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ExclusifEdition : « La licence nationale imposée à tous est inacceptable » (M. Bernard, Clermont Auvergne)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Interview n°133695 - Publié le 19/11/2018 à 13:09
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©  Seb Lascoux
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« Le principe de la licence nationale imposée à tous les établissements et prélevée à la source sur la dotation est politiquement tout à fait incompréhensible, et je m’étais déjà élevé en 2013 contre ces principes. On parle d’universités autonomes, mais le fait de déduire d’une subvention pour charges de service public un abonnement à une multinationale privée, sans même demander l’avis de l’établissement censé en bénéficier, est complètement inacceptable », déclare Mathias Bernard, président de l’Université Clermont Auvergne, à News Tank le 19/11/2018.

Il s’exprime au sujet du groupe éditorial Elsevier, avec lequel des discussions sont en cours pour renouveler l’abonnement à son bouquet de revues ou « freedom collection », par le biais de Couperin, le consortium de négociation pour le compte des établissements d’ESR Enseignement supérieur et recherche français, à compter de 2019.

Fin 2013, le ministère chargé de la recherche avait repris la main sur les négociations et imposé un système de licence nationale pour la période 2014-2018. Cet accord avait notamment entériné un investissement de 172 M€ sur cinq ans, montant qui avait été financé par une ponction de la dotation publique des établissements, « en utilisant un modèle prenant en compte les publics utilisateurs de la ressource », selon ce qu’avait indiqué Couperin en 2014.

Pour Mathias Bernard, « le minimum serait de laisser aux opérateurs de recherche le choix, de la même manière que pour l’accord avec Springer. Pour cet éditeur, il y a d’ailleurs eu une consultation auprès des établissements en amont afin de comptabiliser lesquels étaient intéressés pour s’engager dans la négociation. Ça n’a pas été le cas pour Elsevier ».

En effet, l’accord obtenu fin septembre 2018 avec l'éditeur Springer pour la période 2018-2020, a permis à chaque établissement de se positionner individuellement, et plusieurs ont indiqué leur choix de ne pas se réabonner. L’Université Clermont Auvergne, au même titre que l’Université de Lorraine, avait quant à elle opté pour sortir des négociations dès avril 2018.

« Ce choix n’est pas la conséquence des conditions de négociation ni du travail de Couperin, c’est une question de principe, qui répond à des raisons d’ordre stratégique, scientifique et éthique », explique encore son président, qui appelle à « mettre en œuvre un système de diffusion de travaux de grande qualité, via l’open access ou la politique éditoriale des universités et des organismes. »


Mathias Bernard répond à News Tank

Pourquoi l’Université Clermont Auvergne s’est-elle désabonnée des éditeurs Wiley & Sons et Springer ?

Mathias Bernard : Nous nous sommes désabonnés de la « full collection » de l’éditeur Wiley & Sons il y a maintenant deux ans, fin 2016, pour passer sur un abonnement au titre par titre. D’environ 125 k€ par an, nous sommes passés à près de 25 k€, soit 100 k€ annuels d’économie.

Concernant Springer, nous sommes sortis des négociations dès avril 2018 et avons choisi de ne pas nous réabonner pour la période 2018-2020. L’abonnement représentait encore près de 70 k€ par an.

Promouvoir, dans les faits, les initiatives d’open science et d’open access »

Ces décisions ne sont pas seulement motivées par ces considérations économiques. Il y a une cohérence au niveau de l’Université Clermont Auvergne depuis plusieurs années pour sortir du modèle imposé par les grands éditeurs scientifiques et promouvoir, dans les faits, les initiatives d’open science et d’open access. Ce choix n’est pas la conséquence des conditions de négociation ni du travail de Couperin, c’est une question de principe, qui répond à des raisons stratégique, scientifique et éthique.

Un principe de politique scientifique d’abord, car la production de la science se fonde sur une logique cumulative en se nourrissant des travaux antérieurs. L’avancement de la connaissance repose donc sur l’ouverture et le libre accès des travaux scientifiques.

Le modèle des APC (article processing charges) permet déjà de publier en open access et donc d’ouvrir la science. C’est donc surtout le modèle économique que vous remettez en cause ?

En effet, nous sommes dans un système en transition hybride qui fait que les établissements sont parfois amenés à payer, avec les APC Article processing charge , pour publier puis de nouveau pour consulter. Ce système n’est pas du tout vertueux, avec des coûts qui ont eu tendance à exploser. Mécaniquement, au vu des contraintes budgétaires des établissements, cela prive les unités de recherche de ressources, mais limite également l’accès à d’autres formes de ressources documentaires.

Tout ce qui appauvrit, homogénéise ou relève d’une situation monopolistique me semble dangereux »

Mais l’argument n’est pas uniquement financier. Tout ce qui appauvrit, homogénéise ou relève d’une situation monopolistique me semble dangereux scientifiquement, démocratiquement et politiquement. Il faudrait plutôt tendre vers une logique de bibliodiversité, qui est le fondement même du progrès de la connaissance et de la recherche. C’est pourquoi nous sommes notamment signataires de l’appel de Jussieu.

Comment les chercheurs ont-ils vécu ces désabonnements ?

Je n’ai reçu aucune demande de réabonnement »

Nous avons bien préparé les choses et le fait de passer au titre à titre est un élément qui a rassuré la communauté. Actuellement, je n’ai reçu aucune demande ou pétition demandant le réabonnement à Wiley & Sons, alors que nous sommes dans la deuxième année du désabonnement. Il a fallu accompagner, mais je pense que cela a été bien accepté.

Les éditeurs mettent en avant la qualité de la science qu’ils produisent. N’avez-vous pas peur qu’en vous désabonnant, cela entraîne une baisse de la qualité de la recherche produite à l’UCA Université Clermont Auvergne  ?

C’est à nous de mettre en œuvre un système de diffusion de travaux de grande qualité »

Je ne vois pas pourquoi la qualité de la recherche dépendrait de grands groupes d’éditeurs privés, qui se nourrissent tout de même de la recherche menée dans nos laboratoires et financée notamment par des fonds publics. C’est à nous, via l’open access ou la politique éditoriale des universités et des organismes, de mettre en œuvre un système de diffusion de travaux de grande qualité.

Le système actuel de diffusion dépend en partie de ces mêmes éditeurs, notamment parce qu’il est lié à la question fondamentale de l’évaluation - de la recherche, mais aussi des établissements - qui repose en grande partie sur des indicateurs bibliométriques privilégiant la publication d’articles dans quelques très grandes revues. La Déclaration de San Francisco (Dora Declaration On Research Assessment ) met d’ailleurs parfaitement ce biais en lumière.

Les réticences illustrent les craintes d’une perte, non pas de qualité, mais de visibilité »

De même, les réticences qu’il peut y avoir au sein de la communauté universitaire autour d’un modèle basé sur la science ouverte illustrent les craintes d’une perte, non pas de qualité, mais de visibilité de la recherche de tel individu, telle unité ou telle université, dans les classements et ailleurs. C’est un cercle vicieux.

Quelle marge de manœuvre avez-vous pour changer ces pratiques d’évaluation, avec d’un côté le CNU Conseil national des universités et de l’autre le Hcéres Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur  ?

Tout d’abord, toute l’évaluation ne repose pas sur le CNU et une grande part de la responsabilité politique repose sur les universités. Dans le cadre notre autonomie, nous évaluons les E-C enseignant(s)-chercheur(s) pour un certain nombre de promotions, les avancements locaux, etc. Pour élaborer notre stratégie scientifique, nous évaluons également les unités de recherche au moment du contrat quinquennal de site.

La médiatisation de ces sujets-là est majeure »

En outre, le CNU et le Hcéres sont des outils au service des politiques publiques, animés par des acteurs de la communauté universitaire. Dès lors que nous arriverons à faire adhérer l’ensemble de notre communauté à d’autres critères d’évaluation, leur position évoluera. C’est pour cela que j’ai souhaité que l’Université Clermont Auvergne signe Dora.

Mais l’un des enjeux sera aussi de dépasser la communauté scientifique française, car les classements, pour ne citer qu’eux, sont par nature internationaux. La médiatisation de ces sujets-là est donc majeure.

« Dans un contexte marqué par une volonté de la communauté scientifique d’adopter de meilleures pratiques pour une évaluation davantage qualitative de la recherche », le Hcéres a annoncé soutenir les principes portés par la Déclaration de San Francisco (Dora, 2012) et le Manifeste de Leiden (2015), le 14/11/2018.

Pour le Hcéres, ces deux textes « soulignent en particulier l’usage de deux indicateurs largement critiqués par la communauté des scientomètres » :

• Le facteur d’impact des revues (journal impact factor, JIF), traité par la Dora. « Le mode de calcul de cet indicateur le rend biaisé en faveur de certaines revues et il peut en outre faire l’objet de manipulations. De plus, il ne tient pas compte de la diversité des pratiques entre disciplines et sous-disciplines, ce qui peut introduire des biais dans les comparaisons entre chercheurs ou unités de recherche. »

• L’indice H (H index), traité par le Manifeste de Leiden. « L’ambition de cet indicateur composite était de rendre compte simultanément du nombre de publications d’un chercheur et de leur impact scientifique. En réalité, la définition de cet indice, qui a séduit par sa simplicité, fait du nombre de publications la variable dominante et ne surmonte pas la difficulté qu’il y a à mesurer deux variables avec un seul indicateur. »

Vous êtes la seule université française à avoir signé la Dora. Par quelles mesures concrètes cela se traduit-il ?

Des mécanismes incitatifs et non pas des sanctions »

La signature est récente [19/07/2018]. Mais nous sommes partis sur l’idée de mettre en place des mécanismes incitatifs et non pas des sanctions, qui valorisent l’engagement des E-C dans la science ouverte. Dans le cadre de l’examen des dossiers d’avancement, cela peut passer par le dépôt sur HAL Hyper Articles en Ligne, plateforme d’archives ouvertes des publications en « full text » et pas uniquement des « abstracts », par exemple.

Nous poussons également nos directeurs d’unité à s’engager, y compris avec des indicateurs sur le déploiement de l’open access, sur lesquels nous pourrons les évaluer lors de notre prochain contrat quinquennal 2021-2025.

Concernant les négociations qui ont débuté avec Elsevier, quelle est votre position ? Avez-vous peur que, comme en 2013, le ministère reprenne la main sur les négociations, impose une licence nationale, et diminue votre charge de service public ?

Le minimum serait de laisser aux opérateurs de recherche le choix »

Le principe de la licence nationale imposée à tous les établissements et prélevée à la source sur la dotation est politiquement tout à fait incompréhensible, et je m’étais déjà élevé en 2013 contre ces principes. On parle d’universités autonomes, mais le fait de déduire d’une subvention pour charges de service public un abonnement à une multinationale privée, sans même demander l’avis de l’établissement censé en bénéficier, est complètement inacceptable.

Le minimum serait de laisser aux opérateurs de recherche le choix, de la même manière que pour l’accord avec Springer. Pour cet éditeur, il y avait d’ailleurs eu une consultation auprès des établissements en amont afin de comptabiliser lesquels étaient intéressés pour s’engager dans la négociation. Ça n’a pas été le cas pour Elsevier.

Le modèle de « full collection » n’est pas forcément le plus adapté »

Par ailleurs, en faisant un travail de sélection sur les abonnements les plus indispensables à l’activité scientifique, nous nous sommes rendu compte que le modèle de « full collection » n’est pas forcément le plus adapté à la recherche. Dans chaque bouquet proposé, la qualité des revues est hétérogène et beaucoup de titres ne sont pas utiles à la communauté.

Mathias Bernard


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