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ExclusifCNU : les sciences de gestion plaident pour une procédure nationale dans le recrutement des PR

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Interview n°209188 - Publié le 22/02/2021 à 16:53
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©  D.R.
Éric Lamarque et Aude Deville - ©  D.R.

« Nous avons beaucoup de candidats aux postes de maîtres de conférences et de professeurs en sciences de gestion. Il faut donc un processus de sélection intermédiaire avant de candidater dans un établissement », déclare Aude Deville Professeure agrégée des universités en Sciences de Gestion @ Université Côte d’Azur (Unica)
, présidente de la section 06 (science de gestion et du management) du CNU Conseil national des universités et professeure à l’Université Côte d’Azur, le 22/02/2021 à News Tank. 

Elle s’exprime dans le cadre d’un entretien croisé avec Éric Lamarque Directeur @ Institut d’administration des entreprises de Paris (IAE Paris-Sorbonne Business School) • Professeur @ Institut d’administration des entreprises de Paris (IAE Paris-Sorbonne Business… , président d’IAE Institut d’administration des entreprises France et ancien président de cette même section du CNU. Celui-ci estime qu'« un compromis pourrait être trouvé. Après tout, si un établissement souhaite recruter sans aucun filtre national libre à lui. Mais si d’autres souhaitent que le niveau national joue un rôle, cette possibilité doit rester ouverte ». 

Tous deux réagissent à l’accord trouvé entre les sections du groupe 1 (section de droit et de science politique) et le Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation , prévoyant une expérimentation de trois ans dans le recrutement des professeurs d’université selon une procédure faisant intervenir successivement le CNU et l’établissement.

« Tant mieux pour les juristes, ils arrivent à sauver l’essentiel. Pour nous, une nouvelle fois, nous sommes exclus des débats », dit Éric Lamarque. Il pointe aussi le fait que les sciences de gestion, contrairement à l’économie, n’ont pas participé à la rencontre avec les trois rapporteurs chargés par Frédérique Vidal Conseillère spéciale du président @ European Foundation for Management Development (EFMD)
d’une concertation sur l’avenir du recrutement des enseignants-chercheurs.

« Aujourd’hui, il y a 1 733 MCF Maître.sse de conférences et 537 PR Professeur ou professeure des universités (soit 23,65 % des E-C enseignant(s)-chercheur(s) ) et chaque enseignant-chercheur a une charge moyenne de 60 étudiants », rappelle Aude Deville, qui insiste sur le besoin de recruter des professeurs dans la discipline.


« Nous sommes exclus des débats »

Comment réagissez-vous à l’accord trouvé entre le Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et le groupe 1 du CNU Conseil national des universités (droit, science politique) s’agissant de la procédure spécifique de qualification des professeurs qui pourra se mettre en place ? 

Aude Deville : Je suis contente que le groupe 1 ait été entendu. En tant que discipline contingentée à agrégation, nous sommes soumis aux mêmes règles que le groupe 1 pour les recrutements des maîtres de conférences, il est inexplicable que nous ne le soyons pas pour le recrutement des professeurs. 

Éric Lamarque : Tant mieux pour les juristes, ils arrivent à sauver l’essentiel. Pour nous, une nouvelle fois, nous sommes exclus des débats. En tant que président du CNU 06 de 2011 à 2015, j’ai déjà vécu cette situation avec la décision prise de modifier les conditions de nomination suite au concours d’agrégation en 2014, au moment de la loi Fioraso sur la recherche. Les juristes avaient obtenu de maintenir les conditions du concours d’agrégation.

Le groupe 2 (qui regroupe la section 05 économie et 06 sciences de gestion) dirigé par un économiste à l’époque avait suivi la décision du ministère contre mon avis et sans avoir même pu exprimer mes arguments. Sept ans après nous n’avons toujours pas plus d’influence auprès de nos propres tutelles. 

Avez-vous été consultés ? Souhaiteriez-vous le même type de dispositif pour la gestion ?  

EL : En tant que président du réseau IAE Institut d’administration des entreprises France jamais, contrairement à la présidente de la Conférence des doyens d’économie et gestion. À notre niveau, le concours d’agrégation de gestion a été relancé comme voie de recrutement. Ce qui nous remet sur ce point dans la même configuration que les juristes. 

Un compromis pourrait être trouvé »

Pour la voie de recrutement qui se ferait maintenant sans le passage devant le CNU Conseil national des universités , en ce qui me concerne, comme directeur d’établissement, je ne recruterai jamais un professeur ni un MCF Maître.sse de conférences d’ailleurs, n’ayant pas été évalué au niveau national.

Un compromis pourrait être trouvé. Après tout, si un établissement souhaite recruter sans aucun filtre national libre à lui. Mais si d’autres souhaitent que le niveau national joue un rôle, cette possibilité doit rester ouverte. Je rappelle qu’à priori le statut des enseignants-chercheurs est national, mais je ne vois pas comment cela pourrait le rester si les recrutements des universités se font dans ces conditions. 

Il faut un processus de sélection intermédiaire »

AD : Avec Éric Lamarque nous partageons le même point de vue. La section 06 du CNU est une section contingentée à agrégation et à ce titre nous sommes exonérés de l’expérimentation qui porte sur la qualification des MCF. Pourquoi nous imposer une règle différente en ce qui concerne le recrutement des collègues professeurs ? Nous ne voyons aucune raison objective pour ne pas avoir le même dispositif.

Nous avons beaucoup de candidats aux postes de maître de conférences et de professeurs en sciences de gestion. Il faut donc un processus de sélection intermédiaire avant de candidater dans un établissement. 

Prévoyez-vous de rencontrer les trois rapporteurs chargés d’une concertation sur la mise en œuvre de l’article 5 de la LPR Loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur  ?  Qu’attendez-vous de la future procédure, maintenant la qualification supprimée ? 

EL : Malheureusement une audition du président du groupe 2 (économie et gestion) avec celui du groupe 1 a été organisée avec les trois rapporteurs, sans que nous en ayons été informés par l’intéressé. Je proposerai à Aude Deville de déposer un texte commun sur la plateforme mise en place pour la concertation et d’essayer d’obtenir une rencontre. 

AD : Nous allons solliciter une audition et espérons que l’emploi du temps des rapporteurs la permettra. Les sciences de gestion comptent ! 

« Une discipline jeune, reliée à des corpus théoriques et méthodologiques en évolution permanente »

À quoi sert la qualification en sciences de gestion (d’une part pour les PR Professeur ou professeure des universités , d’autre part pour les MCF), quelles sont les spécificités de la discipline ?  

Aude Deville - ©  UCA
AD : La qualification correspond tout d’abord à des critères d’intégrité de discipline qui sont fondamentaux pour les sciences de gestion et du management, une discipline jeune, reliée à des corpus théoriques et méthodologiques en évolution permanente tout comme leurs objets d’analyse que sont les organisations et leurs actions et décisions.  

Ensuite, les critères nationaux disciplinaires portés par le CNU contribuent à inciter et motiver les collègues vers l’excellence de pratiques en recherche, en pédagogie et engagement collectif institutionnel/scientifique national et local. 

La reconnaissance d’expérience, de compétences ou de talents apportent une légitimité disciplinaire aux collègues qui contribuent à créer de l’adhésion au système universitaire.  

Enfin, la qualification nationale contribue à renforcer le lien avec le gouvernement et le ministère, les universitaires sont des fonctionnaires d’État. Ces trois points valent pour la qualification MCF et professeur. 

EL : Pour les MCF, un argument supplémentaire est celui de la diversité des structures (IAE, IUT Institut universitaire de technologie , Facultés d’économie et de gestion) qui peuvent avoir des modalités de sélection assez différentes par rapport à leurs objectifs pédagogiques et le profil de leurs étudiants.

Pour éviter des disparités trop fortes de niveau et de profil, une première phase d’évaluation uniforme, avec notamment un niveau minimal en recherche, et sous le regard de 48 collègues est une garantie de ce niveau minimal homogène des dossiers des candidats. 

Pour les professeurs, cet argument est encore plus fort. Ils seront amenés à diriger des recherches. Ils doivent être titulaires d’une HDR Habilitation à diriger des recherches , mais les niveaux d’obtention sont très disparates selon les universités et il y aura toujours des HDR de complaisance. Là encore il y aura beaucoup de candidats potentiels, pour certains venant des écoles privées de management. Ce niveau national est indispensable pour un premier tri.  

Par ailleurs, les professeurs sont souvent amenés à occuper des fonctions importantes de doyens, directeurs de labos de recherche ou à la présidence d’universités. S’ils y arrivent que par de petits arrangements locaux dont la France a le secret, ils renverront une image catastrophique devant des dirigeants d’universités étrangères notamment.  

La solution retenue pour le groupe 1 permet au CNU de bloquer un recrutement si cette instance juge le dossier du candidat classé premier insuffisant. 

« Il est urgent de recruter des professeurs en sciences de gestion »

Qu’a changé le décontingentement en gestion (voir encadré) ? Où en est le recours à l’agrégation dans votre discipline ? Son intérêt demeure-t-il ? 

Éric Lamarque - ©  J.Lortic
EL : 80 % de recrutements locaux des professeurs d’université se font par la « voie 46-1 » du décret de 1984. J’avais à l’époque alerté sur le risque de localisme, car j’étais opposé à ce décontingentement, notamment pour cette raison. Évidemment on a considéré que c’était une réaction corporatiste. Le résultat est là, sans surprises. Ces nominations ont par ailleurs souvent provoqué des conflits durs entre candidats locaux. Tout cela nous a donc tirés vers le bas.

Les possibilités de mutations, qui sont pour moi un facteur dynamisant pour nos établissements, se sont taries. Bref je considère cette expérimentation comme largement négative et n’a provoqué aucun bénéfice globalement. Je salue donc le rétablissement du concours et d’un nombre minimum de postes à pourvoir par cette voie. 

En tant que directeur d’établissement et doyen, donc en charge de la gestion de nos ressources humaines, avoir plusieurs voies de recrutement est une véritable opportunité. 

AD : En termes de RH Ressources humaines , pour la discipline le décontingentement a été en la défaveur des collègues. Avant 2014, l’âge moyen d’un MCF pour passer professeur était de 34 ans. Aujourd’hui il est de 44 ans (après seulement cinq ans d’expérimentation).

La section 06 du CNU (Sciences de gestion et du management) est jeune et a connu une forte croissance ces dernières années. Aujourd’hui, il y a 1 733 MCF et 537 PR (soit 23,65 % des E-C enseignant(s)-chercheur(s) ) et chaque enseignant-chercheur a une charge moyenne de 60 étudiants. 

Il est urgent de recruter des professeurs en sciences de gestion, le taux de 23,65 % est extrêmement faible en comparaison des autres disciplines qui souvent approchent les 40 % voire les 50 %.  

Avec ces chiffres concernant l’endorecrutement et l’augmentation de l’âge moyen pour devenir professeur la réouverture du concours d’agrégation avec un contingentement 1 pour 2 est un dispositif qui a le potentiel d’insuffler une nouvelle dynamique au sein de notre discipline et ainsi au sein de nos établissements.  

Par ailleurs, le décontingentement avait complètement bloqué le marché de la mutation PR. Avec le re-contingentement des postes à la mutation s’ouvrent à nouveau ce qui est une bonne nouvelle pour les collègues et les établissements. 

En 2014, deux modifications sont apportées au décret statutaire des enseignants-chercheurs  :

• Les disciplines juridiques (section 01 à 03 du CNU), science politique (section 04 du CNU), sciences économiques (section 05 du CNU) et sciences de gestion (section 06 du CNU) peuvent recruter leurs professeurs d’université selon les procédures de droits communs applicables aux autres disciplines (article 46-1), et non plus seulement par la voie de l’agrégation ou de la mutation.

• Le « décontingentement » est rendu possible pour les disciplines économiques et de gestion. Le concours national de l’agrégation, qui jusqu’alors devait représenter au moins 50 % des recrutements (hors mutation), n’est plus la voie prioritaire d’accès au poste de professeur des universités dans ces deux disciplines.

« Le rapport Hcéres Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur de juin 2019 dont le but était de produire le bilan de l’expérience de décontingentement précisait que la communauté des sciences de gestion et du management souhaitait le maintien du concours d’agrégation », rappelle Aude Deville. 

“Sur ce point, la discussion avec le ministère a été constructive, car deux évolutions suggérées dans le rapport Hcéres ont été reprises, estime-t-elle  :  

• un contingentement un pour deux (pour un poste d’agrégé ouvert, deux postes en 46-1 potentiels pourront être ouverts sur deux ans avec un décalage d’un an) ;  
• la possibilité offerte aux établissements de suggérer un profilage des postes d’agrégés en cochant deux grandes options d’agrégation présentées dans l’article 18 de l’arrêté du 13/02/1986 (comptabilité et contrôle, finance, gestion juridique et fiscale, gestion des ressources humaines, marketing, gestion de production et logistique, gestion des systèmes d’information et de communication, et management stratégique)."

Pensez-vous que la HDR Habilitation à diriger des recherches suffise à garantir la qualité de recrutement des professeurs ? 

AD : La qualité des HDR est variable. Les HDR dépendent des critères des écoles doctorales qui sont très différents. Mettre en place et valoriser les HDR en fonction de critères disciplinaires ferait davantage sens, car les critères d’excellence varient d’une discipline à l’autre.

Il faudrait à mon sens les faire valider au niveau national comme une préqualification, basée uniquement sur des critères scientifiques. Jusqu’à présent la qualification professeur s’attache également à évaluer la capacité à encadrer des travaux de recherche en estimant notamment l’impact scientifique, pédagogique, sociétal, et institutionnel des dossiers soumis. 

Il y a des HDR de complaisance »

EL : Il y a des HDR de complaisance comme des thèses de complaisance. Elles restent minoritaires aujourd’hui et en général elles ne passent pas la barre des CNU et c’est heureux.

Maintenant, avec ce retrait du CNU du dispositif rien ne l’empêchera et on peut craindre une augmentation de ces situations. Si vous constituez un comité de sélection avec des membres extérieurs amis ce sera exactement comme quand vous faites soutenir une thèse ou une HDR avec des amis. 

On peut craindre aussi que certaines universités constituent des comités de sélection où les sciences de gestions ne seront pas majoritaires, voire pas représentées du tout, et donc seront recrutées des personnes qui sont en dehors de notre champ sur des postes affichés en gestion.

Le CNU élimine les candidats hors sections qui tentent de se raccrocher à notre discipline parce qu’il y a encore des postes disponibles. C’est aussi une garantie qu’il offre. Par ailleurs, on peut craindre aussi que des travaux plus proches de l’idéologie que de la validité scientifique ne se multiplient.  

Le localisme est-il un sujet en gestion ?  

EL : On l’a vu avec le recrutement des professeurs par la voie du 46-1 et on le verra encore davantage. Il faudra faire allégeance à tel ou tel mandarin ou à tel ou tel syndicat. Pour moi les mobilités sont indispensables dans la formation et la progression des enseignants-chercheurs. L’interdiction du recrutement local comme MCF pour un docteur ou professeur pour un MCF aurait été un moyen de limiter les effets pervers de la réforme proposée. 

 Le localisme est un vrai danger »

AD : Le localisme est un vrai danger et a des conséquences dévastatrices sur le long terme sur la pensée académique, la stimulation de la recherche et également sur l’innovation pédagogique.

De plus, le localisme remet en cause de façon invisible et informelle l’indépendance des enseignants-chercheurs qui est un fondement de la République française comme l’a récemment rappelé le porte-parole du Gouvernement. 

Éric Lamarque


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Parcours

IAE France
Président
Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et l’innovation
Président section gestion du CNU
Université Montesquieu Bordeaux 4
Professeur
Secor Europe
Consultant associé

Fiche n° 16110, créée le 18/02/2016 à 15:18 - MàJ le 04/07/2024 à 14:55

Aude Deville


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Parcours

Université Côte d’Azur (Unica)
Professeure agrégée des universités en Sciences de Gestion
Conseil national des universités
Présidente de la section 06 
Université de Bourgogne (UB)
Maitresse de conférences

Fiche n° 42993, créée le 22/02/2021 à 15:25 - MàJ le 22/02/2021 à 15:28

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Éric Lamarque et Aude Deville - ©  D.R.