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Guerre à Gaza : « L’EPSCP n’a pas à exprimer une position politique à l’international » (C-L. Martin)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°337148 - Publié le 11/09/2024 à 17:15
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Christian-Lucien Martin - ©  D.R.

« La coopération pédagogique et scientifique en tant qu’engagement collectif de l’institution ne doit pas être emportée par des actions militantes d’une partie de la communauté. Le registre des partenariats internationaux de nature pédagogique et scientifique est distinct de celui de la libre expression politique reconnue aux usagers de l’établissement », écrit Christian-Lucien Martin Conseiller @ France Universités
, dans une analyse pour News Tank, le 11/09/2024.

Il revient sur l’avis du Collège de déontologie du 19/06/2024 sur les coopérations internationales dans l’enseignement supérieur. L’instance avait été saisie par Sylvie Retailleau
alors que la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza a conduit des personnels et étudiants d’établissements à demander la rupture des conventions signées avec les universités israéliennes.

« Le Collège de déontologie fait valoir plusieurs principes de droit public pour dénier à l’EPSCP Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel sa capacité à exprimer en tant qu’institution une position politique à l’international. Il en réfère au principe de neutralité du service public et au principe de spécialité selon lequel un d’établissement public exerce des missions spécifiques définies par la loi et le règlement. Il en réfère aussi à la compétence exclusive des États en tant que sujets de droit à l’international. »

Christian-Lucien Martin est administrateur général de l’État. Il a été sous-directeur en charge de l’ESR Enseignement supérieur et recherche en architecture puis des enseignements spécialisés au ministère de la culture. Aujourd’hui conseiller à France Universités, il s’exprime à titre personnel.


« Un avis du Collège de déontologie frappé de bon sens »

Dans le contexte des manifestations de soutien à la Palestine et à Gaza, des personnels et des étudiants d’universités et d’instituts politiques ont revendiqué la rupture des conventions signées entre leurs établissements avec les universités israéliennes.

En vue d’apprécier l’impact juridique et de caractériser ce type d’exigence et de geste politique, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a souhaité recueillir l’avis du Collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche sur les coopérations internationales dans l’enseignement supérieur.

L’avis du Collège de déontologie du 19/06/2024 est frappé de bon sens.

En effet, la coopération pédagogique et scientifique en tant qu’engagement collectif de l’institution ne doit pas être emportée par des actions militantes d’une partie de la communauté. Le registre des partenariats internationaux de nature pédagogique et scientifique est distinct de celui de la libre expression politique reconnue aux usagers de l’établissement.

Ainsi, l’université doit prendre le parti du long terme sur le court terme, de la stabilité des partenariats contre les mouvements d’humeur, de la réflexion contre les excès de l’excitation, de la raison sur la passion. Raisonnable donc, le Collège sait aussi que jeunesse se passe, que la colère est mauvaise conseillère et péché capital.

Neutralité du service public

C’est le principe de loyauté contractuelle qui garantit la stabilité des engagements internationaux des universités. Les partenariats d’enseignement supérieur et de recherche ont pour objectif de mettre en place pour toutes les parties concernées des conditions de coopération stables.

Par ailleurs, des dispositions précises, écrites dans les conventions permettent de se désengager selon des modalités définies et mentionnent les recours possibles en cas de non-respect des accords et de préjudice éventuel.

Toutefois, le droit des contrats, celui de la parole donnée, qui pourrait être estimé suffisant pour organiser les relations de coopérations extérieures d’universités autonomes et responsables, n’est pas au cœur de l’argumentaire du Collège.

  • Le Collège de déontologie fait valoir plusieurs principes de droit public pour dénier à l’EPSCP sa capacité à exprimer en tant qu’institution une position politique à l’international.
  • Il en réfère au principe de neutralité du service public (article L. 121-2 du code général de la fonction publique [1]) et au principe de spécialité selon lequel un d’établissement public exerce des missions spécifiques définies par la loi et le règlement.
  • Il en réfère aussi à la compétence exclusive des États en tant que sujets de droit à l’international : les universités ne peuvent s’ériger en sujets de droit international, d’autant qu’elles sont des établissements sous tutelle de l’État. Elles n’ont donc ni la compétence ni légitimité pour tenir des positions politiques en lieu et place de l’État.

La comparaison avec la guerre en Ukraine

Pour appuyer cette démonstration, le Collège de déontologie mentionne que la fin des coopérations d’enseignement supérieur avec la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine s’inscrivait dans une directive gouvernementale à laquelle les universités devaient se conformer, et il n’était pas question de positionnement sur des « valeurs » qui auraient été laissées à l’appréciation des établissements.

Plus encore le Collège rappelle les dispositions du code de l’éducation introduites par l’ordonnance n° 2014-807 du 17/07/2014 (art. L. 123-7-1) en vue d’une cohérence de l’action internationale de la France à laquelle les établissements d’enseignement supérieur contribuent.

À cette fin, la liberté (reconnue par la loi) de conventionnement des EPSCP avec des institutions étrangères ou internationales, universitaires ou non est soumise à un régime d’autorisation [2], même si en droit la procédure déclarative avec approbation tacite est de grande souplesse et que sa mise en œuvre concrète reste aléatoire.

« L’autonomie des universités n’a rien d’un indépendantisme politique »

Le Collège de déontologie resitue l’EPSCP dans un cadre institutionnel national en tant qu’établissement public de l’État sous tutelle ministérielle et replace son action internationale dans un cadre défini par les pouvoirs publics.

L’autonomie des universités, dans un État de droit, n’a rien d’un indépendantisme politique. Pour autant, elle est garantie par la loi et le règlement y compris en matière de coopération, dès lors qu’elle se rattache aux missions fondamentales de formation et de recherche (« dans le but de favoriser le progrès de la science et le partage des savoirs »).

Le Collège de déontologie relie l’autonomie aux « libertés académiques » qu’il différencie clairement de la libre expression des opinions reconnue pour les usagers du service public de l’enseignement supérieur dans le code de l’éducation (art. 811-1), et que l’établissement doit protéger sans pour autant s’en faire le porte-parole.

Des actes illégaux ou juridiquement inexistants

En rappelant que l’établissement, d’enseignement supérieur, personne morale de droit public exerçant des missions de service public, n’est pas habilité à exprimer en son nom une « opinion » politique, le Collège de déontologie circonscrit et relativise la portée des ardeurs romantiques qui peuvent s’y exprimer, mais les assimile à des actes illégaux ou juridiquement inexistants s’ils étaient directement portés par les instances de gouvernance.

Évaluer la pertinence des conventions au regard des contextes

Mais le débat prend-il fin une fois rappelés la doctrine classique de la prééminence de l’État en droit international, l’obéissance des organismes publics à la tutelle et la distinction entre la personne morale publique et les personnes privées qui la composent ?

S‘il ne fait pas de doute que les coopérations universitaires doivent respecter les axes de la politique étrangère nationale définie par les autorités habilitées à le faire, il n’est pas certain que toute coopération universitaire se situe à un niveau de « diplomatie politique », ou que des domaines « infra-diplomatiques » ne puissent devoir être préservés.

L’édiction de principes trop généraux pour des formes de coopérations diversifiées ne peut interdire d’évaluer la pertinence des conventions au regard des contextes. À défaut, l’argument d’autorité mettrait l’autonomie pédagogique et scientifique sous surveillance.

S’il paraît évident que des ruptures brutales de coopération et sous la pression ne sont pas conformes à des engagements contractuels bilatéraux, l’absence de réflexion critique au sein de l’établissement sur la portée de « désengagements » non fictifs serait contraire aux « valeurs universitaires ».


[1] « Dans l’exercice de ses fonctions, l’agent public est tenu à l’obligation de neutralité. Il exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. À ce titre, il s’abstient notamment de manifester ses opinions religieuses. Il est formé à ce principe. L’agent public traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité ».

[2] Selon la directive de service (directive 2006/123/CE DU Parlement européen et du Conseil du 12/12/2006 relative aux services dans le marché intérieur), constitue un « régime d’autorisation » toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice.

Art. L 123-7-1 « Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel contractent librement avec des institutions étrangères ou internationales, universitaires ou non

Tout projet d’accord est transmis au ministre chargé de l’enseignement supérieur et au ministre des affaires étrangères.

Si, à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la réception du projet, le ministre chargé de l’enseignement supérieur n’a pas notifié une opposition totale ou partielle de l’un ou l’autre ministre, l’accord envisagé peut être conclu.

À son expiration, l’accord fait l’objet d’une évaluation communiquée au ministre chargé de l’enseignement supérieur et au ministre des affaires étrangères.

Un décret précise les modalités d’application du présent article ».

Christian-Lucien Martin


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Directeur général des services
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Chef du bureau des écoles d’ingénieurs

Fiche n° 6194, créée le 25/09/2014 à 09:40 - MàJ le 06/11/2024 à 11:50

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