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Science et technologie : « La hiérarchisation des disciplines est omniprésente » (C. Boichot)

Paris - Entretien n°85500 - Publié le 02/02/2017 à 15:26
©  D.R.
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« Il n’y a plus de science sans technologie et plus de technologie sans science. Mais on constate qu’il y a toujours des tensions entre tenants de la science et tenants de la technologie. Dans l’enseignement français, la hiérarchisation des savoirs, des disciplines et même des formes d’intelligences est omniprésente (…) », indique Claude Boichot, doyen honoraire du groupe sciences physiques et chimiques fondamentales et appliquées, inspecteur général de l’éducation nationale honoraire, à News Tank, le 31/01/2017. Interrogé sur les rapports entre science et technologie dans l’enseignement, il revient sur les évolutions des deux filières.

Le séminaire Think Technology, organisé par Ither Consult dans le cadre de Think Education le 07/02/2017 à Paris-Dauphine, doit dresser des pistes pour la formation et la recherche technologiques en France. En amont et afin de préparer les débats, News Tank réalise une série d’entretiens sur ces thématiques.

« Tout paradigme scientifique est associé à des périmètres de pouvoir (…). Les champs disciplinaires doivent être conçus, sans creuser des tranchées infranchissables (…). Le pluri-technique, pluri-technologique et le pluri-numérique, est consubstantiel de tout ce qui nous environne. Cela doit donc se refléter dans nos voies de formations. Il y a un gros travail de conception du nouveau rôle des disciplines à faire. Nous n’avons pas encore assez réfléchi à la pédagogie qu’il faudrait imaginer - même si certains ouvrent des voies nouvelles », déclare Claude Boichot.

« Il faut installer, dès la seconde, une confrontation entre des grands champs : humanités, sciences… qui contiennent tous les deux des facettes humaines, scientifiques, technologiques, économiques, etc, Il faut repenser le tronc commun de seconde, sans baisser l’exigence », propose-t-il.

Claude Boichot répond à News Tank

La filière technologique souffre t-elle d’un déficit d’image vis-à-vis de la science ? Ces deux voies sont-elles irréconciliables ?

Claude Boichot : Oui. Et pourtant, depuis 1997, le CADAS devenu l’Académie des technologies a tranché la question en affirmant que « la technologie est la science des techniques c’est-à-dire la maîtrise de leur devenir, tant par la connaissance des soubassements scientifiques qui les fondent, que par la connaissance de leur histoire et de leur insertion économique, sociale et culturelle dans la société ».

Dans l’enseignement français, la hiérarchisation des savoirs, des disciplines et même des formes d’intelligences est omniprésente. »

Au MIT Massachusetts Institute of Technology , dans la Silicon Valley, chez les start-upers inventeurs, les démarches technologiques et scientifiques fusionnent ou, au moins, se fertilisent. Dans l’enseignement français, la hiérarchisation des savoirs, des disciplines et même des formes d’intelligences est omniprésente - sans doute, héritée des représentations sociales attachée au rôle dévolu historiquement à l’enseignement technique. Or, il n’y a  plus de science sans technologie et plus de technologie sans science. La réalité n’est pas réductible à un modèle unique.

Tout paradigme scientifique est associé à des périmètres de pouvoir. »

Mais on constate qu’il y a toujours des tensions entre tenants de la science et tenants de la technologie : tout paradigme scientifique est associé à des périmètres de pouvoir. Dans les années 1960, la voie technologique a été construite dans le souci d’être plus proche de la sociologie de ceux qui y allaient y étudier. Dans le même temps s’installait un périmètre de pouvoir pour les disciplines scientifiques dans les structures de l’État. Peu à peu, la voie technologique est devenue une voie de remédiation, quand on avait échoué dans la voie générale, alors qu’il existe une technologie exigeante valorisante et noble, celle du MIT, par exemple.

A quoi est due cette distance ?

Elle est due à la partition historique entre les champs disciplinaires. Dans les années 1950, lors du passage de la France rurale vers la France manufacturière, mécanisée, la voie technique s’est développée. La technique - étymologiquement - est l’ensemble des pratiques qui vise la réalisation concrète d’une œuvre, au sens large - un mur, un toit, une photo ou un programme informatique. Des années 1950 à 1990, la technologie - la science des techniques - s’est développée au travers de nouvelles formations. Nous sommes dans une séquence pluritechnique et pluritechnologique.

La société est entrée dans une nouvelle étape, qu’il faut accompagner pédagogiquement : celle du nanométrique. »

En 1950, l’objet technique étudié était simple et il y avait peu d’interdisciplinarité. Aujourd’hui, les outils que nous utilisons et qui façonnent nos environnements sont complexes et pluritechniques. Il faut se mettre au diapason du monde. Une bicyclette est plus facile à étudier qu’un transistor, un drône ou un smartphone. La société est entrée dans une nouvelle étape, qu’il faut accompagner pédagogiquement : celle du nanométrique, du numérique, du systémique qui est un monde de la complexité et souvent de l’invisible. Dans cette ère de la technologie de l’infiniment petit et complexe, se rapprochent le paradigme scientifique et le paradigme technique.

Faut-il aller vers plus d’interdisciplinarité ?

J’ai porté les projets des TIPE (travaux d’initiative personnelle encadrés), en CPGE Classe préparatoire aux grandes écoles et des TPE (travaux personnels encadrés) au lycée, pour permettre aux élèves d’appréhender une approche pluridisciplinaire et j’ai surnommé l’acronyme : « tout pour enthousiasmer » mais aussi « tout pour enraciner les fondamentaux ».

Les champs disciplinaires doivent être conçus, sans creuser des tranchées infranchissables entre les champs, sans être fermés. »

Le retour aux fondamentaux est la clé cachée du dispositif et non un effacement des champs disciplinaires. Je pense qu’il faut maintenir les disciplines car, pour imaginer le pluridisciplinaire puis l’interdisciplinaire, il faut qu’il y ait des disciplines. Les champs disciplinaires doivent être conçus, sans creuser des tranchées infranchissables entre les champs, sans être fermés, sans niveler les différentes formes d’approches et sans hiérarchiser leur rôle : dans une chaine, tous les maillons sont aussi importants… Et l’échec d’un élément du système fera, en fait, l’échec du système tout entier !

Ce n’est pas à l’élève seul de construire ces liens, de contextualiser, c’est aux professeurs.
Et ce n’est pas à l’élève seul de construire ces liens, de contextualiser, c’est aux professeurs. La pluridisciplinarité puis l’interdisciplinarité sont obligatoires dans la formation des professeurs - notamment la formation continue.

Quel est le rôle du professeur ? Pourquoi les fondamentaux sont-ils centraux ?

La pédagogie, c’est l’art d’enseigner, l’art de donner du sens. Il faut améliorer les saveurs de nos discours pour les élèves et faire naître le plaisir de savoir.

Toute montée vers la connaissance nécessite des efforts et le rôle du maître est celui d’un premier de cordée qui n’abaisse pas les obstacles mais permet aux élèves de dépasser leurs limites. Les professeurs peuvent construire de l’interdisciplinarité parce qu’ils maitrisent les savoirs fondamentaux de leur discipline. Il faut acquérir des bases et des connaissances et savoir conceptualiser pour développer ensuite l’aptitude à les mettre en dynamique. La phase de stockage des données essentielles est comparable à celle de la répétition des gammes et elle ne doit pas éteindre la capacité à contextualiser, extrapoler, comparer, imaginer, créer en mettant en œuvre alors la mémoire vive.

L’effort du mûrissement d’une information en connaissance est premier ; or les élèves d’aujourd’hui sont informés de tout, mais hélas confondent une information avec une connaissance. Ils se jettent dans la mer des informations sans avoir appris à y nager ou surfer ! L’information n’est jamais une fin en soi et elle ne prend sens que dans le cadre d’une recherche problématisée où il est crucial de savoir poser les termes mêmes du questionnement avant toute investigation.

Ceux qui déplorent la baisse du nombre d’heures de telle ou telle discipline au lycée oublient qu’elle se fait au bénéfice d’autres disciplines. »

Je le répète : les savoirs fondamentaux sont indispensables, mais il ne faut pas se crisper dessus et défendre uniquement tel ou tel pré carré. Ceux qui déplorent la baisse du nombre d’heures de telle ou telle discipline au lycée oublient qu’elle se fait au bénéfice d’autres disciplines. Il faut cesser cette guerre des disciplines et entrer dans une approche ancrée sur l’excellence globale de la chaîne de formation où chacun apporte la meilleure contribution dans le souci de l’intérêt général.

Pourquoi et comment construire cette pluridisciplinarité ?

Nous n’avons pas encore assez réfléchi à la pédagogie qu’il faudrait imaginer même si certains ouvrent des voies nouvelles. »

Le pluri-technique, pluri-technologique et le pluri-numérique, est consubstantiel de tout ce qui nous environne désormais. Cela doit donc se refléter dans nos voies de formations. Mais nous n’avons pas encore assez réfléchi à la pédagogie qu’il faudrait imaginer même si certains ouvrent des voies nouvelles. Je pense que cette nouvelle pédagogie devrait faire sa place, sans monopole ou exclusive à une approche systémique qui part du complexe pour arriver au simple, qui part de l’objet pour arriver au fondamental et qui le renforce finalement et crée l’appétit pour la démarche inverse plus déductive.

La quasi-totalité des problèmes qui se posent à nos sociétés contemporaines et qui ne trouvent pas de solution simple ou unique sont des problèmes globaux et pour lesquels il faut commencer par repenser la façon de les poser - ce qui est la démarche clé d’un ingénieur. Ces problèmes impliquent tous le réel, le matériel, l’artificiel, le sociétal, qui ignorent superbement le disciplinaire.

Il y a un gros travail de conception du nouveau rôle des disciplines à faire - et elles resteront des disciplines aussi longtemps que le monde sera monde. »

Il y a un gros travail de conception du nouveau rôle des disciplines à faire - et elles resteront des disciplines aussi longtemps que le monde sera monde. Nous ne devons pas craindre leur disparition car tout ne relève pas d’une analyse a priori globale. L’époque nouvelle nous interroge. J’appelle à un diagnostic des conséquences de la bascule dans le monde numérique. Une évolution qu’on n’a pas mesurée car elle a été trop rapide.

Comment faudrait-il aborder les disciplines scientifiques et technologiques ?

L’enseignement au collège et en seconde doit préserver la plasticité, la curiosité naturelle de l’élève. Sans oublier que, lorsque l’on étudie la science, il faut à chaque fois encaisser des ruptures avec le sens commun ou le bon sens. Il faut garder l’adhésion des élèves si nous voulons qu’ils continuent à faire des sciences, en conservant une dimension humaine. Le présentiel est essentiel, sinon, on va à la catastrophe.

Il faut installer, dès la seconde, une confrontation entre des grands champs : humanités, sciences. »

Il faut installer, dès la seconde, une confrontation entre des grands champs : humanités, sciences… qui contiennent tous les deux des facettes humaines, scientifiques, technologiques, économiques,  etc, Il faut repenser le tronc commun de seconde, sans baisser l’exigence et en ayant, par exemple, des professeurs de technologie capables de faire des mathématiques et des profs de mathématiques capables d’être connectés à la réalité technologique et sociale.

Dès la 2nde, la 1e et la terminale, il faut donner l’appétence pour les sciences et la technologie et présenter les différents types de parcours en qualifiant chacun d’entre eux par des qualités et aptitudes précises dans lesquelles les élèves peuvent se projeter.

Les technologies qui explosent doivent être intégrées au cursus dès la classe de seconde. »

En fait, il faut repenser la voie « sciences » qui contient, au 21e siècle, les sciences installées et celles qui émergent. Les technologies qui explosent doivent être intégrées au cursus dès la classe de seconde : intégrer ne signifie pas juxtaposer ou remplacer et l’intégration doit être pensée comme mise en synergie. Ainsi, si les mathématiques avec leur prodigieuse aptitude de langage utile à la compréhension du monde sont présentes partout, elles ne structurent pas pour autant ces disciplines et restent bien impuissantes dans un très grand nombre de domaines.

On peut imaginer, au moins en transition :

  • des parcours scientifiques, dans la voie générale mais qui comprendraient tous, dès la seconde, une part d’enseignement technologique ;
  • des parcours technologiques adaptés au cheminement du faire vers le comprendre plus inductifs mais dont l’ambition finale reste la même que celle de la voie générale : on ne repasse pas de la voie technologique à la voie générale pour s’anoblir (idem pour le passage voie professionnelle vers voie technologique)…

Comment faire, concrètement, pour améliorer le continuum bac-3/+3 ?

Le slogan bac-3/bac+3 est une invention pour piéger les formations sélectives en deux ans. »

Le slogan bac-3/bac+3 est une invention pour piéger les formations sélectives en deux ans et il est contraire aux attendus de l’harmonisation européenne qui a installé le schéma LMD Licence Master Doctorat .

Ce schéma efface les durées de formation au profit des contenus de celles-ci, attestées dans le supplément au diplôme ou dans les attestations descriptives des parcours. Ainsi, en deux ans, certaines formations amènent les étudiants à une maîtrise de contenus équivalents à 180 ECTS European Credits Transfer System (pourtant limités à 120) et correspondant à 3 600 heures de travail présentiel ou personnel. Le problème est mal posé mais respecte les périmètres de pouvoir hérités de l’Histoire.

Les filières sélectives en lycée sont animées par des agrégés docteurs, en CPGE et par des diplômés ingénieurs, dans certains BTS. Cet exemple est à généraliser. »

Les filières sélectives en lycée sont animées par des agrégés docteurs, en CPGE et par des diplômés ingénieurs, dans certains BTS. Cet exemple est à généraliser dans toutes les formations du segment lycée - licence pour installer une parité entre recherche et enseignement. Cette mise en synergie est en marche et on doit lever les freins administratifs ou statutaires hérités d’un autre âge.

Comment faudrait-il structurer l’ESR pour la voie technologique ?

Si les différentes voies de formation sont conçues comme des parallèles elles se rejoignent mais… à l’infini. En réalité, la voie dite des Sciences au sens STEM (Sciences Technology Engenierie Mathématics) doit exister dès le lycée avec un tronc commun large et des mineures non déterminantes au sens de l’orientation.

Dans les formations « sciences pour l’ingénieur », on réalise la synergie sciences et technologies. »

Dans le supérieur, et en dehors des IUT, la voie technologique est, en fait, la voie "sciences pour l’ingénieur, qui efface la référence technologique. Dans les formations SPI, on réalise la synergie sciences (y compris évidemment les mathématiques) et technologies.

Que peuvent faire les IUT pour défendre leur position ? Comment les rendre plus attractifs ? Y a-t-il une différence entre les universités, les IUT et les écoles d’ingénieurs, concernant la voie technologique ?

Le lien des IUT aux domaines universitaires est un atout qu’il faut dynamiser. »

Défendre une position : la réponse est non ! Mais affirmer et optimiser leurs missions fixées par l’intérêt général dans une organisation de service public, je suis pour. Les IUT sont parties intégrantes des universités et leurs spécificités doivent être valorisées et respectées. Le lien des IUT aux domaines universitaires est un atout qu’il faut dynamiser et la mise en place de licences technologiques ou d’autres formations doit être amplifiée.

La hiérarchisation stérile des voies de formation les plus aisées, les plus ouvertes, les plus en vogue, etc, doit cesser car elle privilégie les initiés qui croient que le principal est de trouver la voie, le lycée, la CPGE, le BTS ou l’IUT le plus prestigieux et qu’ensuite le succès se fera mécaniquement via ces ascenseurs. Mais c’est faux. Tout est en fait à la charge de celui qui fait le parcours vers sa propre excellence.

Chacune des voies de formation a des objectifs spécifiques et ils sont équirespectables. »

Chacune des voies de formation a des objectifs spécifiques et ils sont équirespectables. Cette notion doit s’appliquer à toutes les formations à tous les stades de la formation scolaire, universitaire, etc. 

C’est l’intérêt général qui doit aider à fixer le cap. Les périmètres, les baronnies, les citadelles doivent toutes s’effacer devant l’intérêt général. Vaste programme ! Toutes les situations où l’intelligence humaine intervient sont en perpétuel devenir.

Claude Boichot


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Parcours

Région Île-de-France (Conseil régional d’Île-de-France)
Chargé de mission « Politique régionale des réussites éducatives »
Mines Paris - PSL
Expert « Egalite des chances »
ESCP Business School (ESCP)
Conseiller auprès du directeur
Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche
Chargé d’une mission sur l’Egalité des chances, l’ouverture sociale des CPGE, les Cordées de la réussite et les internats.
Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche
Conseiller « Formation Orientation Insertion » auprès de Valérie Pécresse

Fiche n° 21048, créée le 25/01/2017 à 11:29 - MàJ le 05/02/2017 à 00:33


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