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Science ouverte : quels enjeux pour la France à l’international ? Le regard de Marin Dacos

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Interview n°153312 - Publié le 30/07/2019 à 10:48
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©  Frédérique Plas/CNRS Photothèque
Marin Dacos, conseiller pour la science ouverte auprès du DGRI. - ©  Frédérique Plas/CNRS Photothèque

«  En Europe, il y a à notre connaissance trois coordinateurs nationaux de la science ouverte, en Finlande, aux Pays-Bas et en France. (…) Nous avons fait notre première réunion tripartite pour réfléchir à comment susciter l’émergence d’autres coordinateurs et qu’un petit «club » puisse se constituer. Nous espérons nous réunir en octobre 2019 à Helsinki», déclare Marin Dacos Conseiller pour la science ouverte du DGRI @ Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et l’innovation •  Membre du CT @ Istex • Membre du CST @ HAL • Ingénieur de recherche @ Centre… , conseiller pour la science ouverte auprès du DGRI Directeur/rice général(e) de la recherche et de l’innovation , à News Tank.

Selon lui, « l’Union européenne est demandeuse de ce type de coordinateurs, car elle a tout intérêt à avoir des interlocuteurs qui aient une politique cohérente avec ses objectifs. À l’échelle des trois coordinateurs, c’est la même chose : nous pensons que nous gagnons à exister et à avoir des équivalents dans les autres pays, pour travailler à l’alignement des politiques ».

Marin Dacos expose les différents enjeux pour la science ouverte sur le plan international, en particulier autour du libre accès aux publications, et détaille comment la France se positionne vis-à-vis de chacun d’eux.

Revenant par exemple sur la récente décision de l’Unesco Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture d’étudier la faisabilité d’une recommandation normative sur la science ouverte à l’horizon 2021, Marin Dacos juge cette initiative « très intéressante ». « Nous avons donc décidé fin mai, dans le cadre du Coso Comité pour la science ouverte , d’écrire à l’Unesco pour proposer notre contribution et faire des propositions », ajoute-t-il.

« L’Unesco s’est toujours intéressée à l’open access (…) Mais elle a surtout fait une déclaration au sujet de l’inclusion des pays du Sud dans la réflexion du développement de la science ouverte, ce qui est un sujet essentiel », souligne-t-il encore, estimant qu’« un des biais probables du G7 est que nous nous parlons qu’entre pays “riches”, tandis que la science se développe aussi sur d’autres continents ».

La France, pays hébergeur en 2019 d’événements internationaux de la science ouverte, collaboration avec les Pays-Bas autour de la fondation DOAB Directory of open access books , enjeux pour les pays du Sud, retour sur la dernière version du Plan S européen, positionnement du baromètre national de la science ouverte vis-à-vis de son équivalent à l’Europe… Autant de sujets abordés par Marin Dacos.

Le second volet de cette interview, consacré aux échanges tenus dans le cadre du groupe de travail du G7 sur la science ouverte, qui s’est tenu en juin 2019 au Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et a porté en particulier sur l’ouverture des données, sera publié à la rentrée.


Marin Dacos répond à News Tank

Le 13/05/2019, le Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a twitté « la France capitale de la science ouverte 2019 » : pourquoi ?

Marin Dacos : En 2019, la France accueille trois événements internationaux importants de la science ouverte :

  • La 10e conférence annuelle de COAR* (Confederation of open access repositories), qui s’est tenue à Lyon du 21 au 23/05.
  • La 23e conférence internationale d’ElPub* (Electronic publishing), qui s’est tenue à Marseille du 02 au 04/06.
  • L’assemblée générale d’OpenAIRE* (Open access infrastructure for research in Europe), qui aura bientôt lieu à Paris en décembre.

Le fait qu’ils se déroulent tous en France est certainement dû un peu au hasard, mais c’est aussi synonyme d’une convergence. Nous arrivons à un moment du développement de l’écosystème de la science ouverte où plusieurs étapes très claires sont en train d’être franchies, et ces trois événements en font partie.

C’est aussi, par exemple, le cas du DOAB Directory of open access books , un service de certification de la qualité des livres académiques en open access développé aux Pays-Bas, dont le soutien avait été écrit explicitement dans le Plan national pour la science ouverte et qui est devenu une fondation franco-néerlandaise le 21/05/2019.

Comment faut-il comprendre ce positionnement de la France sur un service tel que DOAB ?

Il faut savoir que beaucoup d’initiatives dans le secteur de la science ouverte proviennent du Royaume-Uni, des Pays-Bas et d’Europe du Nord. La tendance est trop souvent de mal se positionner par rapport à ces initiatives, en les ignorant ou bien en cherchant à les cloner tout en cultivant une sorte d’exception française… On doublonne. Ce n’est en revanche pas le cas du DOAB puisque nous avons fait un accord avec les Pays-Bas, qui scelle une véritable alliance internationale.

Cette stratégie de mutualisation est une victoire globale pour la science ouverte »

Cela nous permet d’avoir une influence dans le déroulé du projet, mais aussi de mutualiser les investissements et de travailler sur un instrument de référence, plutôt que chaque pays développe son propre outil dans son coin. Cette stratégie de mutualisation est une victoire globale pour la science ouverte : pour une infrastructure ouverte de ce type, on n’a pas besoin de concurrence, mais de coopération.

Nous avons aussi besoin de confiance, avec plusieurs acteurs autour de la table pouvant garantir la neutralité de la certification. On ne peut pas imaginer que les mêmes acteurs produisent les contenus et les évaluent… Nous devons donc construire une infrastructure de labellisation qui soit collective. Même si l’initiative de créer la fondation DOAB peut être portée au crédit de la France et des Pays-Bas, l’idée générale est de l’étendre. C’est justement toute l’idée du projet d’infrastructure européenne distribuée Operas Open access in the European research area through scholarly communication .

Et si on regarde au-delà, de la même manière que nous avons opté pour une certification des processus éditoriaux (il existe aussi le DOAJ Directory of Open Access Journals , l’équivalent de DOAB pour les publications), le Plan national pour la science ouverte ouvre aussi la voie de la certification des entrepôts de données.

Outre cette collaboration avec les Pays-Bas, quels sont vos alliés sur ces sujets au niveau européen ?

En Europe, il y a à notre connaissance trois coordinateurs nationaux de la science ouverte, en Finlande, aux Pays-Bas et en France. L’Union européenne est demandeuse de type de coordinateurs, car elle a tout intérêt à avoir des interlocuteurs qui aient une politique cohérente avec ses objectifs. À l’échelle des trois coordinateurs, c’est la même chose : nous pensons que nous gagnons à exister et à avoir des équivalents dans les autres pays, pour travailler à l’alignement des politiques.

C’est bien l’idée d’une coordination internationale qui est en route »

Nous avons fait notre première réunion tripartite pour réfléchir à comment susciter l’émergence d’autres coordinateurs et qu’un petit « club » puisse se constituer. Nous espérons nous réunir en octobre 2019 à Helsinki, où auront lieu en même temps l’assemblée générale de la RDA (research data alliance) et la prochaine réunion de l’OSPP (open science policy platform). C’est bien l’idée d’une coordination internationale qui est en route.

L’Unesco Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture étudie la faisabilité d’une recommandation normative en matière de science ouverte à l’horizon 2021. Est-ce une bonne chose ?

Je trouve cette initiative très intéressante et nous avons intérêt à la soutenir, notamment parce que la science ouverte est une des conditions nécessaires — sans être suffisante — à la réussite des Objectifs de développement durable.

L’Unesco s’est toujours intéressée à l’open access : elle a régulièrement pris position sur le sujet et même publié un excellent guide en 2013, « Principes directeurs pour le développement et la promotion du libre accès ». Mais elle a surtout fait une déclaration au sujet de l’inclusion des pays du Sud dans la réflexion du développement de la science ouverte, ce qui est un sujet essentiel.

Y a-t-il un enjeu particulier pour la science ouverte au Sud ?

Oui. C’est un sujet extrêmement important, car un des biais probables du G7 est que nous ne nous parlons qu’entre pays « riches », tandis que la science se développe aussi sur d’autres continents. En Amérique latine, en Argentine et au Brésil par exemple, la production scientifique a atteint des seuils critiques en quantité et en qualité. La situation est un peu plus inégale en Afrique ; cela dit, un colloque de trois jours, consacré à cette question de la science ouverte au Sud et organisé par l’IRD Institut de recherche pour le développement , aura lieu à Dakar du 23 au 25/10/2019.

Un des biais probables du G7 est que nous ne nous parlons qu’entre pays “riches” »

Si on considère la science ouverte dans le sens de celui qui lit, alors oui, c’est un réel outil de démocratisation, au bénéfice de tous, qui augmente l’accessibilité des contenus aux pays pauvres. Mais du point de vue de celui qui publie, selon les paradigmes qui sont mis en place, la science ouverte peut être un frein, en particulier s’il doit payer des frais de publication. Il y a aussi la question de la technologie : continue-t-on à avoir principalement des revues dans le Nord ou favorise-t-on la naissance d’un écosystème éditorial au Sud, dont le plus connu est la plateforme Ajol (African journals online) ?

Il faut donc faire attention à ces sujets, car nous pourrions réduire la capacité d’écriture, et donc de publication, si un seul modèle venait à s’imposer. C’est un point sur lequel a alerté le P-DG de l’IRD, Jean-Paul Moatti Directeur de l’unité mixte de recherche Sciences économiques & sociales de la Santé & traitement de l’information médicale (Inserm/IRD/AMU) @ Institut national de la santé et de la recherche… , et dont a fait part Frédérique Vidal Conseillère spéciale du président @ European Foundation for Management Development (EFMD)
dans son discours aux Journées nationales de la science ouverte, le 06/12/2018.

  • C’est pour cela que la déclaration commune de São Paulo pour une approche mondiale et coordonnée de l’open access, signée début mai par l’African open science platform, Amelica Open Knowledge for Latin America and the Global south , Coalition S, OA2020 Open access 2020 et Scielo Scientific electronic library online , est aussi importante ;
  • C’est aussi le cas de l’alliance Gloall (Amelica, AJOL, Érudit, J-Stage, OpenEdition et Scielo), lancée début avril lors d’une session de l’Unesco autour de cette même idée multiculturelle, multi thématique et multilingue.

Pour préparer cette recommandation normative, l’Unesco a prévu de créer une équipe de spécialistes de la science ouverte. La France a-t-elle prévu d’y participer ?

Nous avons décidé d’écrire à l’Unesco pour proposer notre contribution »

Si l’Unesco a besoin d’experts français, ce sont les membres du Comité pour la science ouverte qui sont légitimes. Nous avons donc décidé fin mai, dans le cadre du Coso Comité pour la science ouverte , d’écrire à l’Unesco pour proposer notre contribution et faire des propositions.

Une version modifiée du guide d’implémentation du Plan S, dont l’objectif principal est l’accès libre et immédiat aux publications issues de la recherche financée sur appels à projets compétitifs, a été publiée le 31/05/2019. En êtes-vous satisfait ?

Globalement, le Plan S a pris en compte les remarques émises par la communauté scientifique, et notamment par le Comité pour la science ouverte. Même si la nouvelle version ne correspond pas à 100 % de nos attentes, les progrès qui ont été réalisés constituent des signaux très clairs de la prise en compte de la complexité du sujet :

  • Plusieurs voies sont maintenant reconnues pour atteindre l’open access, en particulier les voies verte, dorée et diamant [voir encadré].
  • La mise en œuvre du Plan a été reportée d’un an à 2021.
  • La mise en place de toute une équipe, dont fait partie Alain Beretz Président @ Cost • Président @ IEEPI • Professeur émérite @ Université de Strasbourg (Unistra) • Président @ Ksilink • Ambassadeur français du Plan S @ Coalition S
    en tant qu’ambassadeur du Plan S, va permettre de suivre ce processus.

Il réside toutefois un point de vigilance : le risque de bascule sur un modèle économique unique. À ce sujet, le Coso a décidé de lancer une étude sur les modèles économiques d’avenir pour l’édition en accès ouvert, qui mobilisera des économistes, et à laquelle Couperin et le Comité de suivi de l’édition scientifique seront associés.

• Green open access : la « voie verte » consiste à publier en libre accès un article dans une revue traditionnelle sur abonnement. Après la publication, une version de l’article est également placée dans un dépôt institutionnel en libre accès, ou archive ouverte. C’est ce qu’on appelle l'« auto-archivage » parce que les publications sont enregistrées par les auteurs eux-mêmes.

• (Full) gold open access : la « voie dorée » est un modèle de revue en libre accès où il n’y a pas de frais d’abonnement et où les éditeurs gagnent leurs revenus en facturant les auteurs (ou leurs institutions) lorsque les articles sont acceptés. Ces frais sont connus sous le nom d’APC (article processing charges). 

• Hybrid (gold) open access : dans cette variante de la « voie dorée », les auteurs publient dans des revues traditionnelles sur abonnement, mais peuvent offrir le libre accès à leurs articles en payant des APC.

• Diamond open access : la « voie diamant » permet de publier en libre accès sans payer d’APC (gratuit à la fois pour le lecteur et le publiant).

• Bronze open access : la « voie de bronze » permet de lire des publications en libre accès sur le site web de l'éditeur, après une période d’embargo ou à la suite d’un accord national. Certaines de ces publications ne possèdent toutefois pas de licence permettant la libre réutilisation de leur contenu.

Vous annonciez fin 2018 la mise en place d’un prototype de baromètre national de la science ouverte, selon lequel 36 % de la production scientifique française de 2017 serait en open access. Comment avance le projet ? Et comment se positionne-t-il par rapport à l’Open science monitor, le baromètre européen ?

Le département des outils d’aide à la décision du Mesri, qui développe ce baromètre, a maintenant réussi à remonter jusqu’en 2014 et a trouvé que 41 % de la production scientifique française était en open access : ce chiffre est donc en hausse par rapport aux 36 % trouvés initialement.

Nous nous approchons de plus en plus du chiffre annoncé par l’OSM »

Ce qu’il faut noter, c’est que nous nous approchons de plus en plus du chiffre annoncé par le baromètre européen de la science ouverte, l’OSM Open science monitor , avec moins de 1 % d’écart. Et ce alors que nous nous appuyons sur des bases de données différentes : l’OSM utilise Scopus, la base propriétaire d’Elsevier, tandis que nous utilisons des bases ouvertes de type Crossref.

On constate toutefois quelques différences : autant les proportions d’open access pour la France sont très proches dans les deux méthodes, autant les proportions d’open access par les revues (voie dorée) et par les archives (voie verte) sont quasiment inversées. On est en train de travailler sur le pourquoi, mais bien sûr plus on descend dans le détail géographique — à l’échelle d’une université par exemple — plus il y a de curation à faire sur les données, notamment pour détecter les faux positifs et négatifs.

L’objectif est-il de faire plier la Commission européenne à ne plus utiliser Scopus ?

Nous ne voulons pas détruire les acteurs privés mais simplement ne pas en être totalement dépendants »

Nous ne cherchons en aucun cas à faire « plier » l’Union européenne, qui a attribué un marché public de deux ans à Elsevier. Notre objectif est de nous projeter sur les dix prochaines années et de montrer qu’il est possible d’avoir cette démarche dans un environnement ouvert et libre. Même si dans deux ans l’UE Union européenne décide de rester sur la solution Scopus, la confrontation des résultats chiffrés aura été rendue possible, et aura permis de prendre du recul en sortant d’une logique de monopole. L’existence d’une pluralité de solutions est très saine. Je le répète : nous ne voulons pas détruire les acteurs privés, mais simplement ne pas en être totalement dépendants.

Marin Dacos

Email : marin.dacos@recherche.gouv.fr

• 2005 : Trophée du Libre pour le logiciel Lodel (Logiciel d’édition électronique) ;
• 2010 : Cristal du CNRS ;
• 2013 : Global Outlook Digital Humanities Essay First Prize ;
• 2016 : Médaille de l’innovation du CNRS ;

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Parcours

Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et l’innovation
Conseiller pour la science ouverte du DGRI
Istex
Membre du CT
HAL
Membre du CST
Crossref
Membre élu au CA, représentant d’OpenEdition
Comité de suivi de l’édition scientifique
Membre
OpenEdition
Directeur
Ministère de la recherche
Conseiller pour la numérisation des revues de SHS

Établissement & diplôme

Université Lumière - Lyon 2
DEA d’Histoire contemporaine
Histoire
Agrégé

Fiche n° 15768, créée le 04/02/2016 à 10:38 - MàJ le 28/08/2019 à 18:29

Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et l’innovation

L’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation étaient rassemblés au sein d’un même ministère durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, avec Frédérique Vidal pour ministre.


Catégorie : État / Agences d'État



Fiche n° 2286, créée le 11/07/2014 à 04:20 - MàJ le 24/04/2023 à 18:05

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