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Antisémitisme : pourquoi les présidents d’université de l’Est et des Hauts-de-France sonnent l’alerte

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Actualité n°141325 - Publié le 01/03/2019 à 13:02
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« L’Université, fondée sur des valeurs humanistes, de respect et de tolérance, se doit d’alerter la communauté universitaire afin de rappeler à tous les principes démocratiques et les valeurs républicaines. L’antisémitisme tue en France aujourd’hui. Ces derniers jours ont été marqués par des actes antisémites effarants qui témoignent d’un âge de régression », écrivent dix présidents d’université et leurs référents racisme et antisémitisme, le 28/02/2019.

Les dix présidents et référents des régions Est (Reims, Haute-Alsace, Lorraine, Strasbourg, UTT Université de technologie de Troyes ) et Hauts-de-France (UPHF Université polytechnique Hauts-de-France , Picardie, Lille, Artois et Littoral Côte d’Opale), cosignent un texte intitulé « Face à l’antisémitisme et à toutes les discriminations, réaffirmons les principes et les valeurs fondatrices de l’Université ! ».

À l’origine de cette initiative : les trois référentes racisme et antisémitisme des universités de Lille, Amiens et Reims. « Nous travaillons ensemble dans le cadre d’un réseau de recherche sur le racisme et l’antisémitisme créé en 2018, pour lequel nous animons des séminaires », indique Isabelle de Mecquenem, référente de l’Urca Université de Reims-Champagne-Ardenne . « Nous avons, comme beaucoup, été choqués par ces discours et actes antisémites des dernières semaines. Et nous nous sommes demandé, en tant qu’intellectuelles et scientifiques, ce qu’on pouvait faire, dans un contexte, nous semble-t-il, d’une certaine inertie du monde universitaire ».

Aussi, l’adhésion « massive, univoque et immédiate » des dix présidents à cette lettre, par le biais des réseaux des présidents d’université de l’Est et des Hauts-de-France, fût selon elle, « une heureuse surprise » et a permis d’envoyer « une expression solennelle et forte ».

Objectif : montrer que l’université n’échappe pas au climat d’antisémitisme, et se trouve même confrontée à des expressions propres. « Il y a des injures, des croix gammées, mais aussi une perturbation de la vie académique depuis plusieurs années », dit-elle. Dernier cas en date : l’EHESS, fin février, où un colloque sur l’histoire de la Shoah a été perturbé par des nationalistes polonais, tenant des propos antisémites.

Mais aussi parce qu’il existe une résurgence d’un discours antisémite parmi les étudiants, « sous couvert de l’humour », ajoute-t-elle, « le rôle de l’université est de revenir à ses missions essentielles. Ce n’est pas de faire des événements antiracistes, ce que font très bien les associations, mais de l’enseignement et de la recherche pour avoir une action de fond sur les étudiants, avec des moyens d’action renouvelés, pour sortir du discours “moralisant”. »

Elle annonce par ailleurs qu’un document de quatre pages relatif à ces questions, auquel elle a participé, devrait être publié par le Mesri dans les prochains jours. « Il préfigure un vade-mecum à destination des universités, sur le modèle de celui qui existe sur la laïcité, qui devrait être publié en juin 2019 », précise-t-elle.


La tribune des présidents : les universités ont un « devoir d’exemplarité »

News Tank reproduit le texte des présidents d’université et des référents racisme et antisémitisme

« Par voie de connaissance, chacun libérera l’avenir de ce qui aujourd’hui le défigure », écrivait Walter Benjamin en 1915. Nul mieux que l’écrivain, qui n’était alors qu’un jeune étudiant juif en Allemagne, n’a su saisir le rôle progressiste de l’université, lieu d’une émancipation individuelle « par voie de connaissance ».

L’antisémitisme s’insinue sournoisement dans nos espaces publics et défigure ainsi notre démocratie soumise à des tensions inquiétantes.

L’humour corrosif de certains milieux universitaires a remplacé l’esprit « potache » et salit la mémoire de millions de morts. « Shoah must go on » a-t-on pu lire sur les réseaux sociaux étudiants.

De telles formules traduisent une forme de dérision qui pulvérise le fardeau d’une réalité historique insoutenable et signifient sans doute que le lien avec la Seconde Guerre mondiale peut - ou veut - être rompu par la nouvelle génération, qui réclame le droit à l’apesanteur historique.

Une telle volonté d’oubli rend difficile la compréhension de l’Histoire et fait le lit du complotisme et du négationnisme qui prospèrent dans tous les milieux, comme l’a montré un sondage récent.

L’Université, fondée sur des valeurs humanistes, de respect et de tolérance, se doit d’alerter la communauté universitaire afin de rappeler à tous les principes démocratiques et les valeurs républicaines. L’antisémitisme tue en France aujourd’hui. Ces derniers jours ont été marqués par des actes antisémites effarants qui témoignent d’un âge de régression.

L’université est le lieu par excellence de l’intégration de tous par l’intelligence, le savoir et la coopération intellectuelle internationale. Telle est la tradition, telle est la culture et le seul horizon pensable du monde universitaire, surtout dans une société en crise.

Nous ne pouvons tolérer au sein de nos établissements des discours racistes, antisémites et discriminatoires. Les universités sont au contraire des ressources vivantes au service de la société et de l’humanité. Il leur incombe un devoir d’exemplarité et dans cette mesure, elles seront aussi pleinement éducatrices.

Les signataires

  • Abdelhakim Artiba, président de l’Université Polytechnique Hauts-de-France, avec Abdelhak Kabila, référent racisme et antisémitisme ;
  • Mohammed Benlahsen, président de l’Université de Picardie Jules Verne, avec Céline Masson, référente racisme et antisémitisme ;
  • Jean-Christophe Camart, président de l’Université de Lille, avec Martine Benoit, référente racisme et antisémitisme ;
  • Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg, avec Isabelle Kraus, vice-présidente déléguée égalité-parité ;
  • Christine Gangloff-Ziegler, présidente de l’Université de Haute-Alsace, avec Evelyne Aubry, référente racisme et antisémitisme ;
  • Guillaume Gellé, président de l’Université de Reims Champagne Ardenne, avec Isabelle de Mecquenem, référente racisme et antisémitisme ;
  • Pierre Koch, président de l’Université de Technologie de Troyes, avec Geneviève Robert, référente discrimination ;
  • Pasquale Mammone, président de l’Université d’Artois, avec Pascal Deprez, référent racisme et antisémitisme ;
  • Pierre Mutzenhardt, président de l’Université de Lorraine, avec Pascal Tisserant, vice-président en charge des questions de diversités et d’égalité ;
  • Hassane Sadok, président de l’Université du Littoral Côte d’Opale avec Audrey Lière, référente racisme et antisémitisme, Ulco Université du Littoral Côte d’Opale .

Contexte de la tribune

« Notre texte a correspondu à un besoin d’expression institutionnelle. Les présidents ont compris qu’il y avait un message fort à faire passer », dit Isabelle de Mecquenem à News Tank.

Elle se réjouit aussi du fait que le message vienne « d’universités qui ne sont pas les grandes parisiennes ou des grandes métropoles, et qu’on n’entend pas toujours ».

Le Nord et l’Est ont aussi été confrontés ces dernières semaines à des actes antisémites, avec la profanation du cimetière juif de Quatzenheim (Bas-Rhin), où 96 tombes ont été couvertes de croix gammées, le 19/02, ou encore le dessin d’une croix gammée sur la porte d’entrée du domicile d’un couple âgé à Lille, le 24/02.

« Ces régions sont en effet plus marquées par ces problématiques socio-politiques, avec un vote d’extrême-droite particulièrement fort », reconnaît la référente. « Mais ce ne sont pas les seules, et on pourrait trouver d’autres régions confrontées à ces questions, comme le Sud, ou les banlieues, etc ».

Elle pointe aussi une absence de réaction du monde universitaire.

« J’ai le sentiment qu’il y a une espèce de tétanie de l’institution. Il n’y a pas eu d’expression du ministère, et le communiqué de la CPU Conférence des présidents d’université n’était selon moi, pas à la hauteur ».

Cette tribune a été diffusée :

  • aux communautés des dix universités ;
  • à la cellule égalité et lutte contre les discriminations du Mesri ;
  • aux référents racisme et antisémitisme des universités ;
  • à la Dilcra ;
  • au chef de cabinet de Frédérique Vidal.

Une métamorphose de l’antisémitisme

Selon Isabelle de Mecquenem, on assiste moins à « une résurgence de l’antisémitisme qu’à une métamorphose ». Ainsi, selon elle, il est souvent invoqué la satire ou l’humour, ce qui dans la tribune est indiqué comme « l’humour corrosif de certains milieux universitaires ».

Elle fait notamment référence à une affaire de 2013 à l’Université de La Rochelle, où une troupe de théâtre avec des étudiants animée par un metteur en scène professionnel en résidence, avait joué une pièce cherchant à dénoncer le capitalisme, en usant de la figure du banquier juif.

« La parole antisémite était alors validée par l’esprit de contestation politique, et par la dimension humoristique. Le problème, c’est que cette pièce a eu du succès, les étudiants et le public n’ont pas vu - ou souhaité voir - l’antisémitisme, jusqu’à ce qu’un universitaire proteste et que l’affaire soit médiatisée. Mais à mon avis on n’en a pas tiré toutes les conséquences ». 

Autre événement plus proche : des actes antisémites au sein de plusieurs facultés de médecine franciliennes à la rentrée 2018.

À Paris 13, une étudiante a ainsi subi des insultes antisémites de la part d’autres étudiants, sous couvert de l’humour. L’un d’eux a été exclu pour une durée de deux mois.

« L’hypothèse que nous avons développée avec les deux autres référentes est que cela a trait à la culture juvénile où on tourne tout en dérision et on est autorisé à développer un rire corrosif. Et cela peut montrer que cela échappe à la conscience », dit-elle. 

Aussi l’université est-elle appelée à jouer un rôle, par le biais de l’enseignement et de la recherche.

La mission éducative et scientifique de l’université

Pour la référente racisme et antisémitisme, le climat d’antisémitisme signe aussi « un échec de l’éducation antiraciste » par le biais de l’école et des associations.

« Prenons le devoir de mémoire, les premiers étudiants à avoir reçu cet apprentissage au lycée, sont ceux qui ont une vingtaine d’années aujourd’hui, c’est donc un échec. Beaucoup d’entre eux ne se sentent pas concernés, expriment une lassitude sur ces sujets. Cela doit nous interpeller ! », dit-elle.

Ainsi, il est pour elle, du rôle de l’université de mener « des actions de fond à travers l’enseignement et la recherche »

« La semaine annuelle de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, c’est une bonne chose, et on nous encourage à faire des actions. Mais on doit sortir de l’événementiel, d’autres font ce travail très bien, notamment les associations antiracistes. L’enseignement, la recherche : c’est là où l’université peut regagner sa légitimité sur cet enjeu ».

Elle cite plusieurs pistes d’action :

  • Systématiser les référents racisme et antisémitisme dans les universités : « Il n’y en a pas partout, ou bien leurs périmètres peuvent varier : certains sont aussi en charge des questions de laïcité, d’égalité, de diversité. Cela peut créer un effet d’indétermination. Et certains n’ont pas assez de décharge, voir aucune ».
  • Revoir contenu et modalités du discours  : il faut « réinventer les moyens, discours et formes d’action pour renouveler l’éducation à l’antisémitisme, pour ne pas se retrouver à prêcher qu’aux seules convaincus ». Cela pourrait passer par une UE obligatoire.

« Nous avons comme idée de créer une UE transversale qui serait obligatoire et inscrite dans le curriculum de chaque étudiant. Il s’agirait d’expliquer ce que sont les racismes, d’où vient l’antisémitisme, en s’appuyant sur le corpus scientifique ».

  • Mobilier la communauté universitaire : elle se réjouit de la création de l’association Alarmer (association de lutte contre l’antisémitisme et les racismes par la mobilisation de l’enseignement et de la recherche) le 16/01/2019.

« Nous les connaissons, leur programme concorde bien avec nos objectifs. Si l’ensemble de ces actions font tache d’huile au sein du monde universitaire, tant mieux, car cela veut dire qu’on réinvestit nos missions en leur donnant une finalité de lutte contre le racisme et l’antisémitisme ».

  • Une meilleure écoute des victimes : elle cite l’exemple de l’Université de Toronto qui a mis en place un courriel spécifique afin de signaler une plainte à caractère raciste : « Ça existe pour les violences sexuelles et sexistes, on devrait pouvoir le transposer ».

Un vade-mecum en préparation et un document synthétique en cours de validation

Selon la référente de l’Urca, même si l’institution reste en retard, les choses sont en train de bouger. Elle fait partie d’un groupe de travail d’une dizaine de personnes  qui travaillent à la réalisation d’un vade-mecum d’une douzaine de pages : « Il s’agit d’outiller les établissements d’ESR, afin de prévenir et lutter contre les actes racistes et antisémites ».

L’objectif est de le publier en mai ou juin 2019. Mais réagissant au climat des dernières semaines, le groupe a voulu réagir plus rapidement.

« Compte tenu de ce contexte qui se dramatisait, on s’est dit qu’on voulait publier dès que possible, un document plus synthétique de quatre pages, préfigurant le vade-mecum ».

Il est selon elle, sur le bureau de la ministre et « devrait donc être diffusé dans les jours qui viennent ».


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