« Réparons notre “usine à Nobel” » (Mohamed Najim)
« L’économiste Esther Duflo
Présidente @ Paris School of Economics (PSE) • Titulaire de la chaire « Pauvreté et politique publique » @ Collège de France
Esther Duflo a notamment reçu :
• le prix du meilleur jeune économiste…
et la chimiste Emmanuelle Charpentier
Professeure honoraire @ Humboldt University in Berlin • Directrice @ Max Planck Institute for Infection Biology
Distinctions :
2014 : prix Paul-Janssen pour la recherche biomédicale avec Jennifer…
, qui sont les deux derniers lauréats français du prix Nobel, l’auraient-elles décroché si elles avaient poursuivi leurs travaux dans l’Hexagone ? Je n’en suis pas sûr tant les conditions de la recherche se sont dégradées depuis plusieurs années. En réalité, celles-ci ne cessent de se détériorer depuis un demi-siècle », écrit Mohamed Najim, professeur émérite à Bordeaux INP et ancien directeur du laboratoire commun Total/CNRS/Université de Bordeaux, dans une chronique pour News Tank, le 22/02/2022.
« La France, qui a été l’un des pays les plus fréquemment distingués - avec 44 prix Nobel scientifiques - par l’Académie suédoise, après les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne, a beau essayer de réformer son système de recherche, Esther Duflo et Emmanuelle Charpentier ont dû se déguiser en migrantes de laboratoire pour faire aboutir leurs travaux : l’une au Massachusett’s Institute of Technology (MIT
Massachusetts Institute of Technology
) de Boston, l’autre à l’Institut Max Planck de Berlin », ajoute-t-il.
Partant de l’exil de ces deux prix Nobel françaises, Najim Mohamed tente dans sa tribune d’en comprendre la racine, dans l’organisation du système d’enseignement supérieur et de recherche français… et de proposer des solutions pour remédier à ce type de situation, notamment à l’appui d’exemples observés à l’étranger.
Parmi elles : « Construire une poignée de MIT français. Le pays d’Henri Poincaré et de Marie Curie étant cinq fois moins peuplé que les États-Unis, il nous suffirait pour commencer d’en avoir deux ou trois. C’est très exactement la voie que la Chine a choisi de suivre ».
« Esther Duflo et Emmanuelle Charpentier ont dû se déguiser en migrantes de laboratoire »
L’économiste Esther Duflo et la chimiste Emmanuelle Charpentier, qui sont les deux derniers lauréats français du prix Nobel, l’auraient-elles décroché si elles avaient poursuivi leurs travaux dans l’Hexagone ? Je n’en suis pas sûr tant les conditions de la recherche se sont dégradées depuis plusieurs années. En réalité, celles-ci ne cessent de se détériorer depuis un demi-siècle.
La France, qui a été l’un des pays les plus fréquemment distingués - avec 44 prix Nobel scientifiques - par l’Académie suédoise, après les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne, a beau essayer de réformer son système de recherche, Esther Duflo et Emmanuelle Charpentier ont dû se déguiser en migrantes de laboratoire pour faire aboutir leurs travaux. L’une au Massachusett’s Institute of Technology (MIT Massachusetts Institute of Technology ) de Boston, l’autre à l’Institut Max Planck de Berlin.
Fabrique de « monstres bureaucratiques ingérables et poussifs »
La dernière réforme, voulue par Nicolas Sarkozy, visait à agréger nos facultés et nos écoles pour construire des universités sur le modèle américain qui soient susceptibles de gagner en visibilité dans le classement de Shanghaï. Las ! Elle n’a conduit qu’à fabriquer des monstres bureaucratiques ingérables et poussifs. Certaines, regroupent quatre à huit fois plus d’étudiants que le MIT, Berkeley, Oxford ou Cambridge.
De plus, leurs annexes (amphis, laboratoires) sont réparties dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres, ce qui contraint les enseignants-chercheurs à passer une grande partie de leur temps dans les transports en commun. On a peut-être oublié que l’obésité n’était pas un facteur de performance.
Quitter le Quartier latin pas pour gagner plus, mais pour travailler mieux »,Mais revenons à Esther Duflo et à Emmanuelle Charpentier. Ces deux universitaires ont énormément de talent, comme d’ailleurs beaucoup de nos collègues qui exercent en France, mais elles bénéficient, à Boston comme à Berlin, de moyens qui nous semblent ici démesurés, alors qu’ils paraîtront banals à des universités qui respectent, valorisent leurs chercheurs et leur allouent donc des moyens à la hauteur de leur talent et de leurs ambitions.
Entendons-nous bien : à l’instar d’autres Français également remarquables qui travaillent à Berkeley, à Stanford, à Lausanne ou à Shanghai, Esther Duflo et Emmanuelle Charpentier n’ont pas quitté le Quartier latin pour gagner plus, mais pour travailler mieux.
Construire une poignée de MIT français
Comment la France, pourrait-elle reprendre la place qui lui revient dans le domaine de la science et de la technique (S&T) et par quel mécanisme pourrait-elle faire revenir une partie de la diaspora pour relocaliser sa recherche en France ? En se décidant enfin à construire une poignée de MIT français. Le pays d’Henri Poincaré et de Marie Curie étant cinq fois moins peuplé que les États-Unis, il nous suffirait pour commencer d’en avoir deux ou trois. C’est très exactement la voie que la Chine a choisi de suivre.
La discussion, suivie du vote en catimini par une majorité indifférente, au sujet de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, LPR, ne fera pas revenir nos chercheurs exilés, car la LPR Loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur ne changera pas fondamentalement le statut de la recherche française.
Le programme chinois 1000 Talents « parodié »
La République en Marche, avait lancé en 2018 le slogan « 1000Talents » pour mobiliser les Français autour de la candidature d’Emmanuel Macron à la présidence de la République. Elle a ainsi parodié le programme chinois « 1000Talents » lancé en 2008. Celui-ci a succédé au programme « 100Talents » lancé par l’Académie des sciences chinoise (CAS) en 1994, mais qui a souffert de difficultés bureaucratiques pour sa mise en œuvre.
Le programme « 1000Talents » beaucoup plus ambitieux, a été rattaché à dessein, au Comité central du Parti communiste chinois (PCC) en 2008 et a visé dans une première étape à faire revenir en Chine, « mère patrie », des expatriés de haut niveau et, dans une deuxième phase, des experts de toute nationalité en leur offrant des conditions d’accueil et de travail exceptionnelles.
Faire revenir une partie des membres de la diaspora française »Il a joué un rôle considérable pour que la Chine gagne la place qu’elle a aujourd’hui dans le domaine de la S&T. Il a eu un tel succès que les USA crient au pillage de leurs ressources humaines et technologiques à travers des enquêtes diligentées par le FBI et de nombreux procès.
Mon propos ici est de suggérer à notre exécutif de s’inspirer de nouveau de ce type de programme, pour l’appliquer à la S&T et à l’entrepreneuriat en valorisant ses acteurs ici. Cette valorisation permettrait de mettre en place les mécanismes pour faire revenir une partie des membres de la diaspora française. Est-ce possible ? Oui !
Entamer des réformes profondes
Ainsi la période difficile, chaotique, que nous traversons peut être la source d’un consensus sans précédent pour entamer des réformes profondes. En effet, on n’a jamais autant parlé de sciences et de scientifiques soit pour les prendre à témoin soit leur faire couvrir des décisions politiques.
Garantir un budget, pendant quatre ans au moins »Il est plus que jamais souhaitable de ressourcer et restructurer notre recherche scientifique publique et privée (voir les déboires de Sanofi et de l’Institut Pasteur) en faisant revenir une partie de tous ces « cerveaux », chercheurs et entrepreneurs, tels que Mr Stéphane Bancel P-DG de Moderna, qui nous ont quittés pour trouver des conditions de travail et de reconnaissances meilleures.
A cet effet, après avoir rencontré et échangé avec de nombreux collègues ici et de la diaspora, je soumets les propositions ci-après pour la mise en œuvre d’un programme adapté à la réalité française, vis à vis à la fois des Français qui exercent ici et ceux de la diaspora : garantir un budget, pendant quatre ans au moins, hors les financements par appel d’offres, leur permettant de lancer de nouveaux projets de recherche ou pédagogiques pour s’intégrer dans leur nouvel environnement.
Revoir la grille actuelle des salaires des enseignants chercheurs
Pour cela, il faudrait revoir la grille actuelle des salaires des enseignants chercheurs, actuellement en place, pour qu’elle soit plus attractive pour attirer les compétences de la diaspora et valoriser par la même occasion les carrières de ceux qui sont déjà en fonction :
- garantir que leur ancienneté acquise à l’étranger soit prise totalement en compte pour leur reclassement et pour leur retraite ;
- accorder une prime d’installation à titre personnel (pour trouver un logement par exemple, scolariser leurs enfants) ;
- couvrir leurs frais de déplacement et de déménagement et ceux des personnes dont ils ont la charge.
« Refonte » du système universitaire et « dé-bureaucratisation »
Universités et laboratoires à taille humaine »Le succès de cette refondation nécessite en outre une refonte du système universitaire qui s’articulerait autour d’universités et de laboratoires à taille humaine pour augmenter leur réactivité vis-à-vis de leur environnement socio-économique, avec une réelle autonomie.
En cette période où on parle beaucoup de BigPharma, voici ce que déclarait au Monde Jeffrey Kindler PDG de Pfizer, dès 2008 :
« Plus la recherche est massifiée, plus la créativité disparaît ».
Le groupe expérimente en Californie une « organisation plus fédérative de la recherche en biotechnologie, avec des unités plus petites, plus autonomes et collaboratives »
Plus récemment, dans le Monde daté du 19/01/2021, Jean-Michel Bézat dans son article « Covid-19-Victoire de David contre Goliath », mettait en exergue, dans la course vers les vaccins, les performances des petites entreprises face aux géants de l’industrie pharmaceutique.
Le succès de cette refondation nécessite aussi le redéploiement d’emplois de personnels administratifs, pour accompagner les chercheurs, supprimés durant les dernières années sous le prétexte de « mutualisation des ressources ».
Ce dernier point nécessite une dé-bureaucratisation profonde de notre administration qui ferait migrer des dizaines de milliers d’emplois de fonctionnaires chargés aujourd’hui de tâches de contrôle a priori et a posteriori pour les reverser vers les tâches d’accompagnement dans l’enseignement, primaire, secondaire, supérieur, la recherche et le milieu hospitalier.
Le cas de Huawei en France
Nos talents partent, mais d’autres sont encore là reconnus par des pays étrangers qui viennent les mobiliser ici. Telle est l’initiative du groupe chinois Huawei qui, conscient que l’Île-de-France a la plus forte densité de mathématiciens du monde, y a inauguré, le 09/10/2020, un Laboratoire de mathématiques, rue de Grenelle, à Paris qui jouxte le ministère de l’éducation nationale.
C’est un Français, Pierre Louis Lions, médaillé Field qui en prend la direction. Il est le fils d’un prestigieux mathématicien Jacques Louis Lions, ancien président de l’Académie des sciences, de l’Inria Institut national de recherche en informatique et en automatique et du Cnes Centre national d’études spatiales mondialement connu dans le domaine dit du Contrôle des systèmes gouvernés par les équations aux dérivées partielles qui était extrêmement estimé en Chine.
Ses ouvrages publiés en français ont été traduits en anglais par un prestigieux professeur américain du MIT [1] ! Il avait accompagné [2] Hubert Curien [3], alors ministre de la recherche et de la technologie pour signer le premier accord scientifique avec la Chine.
On doit cette rencontre, aux personnalités exceptionnelles de Hubert Curien du côté français et de Song Jian qui a été en charge du Most (Ministry of science and technology), pendant plus de 15 ans, et qui ont su au-delà des relations politiques difficiles, signer un accord.
Il faut dire que Jacques Louis Lions et Song Jian se vouaient une très grande estime étant tous les deux du même domaine scientifique. Ainsi on pouvait lire dans le Monde daté du 03/09/1991 :
« M. Song Jian, a eu des mots chaleureux, d’où étaient naturellement absente toute idéologie, pour se féliciter de la reprise de ces échanges sur une échelle “supérieure à celle des années 80” ».
En ce qui me concerne je n’ai été qu’un modeste observateur : j’ai eu en effet le plaisir de rencontrer Song Jian pour la première fois, en Europe en 1978, et ultérieurement à Pékin en 1982 [4] et je peux témoigner de la haute estime qu’il avait de la science française, en particulier les mathématiques et le champ de recherche de l’Inria.
Il est considéré par les historiens comme le père de la politique de la science et de la technique qui a conduit la Chine au stade scientifique et industriel où elle est aujourd’hui.
Bac : la réforme Blanquer
Mais entre-temps, la nouvelle réforme du baccalauréat, conduite par Jean-Michel Blanquer a conduit à la suppression des mathématiques dans certaines sections de terminales. Il en a résulté une forte diminution du nombre de filles dans les classes scientifiques.
Le ministre de l’éducation nationale a d’abord nié ces appréciations pourtant formulées depuis longtemps par les associations de professeurs de mathématiques de lycée et plus récemment par la SMF (Société mathématique de France) et par deux éminents mathématiciens, Jean Pierre Bourguignon et Cédric Villani, dans la matinale de France Inter le 21/01/2022. Il est revenu en arrière depuis le 6/02/2022.
Par ailleurs, la Chine s’est fixée d’avoir des institutions académiques, à l’horizon 2035, égalant ou dépassant l’Université de Harvard et vient de décider d’allouer davantage de moyens pour la recherche fondamentale (voir Times Higher Education du 07/01/2021 et le Monde du 15/01/2021). Voilà un nouveau défi des Chinois, dans la course aux prix Nobel où les USA caracolent en tête avec presque 400 lauréats !
Mohamed Najim
Professeur émerite @ Bordeaux INP (Institut polytechnique de Bordeaux)
Fellow IEEE en 1988
Prix A. Shumann (1982)
Décoré en 2000 de la plus haute distinction royale marocaine
Médaille de l’Académie des sciences Twas (2011)
Eurasip (2013, distinction européenne en traitement du signal et des images)
Palmes Académiques (2016)
Il a porté les deux premières candidatures de Docteur Honoris Causa, dans les disciplines de l’ingénieur à Bordeaux (Prof de Stanford en 2003, et Pt de l’EPFL oct. 2021).
Il a en contribué avec les sociétés Thomson CSF et STMicroelectronics au développement du premier modem numérique à la fin des années 1980.
Il a été consultant pour des institutions internationales : l’Union européenne, l’Unesco et l’Ompi.
Il a organisé une trentaine de Conférences et Workshops dont la première Conférence Ifac/Ifip/Ifors « Cybernétique et Développement » en Chine en 1985.
Auteur d’une dizaine d’ouvrages publiés en français et en anglais Il a donné des séminaires dans tous les continents. Ses anciens doctorants exercent dans plus de dix pays.
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Parcours
Professeur émerite
Titulaire de la première chaire en traitement du signal et des images
Directeur du Lasis, laboratoire commun CNRS/Total/Université de Bordeaux
Fondateur et premier directeur dela 1re école d’ingénieurs informaticiens en Afrique.
Fondateur et directeur d’un laboratoire en lien avec le monde socio-économique
Professeur invité
Assistant
Établissement & diplôme
Docteur d’Etat ès sciences
Fiche n° 45399, créée le 22/02/2022 à 16:26 - MàJ le 22/02/2022 à 16:56
[1] Sanjoy Mitte, Professeur émérite, ancien directeur du « Decison Laboratory », MIT. USA
[2] Alain Bensoussan : Polytechnicien, professeur à Dauphine, ancien directeur de l’Inria et ancien président du Cnes a fait partie de la délégation française. Ce brillant chercheur fait partie de la diaspora française et refait une brillante carrière aux USA.
[3] Dans les colonnes du site « News tank » le 27/01/2022, Patrice Caine , PDG de Thalès et dans une déclaration au Sénat » a plaidé pour « Créer un grand ministère de la Recherche et de l’Industrie » !
[4] J’ai organisé, à la demande du Dr Song Jian : une conférence internationale dans le domaine du « Contrôle » en 1985. La première organisée en Chine après la « Révolution Culturelle ».