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Processus de Bologne : un succès global, des différences locales (François Resch, Ither Consult)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°111507 - Publié le 25/01/2018 à 18:06
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©  D.R.
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« Le processus de Bologne, à l’origine signé par 28 pays, compte maintenant 47 pays qui ont adhéré volontairement aux principes de cette démarche, aussi bien en ce qui concerne son cadre que ses outils. Force est donc de reconnaître qu’il s’agit indéniablement d’un succès global », écrit François Resch, professeur émérite à l’Université de Toulon qu’il a présidée et associé fondateur de Ither-Consult, dans une tribune pour News Tank, le 26/01/2018.

« En France, dans l’ensemble, le secteur des sciences et technologies s’est bien intégré dans cette approche basée sur les résultats. Entre autres les formations “vocational” (professionnalisantes) telles que les écoles d’ingénieurs, les cycles courts technologiques, les masters spécialisés, les écoles de management ont répondu assez vite aux critères proposés. Par contre des secteurs tels que les études médicales et artistiques n’entrent pas encore, ou très peu, dans ce schéma européen », estime-t-il aussi.

« Le processus de Bologne n’a jamais eu l’ambition de changer les structures, mais de changer les pratiques, ce qui prend beaucoup plus de temps, mais qui est autrement plus important. À ce jour, une acculturation a été faite, les mobilités de toutes natures ont été grandement augmentées, des projets européens partagés dépassant largement le seul secteur de l’enseignement ont été construits (formation, recherche, transferts) et ont bénéficié de l’apport du processus de Bologne », indique-t-il.

François Resch revient sur les enjeux et les perspectives du processus de Bologne, alors que la conférence de Bologne 2018 doit se tenir en France du 23 au 25/05/2018.


Le processus de Bologne : quand et pourquoi a-t-il été créé ?

Le processus de Bologne constitue un cadre de références commun pour harmoniser les systèmes d’enseignement supérieur tout en maintenant la diversité. L’objectif est de proposer des diplômes lisibles et facilement comparables permettant leur reconnaissance réciproque et favorisant ainsi la mobilité des étudiants.

L’EEESR (Espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche) a vu le jour à Paris en 1998 par la déclaration de la Sorbonne signée par quatre pays : l’Allemagne, l’Angleterre, la France et l’Italie. C’est l’année suivante, en 1999 à Bologne, que la création officielle a été signée par 28 pays de l’Union européenne sous le vocable « Processus de Bologne ». Aujourd’hui il concerne 47 pays, dont les 28 de l’Union européenne.

Ce processus identifie aujourd’hui six actions

  • Mettre en place un système facilement compréhensible et comparable de diplômes
  • Organiser les formations sur trois cycles et en semestres
  • Valider les formations par un système d’accumulation de crédits transférables entre les établissements
  • Faciliter la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs
  • Promouvoir une coopération européenne en matière d’assurance qualité des enseignements
  • Donner une dimension véritablement européenne à l’enseignement supérieur 

Le processus de Bologne vise à donner une lecture cohérente de l’EEESR sur laquelle chaque système national peut se projeter.

Il appartient donc à chaque pays, et à sa communauté universitaire de décider en toute liberté d’approuver ou de rejeter les principes de ce Processus.

En règle générale le Processus de Bologne ne veut pas se substituer aux spécificités et responsabilités nationales et encore moins uniformiser les systèmes éducatifs nationaux. Il ne s’agit pas non plus de créer un diplôme européen ni d’induire des équivalences entre diplômes de divers pays, mais de proposer des outils permettant de les connecter.

Il n’est en aucun cas coercitif, c’est ce qui fait son intérêt.

Au-delà de ces belles intentions, comment cela se concrétise-t-il ? 

Le Processus de Bologne s’appuie sur deux piliers, d’une part un cadre commun et d’autre part des outils communs permettant de présenter des diplômes lisibles et facilement comparables.

Les fondamentaux du cadre commun sont basés sur un changement de paradigme, à savoir que les programmes d’Enseignement supérieur doivent être centrés sur les étudiants et orientés vers les résultats.  La question n’est plus « qu’est-ce que vous avez fait pour obtenir votre diplôme ? », mais « qu’êtes-vous capable de faire, maintenant que vous avez obtenu votre diplôme ? ».

Ce cadre commun est présenté  sous la forme d’une organisation des études en trois cycles : licence, master, doctorat (LMD).

Des outils communs sont à la disposition des établissements 

  • les cadres nationaux de certification et le cadre européen de certification.
  • le système de crédits ECTS (European Credit Transfer System) qui définit la charge de travail nécessaire pour acquérir une compétence. À cet effet, un nouveau guide d’utilisation des ECTS est paru en 2015.
  • Les learning outcomes ou acquis de l’apprentissage.
  • Les  « Standards and Guidelines for Quality Assurance ».
  • Le supplément au diplôme, qui s’avère être une véritable carte d’identité pour les diplômes, surtout utile pour les établissements et institutions de pays différents.

Ces outils doivent permettre d’atteindre les grands objectifs initiaux, principalement les échanges d’étudiants entre pays européens et l’attraction d’un grand nombre d’étudiants de pays non européens vers l’Europe.

Enfin, ils doivent permettre de doter l’Europe d’une assise solide de connaissances avancées de haute qualité.

Et dans la France « contestataire » comment les choses se sont-elles passées ?

En France, l’année 2002 a été décisive par :

  • La mise en place du système LMD, de la semestrialisation, des crédits ECTS et du supplément au diplôme (DS).
  • La création de la CNCP (commission nationale des certifications professionnelles) et du RNCP (registre national des certifications professionnelles) qui doit fournir une information actualisée sur tous les diplômes, titres et certificats bénéficiant d’une reconnaissance officielle.

En 2007, la loi LRU Libertés et Responsabilités des Universités (loi LRU ou loi Pécresse du nom de la ministre Valérie Pécresse), appelée loi d’autonomie des universités, du 10/08/2007 adoptée sous le gouvernement Fillon fixe la construction de l’EEESR dans les missions de service public.

En cinq ans la France a adapté son système d’enseignement supérieur au nouveau paysage européen sans pour autant bouleverser ses structures. On se doit de noter que subsistent encore de larges secteurs non conformes aux recommandations notamment dans les cycles régulés.

Cette France « contestataire » s’est finalement plutôt mieux adaptée que d’autres pays participants.

Un processus de Bologne trop « technocratique » ?

On peut reprocher beaucoup de choses au processus de Bologne, mais sûrement pas d’être trop technocratique. En tout cas le processus repose sur le volontariat.

Le fonctionnement du processus de Bologne se situe à trois niveaux : international, national et institutionnel.

Les représentants des ministères de chaque pays et des institutions européennes forment un groupe de suivi de Bologne (BFUG Bologna Follow-up Group (Groupe de suivi du Processus de Bologne) ). A peu près tous les deux ans se tient une conférence des ministres en charge de l’Enseignement supérieur des pays participants pour faire le point sur les avancées du processus et le faire progresser. Une dizaine de conférences ministérielles se sont déjà tenues. En 2018, c’est à Paris que la prochaine  aura lieu, soit vingt ans après la « déclaration de la Sorbonne ». 

Au niveau national, jusqu’en 2013, des équipes nationales d’ « experts de Bologne » ont animé le suivi, et favorisé la progression, du processus dans leur pays. Des séminaires et groupes de travail sont régulièrement proposés. 

Au niveau institutionnel, les chefs d’établissement et les conférences de présidents et directeurs ont joué un rôle déterminant en relayant et appliquant dans leurs établissements les principes du Processus de Bologne.

Quel est le bilan 18 ans plus tard ? 

Un bilan complet a été réalisé et publié en mai 2015 : « The European Higher Education Area in 2015 : Bologna Process. Implementation Report ». 

Il a été présenté la même année à la conférence ministérielle d’Erevan. Il est donc possible de faire le point sur l’état d’avancement du Processus de Bologne une quinzaine d’années après son lancement.

De nombreuses analyses statistiques, relatives à l’évolution des différents outils communs du Processus, sont présentées pour l’ensemble des pays : nombres d’années d’études en licence ou en master, ou nombre de crédits ECTS correspondants et des learning outcomes, développement de l’assurance qualité…

Le processus de Bologne, à l’origine signé par 28 pays, compte maintenant 47 pays qui ont adhéré volontairement aux principes de cette démarche, aussi bien en ce qui concerne son cadre que ses outils. Force est donc de reconnaître qu’il s’agit indéniablement d’un succès global.

Une fois ce succès global reconnu, il a été décidé, au niveau européen, de le poursuivre et de le prolonger »

Bien sûr, ce processus est toujours en cours d’amélioration et de consolidation. Une fois ce succès global reconnu, il a été décidé, au niveau européen, de le poursuivre et de le prolonger, au moins jusqu’en 2020. Voyons maintenant quelles sont les difficultés rencontrées et les résistances à vaincre. Tout cela demande encore plus de communication.

Étant donné le nombre de pays concernés il était évident que les étapes de sa mise en place seraient échelonnées dans le temps. Un groupe de pays a avancé relativement vite, une grande majorité à un rythme normal et un petit groupe est en retard. Ceci était prévisible, car le processus de Bologne n’est pas un « organisme de réglementation ».

Pour être plus précis, considérons le pourcentage d’étudiants inscrits dans des programmes qui suivent la structure des trois cycles du processus de Bologne. Les statistiques réalisées auprès des universités indiquent qu’un tiers des pays sont à 100 %, un autre tiers à 90 % (dont la France et le Royaume-Uni), le dernier tiers entre 60 et 90 %(dont l’Allemagne et l’Espagne).

L’assurance qualité est également omniprésente au cœur du Processus de Bologne, pour consolider et renforcer l’attraction de l’enseignement supérieureEuropéen. Notamment le rôle des « Références et lignes directrices pour l’assurance qualité dans l’espace européen de l’enseignement supérieur (ESG) » est primordial. Il permet aux différents pays d’aborder la qualité d’une  façon commune et reconnue de tous et ceci aussi bien pour la qualité interne qu’externe. Dans ce domaine aussi l’adaptabilité a été voulue pour permettre à chaque pays d’appréhender au mieux l’assurance qualité selon ses propres spécificités et son contexte national.

 Certains secteurs ont-ils été en pointe pour intégrer le Processus de Bologne ?

En France, dans l’ensemble, le secteur des sciences et technologies s’est bien intégré dans cette approche basée sur les résultats. Entre autres les formations « vocational » (professionnalisantes) telles que les écoles d’ingénieurs, les cycles courts technologiques, les masters spécialisés, les écoles de management ont répondu assez vite aux critères proposés.

Leur structure même correspondait aux propositions du processus de Bologne. Il leur suffisait de les mettre en œuvre avec les outils tels que les modules de formation, les ECTS, les learning outcomes … que ce processus mettait à leur disposition. N’oublions pas que le but recherché du processus de Bologne est de renforcer la capacité d'insertion professionnelle des diplômés tout au long de leur vie active.

Par contre des secteurs tels que les études médicales et artistiques n’entrent pas encore, ou très peu,  dans ce schéma européen. 

Achevé ou peut mieux faire ?

Ce changement de paradigme a nécessité un changement de mentalité. C’est assurément une démarche qui prend beaucoup plus de temps que le simple changement des structures. C’est aussi, conceptuellement, plus difficile à expliquer et peut soulever des oppositions de principe importantes. Cela demande également la participation de toutes les parties prenantes, c’est  à dire  au moins les enseignants et les étudiants. Enfin cela est chronophage pédagogiquement  et administrativement.  

Il ne faut pas non plus sous-estimer la résistance au changement dans le monde académique »

Il est indispensable que le changement fonctionne dans les deux sens, de haut en bas et réciproquement : « top-down », par l’engagement de la direction et des équipes pédagogiques et « bottom-up », par les propositions et avis des étudiants et des partenaires professionnels. Il faut aussi la présence, dans chaque établissement, de quelques personnes « dédiées  et expertes » qui connaissent bien les mécanismes à mettre en place : les principes sont souvent mal compris, car ils  sont souvent mal expliqués. 

Il ne faut pas non plus sous-estimer la résistance au changement dans le monde académique. La France fonctionnait jusqu’alors avec un système complexe de diplômes. Les nouveaux textes fondateurs de la réforme de Bologne ont été proposés en 2002 et leur application ne s’est vraiment faite ressentir qu’en 2010. On peut se souvenir que près d’un diplôme par année était offert aux étudiants français : Deug Diplôme d’études universitaires générales , licence,  maîtrise, DEA Diplôme d’études approfondies , DESS Diplôme d’études supérieures spécialisées , MST, magistère, DUP, Miage Méthodes Informatiques Appliquées à la Gestion des Entreprises

Cinq ans plus tard, l’ossature simplifiée de « licence-master-doctorat » était admise ce qui ne s’est assurément pas fait sans résistance.

On comprend également que faire évoluer 47 pays, même à une échelle régionale relativement bien définie et rassemblée, n’est pas une chose aisée : chacun d’eux a ses traditions nationales académiques bien marquées et bien ancrées. Par exemple des débats de fond ont eu lieu pour l’adoption des learning outcomes caractérisés par un ensemble de savoirs, d’aptitudes et de compétences.

Les learning outcomes : base d’une démarche-compétences

Sans vouloir entrer dans des détails trop techniques, rappelons que les learning outcomes sont les formulations  de « ce qu’un étudiant est censé savoir, comprendre et être capable de faire au terme d’un apprentissage ». Ils constituent la base de ce que l’on nomme « une démarche-compétences ». Les programmes et modules doivent donc dorénavant être décrits en termes de learning outcomes. Les débats ont été pour le moins « rugueux » et le sont encore, selon les disciplines, à l’intérieur  du monde universitaire.  

Dans l’ensemble les employeurs que j’ai pu rencontrer au cours des rencontres avec le groupe des « experts » de Bologne et des expertises auxquelles j’ai participé avec la CTI Commission des titres d’ingénieur , sont très favorables à ce changement de paradigme  dans l’enseignement supérieur. Ils ne sont la plupart du temps pas assez sollicités par les instances éducatives et comme leur temps est compté, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous.

Et pour conclure ?

L’EEESR existe bel et bien. Le processus de Bologne fonctionne dans 47 pays, dont 28 de l’Union européenne. L’horizon 2020 est proposé comme cible pour poursuivre et perfectionner ce processus engagé en 1999 à Bologne et dès 1998 à la Sorbonne. Gageons qu’il s’étendra encore non seulement à de nouveaux pays, mais surtout sur des disciplines encore réticentes à ce changement.

Les structures ont toujours été modifiées dans la plupart des pays qui sont, de ce fait,  continuellement « en réforme ». En France elles ont toutes porté le nom du ministre qui les a mises en place. Si l’on voyage un peu dans le monde universitaire étranger, on s’aperçoit qu’il y a toujours une « réforme en cours ou attendue » !

Le processus de Bologne n’a jamais eu l’ambition de changer les structures, mais de changer les pratiques, ce qui prend beaucoup plus de temps, mais qui est autrement plus important.

À ce jour, une acculturation a été faite, les mobilités de toutes natures ont été grandement augmentées, des projets européens partagés dépassant largement le seul secteur de l’enseignement ont été construits (formation, recherche, transferts) et ont bénéficié de l’apport du processus de Bologne.

Quant à l’émergence de futures universités européennes, c’est sans doute au travers de réseaux fortement intégrés, comme le réseau « Cluster » (Consortium liant des universités de science et de technologie pour l’enseignement et la recherche), que cette idée prendra corps.

Parcours

ITHER Consult
Associé
Université de Toulon
Professeur émérite
Université de Toulon
Vice président puis président

Établissement & diplôme

Aix-Marseille Université (AMU)
Docteur ès sciences (mécanique des fluides)

Fiche n° 7671, créée le 25/11/2014 à 12:32 - MàJ le 25/01/2018 à 17:52


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