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[Bilan quinquennat] On n’est pas allés jusqu’au bout de l’autonomie des universités (N. Drach-Temam)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Entretien n°245797 - Publié le 21/03/2022 à 12:23
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©  Laurent Ardhuin
Nathalie Drach-Temam - ©  Laurent Ardhuin

• Ne plus conditionner l’accès à l’enseignement supérieur par un tirage au sort ;
• la mise en place de la CVEC Contribution de vie étudiante et de campus ayant « fait émerger la “vie étudiante” comme un sujet à part entière » ;
• et un « pas en avant » sur la politique de la science ouverte et celle des relations entre science et société.
 
Telles sont les principales avancées du quinquennat qui s’achève selon Nathalie Drach-Temam Vice-présidente @ Udice • Présidente @ Sorbonne Université
, présidente de Sorbonne Université, sollicitée par News Tank dans le cadre d’une série consacrée au bilan des cinq années de Frédérique Vidal comme ministre de l’Esri Enseignement supérieur, recherche et innovation , le 21/03/2022.

En revanche, elle estime qu’on n’est « pas allés jusqu’au bout de l’autonomie des universités. Et dire que nous sommes “au milieu du gué” ne suffit pas. Le réel frein que je vois est le manque de confiance de la tutelle vis-à-vis des établissements ». Selon elle, « l’université du 21e siècle ne peut pas devenir un acteur majeur de la société si sa tutelle ne lui donne pas des gages de confiance en matière de gestion budgétaire et RH Ressources humaines  ».

Par ailleurs, selon elle, la structuration du Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en deux directions générales (Dgesip Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle et DGRI Direction générale de la recherche et de l’innovation ) « a donné le sentiment d’avoir face à nous un ministère oscillant, tel un balancier » pendant ces cinq dernières années. « Je ne suis pas certaine que cette dichotomie ait facilité les relations avec les universités qui ont un fonctionnement tout autre et ont besoin d’un état stratège intégrant ces deux missions ».


« Nous avons besoin d’un ministère stratège »

Quel sujet a selon vous le plus avancé ces cinq dernières années sous l’action du Mesri et/ou du Gouvernement ? En quoi concrètement ?

Ne plus conditionner l’accès à l’enseignement supérieur par un tirage au sort, mais permettre aux bacheliers d’être orientés et réorientés selon leurs vœux, a adressé un message très fort aux futurs étudiantes et étudiants, mais aussi aux établissements.

Ce dispositif reconnaît enfin le droit à l’erreur, ce qui dans le système pédagogique français mérite d’être souligné ! Et il permet une meilleure adéquation entre les profils des étudiantes et étudiantes et les offres de formations des universités.

La mise en place de la CVEC Contribution de vie étudiante et de campus a également fait émerger la “vie étudiante” comme un sujet à part entière des établissements dans un continuum avec la formation. Aujourd’hui, il n’est plus possible de considérer ces deux pans de façon distincte. J’irai même plus loin en disant que l’un et l’autre conditionnent la réussite académique des étudiants et l’attractivité des établissements.

Quel sujet auriez-vous aimé voir avancer davantage ? Qu’est-ce qui selon vous l’en a empêché ?

Autonomie des universités : manque de confiance de la tutelle »

Je l’ai déjà dit, et je ne suis pas la seule, je crois que nous ne sommes pas allés jusqu’au bout de l’autonomie des universités. Et dire que nous sommes “au milieu du gué” ne suffit pas. Le réel frein que je vois est le manque de confiance de la tutelle vis-à-vis des établissements. Dans un système complexe comme celui de l’Esri, où les universités ont eu à se repositionner très fortement, il aurait fallu que l’ensemble des acteurs se repositionnent en même temps, et en premier lieu le Mesri.

Nous avons besoin d’un ministère stratège, pilote de grands projets transformants. Nous ne voulons pas être dans un dialogue de gestion permanent sans vision à long terme. Je le dis : l’université du 21e  siècle ne peut pas devenir un acteur majeur de la société si sa tutelle ne lui donne pas des gages de confiance en matière de gestion budgétaire et RH.

Nos budgets récurrents n’ont pas évolué, alors que Sorbonne Université est devenue une institution « tête de file », dont le rayonnement sert l’attractivité de l’ensemble du pays. Aujourd’hui, l’on ne peut pas accompagner financièrement un établissement de recherche intensive, en soutien à la stratégie nationale et à la formation des compétences de pointe, de la même façon qu’un établissement dont le projet serait plus axé sur la formation. D’un côté, le gouvernement souhaite accélérer la transformation du paysage de l’Esri avec des dispositifs comme le PIA Programme d’investissements d’avenir et France 2030, mais de l’autre, il ne soutient pas les politiques RH et budgétaires des établissements qui pourtant, auront à porter en leur sein ces nouveaux projets.

Si nous voulons que la France retrouve réellement “le chemin de son indépendance environnementale, industrielle, technologique, sanitaire et culturelle” et ait un temps d’avance dans ces secteurs stratégiques, il faut avant tout permettre aux universités de former, recruter et promouvoir librement les talents de demain.

Il faut un certain courage politique pour faire confiance à des présidentes et présidents d’établissement élus, et pas nommés, surtout lorsqu’ils ont derrière eux le soutien d’un très grand nombres de personnels, d’étudiantes et d’étudiants. Mais en tant qu’élus, justement, nous savons quelles sont nos prérogatives et nos devoirs, et il n’est pas question d’inverser nos responsabilités et celles de l’Etat, mais au contraire de les renforcer. Nous savons bien quel est notre rôle et notre place.

Comment qualifiez-vous l’évolution des relations entre le Mesri et les universités ces cinq dernières années ?

Je ne suis présidente de Sorbonne Université que depuis décembre 2021. De ce que j’ai pu observer lorsque j’étais vice-présidente recherche, innovation et science ouverte sous la présidence de Jean Chambaz, je retiens surtout une difficulté pour le ministère à se positionner sur l’ensemble des sujets portés par l’université. J’explique cela par l’absence de symétrie entre l’administration d’une université - qui est une et unique, et porte les sujets recherche-formation-innovation dans une sorte de continuum -, et les deux directions générales du Mesri, dont le périmètre de l’une est l’enseignement supérieur et le périmètre de l’autre est la recherche et l’innovation.

Un ministère oscillant, tel un balancier »

Pendant ces cinq dernières années, cela a donné le sentiment d’avoir face à nous un ministère oscillant, tel un balancier. Avec des actions du côté de l’enseignement supérieur en début de mandat (je pense à Parcoursup) - ce qui a positionné la Dgesip en tant que pilote - et des actions du côté recherche et innovation en fin de mandat (la LPR Loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur ), avec la DGRI comme principal interlocuteur. Je ne suis pas certaine que cette dichotomie ait facilité les relations avec les universités qui ont un fonctionnement tout autre et ont besoin d’un état stratège intégrant ces deux missions.

Là encore, je pense que nous ne sommes pas allés au bout de la démarche : avoir un ministère de plein exercice pour l’enseignement, la recherche et l’innovation, était un acte politique fort et important. Pourquoi ne pas avoir traduit cela dans l’organisation de l’administration ? Nous restons dans l’attente d’un changement en ce sens.

Quel est votre regard sur l’action du Gouvernement pendant la crise Covid ?

Le Gouvernement n’a pas pris la mesure de l’impact de la crise sur la communauté étudiante. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir tiré la sonnette d’alarme. Bien sûr, le ministère a mis en place des mesures pour accompagner les étudiantes et étudiants, mais cela était presque trop tard.

Pendant cette période, l’on nous a sans cesse demandé de faire remonter des données. Cela prouve bien que les universités sont les acteurs de terrain, capables de prendre les mesures adaptées à leurs communautés ! La crise a accentué le manque de confiance à l’égard des établissements qui, pourtant, ont parfaitement su repenser seuls toute leur offre de formation et d’accompagnement des étudiantes et étudiantes.

Le Gouvernement n’a pas pris la mesure de l’impact de la crise  »

Nous n’avons pas compris également cette différence de traitement avec les étudiants de classes préparatoires, autorisés à poursuivre leurs études en présentiel, et ceux des universités, contraints de basculer dans l’enseignement à distance du jour au lendemain. Comment peut-on expliquer aujourd’hui qu’il y ait deux catégories d’étudiants ? Là encore, les actes sont en contradiction avec le discours politique, qui veut faire de l’université un vivier de compétences pour les entreprises. Heureusement, nos étudiantes et étudiants ont su faire preuve de résilience et ressortent grandis de cette épreuve.

Au regard des cinq années de Frédérique Vidal à la tête du ministère, pensez-vous qu’avoir une ancienne présidente d’université comme ministre a constitué un atout pour l’écosystème ou pas ? Comment qualifiez-vous globalement son action ?

Il faut juger sur des actions, pas sur une personne ou un parcours. Parmi les actions, il y en a deux qui ont été mises en œuvre pendant ce quinquennat et que je considère comme étant essentielles : la politique de la science ouverte et celle des relations entre science et société. Sur ces deux sujets, il y a eu un pas en avant, même si en réalité, nous n’avons fait que rattraper notre retard en France par rapport à l’étranger.

En revanche, sur le développement de ces deux politiques, je serai bien plus nuancée. Sur la science ouverte, nous n’avons pas fait confiance aux établissements, capables de porter ce sujet selon leurs stratégies et spécificités. Le ministère a mobilisé des services pour définir des actions nationales alors même qu’il s’agit d’un enjeu international qui concerne d’abord les acteurs de l’Esri.

Du micro-management sur le sujet science et société »

Sur science et société, les établissements n’ont pas attendu l’obtention d’un label pour se positionner comme acteur majeur des relations science-société. Par ailleurs, nous donner un label dont les crédits sont conditionnés à une année, et qui plus est à une “analyse des pratiques et stratégies mises en place par les universités internationales occupant un rang comparable au classement de Shanghai” (je cite le rapport du jury), c’est faire preuve de micro-management.

Non seulement c’est ne pas comprendre qu’il y a là un enjeu de long terme, mais en plus, c’est dire à nos enseignants-chercheurs très investis dans le partage des connaissances (on l’a encore vu pendant la crise Covid) qu’ils ne connaissent pas les pratiques de leurs collègues étrangers. Sur ce sujet, l’on ne peut pas se permettre d’être dans la compétition.

Que faire évoluer pour le prochain quinquennat ?

Avec Udice, nous venons de faire six propositions pour les présidentielles dans le domaine de l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation du 21e siècle : 

  • Faire des universités les piliers des stratégies nationales de recherche.
  • Assumer la différenciation des universités.
  • Créer les conditions de l’attraction et de la fidélisation des talents.
  • Penser la politique d’Esri à l’échelle européenne.
  • Rendre les universités autonomes et responsables vis-à-vis de l’État.
  • Adapter les financements aux missions renforcées des universités.

Il y a urgence à avancer sur ces mesures pour que nos universités servent pleinement la société. J’invite tous les décideurs privés et publics à prendre connaissance de notre rapport, présenté en conférence de presse le 16/03/2022. Publié le 16/03/2022 à 18:30
• Avoir « un ministère unique et fort en charge de la recherche et de l’enseignement supérieur, interlocuteur de la diversité des acteurs de la recherche, de l’innovation et de l’enseignement…

Nathalie Drach-Temam


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Parcours

Udice
Vice-présidente
France Universités
Membre du CA
Sorbonne Université
Professeure d’informatique affiliée au LIP6
Sorbonne Université
Vice-présidente recherche, innovation et science ouverte
Université Paris 6 - Pierre et Marie Curie (UPMC)
Vice-présidente formation et insertion professionnelle
Université Paris 6 - Pierre et Marie Curie (UPMC)
Vice-présidente insertion professionnelle
LIP6 - Laboratoire d’informatique de Paris 6
Responsable d'équipe de recherche
Université Paris 6 - Pierre et Marie Curie (UPMC)
Responsable du master « Systèmes électronique et systèmes informatiques »
Université Paris-Sud (Paris 11)
Maître de conférences

Établissement & diplôme

Université de Rennes 1
Doctorat en informatique

Fiche n° 30420, créée le 07/05/2018 à 15:49 - MàJ le 10/01/2024 à 15:22

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Nathalie Drach-Temam - ©  Laurent Ardhuin