[Série] Analyses, réflexions, solutions : les acteurs de l’Esri sur l’après Covid n° 3
• « Je souhaite un changement d’état d’esprit des pouvoirs publics : vous devez faire confiance à nos universités. Elles viennent de montrer à une échelle jamais vue, ce dont elles étaient capables : réactivité, créativité, souci du bien commun. » (Gilles Roussel
Président @ Comité éthique et scientifique de Parcoursup (CESP) • Membre du CA @ France Universités • Président @ Université Gustave Eiffel
, président de la CPU
Conférence des présidents d’université
).
• « Vue de la lucarne de l’intégrité scientifique, la crise aura confirmé l’impérieux besoin de stabiliser les fondements d’une science ouverte pleinement responsable. » (Olivier Le Gall
Président du Conseil français de l’intégrité scientifique @ Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) • Chercheur @ Institut national de la recherche…
, président du conseil de l’Ofis
Office français de l’intégrité scientifique
).
• « Il est urgent de (re)mettre la formation au cœur des systèmes d’innovation de transition. Restera ensuite à traiter de la diffusion de cette innovation ! » (Sylvie Blanco
GEMIC @ Grenoble École de Management (GEM) • Professeur de technologie et innovation marketing @ Grenoble École de Management (GEM)
, directrice de l’innovation à GEM
Grenoble Ecole de Management
et directrice du campus GEM Labs)
• « Tirer les leçons de ce qui se passe, c’est, me semble-t-il, renoncer à vouloir tout changer et c’est au contraire choisir, car on ne pourra pas tout faire. » (Pascal Aimé
Pascal Aimé prend sa retraite au 01/01/2023
, responsable du collège Esri
Enseignement supérieur, recherche et innovation
de l’Igésr
Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche
).
Voilà quelques-unes des idées avancées par ces acteurs de l’Esri que nous avons interrogés dans le cadre d’une série d’articles consacrée aux leçons à tirer de la crise sanitaire, à ce qu’il en restera ensuite, et à la façon dont l’Esri peut contribuer à construire « le monde de demain ».
Après deux épisodes publiés les 28/05 et 04/06, voici le troisième volet, où vous retrouverez aussi les contributions de Sophie Kennel
Conseillère pour la pédagogie et le numérique (Mipnes-Dgesip) @ Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche • Directrice de l’Institut de développement et d’innovation pédagogiques …
, directrice de l’Idip
Institut de développement et d’innovation pédagogiques
à l’Unistra
Université de Strasbourg
, Laure Coudret-Laut
, directrice de l’agence Erasmus+ France et Florence Dufour
Directrice honoraire @ EBI (École de biologie industrielle) • Présidente @ Union professionnelle de l’enseignement supérieur privé
, directrice de l’école d’ingénieurs EBI
École de biologie industrielle
.
Gilles Roussel, président de la CPU : « L’enseignement supérieur et la recherche font partie des « fondamentaux » d’une reconstruction économique et sociale durable«
Le premier constat que je fais, c’est que la crise nous confronte toutes et tous à la gestion des environnements complexes et incertains. Au-delà de la recherche sur la Covid-19, les valeurs de la science sont basées, non sur des certitudes mais sur le doute, le questionnement et les controverses, et une temporalité incertaine quant à ses résultats. Ce sera, je l’espère, une réhabilitation du temps long et de la recherche.
Ceci me conduit à un deuxième constat qui est un paradoxe de la situation actuelle. La science est partout, avec ses tâtonnements, ses succès et ses échecs, ses polémiques aussi. Je me réjouis que désormais ses méthodes soient de plus en plus débattues, à défaut d’être toujours comprises. Mais les décideurs et l’opinion publique ont souvent du mal à en saisir ses règles et son fonctionnement. A la communauté scientifique et à nous, chefs d’établissement, d’expliquer et de convaincre.
La science est partout, avec ses succès et ses échecs »En découle un troisième constat. Les universités ont un rôle essentiel, car non seulement elles produisent au sein des unités de recherche les nouvelles connaissances, mais elles les transmettent aussi. Nos chercheurs et chercheuses ont été ainsi en première ligne partout en France pour expliquer et vulgariser. Une des raisons d’être des universités est d’élever le niveau de qualification des jeunes, en les formant aussi à ce qu’est la recherche. C’est le lien formation-recherche, qui doit permettre à la France d’être un creuset de l’innovation.
Enfin, le quatrième constat, face à une crise économique sans précédent depuis 1945, c’est que nos universités sont des leviers de croissance majeurs de nos territoires comme acteurs économiques par exemple sur les infrastructures numériques, les Edtechs ou encore le BTP Bâtiment et travaux publics autour de la rénovation énergétique de l’immobilier universitaire.
Les universités, interlocutrices incontournables des collectivités et des représentants de l’État en région
Sur la base de ces quatre constats, je tire comme président de la CPU Conférence des présidents d’université deux leçons de cette crise.
- La première concerne notre environnement. L’ancrage territorial de nos universités, leur poids démographique, économique et bien sûr scientifique, a renforcé leur rôle d’interlocutrices incontournables des collectivités et des représentants de l’État en région.
- Le seconde, à propos de nos établissements, c’est que, pour celles et ceux qui l’ignoraient, on a pu mesurer la mobilisation de nos personnels au service des étudiants, leur créativité et leur adaptabilité. Des transformations que l’on pensait impossibles ont été engagées en un temps record : sur le numérique, sur interdisciplinarité avec des travaux conçus à l’initiative des chercheurs, etc.
Cette énergie doit être un tremplin pour accélérer les évolutions fortes de ces dernières années, par exemple sur l’individualisation de l’accompagnement de nos étudiants.
Faites-nous confiance, laissez-nous travailler »Ces constats, ces leçons me conduisent à souhaiter haut et fort deux changements. D’abord, un changement d’état d’esprit des pouvoirs publics : vous devez faire confiance à nos universités. Elles viennent de montrer à une échelle jamais vue, ce dont elles étaient capables : réactivité, créativité, souci du bien commun.
Je résumerais en disant : « Faites-nous confiance, laissez-nous travailler ». C’est ce que l’on appelle dans le monde entier l’autonomie !
Ensuite, une prise de conscience que l’enseignement supérieur et la recherche font partie des « fondamentaux » d’une reconstruction économique et sociale durable. Ainsi, si l’hôpital parait à juste titre prioritaire, on ne doit pas oublier qu’il fonctionne parce que les universités forment les professionnels de la santé et en soins infirmiers, que la recherche en santé, au sein de nos unités de recherche, ne se limite pas à son aspect médical, et que nos professeurs des universités sont au cœur du fonctionnement des CHU.
L’enseignement supérieur et la recherche ne sont pas LA solution, mais ils sont une partie de la solution.
Sylvie Blanco, directrice de l’innovation à GEM Grenoble Ecole de Management et directrice du campus GEM Labs : « Construire le meilleur des deux mondes par hybridation »
Notre organisation ne sera sans doute plus jamais le théâtre de joutes délicieuses entre les partisans du 100 % e-learning face à ceux du 100 % présentiel, sous le regard souvent désabusé des défenseurs d’un modèle hybride non éprouvé.
La situation de crise extrême et inédite a subitement conduit toute l’organisation à expérimenter l’impensable : la distanciation physique forcée palliée par la proximité numérique, et non la proximité physique complétée par la distanciation numérique.
Les enseignements de cette expérience sont partagés par tous : il ne s’agit plus de bâtir le meilleur des mondes en opposant physique et numérique, mais bien de construire le meilleur des deux mondes par hybridation, du physique et du numérique, de l’ancien et du nouveau, du local et de l’international, des jeunes et des expérimentés ! Un nouveau champ des possibles est à explorer sur la base des preuves apportées par l’expérimentation.
Donner les moyens d’agir collectivement »Les initiatives collectives et spontanées visant à permettre aux citoyens de se mobiliser face aux difficultés de la crise se sont multipliées, sans qu’ils n’aient posé la question de la compensation de leurs efforts. Ce mouvement massif des consciences, qu’aucun leader établi n’aurait pu susciter, a été non seulement la source d’un immense sentiment de fierté nationale mais aussi, un moyen de surmonter le confinement et de préserver nos capacités de reprise économique.
Alors s’il est important de bien reconnaître les acteurs de cette création de valeur humaine, sociétale et économique a posteriori, il est sans doute encore plus vital de la favoriser.
Comment ? En appuyant sur les bons leviers de motivation et d’action : donner les moyens d’agir collectivement pour contribuer concrètement à un monde meilleur, plutôt que chercher à offrir la meilleure rétribution économique individuelle quitte à stimuler une compétition fratricide.
Questionner nos modèles d’innovation »Le monde de demain fait l’objet de belles promesses notamment de la part des acteurs de la technologie. La réalité est quant à elle plutôt décevante. Loin des promesses, la société subit certains effets collatéraux indésirables. Cet écart qui nous éloigne d’un futur souhaité doit questionner nos modèles, en particulier d’innovation face aux enjeux de transitions durables.
À cet égard, les dispositifs qui ont vu le jour pour pallier les effets d’une crise inédite et imprévisible peuvent nourrir la réflexion. Notamment, des constellations de réseaux d’acteurs en interaction se sont mobilisés, autour de visions partagées et ambitieuses d’un monde durable. Des équipes d’une grande diversité de connaissances se sont engagées dans des expérimentations de terrain, à petite échelle et à moindre coût, pour découvrir et apprendre de nouvelles façons de résoudre les problèmes urgents.
En définitive, la réussite de ces innovations de transition repose avant tout sur la richesse du capital humain engagé, la diversité des acteurs en interaction, l’agilité des processus d’apprentissage en situation.
Alors comment aider à construire le monde de demain ? En rééquilibrant les efforts entre d’une part l’excellence technologique et les grands projets d’innovation de rupture et d’autre part la richesse du capital humain (aujourd’hui en grand précarité), la diversité des réseaux d’acteurs (plutôt que leur intégration), la création d’espaces d’apprentissage par l’expérimentation.
Il est urgent de (re)mettre la formation au cœur des systèmes d’innovation de transition. Restera ensuite à traiter de la diffusion de cette innovation !
Pascal Aimé, responsable du collège Esri Enseignement supérieur, recherche et innovation de l’Igésr Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche : « Renoncer à vouloir tout changer et faire des choix »
Je suis toujours très circonspect lorsque l’on demande « qu’est ce qui ne sera plus jamais comme avant la crise ? ». En effet, je suis partagé entre le souhait que la crise permette de remettre les priorités en perspective, de retenir les leçons des évènements en cours et l’expérience qui montre que très souvent les forces de rappel à l’équilibre antérieur sont, au final, les plus fortes.
Si cette crise montre néanmoins, pour qui veut bien regarder les faits objectivement, que c’est grâce aux établissements d’enseignement supérieur, notamment les universités, et à leurs personnels que des solutions certes imparfaites ont pu être proposées aux étudiants, il faut se garder de verser dans l’optimisme béat.
Personne ne sait vraiment combien d’étudiants ont été perdus »Oui, une offre de continuité pédagogique a été proposée partout et de nombreux étudiants en ont bénéficié, ce qui a permis de passer le pic de la première vague sans rompre le lien. Oui, la communauté universitaire a beaucoup travaillé, y compris collectivement, en bonne articulation avec les équipes de direction (83 % des personnels se déclarent satisfaits de la manière dont leur direction a géré les évènements).
Mais personne ne sait vraiment combien d’étudiants ont été perdus depuis le mois de mars (certaines universités évoquent plusieurs milliers d’étudiants) ni quels seront les impacts à moyen terme des enseignements dispensés à distance. Les taux de réussite 2019-2020 ne seront, de ce point de vue, aucunement significatifs, quel que soit leur niveau.
Tirer les leçons de ce qui se passe, c’est me semble-t-il renoncer à vouloir tout changer et c’est au contraire choisir, car on ne pourra pas tout faire.
Utiliser l’enseignement à distance pour dégager du temps d’enseignant
En matière de formation, chacun sait que le plus difficile à réussir c’est de concilier une forme d’industrialisation de l’accueil de masse en licence et individualisation des parcours, gage de réussite d’étudiants aux profils toujours plus variés. De ce point de vue, l’hybridation des formations mêlant présentiel et distanciel est la grande leçon à tirer.
Sans rentrer dans le débat sur l’intérêt de vider ou non les amphithéâtres, l’idée est plutôt d’utiliser l’enseignement à distance pour dégager du temps d’enseignant - une fois l’investissement dans des contenus adaptés et plus innovants dans la forme réalisé, qui puissent le cas échéant être mutualisés entre les établissements, pour s’occuper davantage, et mieux, en présentiel, des étudiants en petits groupes.
Un tel choix a des conséquences, d’abord en termes d’accès au numérique pour tous (matériel et internet pour tous les étudiants, infrastructures pour les établissements), de formation des enseignants, de développement des ressources pédagogiques mutualisées.
L’importance de la mutualisation »La deuxième conséquence est celle de la répartition du temps des enseignant-chercheurs entre formation et recherche. Si beaucoup a été fait ces dernières semaines, c’est aussi parce que les laboratoires tournaient au ralenti ou moins vite qu’habituellement. Le redémarrage des activités de recherche rendra automatiquement les enseignants moins disponibles pour se former et développer de nouveaux contenus, d’où l’importance de la mutualisation.
Quelle est la valeur ajoutée du temps passé par un enseignant isolé pour préparer un cours d’initiation au droit constitutionnel en L1 par exemple, par rapport au même enseignement qui serait préparé par d’autres universitaires et mutualisé ? Il faudra également revoir et adapter les modalités de définition de l’activité d’enseignement.
Dans une perspective de flexibilité, la question se posera également de savoir si l’on peut recommencer en deuxième partie de l’année une unité d’enseignement programmée au premier semestre comme on rejoue un Mooc Massive open online courses .
Bien sûr il y aura aussi des conséquences en termes de besoins en personnels de soutien (ingénieurs pédagogiques) ou d’adaptation des locaux mais les réponses devront s’étaler dans le temps.
La troisième conséquence porte sur la répartition du temps dans l’année et donc sur la place requise pour le contrôle des connaissances. Le développement du contrôle continu, largement utilisé cette année, de préférence intégral ou quasi intégral, doit devenir « la norme », d’abord pour dégager du temps pour les apprentissages mais aussi pour permettre d’évaluer plus rapidement et plus régulièrement l’acquisition des connaissances et compétences des étudiants.
Le développement de la numérisation partout où cela est possible
En matière de gestion et de fonctionnement des établissements, la priorité doit être la poursuite et le développement de la numérisation partout où cela est possible (gestion, accès à l’enseignement supérieur, jurys de recrutement, documentation électronique, votes des étudiants, etc.), avec l’idée centrale de la simplification et de l’accessibilité des procédures au plus grand nombre.
Dégager du temps pour les tâches à haute valeur ajoutée et l’offre de nouveaux services aux usagers, développer le télétravail pour redonner une maîtrise de leur temps personnel aux agents.
Mieux coordonner l’essentiel et libérer le reste »Cela passe également par une simplification des règles. C’est d’une certaine manière ce qui a été fait ces trois derniers mois. Il faudra évaluer si le système a moins bien fonctionné sans les règles qui ont été mises entre parenthèses. Apprendre à mieux coordonner l’essentiel et libérer le reste, en faisant confiance aux établissements et au niveau local, puis en évaluant a posteriori. Personne n’y est vraiment arrivé jusqu’à présent.
Les impératifs de gestion de la crise ont également montré l’importance de la solidité du tandem président-directeur général des services dans les établissements. Souhaitons que l’après-crise permette de progresser dans la clarification de la répartition des rôles entre élus et cadres administratifs.
En matière d’accompagnement de la vie étudiante, il faudra faire plus. Les établissements et les Crous Centre régional des œuvres universitaires et scolaires ont fait beaucoup durant la crise mais depuis des années, les difficultés en matière d’alimentation, de santé se dégradent pour beaucoup d’étudiants. La crise sanitaire n’a fait qu’exacerber les choses.
Hébergement, restauration, santé, culture, équipements collectifs, accompagnement et soutien psychologique, etc. sont des priorités pour tous et surtout pour ceux dont le présentiel restera la priorité ou l’obligation. Pour cela, il faut clarifier le jeu des acteurs - remettre les universités et écoles au centre des responsabilités - et dégager des moyens (par exemple utiliser autrement les moyens budgétaires consacrés aux allégements fiscaux sur l’impôt sur le revenu).
La place de l’expertise scientifique dans la décision publique
En ce qui concerne la recherche, la préparation de la loi de programmation a déjà permis de cerner beaucoup d’enjeux, notamment financiers, d’un exercice qui s’inscrit dans un fort contexte international. La crise a mis en exergue des priorités qui apparaissent encore plus évidentes (après que les évènements ont eu lieu) tels que l’importance de la recherche dans le domaine de la santé, y compris lorsque les enjeux n’apparaissent pas de court terme (Cf. l’abandon des recherches sur le coronavirus après 2003).
Les universités replacées au centre du jeu »Parmi les priorités, citons la science ouverte, la place de l’expertise scientifique dans la décision publique, l’éducation scientifique des citoyens (cf. les réactions sur l’hydroxychloroquine) ou la place de l’Europe dans le processus de relance de l’activité, notamment du pacte vert pour l’Europe.
La crise aura également rappelé l’importance des universités dans le dispositif, non pas parce qu’elles seraient meilleures que les organismes, mais parce que leur statut d’acteur local et d’hébergeur principal des laboratoires, en lien direct avec les ARS et les préfets, les ont replacées de fait au centre du jeu.
Sophie Kennel, directrice de l’Idip à l’Unistra : « Placer l’étudiant au centre de la formation »
Plusieurs choses ne seront jamais plus comme avant la crise. Parmi elles, le rapport à l’étudiant et la nécessité de prendre en compte ses besoins, la diversité des profils pour enseigner, et que l’étudiant doit être au centre de la formation, et non plus l’enseignant.
On peut aussi citer les représentations sur le numérique, en particulier en éducation : la fracture numérique existe toujours, et les fractures cognitives encore plus, du côté des enseignants comme des étudiants
Ce que j’aimerais voir changer :
- Que l’étudiant dans sa diversité reste au cœur des dispositifs de formation : par une meilleure connaissance de ces publics, par la formation des enseignants, par des pratiques pédagogiques agiles, centrées sur les apprentissages, etc.
- Que l’engagement enseignant soit reconnu et récompensé : par un changement des représentations sociales, une reconnaissance dans la carrière
- Que les réussites étudiantes soient travaillées dans une approche décloisonnée, comme on l’a vu pendant la crise : collaboration des service, travail en équipes pédagogiques, etc.
L’Esri peut aider à construire le monde de demain, par la recherche bien sûr, en santé mais aussi en SHS. Et en changeant de paradigme : le rapport à l’étudiant, avec une approche 360° de l’enseignement (former pour les savoirs universitaires, pour l’insertion pro et pour le développement de l’individu).
Laure Coudret-Laut, directrice de l’agence Erasmus+ France : « Bâtir une réflexion sur le besoin d’investir sur ces biens communs que sont l’éducation, la santé, la culture, la biodiversité »
L’indice de sensibilisation digitale des agents a fortement progressé. L’agence Erasmus+ France/Education Formation avait procédé en fin d’année 2019 à une évaluation de son indice de sensibilisation digitale (ISD) moyen. Il se situait à 63,7/100 correspond au profil « curieux tendance sponsor » c’est-à-dire que l’ensemble des profils était globalement favorable à la transformation digitale.
En effet, lorsqu’un collaborateur intègre l’agence, il est automatiquement équipé d’une trentaine de sites et service web et en fonction de ses activités et des interactions au sein de l’agence, c’est un peu plus de 70 sites et services web qui sont utilisés par les agents avec une fréquence haute.
La crise sanitaire de la Covid-19, le confinement et le développement du travail à distance a sans doute fait considérablement progresser cet indice sachant que d’autres outils sont venus renforcer les outils existants totalement accessibles à distance. Je pense notamment à tous les outils de visioconférence dont le département de la promotion était très familier, mais que chacun a utilisé quotidiennement dans sa relation hiérarchique et de travail en transversal. Cela vaudra la peine à l’automne d’actualiser nos données.
Considèrer la mobilité hybride dans son intégralité »L’autre constat c’est une vision plus large de la mobilité : avec le confinement progressif des pays en Europe et au-delà, les apprenants en mobilité et leurs établissements ont affronté des situations très différentes et les établissements, les services RI notamment, ont fait preuve de beaucoup d’innovation.
On envisage donc dès maintenant et pour la rentrée prochaine, des mobilités hybrides (elles étaient prévues pour le prochain programme 2021-2027) qui combineront des activités numériques entre l’université de départ et l’université d’accueil avant les mobilités physiques qui pourront donc être plus flexibles en termes de durée.
Le regard sur les mobilités évolue donc et se définit dès la période de préparation en quelque sorte, comme il inclut une reconnaissance qui considère la mobilité hybride dans son intégralité (numérique + physique). C’est un changement très fort.
Placer les biens communs au centre de nos préoccupations
Ce que je peux souhaiter comme évolutions, c’est de voir le retour de la qualité pour tous dans l’accès aux infrastructures digitales. La fibre est loin de couvrir tout le territoire français. Je voudrais voir des outils de visioconférence plus participatifs et moins construits sur une vision top-down des rapports de travail. Enfin, je voudrais que la confiance revienne en chacun car c’est le ciment de la construction des projets européens.
Les dimensions sociales et sociétales de l’espace européen de l’éducation et de la formation, de la recherche et de l’innovation sont vitales pour le rebond. Elles doivent placer les biens communs au centre de nos préoccupations et bâtir une réflexion sur le besoin d’investir sur ces biens communs que sont l’éducation, la santé, la culture, la biodiversité et ce au niveau de l’UE.
Le confinement dans la crise sanitaire a trop pointé les inégalités d’accès au savoir pour les jeunes fragiles, pour ceux des filières techniques qui ont décroché du système éducatif. Il est donc essentiel qu’un programme comme Erasmus+ à partir de 2021 devienne plus inclusif et poursuive le développement de partenariats européen autour de la solidarité, de la santé, du raccrochage scolaire. Les #ErasmusDays prévus du 15 au 17/10 cette année porteront haut et fort ces enjeux.
Florence Dufour, directrice de l’école d’ingénieurs EBI École de biologie industrielle : « Une organisation du travail qui intègre le distanciel sans perdre la qualité des relations humaines »
Le pilotage sécurité de l’établissement sera renforcé sur la protection sanitaire. Nous avions déjà des distributeurs de gel hydroalcooliques, depuis 2016, dans toute l’école. Mais à présent, nous savons qu’une personne malade devra prendre l’habitude de se masquer pour protéger la communauté, comme c’est le cas en Asie.
Le présentiel est essentiel pour notre développement, mais nous relativiserons sa place, car il est également coûteux au plan environnemental, familial et sociétal. Les multimodalités de travail seront encouragées grâce à l’accord que nous avions signé en juillet 2019.
En ce qui concerne le travail administratif, le télétravail a été très efficace, a permis une dématérialisation appréciée de nos partenaires et des salariés. Le travail collaboratif, déjà ancré dans la culture de l’EBI a été efficace. Les réunions distancielles ont produit des résultats qualitatifs, au moins aussi pertinents qu’en présentiel. Nous allons même avoir un audit de suivi ISO en distanciel au mois de juin, le tout sans stress excessif du fait de la performance des outils numériques de l’école.
Intégrer le distanciel sans perdre la qualité des relations humaines »Nous avons, avec nos étudiants et nos équipes réussi à bâtir notre programme en distanciel. Les étudiants ont apprécié les cours distanciels « en temps réel » mais aussi les enregistrements permettant le travail asynchrone. Les étudiants handicapés ou blessés pourront, comme les autres, choisir s’ils le souhaitent des modalités distancielles ce qui va faciliter leurs études.
L’organisation du travail intègrera le distanciel sans perdre la qualité des relations humaines. Considérant le fort développement des échanges et des projets en équipe internationale, la possibilité pour les équipes et les étudiants de travailler à distance sera conservée et encouragée.
Nous avons apprécié de développer nos enseignements distanciels, et utilisé de nombreux outils collaboratifs. Cette crise a conforté l’EBI dans le développement de ses valeurs de coopération, et d’intelligence collective. Nous avons approfondi notre confiance mutuelle, les enseignants se sont soutenus, invités dans les cours des uns et des autres, et conseillés pour améliorer leurs pédagogies distancielles.
Le mix présentiel / distanciel pour les étudiants, français et internationaux, les personnels… et la planète
Nous voudrions que nos enseignants-chercheurs préparent leurs cours en pensant dès le départ à une valorisation tout azimut : pour leurs étudiants, pour les étudiants étrangers, pour les étudiants des universités partenaires, pour les étudiants qui ne peuvent pas se déplacer, pour les anciens qui veulent revoir certaines notions, pour les salariés en formation continue, pour des webinars internationaux. C’est le même sujet, développé grâce aux mêmes plateformes, et qui fait rayonner l’établissement au niveau international
Nous voulons capitaliser sur nos cours distanciels et les développer, au profit des étudiants français et internationaux. Nous avons déjà des demandes d’étudiants français d’autres régions voulant faire un mastère spécialisé à distance, et ainsi économiser les transports et le coût d’un logement pour les six mois de formation. Nous allons expérimenter cette modalité présentielle/distancielle en 2020/21 puis la développer en français et en anglais. Ce développement permettra aux étudiants de nos universités partenaires de faire les modules à distance qui les intéressent et que leur université préconise.
Nous espérons qu’une partie de l’équipe choisira le mix télétravail/travail sur site. Ce choix permettra de baisser l’empreinte carbone de l’école. Il est bon pour notre équilibre et pour la planète.
Déployer des innovations sociétales et organisationnelles »Quant à la question de savoir en quoi l’Esri peut aider à répondre aux enjeux de demain : en n’oubliant jamais que le premier modèle d’organisation vu par les étudiants est le modèle managérial de l’école.
En innovant sur ce plan, on donne les clés à de futurs ingénieurs et managers pour qu’à leur tour ils déploient des innovations sociétales et organisationnelles dans les entreprises qui les emploieront ou qu’ils créeront. Et se rapportant à une ou plusieurs thématiques : pédagogie, recherche, management, organisation du travail, environnement, international, Europe, numérique, territoire, financement, transfert de savoirs, évaluation, édition scientifique, etc.
Olivier Le Gall, président du conseil de l’Ofis : « Ce que nous enseigne la crise de la Covid-19 en matière d’intégrité scientifique »
La crise pandémique que nous traversons est causée par un virus, inconnu de la science il y a quelques mois encore. Le besoin de connaissances nouvelles et mutualisées est donc critique et traverse toute la société, des soignants aux décideurs politiques en passant par les « simples » citoyens, et de l’échelle locale à l’échelle globale.
Ainsi a-t-on pu assister avec un certain réconfort, dans des délais et à une échelle sans précédents, à la remobilisation [1] de moyens de recherche et la mobilisation de nouveaux moyens [2], mais aussi à la mutualisation massive de résultats via des pratiques de « science ouverte ».
Bases de données, archives de preprints [3], blogs scientifiques, initiatives citoyennes scientifiques [4], espaces thématiques ouverts par les maisons d’édition. J’en passe : si cette crise de la Covid-19 a un seul effet positif, ce sera peut-être d’avoir provoqué cet appel d’air pour la science ouverte. Marin Dacos, conseiller science ouverte à la DGRI, a récemment pu qualifier la pointe française de cet iceberg, à raison, de « test grandeur nature pour le Plan national de la science ouverte »[5].
Une mutualisation massive de résultats via la science ouverte »Ainsi, et sans doute pour la première fois dans l’histoire de la recherche biomédicale - en tout cas à cette échelle -, chacun peut voir la science en train de se faire et bénéficier de ses acquis en temps quasiment réel. Fort bien, mais voir ainsi « sous le capot » de la science qui se fait, a aussi provoqué chocs et malentendus, parfois justifiés.
Comment ça, la mise au point d’un test de diagnostic ou d’un vaccin prend du temps ? Comment ça, les savants doutent ? Comment ça, ils ne sont pas toujours d’accord ? Ah bon, il y a une différence entre étude rétrospective et essai contrôlé randomisé ? Comment ça, pour être recevable une étude doit obéir à certaines règles méthodologiques, statistiques et éthiques ? Comment ça, dans le cas contraire une société savante ou un éditeur peut émettre une « expression of concern », ou même des auteurs peuvent souhaiter la rétraction d’un article ?
Les sujets de surprise voire de déception collective ne manquent pas, d’autant que l’ouverture des données et des publications accélère même ces processus et les expose.
La science en construction tâtonne, se trompe, avance et recule (ceci est normal), se compromet parfois (cela ne l’est pas)
Pour partie, ce trouble trouve son origine dans un manque de culture partagée de ce qui constitue le fondement de la méthode scientifique : le doute, le débat, bref tout ce qui fait la nuance entre un « savant » et un « chercheur », tout ce qui permet au second de surfer sur l’inconnaissance pour construire une connaissance utile.
Mais il reste une réelle difficulté : non seulement les processus qui assurent habituellement la fiabilité des avancées scientifiques sont faillibles car humains mais, et précisément parce qu’ils sont faillibles et pour y remédier, leur temps est nettement plus long que celui des médias ou de la décision de crise.
La science en construction tâtonne, se trompe, avance et recule (ceci est normal), se compromet parfois (cela ne l’est pas).
Il y a un an l’Ofis organisait le colloque « Intégrité Scientifique et Science Ouverte », avec entre autres le Coso [6]. Pour la première fois le constat était alors fait que, si l’ouverture de la science porte indéniablement une ambition vertueuse, son articulation avec l’intégrité scientifique mérite d’être approfondie. La crise pandémique a fourni l’illustration de ces deux dimensions : vertu fondamentale et approfondissement nécessaire.
Le risque est grand de confondre vitesse et précipitation »Comment assurer quotidiennement la fiabilité des dizaines de preprints non évalués par les pairs, et même d’articles publiés sous pression et dans des délais de facto incompatibles avec une évaluation sérieuse ? Comment assurer en temps réel que les données massivement partagées sont solides et ne vont pas induire une cascade internationale d’erreurs d’interprétation ? Quelle interdisciplinarité pour ces processus et quelle interface praticienne et même citoyenne dès lors que quoi qu’il en soit mais à leur façon, praticiens et citoyens y participent bel et bien ?
Si produire et mutualiser des connaissances scientifiques aussi largement et aussi rapidement que possible est critique dans une telle crise, s’assurer de leur fiabilité ne l’est pas moins ; à défaut, le risque est grand de confondre vitesse et précipitation.
L’ouverture de la science aura sans doute été un succès à l’occasion de la crise de la covid-19. Vue de la lucarne de l’intégrité scientifique, la crise aura toutefois confirmé l’impérieux besoin de stabiliser les fondements d’une science ouverte pleinement responsable.
C’est une des tâches auxquelles s’attelle l’Ofis, avec ses homologues européens et le Coso.
[1] Voir par exemple la remobilisation spontanée du laboratoire MIVEGEC http://covid-ete.ouvaton.org/
[2] Appel « Flash » ANR, appel du consortium REACTing, appels à projet dédiés covid-19 de la commission européenne, etc.
[3] Voir la synthèse proposée par ASAPBio https://asapbio.org/preprints-and-covid-19 et à titre d’exemple le portail commun medRxiv/bioRxiv https://connect.biorxiv.org/relate/content/181
[4] Voir par exemple https://crowdfightcovid19.org/
[5] Voir l’entretien news tank n° 180040 https://education.newstank.fr/fr/article/view/180040/covid-19-bon-test-grandeur-nature-plan-national-science-ouverte-marin-dacos.html
[6] Le retour en images sur ce colloque est mis à disposition par l’OFIS à l’adresse https://www.hceres.fr/fr/actualites/retour-en-images-sur-le-colloque-integrite-scientifique-et-science-ouverte