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« Dirigeant de l’ESR, définitif ou provisoire ? » (Joël Bertrand)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Tribune n°320488 - Publié le 04/04/2024 à 15:52
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©  IRT Saint-Exupéry
©  IRT Saint-Exupéry

« Un jeune collègue récemment me disait “je veux être administrateur provisoire, c’est ma vocation”, je lui ai souhaité de réaliser son rêve », écrit Joël Bertrand Directeur de recherche émérite @ Centre national de la recherche scientifique (CNRS) • Vice-président @ IRT Saint Exupéry • Président du conseil scientifique @ Naval Group
, dans une chronique pour News Tank, le 04/04/2024.

Revenant sur la question du recrutement et de l’évaluation des dirigeants, discutée le 08/02 lors de Think Éducation et Recherche, il se penche sur la multiplication des nominations d’administrateurs provisoires dans l’ESR Enseignement supérieur et recherche .

« Pour ne pas tordre nos procédures, ne pas risquer le danger juridique — même si les lois ou les règlements sont souvent faits pour être changés — nos dirigeants ont inventé l’“administrateur provisoire“, le “président par intérim“. Les mots provisoire et intérim deviennent des boucliers capables de résister à toute attaque ou recours juridique. »

« Il n’y a pas d’élections, la démocratie universitaire, très souvent mise en avant par nos communautés académiques, à juste titre ou pas, peu importe, n’existe pas, mais tout le monde est satisfait, puisqu’on est en position d’attente. Et la vie universitaire s’écoule paisiblement (…) »

Et de lancer qu’« aller plus loin dans la simplification, pourrait être la suppression de la fonction de dirigeant, expérimenter une fonction à temps partiel, le temps d’expédier les affaires proprement courantes. D’ailleurs cette fonction serait tournante, provisoire, maximum une année, et on prendrait exemple sur le gouvernement de la Suisse… »


L’évaluation de la performance des dirigeants, une question dangereuse

À l’occasion de notre très attendue journée annuelle Think Éducation et Recherche, le 8/02/2024, dédiée à la performance dans nos communautés académiques et scientifiques, un très difficile débat était proposé, qui traitait de l’évaluation de la performance des dirigeants.

Une question dangereuse aussi bien pour l’évalué que pour l’évaluateur, une question plus qualitative que quantitative.

Trois intervenants étaient « qualifiés » pour résoudre cette question. Qualifiés, car nous étions, année des Jeux olympiques et paralympiques de Paris oblige, dans des comparaisons sportives.

S’alignaient sur la ligne de départ, sans certitudes, Caroline Pascal Cheffe du service @ Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (Igésr)
, cheffe de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, Thierry Coulhon Président par intérim @ Institut Polytechnique de Paris (IP Paris)
, président par intérim de l’Institut Polytechnique de Paris et Stéphane Braconnier Président @ Université Paris-Panthéon-Assas (EPE) • Professeur de droit public @ Université Paris 2 - Panthéon-Assas
, président de l’Université Paris-Panthéon-Assas.

Ils ne sont pas arrivés à qualifier la performance du dirigeant, ayant du mal à la différencier de la performance de l’institution dirigée, à discerner l’équipe derrière l’équipe, et les invisibles derrière les dirigeants.

Dirigeants élus ou nommés

L’évaluation de la performance d’un dirigeant élu (président d’université) doit relever de ses électeurs, et s’il n’est pas réélu, c’est que sa performance n’était pas bonne.

L’évaluation de la performance d’un dirigeant nommé (présidents d’organismes nationaux de recherche) incombe à ceux qui l’ont nommé, ils sont responsables et ce sont les seuls.

L’enjeu du recrutement : un « mercato » est-il possible ? 

Comme je l’ai déjà signalé dans une chronique précédente, Thierry Coulhon a évoqué la possibilité d’un « mercato » des dirigeants. Peut-être un mercato sans acte de candidature, où quelqu’un — le ministère peut-être ou alors un comité de recherche dédié, nommé par le ministère, ce qui revient presque au même, mais est habillé de précautions objectives et déontologiques — approche des dirigeants en place, des dirigeants potentiels, des collègues supposés prometteurs. Bref, un homme ou une femme repérés dans un vaste vivier des possibles.

Hélas rien n’est simple.

Complexité des procédures

Même si depuis plusieurs mois, nous sommes entrés dans une euphorie d’intention de simplifier, il est tentant et un peu persifleur sans doute d’écrire que c’est l’intention qui compte. Car pour la simplification, on verra après.

Tant de balisages existent, tant de procédures visibles et même souterraines sont sur le chemin, tant de « garde-fous » disent nos gardiens du dogme, qu’envisager un mercato est pure folie. Voire pour donner une image trop appuyée, hérétique et fortement antidémocratique, ce qui est synonyme pour ces gardiens-là. C’est dommage.

L’invention de l’administrateur provisoire

Pour ne pas tordre nos procédures, ne pas risquer le danger juridique — même si les lois ou les règlements sont souvent faits pour être changés — nos dirigeants ont inventé l’« administrateur provisoire », le « président par intérim ». Les mots provisoire et intérim deviennent des boucliers capables de résister à toute attaque ou tout recours juridique.

Des vocations sont nées, les administrateurs provisoires et les présidents par intérim se multiplient dans nos communautés universitaires. Les lettres de mission sont réduites : organiser la suite, expédier les affaires courantes. Pour les affaires non courantes, si cela existe, on n’en parle pas ; la durée du mandat, on ne sait pas, de quelques mois à presque une année, et pourquoi pas plus, si tout le monde est satisfait.

Voilà sans doute une position plutôt confortable, en tout cas moins exposée que le président ou directeur définitif, même si définitif, ce n’est pas l’éternité, c’est quatre ans, dans quelques cas, cinq ans.

Une position d’attente

Il n’y a pas d’élections, la démocratie universitaire, très souvent mise en avant par nos communautés académiques, à juste titre ou pas, peu importe, n’existe pas, mais tout le monde est satisfait, puisqu’on est en position d’attente. Et la vie universitaire s’écoule paisiblement, l’enseignement est assuré pour nos étudiants.

Cela est transparent : les insertions dans les circuits économique, associatif, public ou privé ne connaissent pas de difficultés additionnelles, la recherche se déploie sans difficulté, les publications sont assurées, et des innovations surgissent des laboratoires sous tutelles provisoires. Ne touchons-nous pas à un système très amélioré ? 

Un vrai métier

Richard Laganier Recteur @ Académie de Nancy-Metz • Recteur @ Région académique du Grand Est
fut administrateur provisoire de l’Université Toulouse Jean Jaurès en 2018, et a réussi une efficace et remarquée transition.

Marc Renner Conseiller de site et d'établissements, en charge de la Nouvelle Aquitaine, du Centre Val de Loire et de PSL @ Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle… fut quatre fois administrateur provisoire, Université Bretagne-Loire, Centrale Nantes, Université de Haute-Alsace, Université Fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, à chaque fois des périodes apaisées.

Administrateur provisoire c’est un vrai métier.

Jean-Christophe Camart Administrateur provisoire @ Université Grenoble Alpes (UGA) • Directeur général de la Fondation @ Université de Lille (EPE) • Professeur des universités @ Université de Lille
est administrateur provisoire de l’Université Grenoble Alpes, Jacques Comby Administrateur provisoire @ Université de la Réunion
de l’Université de la Réunion, Jean Bassères Administrateur provisoire @ Sciences Po Paris (IEP Paris)
de Sciences Po, Camille Galap Administrateur provisoire @ Université Paris-Saclay (EPE) • Professeur des universités @ Université du Havre
de l’Université Paris-Saclay, Stéphane Le Bouler Président par intérim @ Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres)
est président par intérim du Hcéres Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur , Thierry Coulhon est président par intérim de l’Institut Polytechnique de Paris.

Il y en a d’autres sans doute, car les occasions fleurissent, et peut-être que voilà un exemple de la simplification tant espérée.

Si cela continue, il est possible qu’un jour France Universités soit composée majoritairement d’administrateurs provisoires, élisant en son sein un bureau provisoire, parlant à une ministre, elle-même ministre provisoire puisque son mandat est à durée inconnue. L’ESR Enseignement supérieur et recherche français marcherait-il plus mal ?

Deux exemples loin de notre système ESR, peuvent donner à réfléchir

Dans l’époque récente, la Belgique a été deux fois et sur des périodes longues sans gouvernement, en 2010-2011 et en 2019-2020 (près de six cents jours). Certains collègues belges, probablement par dérision, parlent d’époques heureuses, l’économie était florissante et la Belgique tenait son rang sur le plan international. Il est vrai que le pays était sans doute gouverné à l’échelle des grandes régions.

Plus loin de nous, le sénateur Alain Poher a été deux fois président de la République par intérim, en 1969 (entre le général de Gaulle et Georges Pompidou) et en 1974 (entre Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing), et c’est lui, ce président-là qui en 1974 a ratifié pour la France la Convention européenne des droits de l’Homme.

Pas vraiment une affaire courante, mais qui montre qu’un provisoire ou un intérimaire peut servir avantageusement l’organisation qu’il préside, puisqu’il ne sera pas évalué, n’attend rien pour lui-même (Alain Poher n’était pas candidat à l’élection présidentielle de 1974, contrairement à 1969).

Supprimer la fonction de dirigeant ?

Aller plus loin dans la simplification pourrait être la suppression de la fonction de dirigeant, expérimenter une fonction à temps partiel, le temps d’expédier les affaires proprement courantes. D’ailleurs cette fonction serait tournante, provisoire, maximum une année, et on prendrait exemple sur le gouvernement de la Suisse…

Un jeune collègue récemment me disait — je veux être administrateur provisoire, c’est ma vocation, je lui ai souhaité de réaliser son rêve.

Joël Bertrand

Email : joel.bertrand@ensiacet.fr

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Parcours

IRT Saint Exupéry
Vice-président
Naval Group
Président du conseil scientifique
Muframex
Membre permanent du Comité d’évaluation et orientation
Fondation de Recherche pour l’Aéronautique et l’Espace (Airbus, Liebherr Aerospace, Safran, Thalès)
Président du conseil scientifique
Centre d'études mexicaines en France
Président du conseil scientifique
Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Conseiller spécial du président
Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Directeur général délégué à la science
Fondation de coopération scientifique Science et Technologie pour l’aéronautique et l’espace
Directeur
Laboratoire de génie chimique (UMR CNRS, UPS, INP Toulouse)
Directeur
Comité national de la recherche scientifique (CoNRS)
Président de la section 10 Milieux fluides et réactifs : transports, transferts, procédés de transformation

Fiche n° 27835, créée le 22/12/2017 à 11:54 - MàJ le 04/04/2024 à 10:58

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