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Formation à la transition écologique : « Que tout le monde s’empare de notre rapport » (Jean Jouzel)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Interview n°242629 - Publié le 18/02/2022 à 11:53
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Remise du rapport par Jean Jouzel et Luc Abbadie à Frédérique Vidal -

« J’aimerais que ce rapport soit rendu public rapidement pour que tout le monde puisse s’en emparer, et qu’il ne tombe pas dans un trou sans fond. Cette transition écologique est une réalité : soit on la fait soit on la subit », déclare Jean Jouzel Directeur de recherche émérite au LSCE (au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement - CEA/CNRS/UVSQ) @ Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA… , paléoclimatologue, à News Tank, le 16/02/2022.

Il s’exprime juste avant la remise à Frédérique Vidal Conseillère spéciale du président @ European Foundation for Management Development (EFMD)
, ministre de l’Esri Enseignement supérieur, recherche et innovation , du rapport réalisé par le groupe de travail qu’il préside depuis février 2020, visant à « sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur », aux côtés de son rapporteur, Luc Abbadie Directeur de l’Institut de la transition environnementale @ Sorbonne Université
, directeur de l’Institut de la transition environnementale à Sorbonne Université.

Son autre souhait : « Qu’une conférence puisse être organisée avant l’été, avec l’ensemble des parties prenantes, car il s’agit d’embarquer tout le monde : puissance publique, établissements, enseignants, étudiants, etc. Et si Frédérique Vidal n’avait pas la possibilité de le faire, il faudrait que le futur ministre prenne cela à son compte. Nous prendrons rendez-vous avec elle ou lui. »

Principale mesure prônée par le groupe de travail : former 100 % des étudiants de bac+2 d’ici cinq ans comme l’indiquait News Tank dans un article détaillant leurs préconisations le 02/02/2022. Au risque de fâcher les établissements d’enseignement supérieur qui arguent de l’autonomie pédagogique ?

« La difficulté est de trouver le bon équilibre entre incitation et obligation. Mais si on veut que tout le monde reçoive une formation de base, il doit y avoir une forme d’obligation », répond Luc Abbadie. « Cela correspond aussi à l’idée que c’est un enjeu majeur pour la société : il y a eu la même chose pour l’enseignement des langues ou le numérique. »


 « Un même horizon et une envie commune d’aboutir à des propositions concrètes »

Comment le groupe de travail a-t-il travaillé ?

Jean Jouzel  : Nous avons réussi à fonctionner en distanciel complètement, mais le fait de ne pas avoir de réunion plénière n’a pas facilité pas les choses. Nous avons mené près d’une cinquantaine d’auditions, et nous avons été bien accompagnés par le Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation . Le groupe de travail a été animé par trois groupes internes sur les sujets de la formation, des freins et leviers, et un dernier intitulé panorama.

Nous avions promis de terminer le rapport fin 2021, finalement il aura fallu quelques semaines de plus. Mais un rapport comme cela prend du temps, ne serait-ce que sur le plan logistique, avec des réunions chaque semaine.

Pour ce qui est de la composition du groupe de travail, aviez-vous la volonté de rassembler toutes les parties prenantes ?

Jean Jouzel : Il était composé de 25 personnes, des universitaires, chercheurs et personnalités qualifiées sur ce domaine, des représentants des conférences d’établissements et des organisations étudiantes, d’association comme le Shift project, car il s’agissait d’avancer ensemble.

Luc Abbadie : Il y avait une grande diversité de personnalités dans ce groupe de travail, avec des niveaux variables de perspectives et de compétences, mais un même horizon et une envie commune d’aboutir à des propositions concrètes.

Aviez-vous carte blanche pour faire des propositions ?

Jean Jouzel : Mise à part la lettre de mission, il n’y a pas eu de cadrage du Mesri, nous avons eu une liberté totale. Je n’avais pas d’idées préconçues avant de débuter ces travaux, mais nous avons réalisé assez vite que c’était une sacrée ambition. Nous sommes à la fois sur le constat et les propositions, car on voit que beaucoup de choses existent déjà, et la question principale est de voir comment on généralise.

Notre rapport intermédiaire en juillet 2020 a donné lieu à un retour positif de la ministre, qui avait alors décidé de prolonger notre mission. Nous espérons qu’il en sera de même pour le rapport final.

Vous venez de le dire, un rapport intermédiaire a été remis à Frédérique Vidal en juillet 2020, mais il n’a été rendu public que neuf mois après : comment expliquez-vous ce délai ?

Nos travaux et le rapport ont contribué à cette dynamique »

Jean Jouzel : Il a été rendu public en mars 2021, en même temps qu’une seconde lettre de mission de la ministre m’était adressée sur la mise en œuvre opérationnelle. Un des arguments que le Mesri a avancé pour ce délai est qu’il ne voulait pas le rendre public avant la promulgation de la LPR Loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur [le 24/12/2020]. Et d’ailleurs, il faut vraiment saluer l’action du Mesri car c’est grâce à lui qu’a été ajouté dans la loi, et dans le code de l’éducation, le fait que « la sensibilisation et à la formation aux enjeux de la transition écologique et du développement durable » devienne une mission de l’enseignement supérieur public, ce qui n’est pas rien. Je pense que nos travaux et le rapport ont contribué à cette dynamique.

Votre principale proposition est que 100 % des étudiants de bac+2 reçoivent une formation d’ici cinq ans : pourquoi ce choix ?

Luc Abbadie : Le bac+2 correspond au premier niveau de diplôme, donc il fallait placer cette formation assez tôt si l’objectif est que chaque étudiant ait ce bagage scientifique minimum, ce qui était le souhait de la ministre. Aujourd’hui, des formations existent déjà dans certains établissements, mais elles sont souvent proposées en plus du cursus. Nous préconisons à l’inverse que cela en fasse partie intégrante, que cela devienne ordinaire, quel que soit le domaine de formation. C’est pourquoi nous proposons qu’elle se fasse dans le cadre des horaires normaux et qu’elle permette d’obtenir 6 crédits ECTS European Credits Transfer System .

Jean Jouzel : Ensuite, le titre de notre rapport est un peu trompeur, car nous souhaitons vraiment que ça ne se limite pas à la formation initiale, et que cela puisse faire partie d’une démarche de formation tout au long de la vie.

Luc Abbadie : Nous sommes persuadés que pour les étudiants et toute personne formée, ce sera un plus en matière d’insertion professionnelle, un passeport utile sur le marché du travail.

La question d’une formation obligatoire n’est pas consensuelle dans les établissements, notamment au nom de l’autonomie pédagogique : cela a-t-il fait l’objet de discussions au sein du groupe de travail ?

Luc Abbadie : En effet, la difficulté est de trouver le bon équilibre entre incitation et obligation. Mais si on veut que tout le monde reçoive une formation de base, il doit y avoir une forme d’obligation. Cela correspond aussi à l’idée que c’est un enjeu majeur pour la société : il y a eu la même chose pour l’enseignement des langues ou le numérique, même s’il est vrai que cette formation à la transition écologique revêt sûrement un caractère plus politique.

On n’y arrivera pas s’il n’y a pas une adhésion »

Jean Jouzel : On voit la difficulté que cela peut créer, car intégrer une formation à un cursus, cela peut vouloir dire enlever des heures à une autre discipline. Mais au-delà de cette question de l’obligation ou pas, je crois qu’on n’y arrivera pas s’il n’y a pas une adhésion des établissements et plus globalement du système à cette nécessité. En cela, je pense que l’engagement des étudiants peut servir de moteur.

Luc Abbadie : Nous estimons qu’entre 20 et 50 % d’entre eux sont demandeurs d’une formation, ce sont donc des alliés, et on ne fait que répondre à leurs aspirations.

Votre rapport indique que cette formation demandera des moyens, pour faire ces enseignements, former les enseignants, etc. L’avez-vous chiffré ?

Jean Jouzel : Nous nous sommes posé la question de faire un chiffrage, certains dans le groupe de travail le souhaitaient, mais finalement nous avons décidé de ne pas aller à ce niveau de détail. En revanche, il est clair que ces mesures demanderons un accompagnement financier.

Luc Abbadie : Nous avons voulu mettre l’accent sur les besoins en ingénierie pédagogique, car chez les étudiants il y a un appétit presque féroce pour travailler sur des choses concrètes. Cela veut dire changer de type d’enseignement, et travailler en lien avec les territoires qui peuvent proposer des terrains et des projets concrets.

Intégrer la mission au temps de service des E-C »

L’autre point que nous avons aussi voulu souligner, c’est que les ressources humaines existent déjà avec les enseignants, enseignants-chercheurs, chercheurs, et qu’on peut s’appuyer sur elles. Mais pour cela, il faut leur libérer du temps pour enseigner, se former, etc. Cela doit bien sûr être intégré à leur temps de service, et cela passe par une simplification des tâches administratives.

On voit que de plus en plus d’établissements intègrent ces enjeux à leur cursus, certains déploient des formations spécifiques : cela vous semble-t-il cosmétique ou c’est le signe d’une véritable évolution ?

Jean Jouzel : En effet, de plus en plus d’établissements se lancent dans cette démarche et c’est très bien, cela crée de l’émulation. Mais il faut le faire efficacement. Pour nos travaux, nous nous sommes notamment appuyés sur une analyse de Paxter d’une dizaine d’établissements, y compris à l’étranger, et ce qu’il en ressort c’est que pour être efficace, il faut un portage politique, au niveau de la gouvernance.

Luc Abbadie : Jusqu’à présent, ces initiatives relevaient souvent d’initiatives individuelles, portées par des enseignants engagés sur la question, mais si on veut passer à l’échelle, il faut que ce soit une politique d’établissement portée au plus haut niveau, et quand cela existe, inscrit dans une politique de site ancrée dans le territoire

Jean Jouzel : Certains établissements sont très volontaristes, mais pour tous les autres, on peut penser aussi que les étudiants seront de vrais leviers du changement. Le jour où ils auront dans leurs critères de choix, le fait qu’une université ou une école ait ou pas obtenu le label DD&RS Développement durable et responsabilité sociétale , ce sera déjà une belle réussite. Dans la même idée, on propose que la France pousse à ce que ces éléments soient intégrés comme critères dans les classements internationaux.

Votre rapport remis à la ministre, qu’attendez-vous de la suite, et ce alors qu’un changement de gouvernement se profile dans les prochains mois ?

Jean Jouzel : J’aimerais déjà que ce rapport soit rendu public rapidement pour que tout le monde puisse s’en emparer. Cette transition écologique est une réalité : ou on l’a fait ou on la subit. Notre espoir est donc que le rapport ne tombe pas dans un trou sans fond !

On peut espérer des premiers changements à la rentrée 2022 »

Ensuite, nous aimerions qu’une conférence puisse être organisée avant l’été, avec l’ensemble des parties prenantes, car il s’agit d’embarquer tout le monde : puissance publique, établissements, enseignants, étudiants, etc. Et si Frédérique Vidal n’avait pas la possibilité de le faire, il faudrait que le futur ministre prenne cela à son compte. Nous prendrons rendez-vous avec elle ou lui.

Dans notre rapport, nous proposons aussi la mise en place d’un dispositif afin de suivre la mise en œuvre des propositions, et de participer aux réseaux européens. Si cela se fait rapidement, on peut espérer des premiers changements à la rentrée 2022. Et bien sûr, si toutes nos recommandations étaient suivies, ce serait formidable.

Comment accompagner les établissements qui souhaiteraient se lancer dans cette démarche ?

Jean Jouzel : Il y a beaucoup de ressources et d’acteurs qui existent déjà, on pense au Shift project, au Circes, au groupe Fortes, etc. Donc, l’idée n’est pas de recréer ce qui existe, mais de s’appuyer sur ces ressources, ainsi que sur le dispositif de suivi que nous appelons de nos vœux, pour que les établissements qui démarrent puissent trouver des conseils.

Luc Abbadie : Il faut en effet organiser la mutualisation des connaissances et des compétences, d’où l’intérêt d’un pilotage au niveau de l’établissement, du site et au niveau national. On encourage aussi les établissements à s’engager dans une démarche de labellisation DD&RS, mais on ne veut pas en faire une obligation, car c’est assez long et lourd, il faut que les établissements soient volontaires.

Voyez-vous cela aussi comme un moyen de remettre de la science dans le débat public ?

Jean Jouzel : Une connaissance scientifique minimum est un prérequis, au regard des enjeux sociétaux. Et si on regarde le niveau actuel de nos élites politiques ou économiques, on est loin du compte ! Il y a une méconnaissance profonde des mécanismes de base, alors qu’il y a un lien évident entre cette transition écologique et notre vie de tous les jours. On n’est pas sur des concepts abstraits.

Faire le pari de la connaissance et de l’information »

Donc si déjà on arrive à ce que les décideurs politiques et économiques dans une dizaine d’années ne fassent pas de contre-sens scientifique, cela aidera au dialogue avec les scientifiques de demain, et surtout à faire les choix qui s’imposent.

Luc Abbadie : C’est faire le pari de la connaissance et de l’information, en s’appuyant sur une fraction significative de citoyens. Cela demande aussi de les sensibiliser à la complexité, car c’est un sujet complexe. En revanche, on est sur des savoirs accessibles, que ce soit en physique du climat, en économie, etc. : une fois qu’on a les ordres de grandeur en tête, on peut comprendre les enjeux. Finalement, c’est ce qu’on fait déjà dans nos conférences grand public. Il faut juste aller vers une massification.

Jean Jouzel


Médaille d’or du CNRS en 2002.
En 2007, avec le Giec, il reçoit le prix Nobel de la paix.
Lauréat du prix Vetlesen 2012 décerné tous les quatre ans depuis 1959 par la Fondation américaine du même nom.

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Parcours

Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
Directeur de recherche émérite au LSCE (au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement - CEA/CNRS/UVSQ)
École normale supérieure - PSL (ENS - PSL)
Président du conseil scientifique
Conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)
Vice-président
Académie des sciences
Membre dans la section sciences de l’Univers
Conseil économique, social et environnemental (Cese)
Membre au titre de la protection de la nature et de l’environnement
GIEC
Vice-président du groupe de travail scientifique
HCST (Haut conseil de la science et de la technologie)
Président
Institut Pierre-Simon Laplace
Directeur
Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement (CNRS/UGA/Grenoble INP/IRD)
Directeur adjoint

Fiche n° 22661, créée le 05/05/2017 à 13:34 - MàJ le 07/11/2022 à 11:44

Luc Abbadie


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Parcours

Sorbonne Université
Directeur de l’Institut de la transition environnementale
Sorbonne Université
Professeur des universités
Université Paris 6 - Pierre et Marie Curie (UPMC)
Professeur des universités
Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Directeur de recherche de 2e classe (Laboratoire d’écologie UPMC CNRS ENS)
Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Chargé de recherche de 1re classe (Laboratoire d’écologie UPMC CNRS ENS)
Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Chargé de recherche de 2e classe (Laboratoire d’écologie UPMC CNRS ENS)

Établissement & diplôme

Université Paris 6 - Pierre et Marie Curie (UPMC)
Doctorat d’écologie

Fiche n° 45365, créée le 17/02/2022 à 17:55 - MàJ le 17/02/2022 à 18:01

Remise du rapport par Jean Jouzel et Luc Abbadie à Frédérique Vidal -