Antisémitisme : « Il n’y a pas de déni » dans l’ESR ; G. Gellé face aux critiques de sénateurs
« Il n’y a pas de déni. Nous qualifions les choses comme elles doivent l’être : l’antisémitisme est un délit, il faut le combattre. Nos universités essaient de le faire au meilleur niveau et il faut nous aider à renforcer un certain nombre de points. La question des moyens, qui n’est pas la réponse à tout, mérite d’être posée », déclare Guillaume Gellé
Président @ France Universités
, président de France Universités, au Sénat, le 10/04/2024.
Il s’exprime lors d’une audition par la commission culture et éducation, qui « marque le début des travaux de la mission flash consacrée à la question de l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur », selon le président de la commission, Laurent Lafon.
Le président de France Universités répond à des interventions de plusieurs sénateurs LR
Les Républicains
, dont Max Brisson et Bruno Retailleau, qui voyaient dans ses propos un « déni » face à la réalité.
Malgré un « doublement des actes antisémites dans les établissements d’ESR
Enseignement supérieur et recherche
depuis le 07/10/2023 », Guillaume Gellé indique que « la main des présidents ne tremble pas ». Il donne l’exemple de la tentative d’interruption d’une conférence de l’UEJF
Union des étudiants juifs de France
à Sorbonne Nouvelle, le 04/04. « Daniel Mouchard, président de l’université, a immédiatement réagi et exigé le retrait d’une banderole et l’arrêt de la tentative de blocage, puis saisi les instances disciplinaires de l’université pour engager les poursuites adaptées ».
Après l’audition, France Universités a publié un communiqué indiquant que « ces attaques [des élus] relèvent de la propagande et du mensonge ».
Isabelle de Mecquenem, philosophe et référente racisme et antisémitisme à l’Urca
Université de Reims-Champagne-Ardenne
, également auditionnée, plaide pour une formation obligatoire des étudiants, à l’image du module sur les TEDS
Transition écologique pour un développement soutenable
, « car il y a un travail pédagogique à faire de clarification des notions historiques, politiques ».
Des faits en hausse sur les campus depuis les attaques terroristes du Hamas
Le président de France Universités rappelle les résultats d’une enquête flash réalisée en mars et dévoilée lors d’une audition à l’Assemblée nationale le 25/03.
Sur 82 établissements d’ESR ayant répondu, on compte :
- 67 actes antisémites recensés depuis le 07/10/2023, contre 33 en 2022-2023;
- six saisines de commissions disciplinaires pour des faits d’antisémitisme, contre 11 pour 2022/2023;
- 14 signalements par les établissements au procureur de la République au titre de l’article 40 (contre quatre en 2022-2023) ;
- huit plaintes déposées par des établissements pour des faits d’antisémitisme (contre cinq en 2022-2023).
Selon Isabelle de Mecquenem, « la guerre actuelle au Proche-Orient a suscité une polarisation idéologique sur les campus. Mais le phénomène n’est pas nouveau non plus. Il s’est déjà produit à l’occasion d’autres événements politiques. »
Si elle estime que cette guerre « n’a pas libéré la parole antisémite, parce que l’antisémitisme est latent, elle a légitimé l’expression antisémite, ce qui peut expliquer sa force et également la difficulté pour juguler ce phénomène ».
Un décalage entre les signalements et les poursuites
Interrogé sur la différence de chiffres entre les cas signalés et les poursuites disciplinaires, Guillaume Gellé y voit le fait que les processus disciplinaires prennent du temps.
« Il s’agit d’une enquête administrative assez poussée donc il nous faut recueillir les témoignages, etc. Et à partir du moment où les présidentes et présidents d’université ont l’ensemble de ces données, s’il y a matière à sanction, bien évidemment ils organisent les poursuites disciplinaires.
Puis les sections disciplinaires les traitent dans un délai qui peut prendre aussi un peu de temps au vu du nombre de cas à traiter. Dans certains cas, il y a un dépaysement qui est organisé, avec des saisines de recteurs de région académique. »
Selon lui, ces chiffres devraient se rejoindre dans quelques mois.
Un manque de données sur les sanctions
Concernant les sanctions qui ont été prises à la suite de ces poursuites, Guillaume Gellé indique ne pas avoir ces données. « Mais je pense que nous pouvons y travailler. Il y a une différente gradation de sanctions qui va jusqu’à l’exclusion définitive de tout établissement d’enseignement supérieur, mais on passe par des étapes intermédiaires qui sont des exclusions temporaires. »
« L’aveu d’absence de connaissance de la sanction, meilleur exemple du déni » (Max Brisson)
« Vous avez fait un diagnostic. Mais vous auriez pu, en tant que président de France Universités, prendre un peu de hauteur et dire que même s’il n’y avait qu’un seul acte antisémite, il eût été intolérable, inacceptable. Et qu’on ne peut pas parler de lutte contre les discriminations, de lutte contre les violences sexuelles et de l’antisémitisme, comme si tout cela appartenait à peu près au même champ d’action. Il y a le caractère particulier, inacceptable, de l’antisémitisme. Il eût été tout à fait heureux que le président de France Universités le dise avant tout autre propos », déclare Max Brisson.
Il ajoute : « Vous n’avez pas pu vous empêcher d’attaquer les élus. Parce qu’après tout, ici, on peut attaquer les élus matin, midi et soir, mais que l’université ne peut jamais être attaquée. On a le droit aussi de critiquer l’université. (…) Vous n’avez pas fait l’inventaire des sanctions dans le champ qui vous appartient. Cet aveu d’absence de connaissance de la sanction est le meilleur exemple du déni dans lequel vous êtes installé. »
Des actes qui restent marginaux
Le président de France Universités indique que la hausse du nombre d’actes d’antisémitisme dans les établissements du supérieur reste « moins importante que dans l’ensemble de la société où cela a été multiplié par quatre. Je vous le concède, un seul serait un de trop, mais il faut comparer avec ce qui se passe en dehors de l’université. Nous sommes pleinement mobilisés pour que ces actes diminuent et pour que derrière, des sanctions soient prises ».
Sur le sujet spécifique des conférences, il indique : « Nos universités respectent la diversité des opinions dans le strict respect de la loi, mais les universités doivent être et sont par essence des lieux de débat, de controverses, d’échange. Ainsi plus de 15 000 conférences, académiques ou non, sont organisées dans nos universités chaque année et nous observons malheureusement quelques rares dérives. Elles sont ultraminoritaires même si elles n’en sont pas moins inacceptables face au fléau de l’antisémitisme. »
Les présidents d’université « ni dans la dénégation ni dans le déni »
« Nos établissements ne sont pas des citadelles fermées au reste de la société, elles sont dans la société et sont traversées par les mêmes problématiques, les mêmes maux. L’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est un délit, un fléau contre lequel nous devons tous nous mobiliser », déclare Guillaume Gellé dans ses propos liminaires. Phrase qu’il répète lors des réponses aux questions.
« Notre responsabilité de présidents d’université est de veiller à identifier, à signaler, à engager des poursuites contre les expressions et les agissements susceptibles de relever de l’antisémitisme, du racisme, ou de l’apologie du terrorisme. »
« Les présidentes et présidents ne sont ni dans la dénégation ni dans le déni face aux expressions de haine, ils n’ont jamais la main qui tremble. Et il est de ce fait déplacé, mais aussi totalement faux, de parler de complaisance et a fortiori de lâcheté des présidents d’université ou de la communauté universitaire. Ce sont là des éléments de langage repris à l’envi, blessant pour celles et ceux qu’ils visent et inutiles pour la cause qu’ils veulent servir.
Il n’y a pas de séparatisme organisé par l’institution universitaire ni d’autonomie vis-à-vis des valeurs de la République. C’est pourquoi les attaques dont les universités font l’objet dans l’espace public de la part d’associations, de leaders d’opinion et parfois d’élus, sont pour nous inadmissibles. »
Les actions de France Universités
Guillaume Gellé revient sur ce que propose France Universités auprès des présidents. « Nous travaillons à l’élaboration de guides pratiques sur les responsabilités des présidents, mais aussi un guide sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme réalisé avec les autres conférences de l’enseignement supérieur et le MESR Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche . »
« Nous organisons des formations, et sommes en train de travailler à une formation plus avancée des présidents et présidentes d’université sur ces sujets », ajoute-t-il, notant que le renouvellement des gouvernances en 2024 et 2025 sera propice à cela.
Il rappelle que France universités « est une association d’établissements autonomes. Bien évidemment nous ne pouvons pas dire aux présidents et présidentes d’université ce qu’ils ont à faire. Ils le font dans le respect de l’autonomie et la connaissance de leur établissement. »
Un réseau des référents qui se structure
Interrogé à plusieurs reprises sur les référents racisme et antisémitisme dans les universités, Guillaume Gellé indique qu’une circulaire de 2024 « systématise leur mise en place et bien évidemment les universités s’en sont saisies. Toutes sont dotées d’un référent. Un réseau existe depuis 2019, il se réunit et est l’interlocuteur du MESR pour ces questions. »
« Les choses se sont structurées et elles ont été systématisées. Récemment, une lettre de mission a même été formalisée, indiquant tous les axes de l’action des référents racisme et l’antisémitisme. Les choses ont progressé, elles se sont clarifiées, elles s’articulent les unes avec les autres », ajoute Isabelle de Mecquenem qui a exercé cette fonction à l’Urca.
Liberté académique : « L’inscription dans la Constitution sera une protection »
Stéphane Piednoir, sénateur LR, interroge Guillaume Gellé pour savoir si « le climat actuel dans les universités qui résulte de la polarisation autour de ces sujets, est de nature à remettre en cause les libertés académiques essentielles dans notre enseignement supérieur ».
« Concernant la liberté académique, France universités demande à ce qu’elle soit inscrite dans la Constitution », indique son président.
« Nous observons à l’heure actuelle, et parfois proche de nous en Europe, des freins aux libertés académiques et nous pensons que l’inscription dans la Constitution sera une protection si, dans notre pays, nous étions à l’avenir soumis à ce genre de pressions. Nous observons ce qui se passe dans certains pays d’Europe de l’Est : Bulgarie, Hongrie notamment. Et nous avons regardé ce qui se passe en Floride où le gouvernement a interdit des disciplines comme la sociologie dans ses universités.
Je compte sur vous Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs pour nous accompagner dans cette inscription dans la Constitution. Nous avons un rapport à ce sujet, en cours de finalisation, qui sera présenté cet été et j’espère que nous aurons l’occasion d’en discuter. »
Les limites à l’action et les pistes d’amélioration
Avoir à disposition la matérialité des faits
« Les présidents d’université sont obligés de se baser sur un certain nombre de faits et d’avoir cette matérialité des faits pour pouvoir engager soit des plaintes, soit des poursuites disciplinaires, soit les deux », déclare Guillaume Gellé. Il répond à des sénateurs indiquant que certains présidents ne réagissent pas toujours face à des faits rapportés d’antisémitisme.
Isabelle de Mecquenem donne l’exemple d’une étudiante en pharmacie qui a fait l’objet d’une agression à caractère antisémite lors d’une soirée d’intégration. « Nous étions évidemment tout à fait prêts à agir, à l’inciter à porter plainte. Elle n’a pas voulu le faire, ni même donner son nom. Elle s’est dit “je préfère ne pas mettre en péril mon intégration dans la promotion, ce qui pourrait se passer si jamais je portais plainte”. Ce que je veux rappeler à travers cet exemple et qu’il ne faut jamais sous-estimer, c’est la peur des victimes », dit-elle.
L’angle mort des événements étudiants hors campus
Guillaume Gellé pointe aussi le fait que les universités peuvent être assez démunies « concernant les moyens d’action sur le plan disciplinaire ou pénal si l’on est sur des groupes de discussion privés. Néanmoins, quand ça se passe dans un groupe d’étudiants, il commence à y avoir des actions prises par les universités, même si dans le cadre réglementaire, nous ne sommes pas dans une responsabilité directe de l’établissement ».
« Néanmoins, il y a vraisemblablement une question juridique sur ce qui passe en dehors de nos campus. Nous incitons les étudiants à porter plainte et nous les accompagnons pour porter plainte - nous le faisons beaucoup en matière de lutte contre les VSS Violences sexuelles et sexistes . »
Améliorer le suivi avec la justice
Guillaume Gellé pointe le fait que les universités, après un signalement au procureur de la République, n’ont souvent « pas d’information sur les suites données, ou même parfois nos dépôts de plaintes et je le déplore.
Nous avons fait des propositions pour améliorer ces liens, notamment établir un référent pour les questions d’enseignement supérieur et de recherche dans les parquets qui ait une connaissance de l’environnement universitaire pour pouvoir traiter les sujets et nous tenir informés. »
Renforcer la formation des associations étudiantes
Interrogé à plusieurs reprises sur le contrôle des associations étudiantes, le président de France Universités rappelle qu’elles « font l’objet d’un conventionnement avec leur établissement et doivent être reconnues association étudiante pour pouvoir bénéficier de crédits associés à la vie étudiante.
Les responsables de ces associations ont une formation organisée par l’université sur un ensemble de points, dont la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Mais il semble important de les amplifier et nous veillerons à le faire très rapidement. »
S’inspirer de la lutte contre les VSS
Questionné pour savoir si les universités pourraient s’inspirer de l’organisation mise en place pour la lutte contre les VSS, Guillaume Gellé indique y être favorable.
« En effet, nous avons beaucoup travaillé ces dernières années sur des plans de formation, des sensibilisations des étudiants, sur la professionnalisation des équipes qui gèrent ces questions de VSS. Nous avons donc matière à nous organiser peut-être de façon différente pour être plus efficace pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme. »
Des modules de formation obligatoires ?
Isabelle de Mecquenem insiste sur l’importance de la formation, et plaide pour un module obligatoire, à l’image de ce qui se met en place pour les enjeux de TEDS ou de lutte contre les VSS. « Nous assistons aujourd’hui à un triple raccourci : juif égal sioniste, et sioniste égal “suppôt de Netanyahou”. Donc évidemment, il y a un enjeu pédagogique qui me paraît se dessiner comme un chantier à court terme. »
« En 2015, ont été créés dans certaines universités des postes fléchés de maîtres de conférences “radicalisation”. Il est clair aussi que l’on pourrait reprendre cette piste. Les armes de l’université, c’est l’enseignement et la recherche, et c’est son point fort. »
Elle indique qu’une structure fédérative de recherche sur le racisme et l’antisémitisme a été créée en 2019, réunissant plusieurs universités, et qu’elle co-dirige.
- « Notre action cette année est tournée vers la formation. Nous avons monté un cycle de conférences sur les notions d’antisémitisme et d’antisionisme qui font l’objet d’une telle confusion à ce jour dans l’esprit de nos étudiants.
- Ce cycle a commencé et durera jusqu’en décembre 2024. Voilà un exemple d’actions concrètes qui est disponible pour toutes les universités et que nous ne demandons qu’à généraliser. »
Mission flash sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur : début des travaux le 24/04
La mission flash sur l’antisémitisme dans les établissements d’enseignement supérieur démarrera ses travaux le 24/04, indique Laurent Lafon, président de la commission.
« Au cours des semaines à venir, nos collègues Bernard Fiedler et Pierre-Antoine Lévy, rapporteurs de la mission, conduiront à un vaste programme d’auditions qui leur permettra de recueillir la contribution d’acteurs aussi divers que les associations étudiantes, les référents antiracisme, antisémitisme, antisémitisme de différentes universités, des représentants des institutions juives ou encore des professionnels des ministères de l’Intérieur et de la Justice », précise-t-il.
Cette mission a été lancée le 21/03 au lendemain d’une audition par cette même commission de Laurence Bertrand Dorléac, présidente de la FNSP, par cette commission, au sujet de l’occupation de l’amphithéâtre Émile Boutmy de Sciences Po par un collectif d’étudiants, dans le cadre de la journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine, le 12/03, en marge de laquelle des faits à caractère antisémite ont été signalés.
« Il s’agira d’une mission de quelques semaines pour porter assez rapidement un diagnostic et surtout alerter s’il y a besoin », indiquait alors Laurent Lafon.
Fiche n° 1765, créée le 05/05/2014 à 12:19 - MàJ le 18/11/2024 à 10:58
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