Stratégie, pilotage, RH : l’impact de la réforme de la responsabilité financière pour les universités
« L’enjeu sera de disposer des bons niveaux et outils pour alerter les gouvernances — il a d’ailleurs fallu rappeler à certains présidents qu’ils n’étaient pas exclus du champ des responsables, bien qu’élus, car ils sont d’abord fonctionnaires d’État », déclare José Morales
Agent comptable @ Université Paris Cité (EPE)
, président de l’AACU
Association des agents comptables d’université
, dans le second volet du grand entretien réalisé par News Tank sur la réforme du régime de responsabilité financière prévue par l’ordonnance du 23/03/2022.
Après avoir évoqué les origines de la réforme qui doit entrer en vigueur au 01/01/2023, les trois experts réunis par News Tank abordent ses conséquences sur la gouvernance, le pilotage et les RH
Ressources humaines
des établissements.
« C’est désormais à toute la communauté universitaire de s’emparer des outils. C’est peut-être une des difficultés de mise en œuvre de la réforme, la responsabilité sera partagée par tous les acteurs de la chaine », souligne Jérôme Mourroux
Associé @ Ernst & Young (EY) • Membre honoraire de la Commission Armées Jeunesse @ Ministère de la Défense
, associé chez EY
Ernst & Young
.
Frédéric Dehan
, président de l’ADGS
Association des directeurs généraux des services
: « Nous allons devoir revoir un certain nombre de relations partenariales autour de processus ; comme la gestion de la paie ou pour opérer des contrôles. Cela supposera des dispositifs de maîtrise des risques au sens large. »
Celui qui est aussi DGS
Directeur/trice général(e) des services
de l’Upec
Université Paris-Est Créteil
estime que « cela va responsabiliser les acteurs de la chaine et faire en sorte que les comptables et services financiers soient plus impliqués dans la stratégie de l’établissement, dans le conseil aux équipes de gouvernance ».
« Aujourd’hui, on souffre beaucoup de la dispersion de la gestion financière, renforcée par la problématique du turn-over, notamment en Île-de-France. On n’arrive pas à être assez réactifs pour former les collaborateurs », ajoute José Morales, agent comptable de l’Université Paris Cité.
Pour Frédéric Dehan, « l’enjeu politique c’est que les directeurs de composantes se concentrent sur leur cœur de métier et qu’on leur apporte l’offre de service la plus efficiente possible ».
« Il faut une approche intégrée, centrée sur les enjeux et les risques »
Quelles transformations de fond peut-on anticiper ?
José Morales : Il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions sur ce que cette réforme va induire comme transformations. Avec Frédéric Dehan, nous participons à un groupe de travail initié par le MESR Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’Igésr Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche à ce sujet, pour les EPCSCP Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel Crédits de paiement .
Ce régime est la suite logique de nombreuses réformes, comme la LRU Libertés et Responsabilités des Universités (loi LRU ou loi Pécresse du nom de la ministre Valérie Pécresse), appelée loi d’autonomie des universités, du 10/08/2007 adoptée sous le gouvernement Fillon , et s’inscrit dans une logique de plus en plus intégrée entre les fonctions financières et comptables. Un des écueils de la RPP (responsabilité personnelle et pécuniaire) est qu’elle a amené dans certains établissements à des postures de blocage. Le comptable étant en aval des décisions, mais responsable personnellement et pécuniairement, cela pouvait, dans des établissements où une sphère de décisions était un peu hors clous, amener à des positions de crispation.
Il faut une approche intégrée »La réforme pousse l’idée qui nous semble bonne, d’avoir cette approche de plus en plus intégrée entre la fonction comptable et la fonction d’ordonnateur, et de réinventer le régime de séparation.
Car cette séparation subsiste, et le comptable reste le seul compétent pour pouvoir détenir et manipuler les fonds publics. Aujourd’hui, il faut une approche intégrée, centrée sur les enjeux et les risques, et des approches partenariales sur des périmètres très larges, où il faut se dire quelles sont les règles de fonctionnement et d’alerte qu’on se donne.
L’enjeu sera de disposer des bons niveaux et outils pour alerter les gouvernances — il a d’ailleurs fallu rappeler à certains présidents qu’ils n’étaient pas exclus du champ des responsables, bien qu’élus, car ils sont d’abord fonctionnaires d’État.
On va assister à une redéfinition des rôles au sein d’un EPCSCP Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel , avec l’objectif de trouver la forme la plus efficiente.
Travailler sur les zones de risques majeurs »
Frédéric Dehan : C’est une opportunité de réfléchir à la maîtrise et au contrôle de la gestion financière, budgétaire et comptable. L’enjeu est de travailler sur les zones de risques majeurs, notamment dans la recherche et la valorisation de la recherche.
Avant d’en arriver là, il faut qu’on explique cette réforme pour s’en servir comme d’un levier pour sensibiliser les gouvernances universitaires.
Nous allons devoir revoir un certain nombre de relations partenariales autour de processus ; comme la gestion de la paie ou pour opérer des contrôles. Cela supposera des dispositifs de maîtrise des risques au sens large.
- Pour faire du contrôle interne, il faut avoir de la documentation et de la formalisation des process et il y a encore du travail dans certains établissements.
- Il faut aussi des collègues capables de faire ce métier.
- Le dernier niveau, c’est l’audit interne pur et dur, ce dont très peu d’établissements sont capables.
Cela va responsabiliser les acteurs de la chaine et faire en sorte que les comptables et services financiers soient plus impliqués dans la stratégie de l’établissement, dans le conseil aux équipes de gouvernance.
L’administration universitaire au sens très large du terme sera d’autant plus crédible vis-à-vis de la gouvernance, des élus, pour lancer des alertes sur la régularité des processus et d’évolution des trajectoires financières des établissements.
Est-ce que cela peut laisser espérer un meilleur pilotage des dépenses et un meilleur suivi à terme ? D’autres outils vont-ils être nécessaires ?
Jérôme Mourroux : Les universités, dans la sphère des établissements publics, ont pris de l’avance sur les sujets de modernisation financière, comme sur le service facturier ou le contrôle partenarial. La transformation s’opère dans le changement d’échelle.
C’est désormais à toute la communauté universitaire de s’emparer des outils. C’est peut-être une des difficultés de mise en œuvre de la réforme, la responsabilité sera partagée par tous les acteurs de la chaine.
Cela veut aussi dire qu’il faut continuer à outiller les universités sur la partie pilotage. Elles sont relativement avancées, notamment par rapport à d’autres opérateurs, mais il y a un enjeu à encore accélérer sur cette problématique pour aider les gestionnaires à écrire, à formaliser. Les outils permettent aussi de rassurer, de documenter les dispositifs de contrôle interne de façon plus systématique.
Il faut staffer tout cela »
Frédéric Dehan : Je suis d’accord sur les outils, mais il y aussi un point important : c’est l’allocation des RH Ressources humaines et qu’il puisse y avoir des ressources, des postes. Quand on parle de contrôle interne, quand on parle d’audit interne, quand on parle de politique de maîtrise des risques, ce sont des compétences parfois peu fréquentes dans les établissements. Il faut staffer tout cela, ce qui nécessite des arbitrages qui ne sont pas toujours naturels dans les gouvernances.
« On manque encore cruellement de compétences techniques pures et dures »
La réforme implique-t-elle une nouvelle organisation des équipes en central ou dans les composantes ?
José Morales : La réforme risque de mettre en évidence que les métiers dans les universités sur la chaine budgétaire et comptable, voire RH, patrimoine, et informatique, doivent être occupés par des personnes dont c’est la formation initiale et/ou continue. Or, ce n’est pas toujours le cas. Un écueil de toute une série de réformes depuis la LRU de 2007, c’est le volet formation des personnels Biatss Bibliothèques, Ingénieurs, Administratifs, Techniciens, Social, Santé sur les fonctions centrales.
Frédéric Dehan : Les RCE Responsabilités et compétences élargies ont représenté une obligation de montée en expertise des équipes, ne serait-ce que parce qu’il fallait sortir des paies et des actes de gestion. Mais on manque encore cruellement de compétences techniques pures et dures.
Quand j’ai débuté ma carrière, on insistait sur la polyvalence des agents : ce n’est plus possible. Il faut des acteurs totalement et 100 % dédiés à une compétence particulière, formés, en continu, et en nombre suffisant.
Jérôme Mourroux, quel est votre regard sur ces enjeux, en tant qu’expert externe aux établissements ?
Une fragmentation très forte des tâches »
Jérôme Mourroux : Avec le passage aux RCE, il y a eu une vraie professionnalisation des fonctions support, en particulier en finances. Dans le cadre de la certification des comptes, nous avons effectivement vu des réserves diminuer de façon progressive et une meilleure qualité d’échange avec l’ensemble des interlocuteurs sur les problématiques financières.
Néanmoins, il existe une fragmentation très forte des tâches sur la chaine de gestion, surtout dans les composantes, au sein de laquelle la professionnalisation reste difficile.
Des gestionnaires peuvent actuellement intervenir sur les systèmes d’information, mais ne disposent pas de formation continue suffisante, ne manipulent pas les concepts de finances publiques de façon très confortable.
Or, ils vont entrer dans un régime de responsabilité beaucoup plus important. Il va donc falloir les former, les accompagner au changement. Je me demande si, dans certains cas, il ne va pas falloir repenser la chaine pour la centraliser davantage avec les services facturiers.
L’enjeu, lorsque les établissements ont la taille critique, sera de disposer de pôles où on peut avoir une spécialisation des tâches, gérer le turn-over, et disposer de binômes suffisamment solides.
« S’affranchir d’une vision un peu idéologique de la séparation ordonnateur comptable »
Une centralisation supérieure serait donc nécessaire ?
José Morales : L’approche intégrée, c’est reconnaitre que la séparation ordonnateur/comptable introduit des redondances dans certaines tâches, et a contrario que lorsque les processus de contrôle interne ne sont pas assez formalisés, cela met en évidence des trous dans la raquette.
L’approche intégrée revient donc à s’affranchir d’une vision un peu idéologique de la séparation ordonnateur/comptable, et à raisonner sur l’approche la plus efficiente, où des activités qui sont nativement portées par l’ordonnateur puissent l’être par l’agent comptable, et réciproquement, ou par des dispositifs partenariaux.
Aujourd’hui, on souffre beaucoup de la dispersion de la gestion financière, renforcée par la problématique du turn-over, notamment en Île-de-France. On n’arrive pas à être assez réactifs pour former les collaborateurs, et on se retrouve parfois embolisés, car la gestion au plus proche du terrain n’est pas suffisamment robuste.
Frédéric Dehan : On a des ruptures de compétences, avec une grosse différenciation entre l’expertise des services centraux et communs par rapport aux collègues qui sont dans les composantes de formation ou les labos.
Cela nécessite du support et du sponsoring politique de très haut niveau »Si on veut travailler là-dessus, cela nécessite de changer la nature de la sociologie des universités. Certaines sont très centralisées sur les fonctions métiers, mais d’autres sont très facultaires et dans ce cas, quand on veut travailler sur la mutualisation et la centralisation, cela nécessite du support et du sponsoring politique de très haut niveau. Ceci afin de faire comprendre aux directeurs de composantes qu’il faut travailler différemment.
Les gestionnaires que vous êtes ne sont donc pas favorables à la subsidiarité souvent mise en avant dans les projets politiques ?
Frédéric Dehan : Cela dépend. Certains process se doivent d’être centralisés, car ce sera de facto plus efficace. Mais sur d’autres, par exemple la gestion de scolarité, la formation et la gestion heures, on peut même imaginer de déconcentrer davantage.
Jérôme Mourroux : Il faut sûrement éviter une posture dogmatique sur la problématique de centralisation. Il faut aller chercher l’efficience et trouver le modèle le plus adapté. C’est aussi peut-être l’opportunité sur le plan des ressources humaines d’être plus attractif dans les établissements en spécialisant et professionnalisant davantage. Aujourd’hui, nous constatons bien les difficultés pour attirer et stabiliser les effectifs sur les fonctions support. Il faut donc aussi le voir de façon positive.
José Morales : Derrière cette question de subsidiarité se cachent souvent des combats d’arrière-garde, où on associe un transfert de moyens à un enjeu de pouvoir. Et c’est là où on a un rôle pédagogique majeur, qui est de rappeler à ces directions qu’avoir un gestionnaire à demeure qui traite dix bons de commande dans l’année, ce n’est pas un enjeu de pouvoir.
Le pouvoir c’est de décider en opportunité de la nature de la dépense, de pouvoir négocier un budget, d’avoir des moyens pour remplir ses missions régaliennes, l’enseignement et la recherche.
Frédéric Dehan : L’enjeu politique c’est que les directeurs de composantes se concentrent sur leur cœur de métier et qu’on leur apporte l’offre de service la plus efficiente possible.
Jérôme Mourroux : On peut aussi donner aux différents acteurs de l’établissement une capacité de pilotage stratégique et opérationnel. Les enjeux de gestion quotidienne sont évidemment cruciaux, mais il y a parfois des déficits dans la visibilité pluriannuelle du pilotage financier en composante ou en central. Ce sont dans ces problématiques qu’il faut investir les forces vives.
Donner de la visibilité aux universités sur une dimension pluriannuelle »
José Morales : Cela veut dire aussi pour l’État d’être capable de donner de la visibilité aux universités sur une dimension pluriannuelle. On est passé à la GBCP Gestion budgétaire et comptable publique depuis 2017 avec une approche de gestion pluriannuelle de nos AE Autorisations d’engagement et CP, et on a pour l’instant un modèle d’allocation qui reste figé sur l’annualité qui ne donne aucune visibilité et aucune possibilité aux universités de prendre des engagements et d’asseoir une stratégie à moyen terme, et donc par subsidiarité de donner un pilotage stratégique aux directeurs ou doyens.
Parcours
Agent comptable
Agent comptable
Agent comptable, chef des services financiers
Agent comptable, chef des services financiers
Établissement & diplôme
Master de droit
Fiche n° 46726, créée le 07/07/2022 à 12:31 - MàJ le 15/10/2024 à 22:40
Parcours
Secrétaire général
Expert de haut niveau à la direction de l’encadrement
Vice-président
Directeur général des services
Président
Directeur Général des Services
Directeur général adjoint aux ressources
Secrétaire général
Agent comptable
Établissement & diplôme
Maîtrise de droit public
Fiche n° 12534, créée le 17/07/2015 à 19:10 - MàJ le 18/01/2024 à 17:45
Jérôme Mourroux
Associé @ Ernst & Young (EY)
Membre honoraire de la Commission Armées Jeunesse @ Ministère de la Défense
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Parcours
Associé
Membre honoraire de la Commission Armées Jeunesse
Chargé d’enseignement vacataire en master 2
Rapporteur général de la publication « Enseignement supérieur et numérique »
Vice-président
Membre désigné par arrêté ministériel
Comité de suivi des licences professionnelles
Établissement & diplôme
Diplôme supérieur de comptabilité et de gestion (DSCG)
Certification Lean Six Gigma - Green Belt
Master en Gestion
Fiche n° 31836, créée le 10/07/2018 à 20:09 - MàJ le 19/07/2022 à 15:57