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Think Education : l’accès à l’enseignement supérieur en Afrique, enjeu majeur des partenariats

Paris - Actualité n°86627 - Publié le 13/02/2017 à 17:54
©  Seb Lascoux
©  Seb Lascoux

« Face aux défis de l’enseignement supérieur en Afrique, nous sommes tous partenaires. Le premier défi est d’envisager les moyens de rendre les études accessibles. Je lance un appel, afin de nous regrouper, sous forme peut-être d’une fondation, pour imaginer un processus global de financement des jeunes », déclare Marc-François Mignot-Mahon, président de Galileo Global Education France, lors de Think Éducation, l'événement organisé par News Tank à l’Université Paris Dauphine, le 07/02/2017. Il s’exprime au cours de l’un des deux ateliers « Afrique : la condition de la réussite des partenariats ».

Pour Christophe Germain vice-dean en charge des nouvelles écoles et conseiller spécial de la DG @ Skema Business School
, directeur général adjoint d’Audencia Business School, « deux logiques préludent ensemble à tout développement à l’international, l’approche locale et l’approche globale. Le premier enjeu est de trouver la juste place du curseur, qui sera différente selon le pays ». Il n’y a pas une Afrique, mais 54 pays sur le continent, « avec des conditions socio-économiques infiniment diverses », poursuit-il. « Il faut développer le modèle économique qui va permettre de former ces jeunes. Comment co-construire cette chaîne de valeur ? ».

Une option serait d’intensifier les bourses octroyées aux étudiants sur le continent africain. « Nous explorons cette voie du développement des bourses locales, par exemple dans des établissements qui auraient des partenaires français, plutôt que des bourses à taux plein pour des étudiants d’Afrique en mobilité en France », indique Olivier Chiche-Portiche
, directeur de la coordination géographique de Campus France.

« Il nous faut attirer des étudiants togolais, béninois, burkinabé… », confirme Koffi N’Guessan, directeur de l’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny de Yamoussoukro (Côte d’Ivoire). « Ma vision est nord-sud-sud : je suis au sud, je souhaite bénéficier de l’appui du nord pour aider le sud. » Pour Amina Bouzguenda Zeghal
, directrice générale de l’Institut Dauphine Tunis, l’enjeu de la mobilité se joue au niveau « des partenariats sud-sud ». Actuellement, « un étudiant sur seize fait des études en dehors de son pays d’origine ».

Les deux ateliers consacrés aux partenariats avec l’Afrique étaient animés par Audrey Steeves Journaliste @ News Tank Education & Recherche (NT her)
et Dahvia Ouadia
(News Tank). Ils accueillaient :
• le matin : Madické Diop PDG BEM Dakar @ Kedge Business School (Kedge Business School) • Admistrateur-Fondateur @ PROFIL PROFIL ( www.profil.sn )
Docteur en Sciences de Gestion, diplômé de l’Essec de Paris, est…
, directeur général de BEM Dakar, Arnaud Langlois-Meurinne Senior Advisor @ European Foundation for Management Development (EFMD)
, senior adviser de l’EFMD European foundation for management development (European Foundation for Management Developement), Ali Elquammah, directeur des relations internationales de HEM Business School et Amina Bouzguenda Zeghal.
• l’après-midi : Olivier Chiche-Portiche, directeur de la coordination géographique de Campus France, Christophe Germain, Jean-François Guezou Directeur du Développement @ Renater • Président du Comité d’Organisation @ JRES
, directeur du développement de Renater , Marc-François Mignot-Mahon, et Koffi N’Guessan.

L’Afrique attire et n’attend pas la France

L’Afrique est un continent d’avenir. Un de nos masters est enseigné à Dauphine Paris, c’est de l’innovation sud-nord. Amina Bouzguenda Zegha, Dauphine Tunis »

« L’Afrique fait l’objet de convoitises, de la part du Brésil, de l’Inde, de la Chine. Les établissements y sont de plus en plus ouverts au monde. Les Français ne doivent pas penser que les choses sont acquises. Les notions de respect, de bonne compréhension des besoins et d’inscription stratégique sont essentielles », avertit Arnaud Langlois-Meurinne.

Madické Diop affirme que « BEM Dakar envoie davantage d'étudiants en Chine qu’en France ». Ce que confirme Ali Elquammah : « Nous ne cherchons pas toujours les partenariats avec les établissements prestigieux du nord. HEM en a plus d’une dizaine en Afrique, et un autre en Australie. »

« 380 000 étudiants d’Afrique sont actuellement en mobilité diplômante à l’international », rapporte Olivier Chiche-Portiche, directeur de la coordination géographique de Campus France. « Le Nigéria est un mastodonte, dont les ressortissants rejoignent le Royaume-Uni et les États-Unis. Puis les pays du Maghreb, suivis par le Sénégal et le Cameroun, avec la France comme première destination. En 2014, la France accueillait ainsi selon l’Unesco 100 000 étudiants en provenance d’Afrique. »

La mobilité intra-continentale est croissante, principalement vers l’Afrique du Sud, le Ghana, le Maroc et la Tunisie, et dans une moindre mesure la Turquie, la Chine et l’Arabie Saoudite. « La France ne doit pas mollir dans ses efforts », poursuit Olivier Chiche-Portiche, « son poids relatif est moindre aujourd’hui. »

Privilégier la co-élaboration

« La principale condition de réussite d’un partenariat avec des universités et écoles en Afrique est d’inscrire ce développement dans son plan stratégique d'établissement », affirme Arnaud Langlois-Meurinne, senior adviser au sein de l’EFMD. Selon lui, l’erreur serait d’envisager de tels développements « parce que l’Afrique est tendance et que les autres y vont ». Il préconise une démarche progressive et accompagnée, « par exemple par des entreprises françaises ou locales en quête de partenariats ».

« Nous fondons nos partenariats sur le respect mutuel et la confiance, et privilégions la co-élaboration. C’est ce qui permet de créer des programmes qui répondent aux besoins de l'économie marocaine, des besoins locaux et globaux », affirme Ali Elquammah, directeur des relations internationales de HEM Business School au Maroc.

Madické Diop, directeur général de BEM Dakar, évoque « l’exigence de qualité » et le respect des standards internationaux, ainsi que « la proximité intellectuelle ».

« La priorité est de tirer les élèves vers le haut », indique Amina Bouzguenda Zeghal, directrice générale de l’Institut Dauphine Tunis.

- « Notre problématique est de former en Afrique des ingénieurs et techniciens de bon niveau pour le développement économique, dans le respect des standards internationaux, et faire de Yamoussoukro un hub de l’enseignement scientifique », explique Koffi N’Guessan, directeur de l’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny.

- L’INPHB a imaginé d’adosser chacune de ses 8 écoles à un établissement partenaire, parmi lesquels Centrale Lyon, Sup Agro Montpellier, ESTP. L'établissement a ensuite entamé une prospection parmi les écoles de commerce, pour retenir le projet d’Audencia, « séduisant par son approche d’hybridation des compétences ».

- « Il s’agit de transfert d’ingénierie pédagogique, avec pour objectif d’atteindre les standards exigés pour viser les accréditations. Nous prévoyons ainsi d’instruire prochainement des dossiers auprès de la CTI pour nos écoles d’ingénieurs », dit Koffi N’Guessan.

- « Audencia visait un projet pilote, dans une région francophone d’Afrique. Nous avons rapidement envisagé la Côte d’Ivoire, pays qui a retrouvé la stabilité. Les grandes entreprises y reviennent. Avec l’apport de l’AFD et de Business France, nous avons identifié les besoins de l’INPHB », relate Christophe Germain, directeur général adjoint d’Audencia Business School.

- Le coeur du projet est financé par le volet enseignement supérieur du C2D (Contrat de désendettement et de développement : mécanisme de refinancement de la dette par des dons, avec l’AFD pour opérateur. 22 pays sont éligibles au dispositif, dont une majorité en Afrique).

Financement : agilité et créativité requises

« Ne vous engagez pas dans un partenariat avec une école du sud si vous cherchez la rentabilité. C’est un projet d'établissement », indique Arnaud Langlois-Meurinne, qui évoque « un investissement long et coûteux ».  

« Des bailleurs de fonds internationaux sont intéressés pour suivre le développement économique de ces pays. Le secteur privé ne s’oppose pas au service public, il doit le compléter. » 

L’agilité est de mise, estime Madické Diop, dans des contextes « où nos Etats n’ont d’autre option, en raison de la démographie galopante, que de favoriser partenariats et systèmes éducatifs alternatifs ». Pour sa part, BEM Dakar finance en partie son école de management par son activité de formation continue.

« Les gouvernements se désengagent, les étudiants de nos universités publiques sont bons… Comment mutualiser les moyens pour que les meilleurs restent dans leurs pays, soient bien formés et intègrent nos entreprises ? », demande Koffi N’Guessan.

« Au Maroc, les entreprises rechignent à financer les études d’un futur collaborateur qui les quittera un jour », selon Ali Elquammah. « Les incitations fiscales n’existent pas pour les entreprises, le système de bourses progresse, mais lentement. » HEM ne considère pas les partenariats comme « des modèles lucratifs », mais « des aventures de notoriété, un acte social et sociétal ». 

Le besoin urgent de former des cadres et managers intermédiaires

Le déficit en middle management

L’adéquation entre le diplôme et l’offre d’emplois demeure l’enjeu, « on dénombre un manager pour 11 millions d’Africains aujourd’hui. D’ici 2020, le continent va avoir besoin de 15 à 20 millions de ces managers intermédiaires, immédiatement opérationnels après leur formation », avance Ali Elquammah. Le Groupe HEM a ouvert à Tanger Med Métiers, l’Institut supérieur des métiers industriels, en partenariat avec IFC, société financière du groupe de la Banque mondiale. Les formations professionnalisantes à Bac + 3 couvrent les métiers des services et de l’industrie, et sont accessibles financièrement via des formules de crédit-études.

« Nous lançons l’université des savoir faire », expose Marc François Mignon-Mahot. « En Afrique sub-saharienne, 90 % de l'économie relève du secteur informel. Il faut des cadres, il faut des collaborateurs opérationnels, ce point est réellement critique. Nous devons apporter des ressources utiles et concrètes. » Le P-DG de Galileo s’interroge : « 23 % d’une classe d'âge au bac, que faisons-nous des 77 % de jeunes qui ne l’obtiennent pas ? »

« Il y a un réel besoin de formations courtes et professionnalisantes pour cadres et techniciens intermédiaires », complète Olivier Chiche-Portiche.

« Dans le cadre du C2D , un projet de numérisation de l’enseignement supérieur est en cours en Côte d’Ivoire, en partenariat avec Orange. Des offres en ligne de formations professionnalisantes seraient pertinentes mais nous ne sommes pas encore très bien outillés en la matière. »

Affermir les soft skills, une attente du continent africain

« Il existe une insuffisance constatée en soft skills, la confiance, l’aisance, l’affirmation, le leadership », explique Ali Elquammah, qui évoque une étude des besoins en compétences réalisée auprès de doyens d’universités dans le cadre d’un appel à projets de l’Union européenne.

« En France également, mais sont-ce les mêmes soft skills qui sont recherchées ? », répond Arnaud Langlois-Meurinne, qui suggère « de qualifier un corps professoral afin de mener une recherche de terrain, puis de développer un référentiel de compétences attendues par les entreprises en Afrique ».

Le recours au numérique, sous condition d’accessibilité

« L’Afrique souffre de difficultés de mobilités inter-régionales, mais la téléphonie mobile et les technologies liées explosent », indique Arnaud Langlois-Meurinne. « Des opérateurs sont très en pointe sur des modèles de blended learning. Au Kenya, African Management Initiative  a produit des modules en gestion très utilisés. L’idée d’une grande banque de données de ressources africaines est magnifique. »

« Renater intervient dans un objectif de partage de compétences », selon Jean-François Guezou, directeur du développement.

« Nous sommes partenaires de Wacren , le réseau d'éducation et de recherche de l’Afrique de l’ouest et du centre, et participons à des projets, souvent européens, à l’instar de AfricaConnect2 qui poursuit le déploiement d’un réseau haut débit et sécurisé sur le continent. »

Pour Jean-François Guezou, l’accès à un tel réseau concourt à maintenir étudiants et enseignants en Afrique, en offrant l’accès aux ressources académiques régionales et internationales. La recherche collaborative mondiale en est un enjeu, indique-t-il.

Ali Elquammah croit au numérique raisonné. « En République Démocratique du Congo par exemple, seulement 10 % des habitants ont accès à internet. L’accès illimité est un luxe. En Afrique, le mobile via la 3G ou 4G pénètre davantage que le wifi. » Oui aux moocs « mais considérons l’embûche technologique et l’embûche de la discipline ».

Amina Bouzguenda Zeghal préconise l’usage des Mooc pour le recrutement et la mise à niveau d'étudiants, davantage que pour la formation.

« Globalement, force est de constater que les Mooc accueillent beaucoup d’inscrits mais peu de certifiés. »

« La numérisation de Kedge se fait à BEM Dakar, car nous avons l’agilité pour cela », rapporte Madické Diop. « Nous sommes extrêmement fiers de pouvoir ainsi apporter à l'établissement, et pas seulement de recevoir. »

Cet article a été écrit par la rédaction de News Tank avec l’aide d'élèves du master journalisme bilingue de Paris 3 Sorbonne Nouvelle qui couvraient les ateliers de Think Education.