Demandez votre abonnement gratuit d'un mois !

« On peut être une université de recherche et s’intéresser à l’innovation pédagogique » (J. Chambaz)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Interview n°103261 - Publié le 05/10/2017 à 15:01
- +
© MM
© MM

« En accueillant les Jipes Journées nationales de l’innovation pédagogique dans l’enseignement supérieur et le forum Learning & Teaching la même semaine, l’UPMC Université Pierre et Marie Curie montre qu’on peut tout à fait être une université de recherche intensive et s’intéresser à l’innovation pédagogique », déclare Jean Chambaz, président d’UPMC, à News Tank, le 28/09/2017, à l’issue de ces deux événements - le premier organisé par le Mesri Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation , les 26 et 27/09, et le second par l’EUA European University Association , les 28 et 29/09/2017. Il revient sur les enjeux des universités européennes et françaises en matière de pédagogie, et les façons concrètes dont UPMC et la future Sorbonne Université — issue de la fusion de son université avec Paris 4 Sorbonne au 01/01/2018 — entendent y répondre.

Ainsi, « réenchanter la mission d’enseignement » passe, selon lui, par plusieurs évolutions nécessaires, parmi lesquelles :
• avoir « des étudiants motivés, acteurs de leur formation, en nombre maîtrisé, avec les capacités d’apprendre et de réussir, et donc qui soient dans la filière où ils peuvent réussir » ;
• permettre l’autonomie des universités pour « gérer les carrières de nos personnels » et « trouver les moyens de prendre davantage en compte l’investissement des enseignants-chercheurs dans l’enseignement » ;
• « soutenir des projets innovants très divers, qui ne se réduisent pas au numérique », mais qui sont « l’occasion de penser différemment les formations ».

Jean Chambaz, qui est également membre du bureau de l’EUA et président de la Curif Coordination des universités de recherche intensive françaises , fait part de ses attentes vis-à-vis de la conférence de Bologne 2018, qui doit se tenir en France du 23 au 25/05/2018, et revient sur les propositions d’Emmanuel Macron de créer 20 réseaux européens d’universités d’ici 2024.


Jean Chambaz répond à News Tank

À l’issue de ce premier forum de l'EUA European University Association consacré à la pédagogie, quel regard portez-vous — en tant que membre du bureau de l’EUA — sur cet événement et sur le fait qu’il se soit déroulé en France ?

Donner envie aux universités françaises de participer davantage aux débats européens »

Je ressens beaucoup de satisfaction. J’avais proposé à l’EUA de capitaliser sur tout ce qui avait été fait depuis des années sur l’innovation pédagogique par les universités européennes, notamment le projet Effect. Il me semblait important, à l’aube des 20 ans de Bologne, que les universités européennes — comme elles l’ont fait sur le doctorat il y a une douzaine d’années — parlent haut et fort pour peser dans le débat sur les grandes directions de l’ESR Enseignement supérieur et recherche en Europe. J’ai été ravi de voir que Gilles Roussel, président de la CPU Conférence des présidents d’université , avait la volonté d’engager les universités françaises dans ce mouvement à l’échelle européenne.

L’enseignement supérieur est resté une compétence nationale, contrairement à la recherche, qui fait partie des compétences de l’Union européenne, mais les établissements ont les mêmes enjeux dans des contextes différents. Ce forum leur a permis d’échanger sur leurs pratiques et de nourrir le débat politique. Si, en plus, cela peut donner envie aux universités françaises de participer davantage aux débats européens et d’y apporter notre expérience, notre culture, notre vision, tant mieux !

Pourtant, peu de présidents français ont assisté à ce forum. Faut-il y voir une marque de désintérêt pour les questions de pédagogie ?

Français ou non, il y avait peu de présidents d’université en général. Ce n’était pas l’objectif. En revanche, il y avait de nombreux vice-présidents en charge de ces questions, ce qui montre que la transformation de nos formations est au cœur de la stratégie des établissements.

Les universités françaises sont dans le même mouvement que leurs homologues européennes et proposent des choses très innovantes sur le plan pédagogique. Si nous étions corsetés par l’hyperrégulation de nos formations jusqu’en 2013, l’inscription de l’accréditation dans la loi Fioraso nous donne la liberté d’organiser notre offre. C’est une autonomie récente que nous devons nous approprier.

Le scorecard de l’EUA d’avril 2017 montre pourtant que la France fait partie des pays européens où les universités sont les moins autonomes…

La mise en œuvre de l’accréditation n’y a pas encore été prise en compte. Et nous avons besoin de la même autonomie pour gérer les carrières de nos personnels. On sait, et cela a été redit pendant le forum, que les recrutements et carrières des enseignants-chercheurs sont essentiellement basés sur la recherche.

Un enseignant-chercheur se réalise dans la recherche, mais il a aussi vocation à enseigner. Il faut donc trouver les moyens de prendre davantage en compte son investissement dans l’enseignement. Frédérique Vidal a dit à plusieurs reprises sa volonté de soutenir les initiatives innovantes dans tous les domaines : nous relevons le défi !

Est-ce que cela ne passe pas aussi par les établissements, dans leur capacité à donner des décharges aux enseignants pour innover, se former, etc. ?

L’enseignement ne doit pas être considéré comme une charge »

Oui et cela fait partie de la liberté d’expérimentation que nous allons mettre en œuvre. À l’UPMC Université Pierre et Marie Curie , nous ne donnons pas de décharge, mais des équivalents de temps de service, parce que l’enseignement ne doit pas être considéré comme une charge. Le vocabulaire utilisé a du sens !

Aujourd’hui, on a besoin de réenchanter la mission d’enseignement avec des étudiants motivés, acteurs de leur formation, en nombre maîtrisé, avec les capacités d’apprendre et de réussir, et donc qui soient dans la filière où ils peuvent réussir.

C’est une autre manière de parler des prérequis… Comment se positionnent les universités de recherche sur la sélection ?

La sélection qui consiste à exclure les jeunes de l’accès à l’enseignement supérieur n’est évidemment pas acceptable. Mais avoir un taux d’échec aussi élevé qu’aujourd’hui en licence est tout aussi inacceptable — humainement pour les jeunes, socialement, économiquement — et cela nuit à la réputation des universités. C’est pourquoi nous adhérons à la vision de la ministre qui consiste à poser le problème en termes de contrat de réussite étudiante.

Les prérequis ne sont pas des couperets, mais permettent d’objectiver les compétences. On ne peut pas reprendre tout à zéro à chaque étape ! Si un jeune n’a pas les compétences requises, soit il se dirige dans une autre filière, soit on lui donne l’occasion de les acquérir. Pour ce qui est des modalités, c’est à discuter et on verra ce qui ressort de la concertation en cours.

Être dans un climat où les étudiants réussissent donne envie aux enseignants de s’impliquer »

Pour revenir au sujet initial, être dans un climat où les étudiants réussissent, c’est aussi ce qui donne envie aux enseignants de s’impliquer, parce que c’est très valorisant. Et en accueillant les Jipes Journées nationales de l’innovation pédagogique dans l’enseignement supérieur et le forum Learning & Teaching la même semaine, l’UPMC montre qu’on peut tout à fait être une université de recherche intensive et s’intéresser à l’innovation pédagogique.

L’enjeu est aussi de passer de l’innovation à la transformation. Selon votre directeur du service FCU Formation continue à l’université. Marque utilisée par la Conférence des directeurs de service universitaire de formation continue. , Alain Gonzalez Conseiller académique à la formation continue @ Académie de Paris
qui s’exprimait à ce sujet lors des Jipes, cela passe par le fait de placer la FTLV Formation tout au long de la vie au cœur de la stratégie d’établissement…

Penser la formation initiale comme un temps de la FTLV »

C’est effectivement la vision que nous avons de l’université. La société évolue vite et il est difficile de prévoir les compétences qu’il faudra avoir dans 20 ans. Il ne s’agit pas de transmettre des connaissances, mais une capacité à chercher l’information, à l’évaluer de façon critique, notamment à l’ère des fake news.

Ensuite, il faut permettre aux cadres de demain que nous formons d’être en capacité d’apprendre à apprendre, d’évoluer dans leur carrière. Le monde dans lequel on entre est un monde de FTLV (formation tout au long de la vie), et l’université doit l’intégrer dans son organisation.

Par ailleurs, cela réglerait une partie du problème de l’entrée en licence et en master : on n’est pas obligé d’entrer dans le supérieur après le bac, mais on doit avoir la garantie de pouvoir le faire après une première expérience professionnelle. Il faut que l’on pense la formation initiale comme un temps de la FTLV, et que la formation continue permette plus de modularité, de souplesse, de mixité des publics et des modes pédagogiques. Il est intéressant de constater que ces grandes tendances émergent dans l’ensemble des universités européennes qui évoluent pourtant dans des contextes différents.

Comment avez-vous inscrit cette dimension dans le projet de la future Sorbonne Université, qui sera créée au 01/01/2018 ?

La création de Sorbonne Université répond à l’envie de mieux assurer nos missions, en reconstituant une université de recherche pluridisciplinaire. Cela nous conduit à soutenir la recherche au cœur de toutes les disciplines, y compris les plus rares. De plus, nous offrons la possibilité aux enseignants-chercheurs qui le souhaitent de travailler sur des grands projets transversaux en combinant ces disciplines grâce à nos instituts : l’Institut de la transition environnementale, l’Institut de l’ingénierie en santé, l’Institut des sciences du calcul et de la donnée, l’Institut du patrimoine et le Collegium Musicae.

L’autre aspect c’est la formation : nous sommes la seule Idex Initiative(s) d’excellence à avoir mis la transformation des licences au cœur de notre projet et à avoir consacré près de la moitié du budget sur la formation et sur la vie étudiante. La transformation de la licence dans laquelle nous sommes engagés consiste à construire une offre plus diversifiée et des parcours multidisciplinaires.

Sorbonne Université, issue de la fusion d’UPMC et de Paris 4 Sorbonne, sera officiellement créée au 01/01/2018. D’ores et déjà, deux regroupements de composantes ont été crées au sein de Sorbonne Université, selon un arrêté publié au JO du 23/09/2017 : une « faculté des lettres » et une « faculté des sciences et ingénierie ». La nouvelle université comptera une troisième composante : l’UFR de médecine.

La prochaine étape est l’élection des conseils centraux et du futur président de Sorbonne Université. Le dépôt des candidatures ouvre le 16/10/2018 et le scrutin pour les conseils centraux aura lieu les 14 et 15/11/2017. Jean Chambaz, à la tête d’UPMC depuis mars 2012, n’a pas encore fait savoir s’il était candidat.

Quelles actions mettez-vous en place pour susciter cette volonté d’innover chez les enseignants ?

Nous agissons au cœur de nos départements de formation, à travers des appels à projets de l’Idex. L’appel FormInnov a permis de soutenir des projets innovants très divers, et qui ne se réduisent pas au numérique. Innover doit être l’occasion de penser différemment les formations. Par exemple, à la future faculté des sciences, nous avons ouvert mi-septembre un Teaching lab où les enseignants peuvent se rencontrer, échanger sur leurs pratiques, se former à des outils ; et on développe les espaces de coworking étudiants, les Fab-lab, greenlab, etc. Nous devons encore avancer sur des processus d’auto-évaluation des étudiants qui sont sûrement plus riches que les examens de fin de cursus tels qu’on les pratique.

Frédérique Vidal a dit vouloir faire de Bologne le point d’orgue de cette année de transformation de l’enseignement supérieur. Qu’en attendez-vous ?

Le processus de Bologne s’est un peu perdu dans des questions bureaucratiques »

Force est de constater que, 20 ans après, le processus de Bologne s’est un peu perdu dans des questions bureaucratiques et en a oublié le cœur de sa raison d’être. Le souffle de Bologne était de construire un enseignement supérieur répondant aux attentes de la jeunesse et aux besoins de la société et l’économie en Europe.

Bien sûr qu’il faut parler des crédits, ou de la régulation complexe sur les diplômes qui bloquent les échanges, mais Bologne c’est d’abord la possibilité d’offrir, à travers l’université, aux jeunes de demain la formation dont ils ont besoin pour être utiles à la société.

L’Europe de la connaissance, c’est aussi ce à quoi Emmanuel Macron a appelé lors de son discours à la Sorbonne. Que pensez-vous de sa proposition de constituer 20 réseaux d’universités européennes ?

Je crois à la politique de site sur la base volontaire de stratégies partagées  »

Il en a dit assez peu donc il faudra attendre de voir ce qu’il en est réellement. L’idée de favoriser les partenariats structurés entre universités européennes pour favoriser la mobilité des étudiants et des E-C enseignant(s)-chercheur(s) est excellente. Erasmus+ est un programme qui a été très productif, mais qui touche un nombre trop limité d’étudiants.

Après, si on veut que chaque étudiant européen soit parti pendant son cursus, il faudra davantage de moyens et dans la durée…

Il semble que l’idée de ces réseaux était aussi de constituer des universités de taille à concurrencer les universités anglo-saxonnes…

Je ne sais pas si c’est l’objectif. Dans tous les cas, il faut arrêter d’être obsédé par les classements, ce ne sont pas eux qui font l’attractivité et la réputation des universités. Alors qu’en France, la vision bureaucratique des Comue Communautés d’universités et d’établissements a conduit à créer des usines à gaz, il serait dommageable que ces grands consortia européens en soient de nouveaux.

Je crois à la politique de site, mais sur la base volontaire de stratégies partagées entre établissements. C’est dans le même état d’esprit que nous travaillons avec des universités en Allemagne et en Pologne, pour monter des programmes communs de formation et de recherche. S’il y a un instrument financier européen associant les États et la Communauté européenne, cela nous aidera et accélérera les projets en cours.

Parcours

Université Paris 6 - Pierre et Marie Curie (UPMC)
Professeur de biologie cellulaire
Coordination des universités de recherche intensive françaises (Curif)
Président
Université Paris 6 - Pierre et Marie Curie (UPMC)
Président
Université Paris 6 - Pierre et Marie Curie (UPMC)
Vice-président moyens et ressources
European University Association (EUA)
Président du Council for doctoral education

Fiche n° 4728, créée le 18/06/2014 à 11:00 - MàJ le 01/09/2021 à 15:29

Université Paris 6 - Pierre et Marie Curie (UPMC)

UPMC (Université Pierre-et-Marie-Curie, anciennement Paris 6)

Création : 1971

Héritière de la faculté de médecine de l’ancienne Université de Paris fondée au XIIe siècle.

Président : Jean Chambaz (réélu pour un second mandat le 07/03/2016)

Chiffres clés :
-
31 000 étudiants,
- 3 000 doctorants,
- 9 600 personnels (dont 3 750 enseignants-chercheurs).


Catégorie : Universités


Adresse du siège

4 place Jussieu
75005 Paris France


Fiche n° 1756, créée le 28/04/2014 à 04:37 - MàJ le 24/04/2023 à 18:05

© MM
© MM