« Les rébellions des jeunes diplômés appellent un changement profond de l’ESR » (J-L. Delpeuch)
« De même qu’aux 12e et 13e siècles, l’invention de l’université a été consécutive à des rébellions d’étudiants à Bologne puis à Paris, contre les méthodes traditionnelles de formation qui ne prenaient pas en compte les besoins de leur temps, sachons prendre la mesure des rébellions actuelles de jeunes diplômés et d’étudiants, qui appellent, à juste titre, un changement profond dans les objectifs de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. »
C’est ce qu’écrit Jean-Luc Delpeuch, président de la communauté de communes du Clunisois et ancien président d’Hésam
Hautes études Sorbonne arts et métiers
Université, dans une tribune à News Tank, le 04/07/2022. Il revient sur les prises de parole d’étudiants lors de plusieurs cérémonies de remises de diplômes ces dernières semaines, à AgroParisTech, Polytechnique, HEC ou encore Sciences Po.
« Aux yeux des étudiants, les formations qui leur sont inculquées font une impasse pratiquement totale sur la compréhension de ces alertes, aussi fondamentales que répétées, et omettent de leur transmettre les compétences et les connaissances nouvelles nécessaires à la gestion des mutations sociétales. »
Il souligne le rôle des collectivités territoriales, « pour changer les modes de vie quotidienne », et sur la nécessité « de lancer des programmes de recherche et des formations, spécifiquement destinées à donner aux acteurs chargés de conduire la transformation des politiques publiques, à toutes les échelles, du local au global, les compétences nouvelles dont ils ont impérativement besoin ».
La face émergée d’une prise de conscience très vive parmi les jeunes générations
Les remises de diplômes de prestigieux établissements d’enseignement supérieur français (AgroParisTech, Polytechnique, Sciences Po, etc.), ont donné lieu à l’expression d’un profond ressentiment de la part de jeunes diplômés, vis-à-vis des parcours de formation qui ne les préparent pas aux considérables défis auxquels est confrontée l’humanité : épuisement des ressources fossiles, effondrement de la biodiversité, réchauffement climatique, pandémies, inégalités croissantes face aux conséquences de ces crises.
Une remise en cause des partenariats noués par les établissements »Les manifestations de ressentiment focalisent en particulier sur une remise en cause des partenariats noués par les établissements d’enseignement et de recherche avec des entreprises perçues comme portant une large part de responsabilités dans l’impasse d’une croissance liée à l’épuisement de la biosphère.
Ces manifestations d’étudiants et de jeunes diplômés sont la face émergée d’une prise de conscience très vive parmi les générations les plus jeunes quant à l’impérieuse nécessité de changements profonds dans la fabrique des politiques publiques et des modèles économiques : passer d’une économie linéaire de prédation à une économie circulaire, où la qualité du vivre ensemble, le sens de l’engagement professionnel et la satisfaction durable des besoins fondamentaux du vivant passent par de nouveaux modes d’organisation collective et de nouvelles compétences professionnelles et citoyennes.
Un sentiment d’immobilisme
En la matière, les mises en garde ne sont pourtant pas récentes : le rapport « les limites de la croissance » a été publié il y a précisément 50 ans (1972), les alertes du premier rapport du Giec ont été émises il y a plus de 30 ans (1990), la conceptualisation de « l’anthropocène » comme un changement d’ère géologique, lié à l’impact massif de l’humanité sur les couches superficielles de la planète et son atmosphère remonte à plus de 20 ans (2000).
Aux yeux des étudiants, les formations qui leur sont inculquées font une impasse pratiquement totale sur la compréhension de ces alertes, aussi fondamentales que répétées, et omettent de leur transmettre les compétences et les connaissances nouvelles nécessaires à la gestion des mutations sociétales.
Tout se passe, aux yeux des étudiants, comme si des freins puissants contraignaient à l’immobilisme : situations d’avantages acquis dans la sphère économique comme dans celle des institutions publiques, manque d’indépendance des universités et des grandes écoles vis-à-vis des pouvoirs publics et de la sphère économique, difficulté généralisée à remettre en cause le postulat du progrès issu du développement technologique, prégnance des idéologies des 19e et 20e siècles, ne prenant pas en compte ces évolutions.
Une nouvelle conception de la connaissance et de l’organisation de la recherche s’impose
Une formation qui s’adapterait aux changements nécessaires suppose une nouvelle conception de la connaissance et de l’organisation de la recherche. Alors que les défis de l’anthropocène sont des phénomènes complexes, dont la compréhension fait appel à un spectre très large de connaissances, l’organisation de l’enseignement et de la recherche reste en France fondamentalement disciplinaire, régie par les 92 sections du conseil national des universités.
Sur ces 92 sections, seules 5 sont qualifiées de « pluridisciplinaires », mais elle concernent :
- l’éducation et la formation,
- l’information et la communication,
- l’épistémologie,
- les cultures régionales,
- et les sciences et techniques des activités physiques et sportives.
Dans les intitulés des 92 sections, les mots « environnement », « climat », « transition » ne figurent pas une seule fois.
Le rôle des collectivités territoriales
Depuis plusieurs décennies, il est communément admis que la recherche est nécessaire à l’innovation des entreprises, et donc à leur compétitivité. Mais l’idée que la recherche soit tout aussi indispensable à l’innovation en matière d’action publique demeure révolutionnaire : les changements de mode de vie, en matière de mobilité, d’alimentation, d’efficacité et de sobriété énergétique, d’usage du numérique, d’accueil des personnes qui fuient la montée des eaux et l’aridité, ne seront possibles qu’à condition de réinventer les services au public et les politiques publiques.
Les collectivités territoriales, premier investisseur public en France »Or, ce sont les collectivités territoriales, premier investisseur public en France, loin devant l’État, qui sont en première ligne pour changer les modes de vie quotidienne, en liaison avec le tissu associatif et les acteurs de la solidarité.
Il est donc urgent de lancer des programmes de recherche et des formations, spécifiquement destinées à donner aux acteurs chargés de conduire la transformation des politiques publiques, à toutes les échelles, du local au global, les compétences nouvelles dont ils ont impérativement besoin : comment utiliser les outils du design pour concevoir de nouveaux services au public ? Comment stimuler l’intelligence collective pour anticiper et ne pas subir ? Comment vivre avec le vivant ? Comment faire rimer qualité de vie collective et sobriété en matière de ressources non renouvelables ? Comment concevoir des trajectoires bas-carbone à toutes les échelles ?
Des initiatives montrent la voie à suivre
Face à l’étendue des besoins légitimement exprimés par les jeunes diplômés, quelques initiatives indiquent la voie à suivre.
En matière de recherche, le programme « 1000 doctorants pour les territoires » mobilise de jeunes chercheurs au sein des collectivités territoriales, des associations et des établissements publics. Pendant les trois années de leur thèse, ces doctorantes et doctorants partagent leur temps entre une mission d’innovation publique pour leur employeur et un travail de recherche nourri de leur expérience de terrain. Ce programme national a été lancé en 2017 par Hésam Université.
Plus de 200 doctorantes et doctorants œuvrent dans les territoires »A l’époque, le nombre d’employeurs publics et associatifs s’attachant les services de doctorants en convention Cifre était de quelques dizaines. Actuellement, plus de 200 doctorantes et doctorants œuvrent dans les territoires. Si la croissance est forte, les besoins sont quant à eux beaucoup plus étendus.
En matière d’enseignement, le Collège européen de Cluny , sur le campus Arts et Métiers, au sein de l’ancienne abbaye de Cluny lance à partir d’octobre 2022, conjointement avec la prestigieuse université de Bologne, une formation diplômante de niveau « master of advanced studies » (formation en un an pour des personnes titulaires d’un diplôme de niveau master) intitulée « Transitions et innovations dans les territoires en Europe : environnement et paysages post-anthropocène ».
Former à l’échelle européenne et globale
Ce parcours, réellement transdisciplinaire, en 60 ECTS, ouvert à tous profils, (jeunes diplômés à la recherche d’une professionnalisation vers la transformation des politiques publique ou professionnels souhaitant réorienter leur parcours pour prendre en compte les mutations en cours) pourra également être une préparation à un projet de recherche de type « 1000 doctorants pour les territoires ». Les modules constituant le parcours, pourront être suivis en formation continue, module par module.
Au-delà de ces initiatives, il est essentiel et urgent de former à l’échelle européenne et globale, les responsables de la transformation nécessaire, afin de sortir de l’impasse documentée depuis plus de 50 ans maintenant.
De même qu’aux 12e et 13e siècles, l’invention de l’université a été consécutive à des rébellions d’étudiants à Bologne puis à Paris, contre les méthodes traditionnelles de formation qui ne prenaient pas en compte les besoins de leur temps, sachons prendre la mesure des rébellions actuelles de jeunes diplômés et d’étudiants, qui appellent, à juste titre, un changement profond dans les objectifs de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Jean-Luc Delpeuch
Président @ Communauté de communes du Clunisois
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Fiche n° 15258, créée le 15/01/2016 à 19:28 - MàJ le 05/07/2022 à 09:46