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Communication : comment les universités répondent aux nouveaux usages du numérique (Comosup)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°169642 - Publié le 05/12/2019 à 13:57
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©  Xavier Tesseidre
Rencontres Comosup du 29/11/2019 à Nanterre Université - ©  Xavier Tesseidre

« L’avènement du numérique est un tournant majeur dans l’histoire. Ce doit être l’occasion d’une prise de recul pour questionner qui on est, nos missions et l’histoire qu’on veut raconter », déclare Noémie Buffault, consultante et formatrice indépendante notamment sur l’usage des réseaux sociaux, le 29/11/2019. Passée par plusieurs collectivités (Nantes et Paris), elle était le grand témoin d’une rencontre de l’association Comosup consacrée à la communication numérique des universités.

« Ce qui fait la spécificité des universités, c’est la richesse de leurs missions et de leurs actions. Il est important de faire valoir cela, c’est une question d’image et de crédibilité. Et c’est le diagnostic sur lequel il nous faut bâtir nos stratégies de communication, et notamment dans leur dimension numérique », indique Jean-François Balaudé Igésr @ Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) • Professeur de philosophie ancienne @ Université Paris Nanterre
, président de Nanterre Université en ouverture des rencontres de l’association de communicants que son établissement accueille pour l’occasion.

Dans cette perspective, comment impliquer l’ensemble des acteurs ? Pour Benjamin Thierry, vice-président numérique de Sorbonne Université, il faut tenir compte des objectifs de chacun. « Un enseignant-chercheur, il faut lui proposer des outils qui servent ses objectifs : la diffusion scientifique certes, mais aussi faire connaître son laboratoire, nouer des contacts, etc. Cela demande aux équipes de communication de formaliser ces attentes et objectifs, afin d’avoir une vraie stratégie d’influence », dit-il.

Il estime que les universités « ont des choses formidables à raconter, mais pour cela nous devons réussir à faire dialoguer des composantes qui ont encore du mal à se parler ». Il invite aussi à s’inspirer de jeunes collègues « qui s’emparent davantage de ces outils, et trouvent des bénéfices pour leur début de carrière, avec de vraies stratégies de mise en scène qui sont intéressantes à étudier. »

La question de l’évolution des compétences est aussi posée. Caroline Grand, directrice de la communication de La Rochelle Université, met en avant l’émergence de nouveaux métiers : « Dans mon service, on a basculé un poste de webmaster en “content manager“ avec des compétences en marketing digital, et on a une personne en charge de la vidéo. Il faut évoluer avec de nouvelles pratiques. »

D’après Marta Severo, directrice du département Information-Communication de Paris Nanterre, il existe de plus en plus à l’étranger des postes de journalistes scientifiques au sein des universités, « qui aident les chercheurs à rédiger les dossiers, et ensuite à communiquer dessus. »


Le passage à l’ère numérique et les défis à relever

Benjamin Thierry, vice-président numérique de Sorbonne Université, mais également maître de conférences en histoire, et spécialiste de l’histoire des technologies et de l’innovation, estime que le numérique représente une évolution importante dans les usages quotidiens :

« On a accès à des contenus très importants [de manière immédiate], et sans le “gardien du temple“ que constitue l’étape de l’édition pour l’écrit. Pour les universités, c’est un enjeu important, car nous sommes responsables d’une marque, avec beaucoup d’acteurs qui peuvent se positionner, soit en l’enrichissant, soit en la parasitant. »

Benjamin Thierry identifie deux freins dans cette évolution.

  • Le premier est que les formes de communication restent dictées par l’outil : « Longtemps on nous a chanté la grande liberté des utilisateurs, mais on reste dans des bornes assez rigides et qui impactent lourdement sur la manière dont on communique. Ce qui veut dire que si on veut communiquer sur les réseaux sociaux, il faut en accepter les règles. »
  • L’autre est la gouvernance et sa volonté de contrôle « sur laquelle bute souvent la stratégie de communication numérique de l’université ». Il appelle à « développer une vraie autonomie dans cette communication, et pas juste dans un schéma top-down ». Prenant l’exemple de Sorbonne Université, il ajoute : « Nous sommes un jeune établissement et nous sommes pris dans la construction d’une identité nouvelle qui doit trouver dans le numérique une aide plutôt qu’un frein. »

De son point de vue de consultante, Noémie Buffault souligne le chemin parcouru. « Il y a dix ans, la première phase c’était le scepticisme face à quelque chose qui était jugé non sérieux. Puis les consultants et community manager sont passés par là, dans une phase d’évangélisation avec un enthousiasme un peu naïf. Et aujourd’hui c’est un peu la gueule de bois, parce que ces outils nous demandent de payer pour être vus, et que ce sont des acteurs américains qui reposent sur un modèle de profits, et que cela pose la question de l’impact environnemental. »

« Aujourd’hui le défi devant nous, afin d’adopter une posture sobre et éclairée sur ces plateformes, est de sortir de l’angélisme pour savoir comment tirer profit de ces outils au regard des objectifs de communication. Cela ouvre sur des champs de réflexion très enthousiasmants ! », dit-elle.

Universités et collectivités ont-elles les mêmes enjeux en matière de communication numérique ? Noémie Buffault voit plusieurs points communs :

• « S’appuyer sur la richesse du contenu, contrairement à des boites privées qui doivent raconter une histoire à partir de rien.
• La mise en concurrence entre territoires et entre universités, ce qui pose un enjeu de crédibilité.
• Les cibles d’usagers ou de citoyens, et pas des consommateurs, autour d’objectifs de notoriété.
• Des moyens assez limités, ce qui demande de convaincre de la nécessité d’investir sur cette communication numérique.
• Une culture de la prudence très ancrée, argument surestimé et souvent une porte d’entrée du numérique. »

Les outils en question : faut-il abandonner la newsletter ?

Face à cette évolution, Benjamin Thierry estime que « les anciens formats et supports ne sont plus efficaces », donnant l’exemple des newsletters, « souvent assez linéaires et dont on ne connaît pas toujours l’impact, alors qu’on est déjà pris dans des chaines d’infobésité, et que le mail peut être contreproductif ».

Il indique avoir réfléchi aux outils d’une communication interne efficace, au moment de la rédaction du schéma directeur du numérique, « avec l’idée qu’un personnel Biatss ou E-C ne sera pas toujours intéressé par tout, et qu’il vaut mieux cibler les 5 ou 6 % qui le sont sur un sujet particulier, et qui peuvent ensuite devenir acteurs. » Il donne aussi l’exemple du site collaboratif mis en place en vue du schéma directeur du numérique : « Il y a dix ou 15 messages par projet par des gens intéressés et impactés. Et c’est sûrement plus efficace en termes de communication. »

Un avis que ne partage par Caroline Grand, directrice de la communication de La Rochelle Université, pour qui la RGPD a redonné ses lettres de noblesse à la newsletter, « et qui fait qu’on est obligés d’arrêter d’être chiants ! ». Un outil qu’elle met toutefois au regard de son impact environnemental :

« Chez nous, l’envoi de mails institutionnels représente 550 000 courriels sur un an, car on envoie tout à tout le monde… On travaille donc sur une nouvelle stratégie qui repose sur une newsletter interne, avec des informations ciblées, et qui renvoient vers le site web. On a estimé qu’elle nous ferait passer à 44 000 mails. »

Pour Mathieu Rouault, journaliste scientifique, peu importe l’outil, l’important est le fond : « J’entends des injonctions du type “il faut être sur YouTube, Instagram”, mais on s’en fout ! Ce qui compte c’est qu’est-ce qu’on veut dire et comment on le dit ? Si l’histoire est intéressante, elle fera venir, peu importe les canaux. »

Ainsi selon lui, la newsletter n’est pas forcément disqualifiée comme outil, « mais elle doit être intéressante : faire moins, mais mieux, et arrêter avec la bidouille. Ce qui veut dire aussi accepter le temps que cela prend pour le faire, et pour que ça prenne. »

Noémie Buffault aussi est d’avis qu’il n’y a « aucun réseau social, outil ou format qui fera faire l’économie d’un beau rendu, et cela demande du boulot ». Mais au-delà des outils, pour elle, « le changement massif est celui des mentalités et cultures, qu’on n’a pas encore complètement défini ou saisi, et qui implique aussi une transformation des organisations. »

« Il faut entrainer les équipes présidentielles à participer à cet enjeu du numérique. Je me suis laissé entrainer à le faire sur Twitter. C’est un outil un peu dangereux, qu’il faut savoir maitriser, pour lancer et défendre des idées, et réagir à des offensives venant de divers endroits, mais il faut pouvoir lutter avec les mêmes outils. Le plus intéressant reste le déploiement d’une communication positive sur nos institutions, sur les initiatives que nous prenons, le partage des valeurs que nous défendons. »

Les réseaux sociaux à l’heure de la professionnalisation

Un levier stratégique de notoriété

Sophie Barré, cheffe de projet réseaux sociaux au sein d’Inria, a démarré dans l’ESR en 2012 à l’Université Cergy-Pontoise : « Les réseaux sociaux existaient et les universités y étaient, mais il n’y avait pas de stratégie. Cela s’est professionnalisé en très peu de temps. » Avec une conséquence sur la posture du community manager :

« C’est devenu un poste transverse et stratégique, qui arrive au début des projets pour voir comment les construire en se servant des réseaux sociaux pas juste comme d’un  »push« , mais comme un levier stratégique de notoriété, ou de recrutement. C’est une caisse de résonance qui permet de tirer les enseignements, de tester des formats et outils. »

Sur son expérience à Inria, elle dit être arrivée au début de la refonte de la plateforme de marque. « C’est le moment où on repose nos fondamentaux, et donc cela m’a permis d’apporter ma vision et redire que les réseaux sociaux doivent être au cœur de tous les sujets. »

En lien avec les relations presse, l’événementiel, l’éditorial, elle participe à « repenser les supports, les cibles, les lignes éditoriales, les stratégies de présence ». Il s’agit selon elle d’un travail « de longue haleine », et qui réclame des moyens.

La transformation de l’organisation

Nicolas Ruques est référent réseaux et médias sociaux au sein de la délégation à la communication des ministères de l’éducation et du Mesri, depuis 2014. Il a constaté une structuration en cinq ans.

« Il faut voir le chemin parcouru. À l’époque, il y avait seulement un compte Twitter commun pour le ministère de l’éducation nationale, avec le supérieur et la recherche. Aujourd’hui, le Mesri a son compte, celui de Frédérique Vidal est géré par le cabinet. Sur le web aussi, on est passé de sites plaquette à des sites médias, avec des contenus où on raconte la vie des étudiants, des services ».

Même s’il met en avant la question des moyens, pour lui, la transformation la plus importante à réaliser est celle de l’organisation :

« Au début, on me demandait de faire valider tous les tweets du ministère, et heureusement on s’est rendu compte que ça n’allait pas avec les codes de l’outil et qu’on ne pouvait pas pérenniser ça.

Même si c’est mieux aujourd’hui, on n’a pas encore une autonomie totale, alors que c’est là que ça se joue. Et ce n’est pas le community manager dans son coin qui peut convaincre la présidence de le faire : ça c’est le combat des directeurs ou directrices de la communication. »

Articuler print et web pour les contenus et les services

La question de l’articulation entre les supports écrits et le numérique se pose encore. « Il y a un durcissement des positions entre print et web, dans tous les secteurs, et il faut en prendre acte », dit Benjamin Thierry. Pour lui « recourir au print doit avoir un objectif clair, celui de la valeur pour la cible ».

« Ce qui va disparaître c’est une galaxie du print rapide, court, qui peut être assumé par le numérique. On le voit dans l’édition : ce qui est menacé par la liseuse c’est le livre de poche, pas les beaux livres. Il faut l’avoir en tête pour le cross média », ajoute-t-il.

Pour Noémie Buffault « réconcilier les deux temporalités » du print et du web n’est toujours pas une réalité partout, tant pour le contenu que les organisations. Elle se base sur ses deux expériences en collectivité :

  • « À la mairie de Paris, le service web s’est étendu au détriment du print qui a clairement été mis à l’écart, même si parfois des contenus sont produits en commun.
  • À Nantes, il a été décidé de fusionner les rédactions dans une logique de rationalisation, mais du coup on se retrouvait dans le magazine avec une double page sur des contenus Instagram datés de deux mois avant ! »

Pour elle, la conclusion est qu’il « ne faut pas faire des réseaux sociaux une voie de garage des contenus, mais une porte d’entrée », car « cela va irriguer tous les champs de la communication ».

« Les réseaux sociaux, c’est un peu des relations presse, de la communication institutionnelle, de la communication de crise : ça mord sur le champ de tout le monde. Donc si on ne laisse pas de place, le community manager n’aura jamais la latitude pour amener ce qu’il peut. Arrêtons d’essayer de réconcilier les deux, débutons par le numérique. »

Comosup - Association des responsables de communication des universités

L’association a été créée par des universités de l’Ouest de la France en 1990 et s’est depuis étendue au niveau national.


Catégorie : Associations, réseaux


Adresse du siège

Maison des Universités 103, boulevard Saint Michel
75005 Paris France


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Fiche n° 4186, créée le 13/06/2016 à 02:38 - MàJ le 13/06/2016 à 15:04

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