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Rentrée scolaire et universitaire : « Porter un discours offensif sur l’université » (Manuel Canévet)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Entretien n°302002 - Publié le 04/10/2023 à 14:36
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© ️Vincent Bauza. Tous droits réservés Canévet et associés.
© ️Vincent Bauza. Tous droits réservés Canévet et associés.

« Il faudrait pouvoir porter un discours offensif et global sur la place de l’université dans la société française, son rôle pour le rang de la France dans le monde, sa capacité à répondre aux défis sociétaux (transition, technologie, psychologie, santé…) », déclare Manuel Canévet CEO @ Canévet et associés
Canévet et associés a pour vocation d’accompagner les entreprises et institutions, et tout particulièrement les universités et grandes écoles, dans leur stratégie de…
, consultant en communication, fondateur de Canévet et associés, et spécialiste de l'éducation et de l’ESR Enseignement supérieur et recherche , dans un entretien à News Tank, le 03/10/2023 sur la rentrée politique scolaire et universitaire.

« Une autre approche, complémentaire, serait de muscler le jeu sur la politique-fiction : imaginer la trajectoire de la France sans universités puissantes. C’est d’ailleurs un peu ce que fait Guillaume Gellé Président @ France Universités • Président @ Université de Reims Champagne-Ardenne (Urca)
[président de France Universités] devant l’Assemblée nationale quand il évoque le fait de former moins de médecins alors qu’il en manque déjà beaucoup. »

Il estime que « les universités ont du mal à parler d’une même voix ». Néanmoins, face aux annonces d’austérité budgétaire, « on ne peut pas dire qu’il n’y ait pas eu de réaction. Un message est passé : les universités sont atterrées par ces décisions. »

Interrogé sur la démarche de 14 présidents et présidentes autour de l’allocation d’autonomie, il analyse : « Le débat sur le fond de roulement est technique. C’est d’ailleurs là-dessus que mise le gouvernement (…). Alors que le débat sur l’allocation, c’est-à-dire celui sur la précarité, parle aux étudiants, aux familles. »

Il revient sur la première rentrée de Gabriel Attal Premier ministre @ Chef du Gouvernement - Hôtel de Matignon
 : « C’est un ministre qui prend le contre-pied de la discrétion de Pap Ndiaye Ambassadeur, représentant permanent de la France @ Conseil de l’Europe
. » Sur la présence médiatique, « il n’y a pas de match » avec Sylvie Retailleau Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche @ Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR)
, ministre de l’ESR.


« Une rentrée dense à la tonalité assez sombre »

Que retenez-vous de la rentrée politique éducation/enseignement supérieur ?

Sans surprise, le marronnier de la rentrée a occupé l’espace médiatique ces dernières semaines. Ce qui se dégage, c’est une rentrée dense à la tonalité assez sombre en dépit des efforts de communication des deux ministres concernés.

  • Pour l’éducation nationale et la première rentrée de Gabriel Attal en tant que ministre, il fallait rassurer sur la capacité à mettre des enseignants en face des classes, en pleine crise de recrutement. Il y a très vite eu une manœuvre de diversion avec l’abaya. Puis on a assisté au retour à un sujet moins polémique : la lutte contre le harcèlement scolaire.
  • Pour l’ESR Enseignement supérieur et recherche , la situation sociale des étudiants est toujours un sujet, une toile de fond, à un contexte très tendu pour le budget des universités. Celles-ci sont tiraillées de toute part d’injonctions contradictoires.     

Emmanuel Macron a également été très présent sur ces sujets…

Politiquement c’est aussi une rentrée “particulière” avec un Président de la République qui s’immisce et crée du trouble.

Sur la forme : en court-circuitant l’organigramme - “en indiquant que l’éducation était son « domaine réservé », Emmanuel Macron a pris le risque d’affaiblir, déjà, son ministre Gabriel Attal”, comme l'écrit L’Express.

Une posture qu’il avait déjà adoptée avec son ministre précédent, Pap Ndiaye, en lui dictant une feuille de route qui laissait peu de place à l’initiative et se réservant la primauté de toutes les grandes annonces. Par exemple sur la revalorisation salariale des enseignants en avril 2023.

Sur le fond : par des prises de positions tranchées, clivantes, à même de perturber le plan média de ses ministres et leurs tentatives d’imposer des thèmes.

  • De son annonce sur les arbres plantés par chaque élève de 6e, à ses critiques envers les universités.
  • Dans Le Point d’abord (24/08) : « Ce n’est pas vrai que tout le monde a vocation à aller à l’université” ;
  • Puis chez le Youtubeur Hugo Travers :  »Les universités, avec leur budget, doivent faire beaucoup mieux”, tout en affirmant qu’il n’y a « pas de problème de moyens » dans l’enseignement supérieur public.  

Je note enfin dans ce tourbillon médiatique de la rentrée que des tentatives sont faites par le gouvernement pour investir de “nouveaux médias” :

  • Hugo décrypte pour Emmanuel Macron, qui a battu des records d’audience avec un entretien de presque deux heures (2,14 millions d’abonnés sur YouTube ; 5,1 millions sur TikTok ; 2,8 millions sur Instagram).
  • Backseat pour Sylvie Retailleau sur Twitch par Jean Massiet.

L’arrivée de Gabriel Attal au MENJ Ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse change-t-elle la donne pour Sylvie Retailleau ? Le nouveau ministre a commencé par des annonces sur le calendrier du bac et donc de Parcoursup…

Gabriel Attal apparaît combatif, présent dans les médias »

Oui. C’est un ministre qui prend le contre-pied de la discrétion de Pap Ndiaye, dont la non-communication a d’abord questionné, puis qui a été extrêmement critiqué pour avoir qualifié certains médias de Vincent Bolloré d’ ”d’extrême droite”.

Gabriel Attal apparaît combatif, présent dans les médias, il porte des angles et tente d’imposer des sujets. Il arrive avec une forme de notoriété médiatique héritée de ses précédents maroquins ministériels.

Un recensement rapide des apparitions médiatiques des deux ministres montre qu’il n’y a pas match : 22 interventions médias recensées en septembre pour Gabriel Attal contre 12 pour Sylvie Retailleau. Et on compte beaucoup plus d’interventions en radio et TV pour le nouveau ministre de l’éducation, là où Sylvie Retailleau est plutôt présente en presse écrite.  

Enfin, c’est un ministre professionnel qui n’hésitera pas à se positionner sur des sujets sociétaux et médiatiques sur l’ensemble du champ qui est le sien, le cas échéant au détriment de Sylvie Retailleau qui risque de devoir se contenter des miettes, en particulier sur les sujets “positifs”.  

La ministre a annoncé au congrès de France Universités, le 30/08, des difficultés budgétaires à venir : est-ce une bonne manière de communiquer ?

La transparence est un principe plutôt positif en communication. Mais les principes ne suffisent pas à renverser les effets d’un choix politique.

La transparence était sans doute le seul choix possible »

Face à une assemblée de présidents d’université et de professionnels du secteur, la transparence était sans doute le seul choix possible. À la fois pour montrer son caractère et sous-entendre qu’elle ne subissait pas des choix venus d’ailleurs.

Les plus empathiques ont souligné son courage de venir annoncer les mauvaises nouvelles en personne. Les plus politiques noteront qu’elle était présidente d’université il y a encore 16 mois et qu’il s’agit d’un retournement de situation assez rapide…  

Sur le fond, la posture ne change rien. On retient l’essentiel du message : moins d’argent, Bercy a le pouvoir.

Ses efforts (faire face, être transparente) ont été de toute façon anéantis par la sortie du Président de la République, quelques jours plus tard, qui a ajouté la vexation à la défaite.

Les universités sont elles visibles et audibles en cette rentrée ? Comment peuvent-elles « défendre » leurs budgets ?

Les universités ont du mal à parler d’une même voix. Il faudrait pour cela une expression régulière dans des médias nationaux grand public d’un ou de plusieurs porte-parole clairement identifiés. Ce n’est pas le cas.

Des porte-parole existent, mais ils ont du mal à acquérir une surface médiatique suffisante. 

Néanmoins, on ne peut pas dire qu’il n’y ait pas eu de réaction. Un message est passé : les universités sont atterrées par ces décisions. Ce qui est flou, c’est de connaître l’ampleur de leur détermination à ne pas se laisser faire. Si les ministres n’hésitent pas à investir des médias mainstream pour défendre leur position, les universités le font peu. 

Une contre-attaque trop scolaire »

La contre-attaque a d’ailleurs eu lieu, mais de façon trop scolaire, dans des médias “sérieux” (les Échos, le Monde) ou à l’échelon local. Cela confine le débat à l’échelon technique. Il faut que les universités parviennent à descendre dans l’arène politique. 

« La peur est sans doute mauvaise conseillère »

Demander une allocation d’autonomie au même moment, comme l’ont fait 14 présidents dans une tribune au Monde, est-ce une bonne idée ? 

Deux tactiques s’affrontent. Celle du mono-sujet : on a un seul clou et il faut concentrer nos efforts dessus. Celle du feu de tout bois, avec l’idée de créer un effet entonnoir : on multiplie les attaques pour se rendre visible.

Il y a un aspect à prendre en compte : à qui veut-on s’adresser ? Le débat sur le fond de roulement est technique. C’est d’ailleurs là-dessus que mise le gouvernement pour épuiser toute résistance. Alors que le débat sur l’allocation, c’est-à-dire celui sur la précarité, parle aux étudiants, aux familles.

La preuve c’est que la seule présidente d’université à avoir été invitée sur la matinale de France Inter en cette rentrée, c’est Christine Neau-Leduc Présidente du conseil d’administration @ Campus France • Présidente @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Professeure des universités @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
, présidente de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, justement pour parler de ce sujet “allocation”.

Pour moi, les deux tactiques ne s’opposent pas stratégiquement. La question de la précarité étudiante est aussi celle des moyens que la nation consacre à son enseignement supérieur, donc en creux l’ambition de la France sur ces sujets. 

La différence entre les deux approches, c’est la peur de s’installer dans une opposition que certains jugent préjudiciable.

Mais la peur est sans doute mauvaise conseillère. Car quand on manque de leviers de pression ou de négociation, être “casse-pied” est parfois le seul recours. Cela oblige son adversaire à se positionner ou bien cela perturbe son agenda médiatique.

France Universités, Udice Association réunissant les universités labellisées Idex , Cdefi Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs , les conférences de rentrée se sont multipliées. Cela affaiblit-il leur impact ? 

Ce foisonnement montre la diversité de l’ESR. Ce n’est pas forcément antinomique avec la capacité à parler d’une seule voix, surtout quand tout le monde semble tirer dans le même sens : celui d’un manque de moyens pour accomplir les missions fixées.  

Les sujets de l’agenda médiatique et du leadership posent en revanche question.

Le bruissement des dossiers de presse ne suffira pas  »

Toutes ces instances agissent de la même façon, le bruissement des dossiers de presse ne suffira pas à créer des dynamiques ou inverser des rapports de force.

Rien n’empêche pourtant de signer une grande campagne d’achat média avec une interpellation du politique sur cette distorsion : injonctions/budget tout en rappelant la qualité de l’ESR français. 

Les thèmes mis en avant sont-ils les bons ?

Les thèmes sont imposés par l’agenda médiatique. Depuis longtemps, la droite de l'échiquier politique français a engagé une bataille culturelle sur la question du financement du service public : aux revendications budgétaires, la droite oppose l’argument de la gabegie ou de la mauvaise gestion. C’est un piège.

L’installation de cette petite musique a pour effet de rendre suspecte la demande de plus de moyens, de la disqualifier. Consciemment ou non, c’est d’ailleurs ce que fait le Président de la République quand il affirme : « Avec les moyens qu’on met, on doit faire beaucoup mieux ».

Côté université, on peut donc comprendre la crainte de s’engager sur la voie de la revendication des moyens : le risque d’entretenir l’image d’universités “pauvres”, sous-dotées, d’entretenir une forme de misérabilisme.

Il faut donc interpréter comme un signe très inquiétant de l’état de notre ESR, le fait que le président de France universités monte au créneau et que l’ensemble des conférences (France Universités, Udice, Cdefi…) convergent.  

Dès lors, que faire pour se défaire de ce problème d’image tout en revendiquant haut et fort des moyens à la hauteur ?

Il faudrait pouvoir porter un discours offensif et global sur la place de l’université dans la société française, son rôle pour le rang de la France dans le monde, sa capacité à répondre aux défis sociétaux (transition, technologie, psychologie, santé…).

Cela rend concrets les choix d’austérité budgétaire »

Une autre approche, complémentaire, serait de muscler le jeu sur la politique-fiction : imaginer la trajectoire de la France sans universités puissantes.  C’est d’ailleurs un peu ce que fait Guillaume Gellé devant l’Assemblée nationale quand il évoque le fait de former moins de médecins alors qu’il en manque déjà beaucoup.

Cela rend concrets les choix d’austérité budgétaire qui sont faits. Cela permet à chacun d’avoir une opinion sur le sujet.

Manuel Canévet

Email : manuel@canevetetassocies.fr

Canévet et associés a pour vocation d’accompagner les entreprises et institutions, et tout particulièrement les universités et grandes écoles, dans leur stratégie de communication et la définition d’actions de com’ (définition et adaptation des politiques, positionnement, bilan d’image…) sur le champ de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, en profitant au mieux des opportunités numériques.


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Fiche n° 5347, créée le 17/07/2014 à 10:49 - MàJ le 02/05/2019 à 12:36

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Catégorie : Cabinets de conseil / Agences de communication


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Fiche n° 9917, créée le 29/05/2020 à 04:45

© ️Vincent Bauza. Tous droits réservés Canévet et associés.
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