« L’échec en 1er cycle et la précarité doivent être traités de concert » (Emmanuel Giannesini, Cnous)
« Frédérique Vidal s’est pleinement saisie du dossier et je suis très heureux qu’elle fasse un lien explicite entre réussite académique et conditions de vie des étudiants. L’échec en premier cycle, notamment en L1, et la précarité vécue par de nombreux étudiants, sont, à mon sens, les deux grands défis de l’enseignement supérieur en France, et ils peuvent, ils doivent, être traités de concert. Les Crous sauront se mobiliser dans ce cadre », déclare Emmanuel Giannesini, président du Cnous, à News Tank, le 04/09/2017. Il revient sur l’annonce par le Gouvernement, le 24/08/2017, « de la préparation d’un plan étudiant comportant un volet réussite étudiante et un volet pouvoir d’achat ».
Sujet d’inquiétude en revanche : la dévolution de leur patrimoine à une nouvelle vague d’universités et ses conséquences en matière de valorisation des espaces, et d’offre de restauration. « Si c’est l’occasion d’introduire une concurrence massive sur les terrains valorisés, de type Mac Donald ou centre commercial, cela nous mettrait en difficulté. Et ce serait problématique, car c’est une vision de la restauration étudiante très banalisée, au moment même où le gouvernement, avec les états généraux de l’alimentation, pose la question de la qualité et de la santé », indique-t-il.
Politique de vie étudiante, budget 2018, fonctionnarisation des personnels ouvriers… il revient sur les sujets d’actualité pour le réseau des œuvres à la rentrée 2017. Il dresse aussi le bilan de sa première année à la tête du Cnous, à travers les quatre missions principales dévolues au réseau : logement, restauration universitaire, aides sociales, culture et vie de campus.
Côté perspectives, il souhaite que les Crous s’impliquent davantage dans les actions de soutien pédagogique. « Il n’est pas question d’intervenir dans la formation, mais de fournir un appui. (..) Si les universités veulent travailler à des équipements de vie étudiante fédérateurs sur des campus, nous sommes prêts à participer à leur financement, à prendre la maîtrise d’ouvrage, la gestion. La contrepartie est qu’elles doivent s’impliquer et nous aider à faire vivre ces partenariats. »
Emmanuel Giannesini répond à News Tank
Le projet en préparation annoncé par le gouvernement en matière de vie étudiante vous semble-t-il dans la continuité des mesures prévues par le PNVE Plan national de vie étudiante ?
Les Crous sauront se mobiliser dans ce cadre »
Emmanuel Giannesini : Il ne semble pas qu’il y ait de remise en question des orientations du PNVE, mais plutôt un vaste approfondissement sous la forme d’un nouveau plan, ou d’une priorité renouvelée, en faveur de la vie étudiante. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Frédérique Vidal s’est pleinement saisie du dossier et je suis très heureux qu’elle fasse un lien explicite entre réussite académique et conditions de vie des étudiants. L’échec en premier cycle, notamment en L1, et la précarité vécue par de nombreux étudiants, sont à mon sens les deux grands défis de l’enseignement supérieur en France, et ils peuvent, ils doivent être traités de concert. Les Crous sauront se mobiliser dans ce cadre.
Au sujet de la fonctionnarisation des personnels ouvriers qui avait été actée par le gouvernement précédent, Frédérique Vidal a fait part de ses réserves. Cette mesure vous semble-t-elle remise en question ?
Le protocole du 04/05/2017, que nous avons signé sous condition, prévoit que le recrutement et la gestion des personnels soient délégués aux Crous. Mais cette délégation de gestion n’est pas simple à rédiger sur un plan juridique. Nous sommes donc en attente d’un projet de texte.
Autre question en attente : le financement, la fonctionnarisation coûte 10 000 € de plus par an par agent. Et dans la mesure où le gouvernement souhaite, comme nous, la stabilité des tarifs des Crous, il n’y a que la subvention de l’État pour supporter ce coût.
Quant aux réserves de Frédérique Vidal, je crois qu’elles portent surtout sur le fait que la mesure risque d’intéresser peu de personnels en place, et nous faisons le même constat. Sur le plan salarial et au niveau des retraites complémentaires, le passage au statut de fonctionnaire n’est pas avantageux. La CFDT a très honnêtement confirmé ce point publiquement, mais a indiqué qu’il s’agissait d’une réforme pour l’avenir. Or, si le protocole est un acquis, il ne change pas par lui-même tout le reste de l’environnement légal et réglementaire qui fait que la fonctionnarisation est défavorable aux agents… Et j’ai posé comme condition à ce chantier qu’il devait améliorer à la fois la situation des agents et celle des Crous, pas l’inverse !
En 2017, vous aviez obtenu un budget en légère hausse. Avez-vous des inquiétudes sur le budget 2018 au regard des déclarations cet été du Président de la République ?
Nous avons trois sources de financement : la restauration, l’hébergement et la subvention de l’État. Concernant les deux premières, le gouvernement a indiqué qu’il ne souhaitait pas une hausse des prix et nous sommes tout à fait à l’aise avec cette orientation. Reste donc la subvention. Je fais partie de ceux qui ne demandent pas une hausse par principe chaque année, mais il est nécessaire que les mesures générales décidées par le gouvernement en matière salariale soient financées.
Nous avons ainsi exprimé trois demandes :
- quelques supports d’emploi financés au titre de la gestion des aides directes pour faire face à la hausse démographique que nous accompagnons ;
- une compensation pour les mesures générales salariales qui touchent tous les établissements publics : point d’indice, PPCR Parcours Professionnels Carrières Rémunérations , fonctionnarisation ;
- dans le cadre du futur plan 60 000 logements, nous ne demandons aucune subvention pour les « murs », seulement pour le foncier s’il ne nous est pas attribué gratuitement.
Quel bilan faites-vous de votre première année à la tête du Crous ?
J’ai beaucoup de chance, car je suis arrivé à un moment où mes prédécesseurs avaient déjà lancé une dynamique de modernisation, à travers le projet stratégique 2020, les grands axes du PNVE Plan national de vie étudiante d’octobre 2015, et l’accord-cadre conclu avec la CPU Conférence des présidents d’université en mai 2016.
De fait, au cours de la dernière année universitaire, nous avons observé des résultats ou des signaux positifs tangibles sur les quatre grandes missions du réseau des œuvres.
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La restauration universitaire affiche +4 % de fréquentation et +5 % de chiffres d’affaires en 2016-2017, soit la 1re année de croissance depuis une dizaine d’années, et alors même que les facteurs défavorables sont toujours là, comme la fragmentation de l’année universitaire et la pression concurrentielle accrue sur et autour des campus.
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En matière de logement, les résultats sont satisfaisants avec un chiffre d’affaires en hausse, conséquence de notre contribution au plan 40 000, auquel les Crous ont contribué à hauteur de 23 000 logements supplémentaires. En parallèle, nous poursuivons la réhabilitation des résidences anciennes au rythme d’environ 3 000 par an, ce qui permettra d’atteindre les 100 % de réhabilitation d’ici 2022. Mais les grandes agglomérations, notamment Paris, Lyon, Bordeaux, Toulouse manquent toujours de places et concentrent les tensions.
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Pour ce qui concerne la gestion des aides directes, nous avons réussi à faire face à la hausse de la démographie étudiante sans moyens supplémentaires, sachant qu’à la rentrée 2016, nous avons pris en charge l’Arpe Aide à la recherche du premier emploi et qu’à la rentrée 2017, nous gérons aussi les aides de la grande école du numérique et l’aide à la mobilité en master. Nous sommes parvenus à « absorber » ces dossiers et ces aides supplémentaires tout en améliorant nos ratios, avec 98,5 % de paiement des bourses au mois de septembre pour les dossiers complets, et ce grâce à la dématérialisation du DSE Dossier social étudiant et à l’optimisation de notre organisation du travail. Il y a aussi une amélioration de la qualité de service, grâce notamment à cinq plates-formes d’appels mutualisées entre Crous, ce qui permet aux agents des Crous de se consacrer davantage au traitement des dossiers et à l’accueil physique des étudiants dont les situations sont les plus complexes.
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Enfin, en matière de culture et de vie de campus, nous avons de grandes ambitions. Les Crous se sont investis sur les campus pour favoriser la socialisation et le bien-être des étudiants, notamment à travers la création de lieux de vie innovants et un soutien accru aux initiatives étudiantes. Les six projets lauréats de l’AMI lancés à la rentrée 2015 ont permis de dynamiser fortement la vie de campus en relation étroite avec les établissements d’enseignement supérieur et les partenaires institutionnels et associatifs. Un des leviers majeurs de cette évolution, ce sont les jeunes volontaires en service civique : nous en avons accueilli plus de 270 sur 2016-2017, et 470 depuis 2015. Ils jouent un rôle majeur dans l’animation des résidences et les retours sont excellents.
Développement des services numériques
« Tous nos efforts ces dernières années ont visé à faciliter la vie des utilisateurs, ou de nos partenaires, avec le développement de services numériques, qui se veulent plus participatifs », indique le président du Cnous.
A la rentrée 2017, plusieurs sont opérationnels :
• la version 2 de Jobaviz, le portail de jobs étudiants ;
• locaviz avec des déclinaisons en partenariat avec les collectivités sur le principe d’une marque blanche, comme à Versailles Saint Quentin ;
• bed&crous : un booking.com des résidences pour les étudiants et les enseignants-chercheurs ;
• une brique “mes RDV en ligne” sur le site messervices.etudiant.gouv.fr pour faciliter les démarches des étudiants.
Sur la restauration universitaire, une réglementation européenne applicable depuis juillet semble semer le trouble au sein des universités, sur la nécessité d’ouvrir le marché à la concurrence. Qu’en est-il vraiment ?
L’ordonnance dont il est question utilise une formule très générale et peut-être intimidante, à savoir que la délivrance de tout titre d’occupation du domaine doit être précédée d’une procédure de sélection transparente - ce qui est différent d’une mise en concurrence stricto sensu, car nous ne sommes pas dans le registre des marchés publics. Mais un peu plus loin, parmi cinq alinéas qui justifient des exceptions à cette règle, il est fait référence aux « spécificités » de certaines activités.
Or la restauration universitaire est spécifique à plusieurs égards, puisqu’elle repose sur :
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Une unité tarifaire avec des tarifs de service public, marqués notamment par l’exonération de TVA et un tarif social, le ticket RU Restaurant universitaire à 3,25 €, disponible dans tous les restaurants et toutes les cafétérias. Cette unité tarifaire, nous la prolongeons en 2017 par une harmonisation vers le bas des tarifs de plusieurs produits standards pouvant correspondre à un « panier de base » (eaux minérales, yaourts, sandwich d’entrée de gamme, croissant, etc.).
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Une unité technique parfois méconnue, compte tenu des conditions de production : sur un campus, la fabrication de l’offre alimentaire part d’une cuisine centrale d’un RU pour alimenter tous les points de vente, cafétérias, corner, libre-service, etc.
Cette unité montre qu’on doit avoir une approche globale de la restauration universitaire. Quand on explique tout cela aux présidents d’université, ils le comprennent très bien.
Donc il n’y a pas lieu de s’alarmer selon vous de la mise en concurrence dans ce secteur ?
Oui et non. Certains pensent peut-être qu’il y a de l’argent à gagner sur les campus : ce n’est pas vrai ! J’en veux pour preuve le nombre de structures de restauration confiées à des prestataires privés qui ont fini par mettre la clé sous la porte au bout de deux ans. Pour nous, l’enjeu n’est d’ailleurs pas financier, car si un établissement décide de fermer une de nos structures ou de la confier au secteur privé, le Code du travail prévoit la reprise des personnels.
La dévolution immobilière ne doit pas être l’occasion d’introduire une concurrence massive »Là où nous sommes plus inquiets, c’est vis-à-vis de la dévolution du patrimoine au bénéfice des universités. Car si c’est l’occasion d’introduire une concurrence massive sur les terrains valorisés, de type Mac Donald ou centre commercial, cela nous mettrait en difficulté. Et ce serait problématique, car c’est une vision de la restauration étudiante très banalisée, au moment même où le gouvernement, avec les états généraux de l’alimentation, pose la question de la qualité et de la santé.
Alors que de notre côté, la qualité est au cœur de nos préoccupations. Après la montée en gamme ces dernières années dans le cadre de la professionnalisation des achats, nous développons par exemple à cette rentrée une gamme végétarienne dans tous les Crous, autour de 60 recettes différentes, et qui répond à une vraie attente des usagers.
Dévolution du patrimoine : les universités concernées
Thierry Mandon avait annoncé le 15/12/2016, à la suite d’un rapport IGF - Igaenr et d’un appel à manifestation d’intérêt et d’expertise, que les universités d’Aix-Marseille, Bordeaux, Caen et Tours pourraient bénéficier du transfert à partir de 2017.
Les universités de Rennes 1, Lyon 3, Strasbourg, Nantes, Clermont 2, et l’Insa Toulouse sont également candidates mais l’évaluation de ces candidatures n’a pas encore eu lieu et Frédérique Vidal, nouvelle ministre de l’Esri, ne s’est pas exprimée sur le sujet.
En 2011-2012 les universités de Poitiers, Toulouse 1 et Clermont-Ferrand 1avaient été les premières à devenir propriétaires de leur patrimoine.
En matière de structuration du réseau, vous disiez à News Tank en septembre 2016 être convaincu que la bonne échelle de pilotage était celle du site. Comment cela se concrétise-t-il ?
La politique de site demande à être organisée et gérée en proximité »Notre action en matière de politique de site se décline de plusieurs manières. Tout d’abord, nous avons déterminé que, sur chaque site, il était nécessaire d’avoir un cadre supérieur en capacité de discuter au quotidien avec les établissements, dans la confiance. La politique de site est très intense, avec de nombreux accords bilatéraux, des activités, des temps et des espaces partagés qui évoluent au quotidien. Et tout cela demande à être organisé et géré en proximité.
L’autre manifestation de notre implication est la densité du réseau partenarial avec les associations et les organisations étudiantes, qui donne lieu à des projets concrets, comme les journées d’accueil, les lieux de vie gérés en commun, la vie en résidence, etc. Et il y a un champ où nous ne sommes pas encore présents, mais que nous souhaitons développer, c’est l’accompagnement des nouveaux entrants, y compris en matière de soutien pédagogique.
Cela peut paraître un peu éloigné de vos missions…
Il n’est pas question d’intervenir dans la formation, mais de fournir un appui aux établissements dans le cadre de partenariats. À Rouen par exemple, un programme de l’université fait bénéficier une vingtaine d’étudiants d’un parcours renforcé sur le plan pédagogique, et que nous accueillons au Crous. Ce genre de programmes relève d’une politique de site, et s’intègre dans le cadre du contrat de réussite étudiant auquel participe le réseau des Crous. C’est une très belle initiative et un excellent partenariat entre le Crous et l’université.
Nous sommes d’autant plus demandeurs de participer à de tels projets que nous avons une bonne capacité d’investissement. Je le dis aux universités : si elles veulent travailler à des équipements de vie étudiante fédérateurs sur des campus, nous sommes prêts à participer à leur financement, à prendre la maîtrise d’ouvrage, la gestion. La contrepartie est qu’elles doivent s’impliquer et nous aider à faire vivre ces partenariats.
Est-ce que vous réfléchissez à porter des projets avec d’autres partenaires, par exemple sur des équipements sportifs ?
Nous nous positionnons comme des facilitateurs et des agenceurs de services et d’actions »Même si ce n’est pas le cœur de notre mission, nous sommes disposés à nous impliquer sur ce genre de projets, pour lesquels nous sommes d’ailleurs de plus en plus sollicités à certains endroits (un dojo à Bordeaux, des salles de danse un peu partout, de fitness, des murs d’escalade, etc.). Mais nous sommes avant tout demandeur de coopérations confiantes, en particulier avec les Suaps, acteurs de premier rang en la matière, par exemple à Caen où nous avons contribué à redynamiser les équipements sportifs en lien avec le Suaps Service universitaire des activités physiques et sportives . Nous nous positionnons comme des facilitateurs et des agenceurs de services et d’actions.
Emmanuel Giannesini
Il a donné des cours à l’Université Paris Dauphine et Sciences Po, et est aujourd’hui professeur associé à l’Université Paris Nord.
Par ailleurs, il est nommé au Cneser au titre des 5 « autres représentants participant à titre consultatif », parmi les 40 personnalités représentant les grands intérêts nationaux, notamment éducatifs, culturels, scientifiques, économiques et sociaux, nommées par arrêté conjoint des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Auteur d’articles dans l’AJDA (Actualité juridique du droit administratif) et Philosophie Magazine.
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Parcours
Conseiller maitre
Directeur adjoint de cabinet, chargé des questions budgétaires (Geneviève Fioraso, ministre)
Responsable du secteur enseignement supérieur à la troisième chambre
Conseiller référendaire
Directeur financier et juridique
Établissement & diplôme
Diplômé
Fiche n° 17984, créée le 10/06/2016 à 09:14 - MàJ le 30/03/2018 à 12:10
Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS)
Catégorie : Établissements publics
Adresse du siège
60 boulevard du LycéeBâtiment CNOUS - CNED
92170 Vanves France
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Fiche n° 1956, créée le 05/05/2014 à 12:26 - MàJ le 13/11/2024 à 17:45