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« Pas de politique ambitieuse de la donnée numérique sans réorganisation des opérateurs » (JP Finance)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Analyse n°112454 - Publié le
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« Le système national d’appui au numérique dans l’ESR doit rapidement évoluer pour réellement intégrer la transversalité du numérique et de ses données : il est urgent d’opérer un véritable remembrement ! », écrit Jean-Pierre Finance, dans une chronique pour News Tank, le 07/02/2018.

Abes Agence bibliographique pour l’enseignement supérieur , Inist-CNRS, HAL, Couperin, Collex-Persée, Amue Agence de mutualisation des universités et des établissements d’enseignement supérieur ou de recherche et de support à l’enseignement supérieur ou à la recherche , Renater, Genci Grand équipement national de calcul intensif , Fun-Mooc… Jean-Pierre Fnance dresse le panorama des acteurs français du numérique. S’il reconnaît que le Mesri a pris la mesure de la révolution numérique en créant notamment le « comité d’orientation du numérique », il estime que « la dispersion des structures support présente beaucoup d’inconvénients ».

Jean-Pierre Finance pointe des « zones de flou » : « Par exemple, qui est en charge de la question des data centers et du Cloud : Renater ou Genci ? Qui est en charge de fournir un logiciel de gestion de bibliothèque : l’Amue ou l’Abes ? Pourquoi HAL ne s’est t-il pas implanté au sein de l’Inist Institut de l’Information Scientifique et Technique du CNRS  ? »

Or, avance-t-il, « un système plus intégré n’est pas une utopie. Il suffit en effet de regarder de l’autre côté de la Manche pour trouver une organisation nationale transversale qui fonctionne et dont l’efficacité est reconnue internationalement : au travers de ses différents départements le JISC britannique regroupe en effet les fonctions de négociation avec les éditeurs, de promotion de la science ouverte, de support aux établissements, d’infrastructure réseau, etc. »

Jean-Pierre Finance est président du groupe d’experts sur l’open science de l’EUA European University Association , président de Couperin, président honoraire de l’Université Henri Poincaré (Université de Lorraine) et ancien président de la CPU Conférence des présidents d’université . Pour News Tank, il propose des analyses sur l’IST Information scientifique et technique , les enjeux de l’open science, la gouvernance universitaire.


Données publiques : l’ESR doit se mobiliser  

Si la loi « pour une république numérique » promulguée le 07/10/2016 [1] marque une avancée incontestable en matière de gestion et de mise à disposition de la société des données publiques notamment administratives, sa mise en œuvre dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) nécessite une mobilisation des acteurs beaucoup plus massive qu’elle ne l’est aujourd’hui :

  • C’est le cas des chercheurs qui sont encore trop réticents à déposer leurs publications dans une archive ouverte. L’ouverture des données de la recherche reste encore modeste dans un grand nombre de domaines scientifiques et le développement d’outils de fouille de données demeure une pratique cantonnée à des spécialistes.
  • C’est le cas des enseignants en matière d’utilisation de cours en ligne ou de développement de nouvelles méthodes pédagogiques s’appuyant sur les possibilités offertes par le numérique (simulation, travail collaboratif, individualisation de la formation) et parfois craintifs devant la « dextérité numérique » de leurs étudiants.
  • C’est le cas à l’échelle des établissements qui, bien que de plus en plus nombreux à intégrer un volet numérique ambitieux dans leur projet stratégique,  restent souvent démunis face à la nécessité d’une réelle homogénéité dans un système d’information global couvrant les différentes activités (formation, recherche, gestion, valorisation) et n’ont pas tous une politique volontariste en matière de rénovation de la pédagogie ou d’ouverture des résultats de la recherche (publications et données).           

Une révolution prise en compte par le Mesri mais un dispositif national complexe 

À l’échelle nationale, il est incontestable que la « révolution numérique » est prise en compte par le Mesri lorsqu’il crée, en 2014, un « comité d’orientation du numérique », le Codornum Comité d’orientation du numérique [2], lorsqu’il nomme en 2015 un conseiller stratégique pour le numérique auprès de la Dgesip, en 2017 un conseiller science ouverte et qu’il crée un comité science ouverte, le Coso Comité pour la science ouverte , présidé par le DGRI Directeur/rice général(e) de la recherche et de l’innovation ou qu’il négocie un plan de soutien à l’édition scientifique française.

Il n’en reste pas moins que l’ensemble du dispositif national est complexe et pourrait gagner en efficacité.

L’ambition initiale du Codornum n’est pas atteinte

Ce sont la plupart du temps des spécialistes du numérique qui y siègent, avec une capacité de décision politique plus réduite. »

En effet, même si le Codornum, coprésidé par le DGRI Directeur/rice général(e) de la recherche et de l’innovation et la Dgesip Directeur/rice général(e) de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle , permet de développer des analyses et de définir des choix politiques croisés autour de quatre grands piliers (systèmes d’information,  infrastructures numériques, science ouverte, formation), il faut bien constater que son ambition initiale de regrouper autour de ces problématiques majeures les responsables d’institutions n’est pas atteinte, car ce sont la plupart du temps des spécialistes du numérique qui y siègent, avec une capacité de décision politique évidemment plus réduite.

Or des questions majeures doivent être traitées rapidement comme, par exemple, l’interopérabilité des systèmes d’information entre différentes institutions partenaires, la mise à disposition de toute la communauté d’infrastructures de stockage (drive, data center, cloud) qui soient efficaces et sécurisées ou encore une stratégie nationale en matière de publications scientifiques.

De plus, même si la difficulté d’impliquer collectivement et au plus haut niveau les décideurs de l’ESR dans la prise de décisions politiques reste un frein, l’un des handicaps majeurs du système national français en matière de numérique provient de l’émiettement des opérateurs nationaux en multiples structures.  

Les principaux opérateurs nationaux en matière de numérique

  • L'Abes Agence bibliographique pour l’enseignement supérieur [3], basée à Montpellier, a été créée en 1994 avec pour mission de rationaliser et d’unifier l’activité de catalogage partagé par les bibliothécaires des établissements d’enseignement supérieur (universités et écoles) en normalisant les métadonnées et en créant un catalogue collectif national (le Sudoc Système universitaire de documentation ).

Cette mission se déroule en lien et en toute complémentarité avec la Bibliothèque nationale de France quant à sa fonction de catalogage des ouvrages français au titre du dépôt légal.

Depuis sa création, les besoins de catalogage se sont diversifiés et complexifiés avec l’émergence des ressources électroniques. D’autres sources catalographiques ont émergé, associées à des outils - les discovery tools -  se fournissant auprès des éditeurs.

Ainsi l’activité de l’Abes a également évolué puisqu’à côté de cette fonction de gestion d’un entrepôt national de métadonnées, elle joue un rôle d’instance de mutualisation au service du renouvellement des systèmes de gestion des bibliothèques des établissements, elle gère le catalogue national des thèses et porte juridiquement et financièrement des groupements de commandes pour le compte d’établissements en association avec le consortium Couperin.org.

  • L'Inist Institut de l’Information Scientifique et Technique du CNRS  [4], implanté à Nancy, est une unité propre de service du CNRS créée en 1988 avec pour mission de fournir aux chercheurs un accès rapide aux publications nationales et internationales, d’offrir un service de fourniture de documents à distance ouvert aussi au monde socio-économique, de produire des bases de données bibliographiques (principalement Pascal et Francis).

Il est bien clair que la mission originelle n’a pas survécu à la vague numérique ce qui a conduit à plusieurs années d’errance et à des réductions successives de personnel. Aujourd’hui l’Inist a diversifié ses activités au service des chercheurs, abandonné la fourniture de documents à distance et la production de bases bibliographiques. Il joue un rôle national majeur en développant et gérant les plateformes d’accès aux acquisitions nationales Istex et Panist, et en s’engageant dans la création d’une plateforme pour les données de la recherche (Opidor Optimisation du partage et de l’interopérabilité des données de la recherche ).

  • HAL [5], hyper articles en ligne est l’archive ouverte nationale française.

Créée à Lyon comme unité propre du CNRS en 2001, elle est devenue aujourd’hui une unité mixte de service, associant dans son pilotage Inria et l’Université de Lyon. La mission principale de HAL est d’accueillir les publications et/ou les métadonnées de publication française et de les rendre ainsi accessibles à l’ensemble de la communauté scientifique mondiale. De plus en plus d’établissements ont développé leur propre archive institutionnelle en s’appuyant sur HAL.

  • Couperin [6], créé en 1999 sous statut associatif par un groupe d’universités souhaitant une démarche commune dans les négociations avec les éditeurs.

Fort de ses 265 membres, le consortium [dont Jean-Pierre Finance est le président] regroupe aujourd’hui la quasi-totalité des institutions publiques et privées de l’ESR. Il assure chaque année plus d’une centaine de négociations et est sur le devant de la scène à l’occasion de négociations majeures comme celles qu’il conduit avec les multinationales de l’édition. Le consortium assure un rôle de promotion de l’open access et de l’open science, en tant que partenaire français de projets européens (OpenAIRE).

D’autres outils en matière d'IST Information scientifique et technique

À côté de ces quatre instruments majeurs en matière de communication scientifique d’autres outils publics ont été développés comme, par exemple, la plateforme Persée [7], unité mixte de service associant le CNRS, l’université de Lyon et l’ENS de Lyon, présentant en accès ouvert plus de 730 000 documents  principalement des revues dans le domaine des sciences humaines et des sciences sociales ou encore comme le tout récent GIS Groupement d’intérêt scientifique Collex [10], qui s’associe à Persée pour valoriser et développer des collections documentaires d’excellence et soutenir des projets associant étroitement recherche et collections

 Au-delà de l’IST, le paysage français du numérique « académique » comprend d’autres opérateurs nationaux très actifs

  • Renater [9], réseau national de la recherche, créé en 1992, développe et gère les « autoroutes numériques » qui relient les différents réseaux informatiques régionaux en garantissant d’excellentes performances en matière de débit, de fiabilité et de sécurité. Au-delà de la mission de base qui nécessite une actualisation quasi permanente du réseau en fonction de l’augmentation rapide de besoins et d’évolutions de la technologie, Renater propose des services applicatifs comme la visioconférence ou un système de messagerie adapté à l’ESR. La possibilité offerte à des chercheurs de s’appuyer sur Renater  pour réaliser des expériences scientifiques est un point fort et une originalité de ce réseau [10].
  • Genci Grand équipement national de calcul intensif [10], société civile créée en 2007 pour coordonner les moyens de trois centres de calculs publics nationaux : le très grand centre de calcul du CEA, le centre de calcul du CNRS Idris, et le Cines Centre informatique national de l’enseignement supérieur qui est le centre de calcul de l’enseignement supérieur avec également une mission d’archivage pérenne. Par sa mission de coordination, Genci permet l’accès aux outils de calcul intensif à l’ensemble de la communauté scientifique française.
  • Amue Agence de mutualisation des universités et des établissements d’enseignement supérieur ou de recherche et de support à l’enseignement supérieur ou à la recherche [11], est un GIP créé en 1997 pour développer dans une démarche de mutualisation des outils logiciels nécessaires à la gestion des activités et à l’aide au pilotage des institutions de l’ESR. Très rapidement l’Amue s’est également engagée dans la formation des personnels de ces institutions,  puis plus généralement dans l’appui à la conduite du changement.
  • FUN France Université Numérique [12]  est une plateforme  créée en 2013 qui permet d’accéder à un ensemble de plus en plus conséquent de cours en ligne réalisés principalement dans des établissements de l’ESR. Elle est gérée par le GIP Groupement d’intérêt public FUN-Mooc regroupant majoritairement des d’établissement d’enseignement supérieur, l’ensemble des UNT[16] ainsi que des organismes de recherche et quelques autres institutions publiques.

 Morcellement et zones de flou

Cette liste non exhaustive des structures nationales dédiées aux différentes facettes du développement du numérique dans le domaine de l’ESR en France donne une idée de la richesse et de la qualité incontestable des dispositifs nationaux qui, ensemble, regroupent plus de 800 ingénieurs, techniciens et personnels administratifs hautement spécialisés au service de l’ESR.

Elle montre également la conjonction des volontés pour couvrir l’ensemble des attentes en matière de numérique dans tous les aspects de l’ESR.

Mais elle interpelle également quant à son efficience tant sont grands les morcellements entre les fonctions assurées, les zones de flou aux frontières des responsabilités de chacun, la diversité des systèmes décisionnels et la multiplicité des statuts juridiques (EPA établissement public administratif , GIP Groupement d’intérêt public , société civile, association loi 1901, unité mixte de service…).

Une démarche ascendante

Cette balkanisation des opérateurs du numérique n’est pas vraiment étonnante puisque ce paysage s’est construit progressivement  de manière ascendante selon une démarche très classique dans notre pays : lorsqu’une nouvelle fonction à assurer émerge, la tendance est le plus souvent de créer une nouvelle structure ad hoc plutôt que de se demander s’il n’est pas préférable de modifier une institution existante en étendant son champ de compétence.

Cette démarche n’est pas récente, il suffit par exemple de se souvenir de la décision de François 1er en 1530 lorsqu’il créa le Collège de France (alors Collège Royal) pour enseigner des disciplines que l’université de Paris ignorait [15], c’est ce qui a conduit au 19e siècle à la création des grandes écoles face à l’inadéquation des facultés d’alors, puis au 20e siècle à  la création des organismes de recherche pour faire face aux défis scientifiques que les facultés et grandes écoles ne pouvaient seules relever.

La dispersion des structures support présente beaucoup d’inconvénients

  • Consubstantiellement, le numérique ne connaît pas de frontière, et une donnée numérique peut être utilisée dans différentes applications.
Des frontières artificielles »

Comment dès lors distinguer une donnée dédiée à la formation de la même donnée dédiée à la recherche ou à la gestion ? Ainsi, la balkanisation de notre organisation nationale introduit des frontières artificielles et mal définies en termes de fonctionnalité qui vont à l’encontre de la philosophie même du numérique.

Par exemple, qui est en charge de la question des data centers et du Cloud : Renater ou Genci ? Qui est en charge de fournir un logiciel de gestion de bibliothèque : l’Amue ou l’Abes ? Pourquoi HAL ne s’est-il pas implanté au sein de l’Inist ?

  • L’existence de multiples structures avec bien souvent les mêmes parties prenantes est très chronophage, notamment en matière de coordination.

Ceci est particulièrement vrai pour l’IST, mais c’est aussi le cas en matière d’infrastructures ou de développement de systèmes d’information.

Par essence même, les opérateurs nationaux sont au service des institutions d’enseignement supérieur et/ou de recherche autonomes, mais la complexité du paysage national ne facilite pas toujours l’identification par le « client » du bon interlocuteur pour un sujet donné. 

  • Certains de ces opérateurs étant au service de tout le système éducatif national, il serait nécessaire de renforcer la coordination au plus haut niveau.
  • De plus aucune plate-forme de rencontre de l’ensemble de ces opérateurs n’existe actuellement, ce qui réduit leurs interaction à des échanges bilatéraux, le plus souvent consacrés à des sujets conjoncturels.
  • Enfin, ne parlons pas des surcoûts inhérents à une organisation perfectible ni des querelles de territoires qui peuvent surgir entre les  responsables ou les personnels de différentes structures.

 Le système doit rapidement évoluer

il est urgent d’opérer un véritable remembrement ! »

Ainsi, malgré la volonté du ministère de rationaliser l’organisation politique de la dimension numérique au travers du Codornum et des comités spécialisés qu’il regroupe, malgré la qualité intrinsèque de chaque opérateur dans son champ propre, le système national d’appui au numérique dans l’ESR doit rapidement évoluer pour réellement intégrer la transversalité du numérique et de ses données : il est urgent d’opérer un véritable remembrement !

Un système plus intégré n’est pas une utopie. Il suffit en effet de regarder de l’autre côté de la Manche pour trouver une organisation nationale transversale qui fonctionne et dont l’efficacité est reconnue internationalement : au travers de ses différents départements le JISC [16] britannique regroupe en effet les fonctions de négociation avec les éditeurs, de promotion de la science ouverte, de support aux établissements, d’infrastructure réseau, etc.

À quand donc un JISC français ? Nous disposons de tous les ingrédients, il faut « seulement » les regrouper et les réorganiser en départements d’un grand ensemble, en prenant soin de définir de manière évolutive les complémentarités et les interactions.  

Certes le chemin pour y parvenir risque d’être long et le temps est compté. Raison de plus pour commencer maintenant.

Jean-Pierre Finance


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Parcours

European University Association (EUA)
Président du groupe d’experts sur l’open science
Renater
Président
Couperin
Président
France Universités
Délégué permanent à Bruxelles
Université Henri Poincaré nancy 1
Président
Université Henri Poincaré Nancy 1
Président

Fiche n° 3679, créée le 07/05/2014 à 07:27 - MàJ le 13/10/2021 à 09:16


[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do ?cidTexte=JORFTEXT000033202746&categorieLien=id

[2] http://www.sup-numerique.gouv.fr/pid33268-cid115760/le-codornum.html

[3] http://www.abes.fr/

[4] http://www.inist.fr/

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Hyper_articles_en_ligne

[6] http://www.couperin.org/

[7] http://www.persee.fr/

[8] http://www.collex.eu/

[9] https://www.renater.fr/

[10] https://www.renater.fr/lancement-du-projet-europeen-clonets

[11] http://www.genci.fr/fr/content/calculateurs-et-centres-de-calcul

[12] http://www.amue.fr/

[13] https://fr.wikipedia.org/wiki/France_universit %C3 %A9_num %C3 %A9rique#Mod %C3 %A8le_ %C3 %A9conomique

[14] UNT : 8 Réseaux d’établissements produisant des contenus numériques pédagogiques dans différents domaines : droit, sciences : http://eduscol.education.fr/numerique/tout-le-numerique/veille-education-numerique/archives/2016/septembre-2016/les-universites-thematiques-numeriques

[15] https://fr.wikipedia.org/wiki/Coll %C3 %A8ge_de_France#Cr %C3 %A9ation_des_lecteurs_royaux_puis_professeurs_royaux

[16] https://www.jisc.ac.uk/