’1h30 dans le tronc commun, cet ajout ne faisant pas l’objet d’une évaluation sous forme d’épreuve.
Par ailleurs les résultats de Pisa 2022 montrent une forte baisse par rapport à 2012, même si la France reste dans la moyenne des pays de l’OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
, dont la cause principale serait pour tous les pays la crise sanitaire. Comme à chaque fois des résultats peu favorables amènent une réaction symbolique du ministère.
Mais penser que l’introduction d’1h30 de mathématiques et la création d’une d’épreuve en fin de première vont suffire à inverser la tendance est bien illusoire. En effet le mal vient de plus loin : les résultats de l’évaluation TIMSS Trends in Mathematics and Science Study au CE1 et en quatrième, parue fin 2024, montrent bien que la France est à la traîne, tant pour le pourcentage d’élèves les meilleurs que pour les plus faibles.
Des différences se créent dès la maternelle
De la même manière les évaluations CP Cours préparatoire et CE1 du début d’année 2024 sont très préoccupantes : ce ne sont pas des évaluations sur échantillon, mais bien sur une classe d’âge entière, elles sont donc très fiables. Les items « positionner un nombre sur une échelle de nombre » et « résoudre des problèmes » montrent des taux d’échec importants à la fois en fonction de l’origine sociale et du genre. En effet l’écart entre les élèves hors éducation Prioritaire et les élèves en REP Réseau d’éducation prioritaire + reste considérable, même s’il y a eu en trois ans un léger resserrement.
Puisque les évaluations ont lieu en début de CP, c’est donc à l’école maternelle que déjà des différences se créent en fonction de l’origine sociale, même si le dévouement et le sérieux des enseignants y sont sans limite. Par ailleurs à l’entrée au CP les filles et les garçons ont des résultats identiques, au milieu de CP un écart de creuse au profit des garçons, À l’entrée au CE1 l’écart est creusé. Or, ces écarts existants dès le CP ou le CE1 en fonction de l’origine sociale et du genre ne se réduisent pas ensuite : l’école élémentaire les creuse et le collège ne sait pas les résorber.
Les évaluations, instrument de mesure des résultats insuffisamment exploité
Pourtant la France a l’avantage de s’être dotée d’un incroyable instrument de mesure des résultats des élèves, unique sans doute au monde : les évaluations exhaustives permettent d’analyser domaine par domaine le niveau des élèves au CP, à la mi CP, au CE1, au CE2, au CM1, au CM2, en sixième, en quatrième, et depuis cette rentrée en cinquième. Ainsi nous disposons de tous les capteurs nécessaires, permettant de réagir. Pisa 2032 sera passé par des élèves qui sont à cette rentrée 2025 au CE2.
Or je ne vois pas de grandes leçons tirées des évaluations susceptibles d’améliorer nos résultats de manière spectaculaire en quelques années. Qui à cette rentrée propose d’exploiter des résultats maintenant particulièrement robustes pour s’en servir comme d’un véritable outil de pilotage du premier degré ? Bien sûr les programmes évoluent, mais un changement de programme à lui seul n’a jamais suffi à modifier les pratiques pédagogiques et didactiques de nos enseignants. Un exemple : la proportionnalité va être enseignée dès la première année du cycle 3. Nos enseignants de CM1 sont-ils plus à l’aise que leurs collègues du CM2 pour enseigner cette notion ? Qui va les accompagner et les aider ?
Certes dans le premier degré, la mise en œuvre des constellations en mathématiques, un procédé de formation qui repose sur la collaboration des enseignants entre eux sous le regard expert d’un conseiller pédagogique, a trouvé son public et donne satisfaction. Mais au bout de cinq ans de ce dispositif, personne n’est en mesure d’en évaluer les bénéfices puisqu’il n’y a pas eu de protocole d’évaluation imaginé lors de sa mise en œuvre.
Trois chantiers pour améliorer les résultats
Aujourd’hui l’amélioration de nos résultats passe par trois chantiers considérables, dans la durée.
D’abord un changement radical dans la formation initiale. Le concours de professeur des écoles, à bac + 4 ou bac + 5, était passé par des candidats dont l’immense majorité avait suivi une licence « littéraire » ou « sciences humaines ». Les deux années de master ne suffisaient absolument pas à armer nos enseignants en particulier en didactique des mathématiques. De là, et je l’ai constaté quand j’étais inspecteur général dans le groupe degré, des enseignants consciencieux qui essaient de préparer leur classe du mieux possible, mais en ayant conscience de leurs lacunes.
Espérons que la mise en œuvre d’un concours à bac + 3 reposant sur des licences pluridisciplinaires, avec ensuite un véritable master professionnalisant sera à même de donner les compétences nécessaires aux futurs maîtres. Mais l’effet d’une telle réforme ne se fera pas sentir immédiatement dans les résultats des élèves : il y avait 9 300 postes aux différents concours de recrutement en 2025, pour un nombre total de 360 000 enseignants. Si on continue sur une trajectoire identique de recrutement, ce qui n’est pas sûr avec la baisse démographique, la nouvelle formation dans dix ans aura concerné moins du tiers de l’effectif global.
Mieux accompagner les enseignants…
Ensuite l’accompagnement de nos enseignants : il y a une véritable interrogation sur leur temps dont disposent les IEN Inspecteur de l’éducation nationale et les conseillers pédagogues pour aller vraiment dans la classe, avec une posture d’aide et d’appui. Cela nécessite un recentrage et une priorisation : chacun s’accorde à reconnaître que le temps passé à accompagner les enseignants est insuffisant, mais des missions de toute nature continuent à s’empiler et même se rajoutent.
… notamment ceux de maternelle
Enfin la spécificité de l’école maternelle : aujourd’hui un enseignant peut passer l’espace d’un été, après une mutation privilégiant un choix géographique, du CM2 à la petite section, sans formation particulière. Apprendre à des en enfants de trois à cinq ans, en particulier des mathématiques, devrait être une spécialité reconnue et identifiée comme telle. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
On le voit, nous sommes bien loin du lycée : à quand une réflexion de fond sur l’enseignement des mathématiques de l’école maternelle à l’université, à partir d’une analyse fine des évaluations nationales, envisageant les modalités les plus efficaces d’accompagnement des enseignants ?
Le parcours de Daniel Auverlot
Après un début de carrière dans l’enseignement, Daniel Auverlot a été IA-DASEN de trois départements (Mayenne, Maine-et-Loire, Seine Saint-Denis) et devient en mars 2012 inspecteur général dans le groupe enseignement primaire de l’Igen jusqu’en 2014, puis sous-directeur de l’évaluation et de la performance scolaire à la Depp (direction de l’évaluation de la prospective et de la performance) au ministère de l’Éducation nationale de 2014 à 2017.
En mars 2017, il est nommé recteur, d’abord de l’académie de Limoges, puis de l’académie de Créteil en février 2018, jusqu’en juillet 2023. Il est ensuite nommé président du conseil d’évaluation de l’école jusqu’en août 2025.

Parcours
Recteur
Recteur
Sous-directeur évaluations et performance scolaire
Inspecteur général de l’éducation nationale
Inspecteur d’académie - directeur académique des services de l’Éducation nationale de la Mayenne, du Maine et Loire et de Créteil
Inspecteur d’académie adjoint du Val-de-Marne
IA-IPR
Directeur de cabinet du recteur
Détaché au ministère de la Défense, d’abord à l’École militaire de Strasbourg puis à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan,
Établissement & diplôme
Agrégation de lettres classiques
DEA de sociologie
Fiche n° 21903, créée le 15/03/2017 à 15:21 - MàJ le 19/09/2025 à 11:22