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ExclusifAlain Devaquet et sa loi face à l’ « ancien monde » (Christian Forestier et Jean-Loup Salzmann)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°112053 - Publié le 01/02/2018 à 17:00
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©  D.R.
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« Il ne serait pas juste d’attacher à la mémoire d’Alain Devaquet une vision réactionnaire de l’université, bien au contraire. Tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer, surtout après les évènements de décembre 1986, peuvent témoigner de son rejet de cette droite revancharde dont le moteur principal était la haine du printemps 1968 », écrivent le recteur Christian Forestier et l’universitaire Jean-Loup Salzmann, ancien président de la CPU, dans une analyse pour News Tank, le 01/02/2018.

Alain Devaquet, décédé le 19/01/2018, était ministre délégué chargé de la recherche et de l’enseignement supérieur en 1986 sous le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac. Le projet de loi de réforme de l’université qu’il a porté s’est heurté a une forte mobilisation qui a conduit à son abandon. 

« En se replongeant 30 ans en arrière pour voir comment cette loi a mis dans la rue tant de manifestants, on peut mesurer la transformation profonde de la société française pendant cette période et le chemin parcouru », écrivent Christian Forestier et Jean-Loup Salzmann, dont le texte commun éclaire cette période en replaçant le mouvement de contestation de 1986 dans la lignées des lois Faure et Savary, mais aussi des projets initiaux du gouvernement Chirac qui tendaient vers un « retour au mandarinat et au régime facultaire ».

Ils estiment que « la coupure idéologique entre une droite dure et nostalgique et une gauche frileuse et démagogiquement soucieuse de ne pas heurter certaines organisations lycéennes et étudiantes, explique pourquoi la loi Savary, certes progressiste lors de sa promulgation mais néanmoins au caractère inachevé s’agissant de l’autonomie, va rester en place pendant un quart de siècle ».


Le grand mouvement des plaques tectoniques de l’université

Par un triste hasard dont l’Histoire a le secret, Alain Devaquet est décédé au moment même où le Sénat s’apprête à voter sur une loi qui reprend, presque à l’identique, les termes de la fameuse « loi Devaquet ».

En se replongeant 30 ans en arrière pour voir comment cette loi a mis dans la rue tant de manifestants, on peut mesurer la transformation profonde de la société française pendant cette période et le chemin parcouru.

Le grand mouvement des plaques tectoniques de l’université a commencé avec le tremblement de terre de 1968, il y a 50 ans déjà ! La loi Edgar Faure a supprimé les facultés, créé les universités pluridisciplinaires d’aujourd’hui et, en théorie autonomes, et instauré la démocratie universitaire symbolisée par l’élection des conseils et des présidents d’université par l’ensemble des trois collèges : étudiants, personnel administratif et technique, et enseignants. Cette loi votée à l’unanimité, mais dans un climat de peur ne sera jamais vraiment acceptée par la droite universitaire la plus conservatrice.

C’est dès  la présidence de Valéry Giscard d’Estaing que deux tentatives, limitées, de remise en cause de la loi Faure ont été mises en œuvre.  

  • La première par Jean-Pierre Soisson alors secrétaire d’État aux universités qui diminuait le nombre d’étudiants dans les conseils ;
  • puis sous Alice Saunier Seïté, en 1980, par la loi Sauvage qui donnait une prééminence écrasante aux seuls professeurs dans les conseils d’université, allant jusqu’à réduire à cette unique catégorie d’enseignants l’éligibilité à la fonction de président. Pour bien comprendre le caractère provocateur de ce projet, il faut se souvenir que les professeurs d’alors correspondaient uniquement aux professeurs de 1re classe et classe exceptionnelle d’aujourd’hui.

La loi Savary avait pour ambition d’enrichir la loi Faure

L’élection de François Mitterrand a entraîné l’arrivée d’Alain Savary et dès l’été 1981, l’abrogation de la loi Sauvage puis l’adoption le 26/01/1984 d’une nouvelle loi sur l’enseignement supérieur qui pour la première fois confiait aux universités une mission de professionnalisation, accroissait la démocratie universitaire et essayait, en tout cas dans son esprit, d’augmenter leur autonomie. Il est important de comprendre que la loi Savary loin d’être en rupture avec celle d’Edgar Faure n’avait pour ambition que de l’enrichir.

La défaite de la gauche aux élections de 1986 produit la première cohabitation et voit l’arrivée à Matignon de Jacques Chirac et la nomination d’Alain Devaquet comme ministre délégué à la recherche et à l’enseignement supérieur.

Un excellent scientifique porteur de valeurs humanistes »

Celui-ci, universitaire reconnu, n’est pas un vrai politique, c’est d’abord et surtout un excellent scientifique porteur de valeurs humanistes. Mais la droite universitaire elle, veille au grain en la personne du conseiller de Jacques Chirac pour l’enseignement supérieur, le recteur Yves Durand, membre de l’UNI Union nationale interuniversitaire et du club de l’Horloge.

Une communauté universitaire divisée 

Il faut se replonger dans l’atmosphère de l’époque : une communauté universitaire extrêmement divisée sur des bases totalement idéologiques.

  • D’une part  il existe un pôle majoritaire mené par une gauche universitaire enseignante dopée par l’arrivée de la gauche en mai 1981, et des étudiants très politisés regroupés dans une Unef Union nationale des étudiants de France divisée entre une Unef proche du parti communiste (Unef-SE) et une autre Unef socialo-trotskyste plus proche du PS (Unef-ID).
  • En face se retrouvent  les enseignants très marqués à droite du syndicat autonome et les membres de l’organisation Union nationale interuniversitaire, l’UNI, créée au lendemain des évènements de 1968 dans les locaux du SAC, regroupant des lycéens, étudiants et enseignants d’une droite dure.

Le retour du mandarinat et du régime facultaire

Dès l’élection de Jacques Chirac, un groupe de pression se met en place autour du recteur Durand et rédige rapidement une proposition de loi déposée par le député Jean Foyer dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle renvoie tout simplement l’université française à la situation d’avant 1968 ; c’est le retour du mandarinat et du régime facultaire chers aux enseignants de droite, notamment en droit et médecine, avec en prime la sélection des étudiants dès l’entrée en premier cycle.

À gauche, la résistance s’organise immédiatement. Politiquement d’abord autour de Laurent Fabius devenu responsable de ce secteur au sein de la direction du PS et avec les proches d’Alain Savary, puis syndicalement par le Snesup Syndicat national de l’enseignement supérieur et le SGENSup.

Cent présidents ou anciens présidents d’université expriment leur opposition totale »

Cent présidents ou anciens présidents d’université expriment leur opposition totale à cette proposition. L’ordre alphabétique fait que le premier signataire de cet appel n’est autre que Michel Alliot, premier président de l’Université Paris 7, mais surtout ancien directeur du cabinet d’Edgar Faure et à ce titre le principal rédacteur de la loi de juillet 1968, mais aussi ancien époux de Michèle Alliot-Marie alors au gouvernement et dont on sait qu’elle a contribué à la rédaction du projet porté par Jean Foyer.

Alain Devaquet chargé de proposer un nouveau texte

Jacques Chirac comprend assez vite le caractère dangereux de la situation et charge donc Alain Devaquet de proposer un nouveau texte qui sera présenté au conseil des ministres le 11/07, c’est-à-dire à la veille du départ en vacances.

Le mot sélection est soigneusement évité  »

L’approche d’Alain Devaquet, est, elle, bien évidemment plus modérée : donner plus d’autonomie aux universités et laisser ces dernières choisir leurs étudiants. Le mot sélection est soigneusement évité et surtout le rôle du baccalauréat pour accéder aux études universitaires est réaffirmé.

Cependant les lois de 1968 et 1984 restent abrogées et ce n’est pas trahir un secret que de dire que durant toute cette période, Alain Devaquet a dû composer difficilement avec les extrêmes de l’UNI regroupés autour du recteur Durand. C’est peu dire qu’il en gardera une profonde amertume.

La mobilisation contre le projet de loi

Mais à la rentrée d’octobre, la mobilisation s’organise de façon très professionnelle autour des syndicats étudiants très politisés, sur des bases idéologiques qui aujourd’hui sembleraient dépassées.

C’est l’Unef ID, largement influencée par les courants trotskystes, notamment par le courant lambertiste, qui est principalement  à la manœuvre. Le principal moteur de la révolte est l’utilisation du mot sélection, qui pourtant ne figure nulle part dans le texte, mais qui est largement utilisé par des orateurs très éloquents, d’abord à Dijon et Villetaneuse puis sur l’ensemble du territoire.

Le deuxième moteur est un sentiment généralisé dans le milieu étudiant qu’il fallait prendre une revanche sur le gouvernement Chirac qui avait mis fin à un gouvernement d’union de la gauche.

Les manifestations étudiantes les plus importantes depuis mai 68 »

Très vite l’action combinée des Unef et d’une nouvelle organisation de jeunesse, très suivie par François Mitterrand, « SOS racisme » d’une part et d’autre part des surenchères répétées de l’UNI vont déboucher sur les manifestations étudiantes les plus importantes depuis mai 68, qui auront  raison de la tentative réformatrice du ministre Devaquet.

Le coup de grâce est donné en deux temps, tout d’abord le 05/12 par la reprise du dossier par le ministre de l’éducation de l’époque, René Monory, qui désavoue ainsi son ministre délégué, puis  immédiatement après par le drame de la mort de Malik Oussekine. Très choqué, Alain Devaquet démissionne et le 08/12, Jacques Chirac est obligé d’annoncer le retrait du projet de loi.

Rejet d’une droite revancharde  

Il ne serait pas juste d’attacher à la mémoire d’Alain Devaquet une vision réactionnaire de l’université, bien au contraire. Tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer, surtout après les évènements de décembre 1986, peuvent témoigner de son rejet de cette droite revancharde dont le moteur principal était la haine du printemps 1968.

La coupure idéologique entre cette droite dure et nostalgique et une gauche frileuse et démagogiquement soucieuse de ne pas heurter certaines organisations lycéennes et étudiantes, explique pourquoi la loi Savary, certes progressiste lors de sa promulgation, mais néanmoins au caractère inachevé s’agissant de l’autonomie, va rester en place pendant un quart de siècle.

Il faudra attendre les lois Pécresse, puis Fioraso et maintenant Vidal pour reprendre la marche en avant vers des universités de plus en plus autonomes, le dossier ne devant pas pour autant être refermé.

Néanmoins s’il reste encore quelques chapitres à écrire on doit reconnaître que peu d’institutions peuvent afficher une transformation aussi profonde que nos universités !                                           

Parcours

France Universités
Président de la Commission des moyens et des personnels
Ministère de la Recherche et de la Technologie
conseiller technique chargé de la biologie, de la médecine et de la culture scientifique et technique

Fiche n° 3490, créée le 22/04/2014 à 12:41 - MàJ le 27/04/2018 à 09:31

Christian Forestier


Chargé de mission sur la formation professionnelle au sein de la CPU (Conférence des Présidents d’université).


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Parcours

Fondation santé des étudiants de France
Président
France Universités
Chargé de mission sur la formation professionnelle
Comité de pilotage de la concertation sur la loi d’orientation et de programmation de la Refondation de l’École
Membre
Haut conseil de l’éducation
Président
Céreq (Cereq)
Président du CA
université de Marne-la-Vallée
Professeur associé
Haut conseil de l’évaluation de l’école
Membre
Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et l’innovation
Directeur de cabinet du ministre (Jack Lang)
Académie de Versailles
Recteur
Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et l’innovation
Direction générale des enseignements supérieurs
Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et l’innovation
Directeur des collèges et lycées
Académie de Créteil
Recteur
Ministère de l’Education nationale
Inspecteur général de l’éducation nationale
Ministère de l’Education nationale
Cabinet secrétariat d’état enseignement technique et technologique
Académie de Reims
Recteur
Université de Saint-Etienne
Président

Fiche n° 3146, créée le 22/03/2014 à 04:16 - MàJ le 15/09/2020 à 18:43


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