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Insa Strasbourg : « L’accompagnement des étudiants est la priorité » (Romuald Boné)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Interview n°181057 - Publié le 22/04/2020 à 14:35
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© Klaus Stoeber
Romuald Boné - © Klaus Stoeber

« Les points de vigilance, pour les étudiants, c’est l’isolement, les conditions de travail, parfois les problèmes liés à l’accès au numérique. La question de l’accompagnement de ces étudiants se pose comme une priorité de l’école maintenant et jusqu’à la fin du confinement », déclare Romuald Boné Directeur @ Insa Strasbourg (Institut national des sciences appliquées de Strasbourg)
Chevalier de l’Ordre national du mérit et professeur honoraire de l’Université de Hué (Vietnam).
, directeur de l’Insa Institut national des sciences appliquées Strasbourg, à News Tank, le 20/02/2020.

Selon lui, « la question de la gestion de la charge pédagogique est aussi importante, il faut maintenir les bons rythmes et les charges de travail adéquates. Les circonstances nous engagent dans la durée puisque nous ne reverrons pas nos élèves en présentiel. Il faut tenir ».

Les équipes sont, dans certains cas, « à l’heure actuelle incapables d’assurer les enseignements et leur évaluation, orientés sur l’acquisition de compétences opérationnelles sur certains logiciels métier et les moyens matériels associés. Nous prévoyons de reporter ces acquisitions à l’année prochaine ».

L’école est en train de réaliser « un bilan sur la progression dans les programmes pédagogiques. Nous aurons sans doute pris du retard. Il manquera certaines compétences liées aux travaux pratiques, ateliers et projets reposant sur des équipements spécifiques. Nous les repensons et les déplaçons sur le semestre prochain. Nous ne partons pas sur l’hypothèse d’une rentrée 2020 décalée, pour l’instant. Mais cela peut dépendre des consignes nationales ».

Par ailleurs, l’école élabore un PRA (plan de reprise d’activités), « terme consacré même si personne dans l’établissement ne pense que l’activité s’est arrêtée ! Nous sommes dans l’anticipation et la planification du retour à des activités “normales” qui vont évoluer en capitalisant sur cette expérience contrainte et transformante ».

Si les « les conséquences fines » seront tirées après le confinement, il affirme que « la période ne démontre pas que l’on peut se passer des enseignants en face à face ».

Et d’évoquer, au sujet du Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation , les « attentes [de l’école] sur un accompagnement financier après le confinement. De nombreuses ressources propres s’annoncent en baisse. Nous sommes mobilisés pour aider financièrement nos étudiants. Nous investissons dans les outils numériques. Nous participons à la lutte contre le Covid-19 en produisant des équipements que nous offrons aux soignants et à d’autres services publics ».


Romuald Boné répond à News Tank 

Le fait de vous situer dans la Région Grand Est, à Strasbourg, vous place-t-il dans une situation particulière dans cette crise ?

La région Grand Est a été très touchée, plus tôt que les autres. Nous suivions de très près - voire nous anticipions - les recommandations du ministère. Très tôt, l’école a communiqué sur les gestes barrières et nous avons installé des distributeurs de gel dans les couloirs. Nous avons organisé plusieurs CHSCT Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail exceptionnels pour informer et parfois… raisonner quelques collègues. Dans l’ensemble, notre communauté a été très responsable et organisée.

Il a fallu gérer et coordonner nos apprentis travaillant dans le cluster de Mulhouse, où les entreprises étaient très prudentes.

Dans un sens, l’annonce du confinement a été un soulagement pour nous. Il devenait de plus en plus complexe d’appliquer les recommandations de l’ARS Agence régionale de santé pour gérer les conséquences des cas chez les personnels et les étudiants, même si ce n’était pas massif.

Aujourd’hui, où en êtes-vous de l’organisation du travail pour vos collaborateurs ?

La réactivité, la résilience de l’établissement ont été remarquables. Malgré les contraintes du confinement, l’école réussit à fonctionner grâce à une implication forte de ses personnels, mais aussi de ses étudiants et apprentis. Nous avons démarré très vite. Nous avons pu configurer et déployer des ordinateurs rapidement pour les personnels qui n’en disposaient pas.

Aujourd’hui, je suis en contact visio avec mes collègues six heures par jour. De nombreuses initiatives continuent à voir le jour, pour organiser nos différentes activités, mais aussi pour contribuer à la lutte contre le Covid-19.

Les conditions sont différentes du télétravail classique »

Dans près de 90 % des cas, nous avons pu mettre en place du travail à distance. Nous ne l’appelons pas « télétravail », car les conditions sont différentes du télétravail classique. Par exemple, le collaborateur peut avoir à utiliser son ordinateur personnel, ses horaires peuvent être plus flexibles pour s’occuper en partie de ses enfants.

Moins de 10 % des salariés qui n’ont pas pu travailler à distance sont des membres du service patrimoine (gestion et entretien des bâtiments) et des techniciens dédiés à des équipements de plateformes technologiques. Ils sont en autorisation spéciale d’absence.

Et au niveau de l’enseignement ?

Quelques jours avant le confinement, nous avions organisé une « journée de l’apprendre », prévue de longue date pour laquelle tous les enseignants avaient réservé leur journée. Le scénario d’un confinement prenait corps, nous avons pu mettre à profit ce temps, en le réorientant sur cette question. Notre service d’innovation pédagogique et plusieurs enseignants très motivés ont constitué un noyau dur pour accompagner les personnels. La direction des systèmes d’information et du numérique s’est également fortement mobilisée. 

Cette situation renforce les solidarités. D’abord entre nos enseignants, qui s’échangent des pratiques et des outils. Nous avons un forum de l’enseignement à distance où un collectif apprenant s’est mis en place : les plus expérimentés aidant les moins expérimentés, et parfois l’inverse. Nous n’avons pas voulu être normatifs, afin que toutes les initiatives puissent être proposées.

La solidarité fonctionne aussi entre élèves, qui ont développé leurs espaces d’échanges sur des réseaux parallèles, comme Discord, propres à leur génération, en y invitant parfois des enseignants. Sur ces groupes d‘échanges, ils s’enseignent les uns aux autres, mutualisent des ressources, progressent ensemble.

Les élèves ont su eux aussi mettre en œuvre leur capacité d’adaptation »

Les élèves ont su eux aussi mettre en œuvre leur capacité d’adaptation, changer leur mode d’apprentissage, créer des outils fédérateurs, dans un contexte technologique parfois difficile et des conditions d’isolement aiguës. Ils ont su s’adapter, s’entraider, et cela témoigne de grandes qualités humaines que nous essayons dans notre école de transmettre au nom des valeurs Insa Institut national des sciences appliquées .

Quels sont les points de vigilance pour les étudiants  ?

C’est l’isolement, les conditions de travail, parfois les problèmes liés à l’accès au numérique. La question de l’accompagnement de ces étudiants se pose comme une priorité de l’école maintenant et jusqu’à la fin du confinement.

La question de la gestion de la charge pédagogique est aussi importante, il faut maintenir les bons rythmes et les charges de travail adéquates. Les circonstances nous engagent dans la durée puisque nous ne reverrons pas nos élèves en présentiel. Il faut tenir.

Dans certains cas, nous sommes, à l’heure actuelle, incapables d’assurer les enseignements et leur évaluation, orientés sur l’acquisition de compétences opérationnelles sur certains logiciels métier et les moyens matériels associés.

Nous prévoyons de reporter ces acquisitions à l’année prochaine. De nombreux sujets sont toujours sensibles : l’interruption ou la recherche de mises en situation professionnelle (stages et projet de fin d’études), les modes d’évaluations, l’organisation des reports…

Comment les accompagnez-vous ?

Nous sommes bien évidemment aussi dans l’accompagnement social. Des aides financières exceptionnelles, mobilisées dans le cadre des Fonds de solidarité de l’Insa Strasbourg (alimentés par la CVEC Contribution de vie étudiante et de campus ) et de la Fondation Insa sont prioritairement destinées à faire face aux situations d’urgence sociale et sanitaire : alimentation, loyers, frais de santé, remboursements de prêts, accès au numérique (contribution à l’achat d’un ordinateur, de souscription de forfait ou de dépense d’accessibilité réseau… ), voyages de retour au domicile habituel de résidence…

Nos élus étudiants ont fait un travail exceptionnel de recensement des difficultés, qu’ils ont présentées lors de notre dernier conseil des études, en visioconférence. Nous avons des complications liées aux disparités de situation des élèves. Nous devons garder à l’esprit que nous n’évoluons pas tous dans le même environnement de vie et de travail, et avec les mêmes accès au numérique.

Les enseignants doivent être vigilants »

Les enseignants doivent être vigilants. On ne peut pas donner tous les cours en visio. Avec le travail asynchrone, nous tentons d’équilibrer ces disparités. C’est la grande majorité de l’enseignement à l’Insa Strasbourg.

Nous avons également des signalements liés à la difficulté de travail intensif sur écran, à l’isolement bien évidemment, mais aussi à ses conséquences en termes de motivation, à la nécessaire bonne évaluation de la charge de travail demandée.

La multiplicité des modalités pédagogiques numériques est aussi génératrice de perte de temps. 

Quel sera l’impact sur l’organisation de l’année universitaire ?

Nous aurons sans doute pris du retard »

Nous réalisons actuellement un bilan sur la progression dans les programmes pédagogiques. Nous aurons sans doute pris du retard. Il manquera certaines compétences liées aux travaux pratiques, ateliers et projets reposant sur des équipements spécifiques.

Nous les repensons et les déplaçons sur le semestre prochain. Nous ne partons pas sur l’hypothèse d’une rentrée 2020 décalée, pour l’instant. Mais cela peut dépendre des consignes nationales.

La visibilité apportée par l’annonce du président de la République du 13/04 sur la non reprise en présentiel nous a conduit, par exemple, à réaffirmer, contrairement à ce qu’envisageaient certains enseignants dans un premier temps, que les évaluations ne sont pas reportées. Nous poursuivons les épreuves de contrôle continu habituellement menées, en les adaptant au contexte.

Le directeur d’Insa Strasbourg indique que les Insa « ne recrutent pas d’élèves ingénieurs par concours sur table, et nous ne prenons pas en compte les notes du bac ».

Selon lui, toutefois, comme tous les recrutements post-bac, la « nouvelle donne nous demande des ajustements, comme la suppression des oraux (hors candidats apprentissage et/ou DUT Diplôme universitaire de technologie et BTS Brevet de technicien supérieur ), mais cela ne nous met pas dans une situation de grande difficulté ».

Toutes les candidatures sont examinées sur la base du dossier scolaire et de « l’environnement scolaire », à savoir la place du lycéen dans sa classe, l’examen de son lycée, etc…

Les admissions post C Classe préparatoire aux grandes écoles PGE se font sur l’analyse du dossier et de l’environnement scolaire, également. Pour les recrutements post DUT Diplôme universitaire de technologie et ATS Adaptation Technicien Supérieur , après étude du dossier, pour ceux qui seront concernés, « les entretiens sont prévus entre le 24/06 au 01/07 et nous en étudions les modalités », indique Romuald Boné. Quant au recrutement pour les formations en apprentissage, il est sur dossier et oral, « dont nous étudions également les modalités (visio ou présentiel) ».

L’école d’architecture au sein du groupe, à l’Insa Strasbourg, maintient son concours écrit bac+2, qui a été reporté en juin, précise enfin le directeur.

Avez-vous une vigilance sur l’usage du numérique ?

Veiller au respect des données personnelles et à la propriété intellectuelle des enseignants »

À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles, mais il faut garder de la distance. C’est à nous de veiller au respect des données personnelles, et à la propriété intellectuelle des enseignants. Les interfaces utilisées par les étudiants, et parfois les enseignants, ne nous font pas oublier la dimension éthique inhérente aux usages du numérique, comme le RGPD Règlement général sur la protection des données .

Est-ce que la situation crée des opportunités ?

En nous appuyant sur l’accord entre le Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et Microsoft, nous avions un plan de basculement vers des outils collaboratifs, prévu pour la rentrée 2020. Il faut saluer le travail de notre service informatique qui a accéléré les livraisons de ces outils pour rendre cela d’ores et déjà opérationnel. 

Globalement, cela nous fait avancer »

Globalement, cela nous fait avancer. Notre communauté d’enseignants a largement sollicité les outils d’enseignement à distance existants dans l’école. Ainsi notre plateforme d’enseignement a vu son usage considérablement se développer, ce qui se traduit par une augmentation massive de son nombre d’utilisateurs : près de 200 espaces de cours créés en quelques semaines, une fréquentation bien évidemment accrue de la part des étudiants et une augmentation massive de la diversité de ses usages.

La plateforme ne sert plus tant à déposer des ressources, mais bien davantage à mettre en activité les apprenants par le recours à des forums, des tchats, à l’écriture collaborative, ou bien encore par des bilans de compétences en temps réel, et autres quiz et exercices en ligne…

Nous en tirerons les conséquences fines après le confinement. Car cela ne veut pas dire qu’il faut basculer dans le tout numérique. Il y a des limites à cela, y compris sur l’efficacité de l’apprentissage. Les neurosciences le montrent. Le défi sera de capitaliser sur ce que l’on a appris, mais en gardant à l’esprit ces limites.

En bref, la période ne démontre pas que l’on peut se passer des enseignants en face à face.

Selon vous, qu’est-ce que cet épisode va durablement changer ?

Cette nouvelle donne est, malgré tout, pour notre communauté, une source de transformation et d’innovation sans précédent. Cela accélère l’innovation pédagogique de façon fulgurante. Et nous avons pris aussi conscience des dimensions éthiques et collaboratives du numérique.

Nous sommes tous, tant individuellement que collectivement, d’une manière ou d’une autre, à l’initiative de nouvelles pratiques, de nouvelles expériences, de nouvelles idées. Nous sommes devenus de fait un établissement apprenant. Ce n’est plus une promesse, un projet, mais un fait.

Selon le directeur d’Insa, le groupe est un groupe « d’écoles soudées, nous avons beaucoup d’échanges » :

• l’Insa Strasbourg « a été un peu en avance sur les questionnements du fait de sa localisation et a partagé son expérience » ;

• OpenInsa, le service inter-établissements du groupe, qui regroupe les cellules d’ingénierie pédagogique des sept écoles du groupe, « a été très actif pour échanger les bonnes pratiques ».

« Nous réfléchirons aussi aux leçons à tirer au niveau du groupe », précise Romuald Boné.

  

Quelles sont vos attentes envers le ministère ?

Ses équipes ont été réactives. Nous avons été bien épaulés, notamment sur l’international et les stages.

Clairement, nous avons des attentes sur un accompagnement financier après le confinement. De nombreuses ressources propres s’annoncent en baisse. Nous sommes mobilisés pour aider financièrement nos étudiants. Nous investissons dans les outils numériques.

Nous participons à la lutte contre le Covid-19 en produisant des équipements, notamment près de 2500 visières, que nous offrons aux soignants et à d’autres services publics.

Comment préparez-vous l’après-confinement ?

Nous pouvons rappeler une citation d’un père fondateur du modèle Insa, Gaston Berger, qui prend aujourd’hui un écho particulier : « Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer ».

Nous mettons au point un PRA, plan de reprise d’activités, terme consacré même si personne dans l’établissement ne pense que l’activité s’est arrêtée ! Nous sommes dans l’anticipation et la planification du retour à des activités « normales » qui vont évoluer en capitalisant sur cette expérience contrainte et transformante.

Insa Strasbourg (Institut national des sciences appliquées de Strasbourg)

Ecole d’ingénieurs membre du groupe Insa.


Catégorie : Écoles d'ingénieurs


Adresse du siège

24 Boulevard de la Victoire
67000 Strasbourg France


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Fiche n° 5927, créée le 12/10/2017 à 04:10 - MàJ le 14/06/2024 à 15:44

Romuald Boné


Chevalier de l’Ordre national du mérit et professeur honoraire de l’Université de Hué (Vietnam).


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Parcours

Comue CVLU
Vice-président
Ecole nationale d’ingénieurs du Val-de-Loire
Directeur (puis administrateur provisoire)

Établissement & diplôme

Université de Tours
Titulaire d’une HDR
Université de Tours
Titulaire d’un doctorat en informatique

Fiche n° 23676, créée le 30/06/2017 à 10:46 - MàJ le 14/06/2024 à 16:44


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© Klaus Stoeber
Romuald Boné - © Klaus Stoeber