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Universités-ONR : « Les acteurs ont ce qu’il faut » ; à Lille, bilan et perspectives de S. Retailleau

News Tank Éducation & Recherche - Lille - Actualité n°348024 - Publié le
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©  Université de Lille
Carine Bernault, Philippe Mauguin, Sylvie Retailleau, François Germinet - ©  Université de Lille

« Les choses ont été posées. Si les acteurs veulent se prendre en main, ils ont ce qu’il faut, sauf contre-ordre d’un futur ministre. Nous avons donné la légitimité aux universités d’être cheffes de file. Ce n’est pas le moment de se demander si on doit supprimer les organismes nationaux de recherche. La question est plutôt de savoir comment chacun doit se positionner pour être efficace au niveau national et européen. Nous devons travailler en équipe de France », déclare Sylvie Retailleau Membre du conseil de surveillance @ Institut Curie • Professeure des universités @ Université Paris-Saclay (EPE)
, ancienne ministre de l’ESR Enseignement supérieur et recherche , aujourd’hui professeure à l’Université Paris-Saclay, le 10/12/2024. Elle s’exprime lors de la table ronde finale de la journée d’étude de l’association L’Initiative, consacrée à l’avenir des I-site Initiative-Science-Innovation-Territoire-Economie à l’horizon 2050.

Sylvie Retailleau remet en perspective les chantiers lancés pendant son mandat (2022-2024) et trace des perspectives.

« L’université est le point commun entre les laboratoires et les organismes comme le CNRS Centre national de la recherche scientifique , l’Inrae Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement ou l’Inserm Institut national de la santé et de la recherche médicale . Elle est donc la mieux placée pour organiser le dialogue entre les acteurs et piloter les stratégies », dit celle qui a présidé l’Université Paris-Saclay. Concrètement, elle appelle l’université à « dire aux ONR Organismes nationaux de recherche que, désormais, elle prend la main sur les dialogues de gestion. Ces dialogues doivent avoir lieu régulièrement, par exemple tous les deux ans, pour mieux suivre l’évolution des laboratoires ».

Les contrats entre l’État et les établissements doivent aussi évoluer, selon elle.

Elle estime qu’il faut « absolument continuer la mise en œuvre de la LPR Loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur  », notamment dans sa deuxième phase, « qui doit être négociée en tenant compte de l’évolution des acteurs ». Et d’ajouter : « Tout est posé, allez-y. Les acteurs peuvent demander des contrats différents, demander une organisation un peu différente avec les ONR.  »


La vision de Sylvie Retailleau pour l’ESR

L’évolution des contrats avec l’État : une seule discussion avec tous les acteurs

Sylvie Retailleau - ©  Université de Lille
« Nous avons proposé un modèle où ces contrats, qu’ils soient de cinq ans ou de sept ans, doivent être basés sur une évaluation pertinente, claire et concise. Une fois cette évaluation réalisée, le contrat inclut des volets spécifiques pour chaque partenaire. Par exemple, l’université ne signe pas une convention avec le CNRS une année, puis avec l’Inrae ou l'Inria Institut national de recherche en informatique et en automatique deux ans plus tard, etc.

Lorsqu’on discute avec l’État, il faut que tous les acteurs soient réunis autour de la table, et que chacun ait un volet spécifique dans le contrat.

Dans ce volet, les ONR doivent s’engager sur des priorités discutées ensemble, qu’il s’agisse de moyens, de thématiques ou de postes. »

Le rôle de chef de file territorial des universités

« L’État doit accompagner les universités pour leur offrir une visibilité pluriannuelle. Cette visibilité ne peut pas être assurée acteur par acteur, car sur un territoire, il s’agit toujours d’une dynamique multiacteurs. Elle se donne de manière coordonnée. C’est ce que j’appelle le rôle de chef de file des universités.

C’est la même chose dans le secteur de la santé : il est indispensable de raccorder les CHU Centre hospitalier universitaire avec les problématiques de santé des territoires.

Cela illustre bien l’importance de l’université en tant que moteur de la stratégie territoriale.

Désormais, pour moi, il suffit que l’université décide d’y aller. Il faut le proposer. »

La place des ONR avec les agences de programmes

« Nous avons besoin des ONR », dit Sylvie Retailleau. Elle souligne l’importance de la création des agences de programmes sous son mandat, qui « existent partout dans le monde » et ont remplacé les alliances préexistantes. Ces nouvelles agences de programmes « ont été légitimées par des signatures interministérielles et par les acteurs eux-mêmes ».

Ces deux niveaux (université cheffe de file et agences de programmes) « permettent de coexister », assure l’ancienne ministre. « Ils sont tous les deux opérateurs de recherche. Les uns apportent une vision nationale élargie grâce aux agences de programmes, tandis que les autres (les universités) assurent une cohérence sur le territoire.

Ces deux niveaux permettent de renforcer la montée en compétences par l’autonomie, que je vois comme un outil. »

Le regard des autres acteurs sur les évolutions en cours

C’est un « système » (Carine Bernault Présidente @ Nantes Université (EPE)
)

Carine Bernault - ©  Université de Lille
Réagissant au propos de Sylvie Retailleau, Carine Bernault, présidente de Nantes Université et de L’Initiative, souligne que les différents éléments exposés forment « un système ».

« Ce n’est pas juste des éléments isolés, comme les chefs de file, l’autonomie ou les agences de programmes. On a souvent l’impression qu’il s’agit de briques différentes, mais, en réalité, c’est bien un système cohérent qu’il faut penser. C’est là que réside le point essentiel : reconstruire une vision d’ensemble, car c’est ce dont nous avons besoin. »

Elle insiste néanmoins sur la nécessité d’une visibilité sur les moyens pour pouvoir avancer. « C’est un élément important et c’est l’inconnue principale, alors qu’il s’agit d’assurer nos missions premières. »

« Une avancée significative » (P. Mauguin)

Philippe Mauguin - ©  Université de Lille
« Le rôle de chef de file des universités constitue une avancée récente, notamment sur le continuum recherche, innovation et formation dans les territoires. C’est l’université qui donne les impulsions, anime, et regroupe les organismes nationaux de recherche ainsi que les écoles », dit Philippe Mauguin P-DG @ Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae)
, P-DG Direction générale d’Inrae.

Il salue aussi la mise en place des agences de programmes, dont le pilotage est confié aux ONR.

« Cette démarche, initialement perçue avec une certaine méfiance par certains — craignant que les grands ONR ne cherchent à monopoliser les bénéfices — semble, pour l’instant, bien fonctionner. J’espère que cela continuera. »

Il illustre le bon fonctionnement actuel :

  • Sur les dix programmes prioritaires de recherche pilotés par Inrae, on compte 80 partenaires impliqués.
  • Les universités (31) représentent la majorité des bénéficiaires des PEPR Programmes et équipements prioritaires de recherche , avant les écoles et les ONR en termes de proportion.

« Nous essayons d’assumer pleinement cette mission d’animation et de leadership national sur les stratégies et grands enjeux de recherche technologique, et nous continuerons à le faire, particulièrement au niveau des territoires. »

« Un double niveau qui a été pensé » (François Germinet Directeur du pôle Connaissances @ Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) • Professeur des universités en mathématiques @ CY Cergy Paris Université
)

François Germinet - ©  Université de Lille
François Germinet dirige le pôle connaissances du SGPI Secrétaire général pour l’investissement (12 Md€ sur les 54 Md de France 2030). « Dès le départ, ce double niveau, dont parlait Sylvie Retailleau, a été pensé : le niveau stratégique de l’État et le déploiement sur le terrain », prolonge-t-il.

Sur ces 12 Md€ de France 2030 dédiés à l’ESR, « environ 4 Md€ sont dédiés aux organismes nationaux de recherche. Mais quand on dit que ces fonds sont pour les ONR, ils passent en réalité par les unités mixtes de recherche et se dirigent essentiellement vers les universités qui les hébergent ».

« Cela montre bien que nous avons un pilotage basé sur de grandes stratégies et des objectifs définis par l’État. Cela a abouti sous l’impulsion de Sylvie Retailleau aux agences de programmes. »

François Germinet exprime ses attentes envers les ONR. « Nous voulons qu’ils ne soient pas seulement des opérateurs de recherche, mais deviennent de véritables acteurs de stratégie au service de l’État. Cela implique de travailler sur des enjeux prospectifs pour éclairer l’État, notamment à travers des benchmarks internationaux. Il s’agit aussi d’oser prendre des risques, comme avec les programmes de recherche à risque. »

Ensuite les ONR doivent, en aval, « travailler le transfert de technologie » :

  • « Cela ne doit plus se faire de manière bottom-up en attendant ce qui peut remonter des Satt Sociétés d’accélération du transfert de technologies ou PUI Pôle universitaire d’innovation . Ils doivent identifier les technologies clés à maîtriser. Par exemple, si nous ne maîtrisons pas le laser ou l’électronique, nous risquons de manquer des étapes cruciales dans le développement d’ordinateurs quantiques ou d’autres technologies stratégiques.
  • Il faut donc adopter une vision stratégique de A à Z, nationale, y compris du transfert technologique. »

Mais pour y parvenir, « rien de tout cela ne se construit depuis le siège du CNRS ou des ONR », dit François Germinet.

« Tout part du terrain, des laboratoires et des universités. C’est pourquoi il est essentiel de continuer à renforcer le rôle de chef de file des universités. Il faut que les financements passent par une vision organisée du territoire. Nous le faisons avec des outils comme les PUI et on peut continuer avec les Satt. »

Les chantiers à ouvrir pour aller plus loin

« Programmer les recrutements ensemble » (P. Mauguin)

« Concernant les UMR Unité mixte de recherche , il faudrait que nous puissions programmer ensemble les recrutements, et c’est là où nous n’avons pas encore réussi. La raison est que personne n’a de visibilité budgétaire. La LPR et les CPER Contrat de plan État-région nous ont donné un début de visibilité, mais nous ne savons pas si nous allons la garder.

Si l’on veut passer un message aux politiques en France et en recherche : ne sacrifions pas l’avenir à la dictature du court terme. Si on nous donne de la visibilité budgétaire et qu’on nous demande de programmer ensemble des recrutements, nous le ferons », déclare Philippe Mauguion, P-DG Président(e)-directeur(rice) général(e) d’Inrae.

Vers un statut unique ?

« Nous n’arrivons pas à harmoniser tous les statuts. Nous n’avons pas la main sur les carrières de tous les personnels, même si nous les payons. Cela reste un frein. Les chaires de professeur junior ont permis quelques avancées, mais cela reste limité », lance François Germinet, ancien président de CY Cergy Paris Université.

« Certains organismes de recherche essaient d’ouvrir des postes de chercheurs avec un peu d’enseignement, pour développer des profils mixtes et harmonisés, mais, tant que nous n’avons pas la main sur les ressources humaines et les carrières, nous restons bloqués. »

Pour Sylvie Retailleau, il est effectivement temps de rediscuter des statuts. « Commençons par confier, j’y étais prête on l’avait discuté, les carrières et les postes au niveau de chaque opérateur. Les statuts des personnels chercheurs et E-C enseignant(s)-chercheur(s) doivent être discutés des deux côtés. »

« Aujourd’hui, je crois que nous sommes à peu près le seul pays au monde à fonctionner avec les 192 heures devant les étudiants, alors que l’on sait toutes les missions qu’un enseignant-chercheur doit remplir : formation, apprentissage, international, etc. Ce n’est plus cohérent.

Cela ne reflète plus la réalité des missions qu’un enseignant-chercheur accomplit. Je pense donc qu’il faut engager une discussion sur la reconnaissance de l’ensemble des missions qui sont effectuées aujourd’hui. »

Sylvie Retailleau estime que cette réflexion pourrait mener à un statut unique pour les personnels, géré par les deux employeurs (universités et ONR), « mais adapté à la diversité des compétences et des missions de chacun ».

« Ce statut devra être obligatoirement être un statut modulé ; car les métiers diffèrent énormément entre recherche, innovation, formation et international. »

« Ce processus est compliqué : il ne s’agit pas de le formaliser dans un tableau Excel ou des règles fixes. Il faut prendre en compte la nécessité d’équité entre les collègues », prévient Sylvie Retailleau.

« Cela se travaille, cela ne doit pas aller trop vite. Nous avons déjà évolué de manière positive, comme cela a été souligné aujourd’hui. Il ne faut pas faire la révolution. »

Idex Initiative(s) d’excellence et I-site pourraient être des « premiers de cordée » (J-M Rapp)

Jean-Marc Rapp - ©  Université de Lille
Le Suisse Jean-Marc Rapp Président du conseil d’orientation stratégique @ Nantes Université (EPE)
, ancien président du jury Idex/I-site et aujourd’hui président du COS Comité de sélection de Nantes Université, a participé à la journée d’étude de l’Initiative. Dans la matinée, il avait délivré un satisfecit aux universités lauréates pour les évolutions accomplies en dix ans.

Rebondissant depuis la salle sur les propos de Sylvie Retailleau, il estime qu’en matière RH Ressources humaines , « les Idex et I-site pourraient être des premiers de cordée : sur l’évaluation régulière des E-C, la modification des cahiers des charges, pour tester l’abandon des 192 h… Elles pourraient s’assurer du soutien de l’État en étant plus audacieuses ».

Une démarche expérimentale qui « doit se poursuivre » (S. Retailleau)

Ce à quoi l’ancienne ministre répond en faisant valoir que neuf universités se sont engagées, pour 18 mois, dans une expérimentation en matière d’autonomie. Il s’agit de Sorbonne Université, les universités Paris Panthéon-Assas, de Rennes, Bordeaux, Pau Pays de l’Adour, Perpignan, Haute-Alsace, Aix-Marseille Université et Centrale Lyon.

« Ces universités se sont portées volontaires pour tester certaines mesures, et leur conseil d’administration a été sollicité pour valider leur participation. »

« Parallèlement, nous avons mis en place 17 sites expérimentaux spécifiquement dédiés à la simplification administrative », rappelle Sylvie Retailleau.

« Cette démarche expérimentale doit se poursuivre et ne surtout pas être arrêtée. Elle est désormais intégrée dans les nouveaux contrats, que nous appelons désormais contrats d’objectifs, de moyens et de performance. »

L’enjeu des campus

La question des campus est aussi un enjeu important pour François Germinet. « À l’international, le campus d’une université est souvent un critère clé pour les étudiants. Ils regardent où ils vont habiter, les conditions dans lesquelles ils vont étudier. Or, en France, nous ne pouvons leur garantir qu’ils trouveront une chambre, et cela reste peu fluide avec les Crous. L’autonomie des universités ne va pas jusque-là. »

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Carine Bernault, Philippe Mauguin, Sylvie Retailleau, François Germinet - ©  Université de Lille