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Sobriété énergétique : les inquiétudes et les pistes des directions immobilières réunies à Poitiers

News Tank Éducation & Recherche - Poitiers - Actualité n°267758 - Publié le 18/10/2022 à 12:12
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Bureau de l’Artiès en octobre 2022 à Poitiers -

« Là où on peut agir, c’est dans notre capacité à amener des données à nos gouvernances. Cela passe par l’analyse de notre patrimoine, bâtiment par bâtiment, pour voir où sont les consommations, et par typologie d’activité. À partir de là, on peut extrapoler une économie potentielle sur une activité donnée. C’est ensuite au politique de trancher », déclare François Caumont, directeur patrimoine et logistique de l’Université de Caen Normandie et membre du bureau de l’Artiès, le 05/10/2022.

Il s’exprime lors du séminaire annuel de l’Artiès, l’association qui regroupe les directeurs et cadres de l’immobilier de l’ESR Enseignement supérieur et recherche , organisé à Poitiers sur le thème de l’éco-campus.

« Nous avons choisi ce thème sans lien avec le contexte de la rentrée, car chaque séminaire est préparé un an à l’avance, mais c’est sûr qu’il trouve une résonance particulière », déclare Marie Guillaume, directrice de l’immobilier et de la logistique de l’Université Lyon 3 Jean Moulin et présidente de l’Artiès, à News Tank.

Anne Mangano, VP Vice-président(e) de l’Artiès et directrice de la gestion du patrimoine immobilier de l’UHA Université de Haute-Alsace , ajoute : « Il n’y a pas le choix, on doit s’intéresser à la question du fait du décret tertiaire [prévu par la loi Elan Pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique de 2018] qui fixe à 40 % les réductions d’énergie en 2030 pour les bâtiments tertiaires. Il y a une vraie réflexion dans tous les établissements, que ce soit sur le volet de la construction avec des bâtiments à énergie positive, ou sur celui de la réhabilitation et de l’aménagement des campus. »

Pour autant, beaucoup de cadres des services immobiliers expriment leurs inquiétudes, à l’image de Guillaume Saraf, directeur immobilier de l’Université de Lille : « Nous sommes assez désemparés ou démunis pour mettre en place des actions vraiment significatives, car au-delà des écogestes, les actions identifiées permettent d’économiser 20 à 50 k€. On est loin de l’échelle des surcoûts de 15 M€ en 2023. »


Plan de sobriété énergétique : les inquiétudes sur les marges à trouver

Alors que les plans de sobriété énergétique doivent être remontés par les établissements au MESR Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche dans une première version au 31/10/2022, les membres de l’Artiès échangent et partagent plusieurs interrogations.

« Cette circulaire interroge sur pas mal de sujets quant au bon usage des bâtiments et des équipements. Le premier point technique est celui qui consiste à réduire la température de 8 °C dans les bâtiments en cas d’une absence supérieure à 48h. Mais chez nous on se demande si cela ne peut pas générer des problèmes de condensation dans les bâtiments, et combien de temps on mettra pour revenir à 19 °C », indique Franck Joyeux, directeur du patrimoine de l’Université de Rouen Normandie et VP de l’Artiès.

Quant à l’économie d’énergie en cas de fermeture, il ajoute : « Pendant la crise Covid, alors que nous avons dû fermer nos bâtiments, nous avons bien vu une baisse de la consommation, mais pas forcément à la hauteur de ce qu’on pensait. »

À l’Université de Lille, on réfléchit à la question de « l’estivage » des bâtiments, « mais on se rend compte que si on veut couper le courant complètement, quid des alarmes anti-intrusions, de la vidéosurveillance, des éclairages de secours, etc. », note le directeur immobilier.

Écogestes : informer, mais ne pas culpabiliser

Sur les écogestes, Jacques Schmitt, directeur du développement et des projets immobiliers de l’Université Grenoble-Alpes montre des réserves : « On cherche à économiser 12 millions de kW par an, mais éteindre les photocopieuses cela représente seulement 1 000. Donc les écogestes, c’est bien de le faire, mais les vrais leviers ne reposent pas sur les individus, ils se trouvent dans les services. »

Lionel Vinour, directeur de l’immobilier de l’Université de Poitiers, ajoute que sur les écogestes, « l’objectif est de mobiliser, pas de culpabiliser. Mais c’est aussi un moyen d’informer : par exemple, peu de monde à l’université sait que nous ne bénéficions pas du bouclier tarifaire sur l’électricité ».

La recherche : une activité très consommatrice

« La recherche c’est 30 % des surfaces et 68 % des consommations d’électricité. Il y a donc un vrai gisement », indique Jacques Schmitt.

« Mais cela se heurte à la difficulté que nous ne pouvons pas accéder à ce qui fait valeur dans la recherche. En tant que techniciens, nous ne sommes pas légitimes pour faire des choix scientifiques, même s’il y aurait tout intérêt à faire des contrats d’objectifs avec les laboratoires. C’est un challenge. »

À l'Isae-Ensma Ecole nationale supérieure de mécanique et d’aérotechnique , les activités de recherche représentent même 80 % des consommations liées aux activités de recherche, « ce qui laisse très peu de marges de manœuvre », indique Mireille Maspeyrot, responsable patrimoine de l’école.

Pour François Caumont, directeur patrimoine et logistique de l’Université de Caen Normandie, « si on montre aux chercheurs les données de ce qu’ils produisent, alors on pourra ensemble chercher des solutions, et voir ce qui est faisable ou pas ».

Nicolas Gaillard, DGSA Directeur(trice) général(e) des services adjoint proximité et développement des campus de l'Insa Institut national des sciences appliquées Lyon ajoute : « Pour notre labellisation DD&RS Développement durable et responsabilité sociétale nous avons travaillé avec des laboratoires volontaires notamment sur la diminution de la puissance électrique, et la mutualisation d’équipements, qui est la vraie voie pour travailler à moyen terme. On s’est aussi appuyé sur le collectif Labo1.5, qui nous a permis d’impulser pas mal de choses. »

Lionel Vinour est directeur de l’immobilier de l’Université de Poitiers depuis 2003. C’est lui qui a préparé et géré la dévolution du patrimoine en 2011, dans des conditions financières particulièrement avantageuses. « Quand nous avons obtenu la dévolution, nous avons entamé la réhabilitation du patrimoine en nous appuyant sur des financement pérennes, connus, et qui ont permis de faire des choix. Cela nous a permis aussi de demander des compléments de financement pour être plus ambitieux et investir, par exemple sur du photovoltaïque. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, nous sommes dans les clous du décret tertiaire. »

Pour lui, ce gain énergétique ne peut pas se faire du jour au lendemain. Il s’est appuyé sur plusieurs leviers : « une programmation des investissements sur le long terme, mais aussi une diminution des surfaces et des réorganisations ».

« Au début nos bâtiments mélangeaient beaucoup formation et recherche, mais cela créait de la dispersion. A la place, on a fait des bâtiments dédiés à la recherche et des plateformes d’enseignement. Par ailleurs, nous avons créé un poste d’ingénieur chargé d’organiser les activités de recherche, avec un planning pour éviter de cumuler le recours à l’énergie : cela a permis de diminuer par dix la puissance du compteur qu’on nous demandait d’installer initialement. Enfin, mutualiser est la clé. Nous avons mis en place une politique d’achat sur les équipements : s’il a déjà été acheté dans l’université à un moment, quel que soit le payeur, on renvoie la demande à cet équipement pour mutualiser l’usage. »

« Tout cela nous a pris six ou sept ans. Donc on comprend le désarroi de pas mal de personnes, car aujourd’hui, si on devait le faire pour demain, on ne pourrait pas », dit-il.

Virginie Laval, présidente de l’Université de Poitiers, ajoute à propos de la dévolution du patrimoine : « C’est un formidable levier, mais aussi des grandes responsabilités, car il faut garantir des conditions de vie et d’études de qualité, fournir des espaces propices à l’ESR, maintenir la pérennité de nos installations. C’est le temps long qui caractérise le patrimoine, qui est toujours trop long par rapport aux engagements politiques. »

Immobilier : « La force du secteur public est de faire bien avec peu de moyens »

Alors que le contexte énergétique met en lumière l’enjeu du patrimoine et de la fonction immobilière dans les établissements de l’enseignement supérieur, Raphaël Greffe, DGSA patrimoine et développement durable de l'Upec Université Paris-Est Créteil et membre associé au bureau de l’Artiès indique : « La force du secteur public est de réussir à faire bien, voire même faire mieux que les autres, avec peu de moyens ».

« Les universités ont une taille importante ce qui leur permet d’avoir de vraies directions immobilières, et leur force est d’avoir une vision globale, de la construction à l’exploitation. Quand on se compare à d’autres, notamment lors des réponses à projets de la DIE Direction de l’immobilier de l’Etat , les universités n’ont pas à rougir, car nous avons les maîtrises d’ouvrages les plus structurées et qui connaissent le mieux leur patrimoine. C’est aussi un des bénéfices des schémas directeurs. »

Franck Joyeux rappelle que l’Artiès a été créée après la loi de 1989 qui a confié à l’université la possibilité d’être maître d’ouvrage de la partie construction puis de la partie maintenance. « C’est une forme de décentralisation, qui a permis que la filière immobilière au cours du temps s’étoffe en expertise et en pilotage, avec des métiers qui sont apparus comme le profil des managers énergie. »

« Que les établissements aient ou pas la dévolution de leur patrimoine, tout le monde fait face aux mêmes enjeux de gestion depuis 30 ans, et cela a nécessité que les directions se structurent », ajoute Pauline Farcis-Morgat directrice adjointe de l’immobilier à l’Université de Strasbourg et VP de l’Artiès.

Pour Marie Guillaume, les directions immobilières sont celles qui dans les établissements de l’ESR ont la plus grande échelle de temps à gérer, « entre le très court terme, quasiment à l’heure, et la vision à 30 ou 40 ans ».

« Les méthodes d’enseignement évoluent, et les locaux doivent aussi évoluer de manière à servir les missions de l’université. Aujourd’hui, on ne parle plus de BU Bibliothèque universitaire , mais de Learning center. En recherche c’est la même chose. Nous devons être à l’écoute des acteurs et de leurs besoins, des tendances, mais entre le temps de la conception et de la réalisation, il ne peut pas se passer trop de temps non plus », ajoute Anne Mangano.

Le développement durable, une question ancienne pour les services immobiliers

Pour la présidente de l’Artiès, s’il est vrai que la période actuelle apporte un éclairage particulier sur le sujet de l’énergie, « nous sommes à l’ouvrage depuis des années, les membres de l’Arties Association des responsables techniques immobilières de l’enseignement supérieur sont très engagés sur ces sujets de sobriété énergétique, c’est quasiment une évidence ».

Raphaël Greffe (Upec) ajoute : « Aujourd’hui le politique s’en empare, et on a envie de dire “enfin !” »

« Les universités se sont intéressées au développement durable tôt, aussi parce que c’était le meilleur moyen de faire des économies à moyen et long terme. L’actualité donne raison à cette stratégie, et nous sommes contents d’avoir pu prendre de l’avance. Mais il reste beaucoup à faire », ajoute Anne Mangano. 

Franck Joyeux : « C’est une évidence à dire : les universités ne sont pas riches et donc au-delà des questions environnementales, la question financière est un moteur pour les enjeux de sobriété énergétique. Notre objectif a toujours été de faire bien et durable. »

Mais pour les membres du bureau, cela nécessite une visibilité, à la fois politique et financière. « L’État serait bien inspiré de regarder ce dont on a besoin pour fonctionner. La logique d’à-coup, que ce soit via les programmes types CPER Contrat de plan État-région , tous les cinq ou six ans, ou même les appels à projets, déstructure la fonction immobilière », indique Lionel Vinour, directeur de la vie de campus et du patrimoine de l’Université de Poitiers.

Pour Marie Guillaume, « Écrire la stratégie immobilière fait partie de nos missions et ce n’est pas le plus simple, car il faut une stratégie politique et une visibilité financière. Or, si le principe des appels à projets se systématise, avec des délais souvent intenables, cela va devenir très compliqué. »

« L’Artiès salue le travail mené qui permet de prendre la mesure des enjeux de ce domaine et de rendre visible le travail des directions immobilières en charge de la gestion du patrimoine immobilier au sein des établissements », déclare l’association en réaction à la parution du rapport de la Cour des comptes sur l’immobilier universitaire, le 11/10/2022, et pour lequel elle n’a pas été auditionnée.

« Si de nombreux constats sont partagés, l’association s’interroge aussi sur certains points évoqués et a prévu de solliciter la Cour pour programmer un échange autour des thématiques du rapport et de ses recommandations. » Lors du séminaire à Poitiers, la proposition de la Cour de généraliser les filiales universitaires, comme celle de l’Université de Bordeaux, a notamment été soulevée.

En tant que « référent métier auprès de tous les partenaires et instances de l’enseignement supérieur et de la recherche », l’Artiès indique que son bureau « se tient à disposition de la Cour pour participer à ses audits et enquêtes et plus généralement pour l’ensemble de ses travaux, comme elle a déjà eu l’occasion de le faire par le passé ».

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