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Cired : « Le labo français contribuant le plus aux rapports du groupe 3 du Giec » (F. Lecocq)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Interview n°286811 - Publié le 20/04/2023 à 17:17
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Franck Lecocq -

« Dès la fin des années 1980, le Cired Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Centre international de recherche sur l’environnement et le développement) a publié des articles scientifiques sur le changement climatique, et il est le laboratoire français qui contribue le plus depuis 1996 aux rapports d’évaluation du Groupe 3 du Giec Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. »

C’est ce que déclare Franck Lecocq, directeur du Cired (UMR Unité mixte de recherche CNRS-AgroParisTech-ENPC-Cirad-EHESS), à l’occasion des 50 ans de ce laboratoire francilien, dans une interview accordée à News Tank le 19/04/2023.

« Avec plusieurs collègues du Cired, nous avons participé à la coordination et à la rédaction du 6e rapport du Giec. Et au total, 137 publications différentes du Cired sont citées dans ce dernier rapport du Giec :  une vraie reconnaissance ! »

Les chercheurs du Cired sont aussi « très souvent mobilisés pour de l’expertise au niveau national ou international. Nous avons par exemple aussi réalisé les évaluations macroéconomiques pour la Stratégie nationale bas carbone. »

Il revient sur les festivités organisées pour ces 50 ans, notamment un colloque international organisé au Campus Condorcet, mais aussi plus largement sur l’histoire de ce laboratoire créé par « un personnage assez extraordinaire : l’économiste Ignacy Sachs » devenu « vraiment un citoyen du monde » après avoir dû fuir plusieurs fois son pays, la Pologne, face à la montée de l’antisémitisme. 

Il évoque aussi le positionnement des SHS Sciences humaines et sociales en France avec le « ressenti qu’elles sont un peu la “cerise sur le gâteau” qu’on vient par exemple chercher pour faire accepter une nouvelle technologie ou calculer son prix : il y a vraiment un enjeu de les intégrer en amont dans la construction même des projets de recherche. »


Réussir à « articuler les enjeux d’environnement et de développement »

Du 29 au 31/03/2023, le Cired a fêté ses 50 ans, notamment via l’organisation d’un colloque scientifique international ouvert à tous au Campus Condorcet. Que retenir de cette manifestation ?

Le Cired est une unité mixte de recherche créée en 1973 à l’École pratique des hautes études [devenue l’EHESS] et qui a quatre autres tutelles aujourd’hui : le CNRS, AgroParisTech, l’École des ponts et chaussées et le Cirad. Nous fêtons donc en effet cette année ses 50 ans d’existence.

Pour cet anniversaire fêté du 29 au 31/03, nous avions un triple objectif. Le premier était déjà tout simplement d’échanger entre les membres du laboratoire via une journée en interne le 29/03 qui a rassemblé les quelque 100 membres actuels du Cired et une centaine des 400 anciens du laboratoire. Il y avait en effet une demande assez forte des membres actuels du labo de rencontrer leurs prédécesseurs.

Le deuxième objectif était de faire découvrir ou redécouvrir le parcours intellectuel de notre laboratoire créé donc en 1973, juste après la conférence de Stockholm, première conférence des Nations Unies sur l’environnement, par un personnage assez extraordinaire : l’économiste Ignacy Sachs.

À l’époque, ce dernier rentre de la conférence de Stockholm insatisfait par les positions qui y ont été affirmées :

  • d’un côté, un certain nombre de pays du Sud qui à l’époque ne veulent pas entendre parler d’environnement qu’ils voient comme une façon pour les pays du Nord de les empêcher de se développer comme eux l’ont fait ;
  • et de l’autre, un discours qui, après la sortie du rapport du Club de Rome en 1972, prône de freiner la croissance face au risque de pollution et d’épuisement des ressources naturelles.

C’est dans ce contexte qu’Ignacy Sachs crée le Cired pour réfléchir aux conditions dans lesquelles on peut articuler les enjeux d’environnement et de développement, autrement dit trouver une voie médiane.

Près de 300 participants au Campus Condorcet  »

Le troisième objectif était d’essayer de revisiter cette question de l’articulation environnement/développement 50 ans après, dans un monde dans lequel les enjeux d’environnement sont évidemment plus aigus et où subsiste encore énormément de mal-développement au Sud et aussi au Nord ; c’était l’enjeu du colloque international qui a rassemblé près de 300 participants au Campus Condorcet les 30 et 31/03.

Enfin, nous avons aussi édité un recueil des textes fondateurs publiés au cours des 25 premières années du Cired par ses chercheurs, dans lesquels beaucoup de choses pertinentes résonnent encore pour les enjeux d’environnement et de développement d’aujourd’hui. Ce recueil est disponible en librairie pour le grand public depuis le 30/03.

Pouvez-vous indiquer quelques intervenants internationaux de ce colloque ?

À ce colloque international sont par exemple intervenus :

  • Narasimha Rao de l’Université de Yale qui travaille sur la manière d’articuler lutte contre pauvreté et lutte contre le changement climatique, au niveau des individus ;
  • Julie Rozenberg de la Banque mondiale qui est intervenue sur l’articulation entre enjeux d’environnement et enjeux de développement, à un niveau plus collectif.

Qu’est-ce qui vous a plus particulièrement marqué sur ces trois jours de festivités pour les 50 ans du Cired ?

C’est que tous les intervenants du colloque sont arrivés avec des solutions, des pistes sur cette question de l’articulation environnement/développement, à l’opposé d’une vision catastrophique ou défaitiste.

Notre laboratoire vu comme un arbre à palabres »

J’ai aussi été marqué par le contenu des messages dans le livre d’or que nous avons créé pour ces 50 ans du Cired. Un certain nombre de collègues nationaux et internationaux y ont écrit quelques mots sur leur expérience avec le laboratoire. Il est vu comme une sorte d’« arbre à palabres », autrement dit un endroit où les gens de divers pays se croisent et peuvent se parler.

D’où vient cette tradition d’échanges avec des collègues étrangers ?

Cet aspect d’échange permanent entre chercheurs des quatre coins du Globe et de tradition internationale vient du fondateur du Cired. Ignacy Sachs est en effet un juif polonais qui a dû fuir son pays enfant, avant la Deuxième Guerre mondiale. Il a été éduqué au Brésil, puis est reparti en Pologne où il a travaillé après la guerre. Il a ensuite été envoyé en Inde où il a fait sa thèse d’économie avec notamment l’économiste du développement Amartya Sen qui deviendra plus tard Nobel d’économie.

Il repartira ensuite en Pologne dans les années 1960 ; mais au milieu de cette décennie, le régime polonais se durcit avec une forte remontée de l’antisémitisme. Avec sa famille, il s’exile alors en France où il est accueilli par l’École pratique des hautes études. Il y fonde un séminaire sur l’économie du développement où il échange déjà avec des économistes américains, brésiliens, mais aussi des pays du bloc de l’Est, etc. Bref, c’est vraiment un citoyen du monde !

Un réseau international de recherche sur l’évaluation des politiques climatiques »

Aujourd’hui encore, nombre de chercheurs du Cired font des séjours de longue durée à l’étranger, récemment en Inde, au Burkina Faso, au Vietnam, etc. Nous avons aussi développé un réseau international de recherche - un International Research Network dans la terminologie du CNRS - sur l’évaluation des politiques climatiques, avec des partenaires de 13 pays, dont le Brésil, l’Argentine, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Sénégal, la Tunisie et l’Algérie, l’Inde, la Chine… et la Russie, avec laquelle c’est forcément bloqué pour le moment en raison de la guerre en Ukraine.

Le Cired s’implique-t-il au sein du  Giec ?

Dès la fin des années 1980, le Cired a publié des articles scientifiques sur le changement climatique et il est le laboratoire français qui contribue le plus depuis 1996 aux rapports d’évaluation du Groupe 3 du Giec sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

137 publications différentes du Cired citées dans le dernier rapport du Giec »

Avec plusieurs collègues du Cired, nous avons participé à la coordination et à la rédaction du 6e rapport du Giec. Et au total, 137 publications différentes sont citées dans ce dernier rapport du Giec, c’est une vraie reconnaissance pour notre laboratoire !

Plus largement, les chercheurs du Cired sont très souvent mobilisés pour de l’expertise au niveau national ou international. Nous avons par exemple aussi réalisé les évaluations macroéconomiques pour la Stratégie nationale bas carbone.

Quels sont les prochaines actualités, étapes, événements importants pour le Cired ?

Nous organisons du 19 au 23/06/2023 notre cinquième école d’été sur la modélisation économique des interfaces économie - énergie - environnement. Cette session sera consacrée aux dimensions politiques et sociales de la soutenabilité urbaine.

Avec des collègues du laboratoire Pacte de Grenoble, nous copilotons un projet d’observatoire socio-économique de l’éolien en mer, financé par l'Ademe Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et intitulé Eolenmer.

Ce projet de recherche a pour objectif d’étudier les effets du déploiement de l’éolien en mer (Manche, Atlantique, Méditerranée), sur les usages de la mer (professionnels, récréatifs, habitants), les territoires et les milieux marins.

Il rassemble une cinquantaine de chercheurs de toutes sciences (SHS, de l’environnement et de l’ingénieur), issus de différents laboratoires en France (Brest, Caen, Nantes, Paris, Bordeaux, Grenoble). Il prévoit notamment d’engager des collaborations ArtScience dans le cadre de collectif ouvert à des publics locaux.  

De quels effectifs et de quel budget annuel dispose le Cired ?

Notre laboratoire compte 120 personnes, dont 37 titulaires de ses tutelles. Autrement dit plus de 80 membres du laboratoire sont payés sur des ressources propres, dont une cinquantaine de doctorants. Quant à notre budget annuel, il avoisine les 6 M€, salaires des permanents inclus.

L’essentiel de nos frais ce sont les salaires. Contrairement aux labos de sciences dures, nous n’avons que très peu d’équipements scientifiques lourds ; nos autres frais sont des enquêtes de terrain, des déplacements, etc., c’est mineur.

Quel regard portez-vous sur le financement des SHS en France ?

Le Cired est un peu particulier en ce sens qu’il est un laboratoire dont le centre de gravité disciplinaire est en économie, le « parent riche » des SHS. En outre, les sujets que nous étudions sont des sujets d’actualité, pour laquelle il existe une demande sociale importante. Enfin, nous avons énormément de collaborations avec des collègues d’autres disciplines de sciences dures, notamment de sciences du climat. Tout cela nous permet d’accéder à des financements.

Un ressenti que les SHS sont un peu la cerise sur le gâteau »

Mais plus largement, il y a effectivement en France un ressenti que les SHS ce sont un peu la « cerise sur le gâteau » qu’on vient par exemple chercher pour faire accepter une nouvelle technologie ou calculer son prix. Il y a vraiment un enjeu d’intégration en amont des SHS dans la construction même des projets de recherche.

En outre, la communauté des SHS est moins bien organisée que celle des sciences dures pour aller chercher des financements. Enfin, il y a peut être aussi l’idée que les SHS pourraient se contenter de financement assez courts puisqu’elles n’ont en général pas besoin d’équipements scientifiques lourds.

Or, les SHS ont aussi besoin d’infrastructures sur la longue durée (dispositifs d’observation, enquêtes, dans notre cas modèles) et il faudrait aussi que les appels à projets octroient des financements sur un temps plus long pour mener à bien ces projets. 


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Franck Lecocq -