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Résultats Pisa 2022 : « Impliquer les citoyens pour repenser l'éducation » (Sylvane Casademont)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Tribune n°309264 - Publié le 12/12/2023 à 17:00
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©  IHEST
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« Impliquer les citoyens, organiser un débat citoyen et une convention citoyenne avec des chercheurs et des experts pour l’accompagner n’est-il pas aussi important, aussi urgent pour repenser l’éducation que pour légiférer sur la fin de vie ou sur les impacts du changement climatique ? », écrit Sylvane Casademont, ancienne directrice de l’IHEST Institut des hautes études pour la science et la technologie , dans une tribune pour News Tank, le 12/12/2023.

Elle revient sur les résultats de la France dans l’enquête Pisa Programme international pour le suivi des acquis des élèves 2022 de l’OCDE Organisation de coopération et de développement économiques , rendus publics le 05/12/2023. « Einstein disait que la folie consistait à faire toujours la même chose en s’attendant à un résultat différent. Voilà qui peut expliquer les résultats de l’enquête Pisa 2022, qui viennent de paraître et qui, pour n’être pas pires que ceux de la précédente, ne s’améliorent pas : comment ne pas s’y attendre puisque les remèdes appliqués sont toujours les mêmes ? »

« Il y a eu, depuis 1968, 21 ministres de l’éducation nationale, soit, en 55 ans, un ministre tous les 2 ans ¾. Ceux-ci totalisent plus d’une quarantaine de réformes », relève-t-elle. 

« Et si on osait autre chose ? Si on innovait pour voir ? », propose-t-elle, appelant à une « démarche participative » : débat ou convention citoyenne, assises avec les professionnels…. 

« C’est une piste qui a plus de chances de ramener les citoyens vers l’école, les élèves vers les connaissances, les enseignants vers leur institution, les jeunes diplômés vers l’enseignement. »


« Les remèdes appliqués sont toujours les mêmes »

Einstein disait que la folie consistait à faire toujours la même chose en s’attendant à un résultat différent.

Voilà qui peut expliquer les résultats de l’enquête Pisa 2022, qui viennent de paraître : comment ne pas s’y attendre puisque les remèdes appliqués sont toujours les mêmes ?

Ce n’est pas faute d’avoir analysé le problème : études, rapports, publications de chercheurs, missions confiées à des experts, livres, articles… abondent sur le sujet.

Ce n’est pas faute, non plus, de mesures prises ni de réformes entreprises. Il y a eu, depuis 1968, 21 ministres de l’éducation nationale, soit, en 55 ans, un ministre tous les 2 ans ¾.

Ceux-ci totalisent plus d’une quarantaine de réformes (plus difficiles à comptabiliser, mais l’ordre de grandeur suffit) qui n’eurent pas le temps, en deux ans ¾, d’être correctement mises en place, donc de produire des effets.

À l’exception notable toutefois de la réforme Haby sur le collège unique de 1975 qui a tenu plusieurs décennies.

1998 : une véritable occasion de concertation

En 1998, le Cabinet Bossard s’est vu confier par le ministre le projet de déconcentration du Mouvement des enseignants, et j’ai eu la chance d’être la consultante en charge d’accompagner le changement auprès du directeur général du personnel enseignant, pilote du projet.

Grâce à lui et à son équipe, ce projet a été une véritable occasion de concertation avec tous les acteurs du système directement dans les académies.

Dans une vingtaine d’entre elles, nous avons monté des groupes de travail mixtes réunissant inspecteurs (IPR Inspecteur pédagogique régional ), chefs d’établissement, enseignants et conseillers d’éducation, sur le sujet de la « gestion qualitative des enseignants ».

Cette formulation un peu jargonneuse a pris consistance par l’expérience, les bonnes pratiques et l’intelligence collective des acteurs de terrain.

Quatre manières d’aider les enseignants

Rappelant la double mission de l’enseignant — l’apprentissage (délivrer des connaissances) et l’éducation (former de futurs citoyens), les différents groupes ont dégagé un consensus autour de quatre éléments principaux propres à améliorer les conditions de travail et aider les enseignants, et par voie de conséquence, les élèves :

  • La nomination des enseignants : faire évoluer les règles — le barème — qui envoient les moins expérimentés dans les zones où les élèves connaissent le plus de difficultés ;
  • La politique de ressources humaines : former les jeunes enseignants en début de carrière à la pédagogie, la relation et la communication ; offrir de la formation continue à tous les personnels ; mettre en place une gestion de carrière et favoriser la mobilité pour les enseignants dans l’administration…
  • La pédagogie, la relation à l’élève : développer le travail en équipe chez les enseignants, favoriser la mixité des bons et moins bons élèves dans les classes, alléger le nombre d’élèves, donner une place aux parents d’élèves dans le système, coopérer avec eux.
  • La déconcentration : donner une autonomie aux académies puis aux établissements par rapport au ministère, non pas sur les programmes dont le caractère national n’était pas remis en cause, mais sur l’animation des personnels, les approches pédagogiques par projets, le recrutement des enseignants, les relations avec l’écosystème territorial, bref, des marges de manœuvre sur le management global de l’établissement. 

Des résultats ignorés

Les ministres suivants ont ignoré ces résultats et repris leur méthode à l’identique  : concocter chacun sa propre réforme en s’attelant à quelques aspects du problème auxquels ils attachaient le plus d’intérêt ou qui étaient politiquement porteurs ou sous les feux de la rampe… Pisa offre pour cela un bon réservoir à annonces et une forte potentialité de mesures diverses.

« Une pléiade de réformes et de mesures importantes »

Pour autant, les ministres sont tous sincères et de bonne volonté. Leurs réformes concernent les vrais sujets.

Rien que sur la dernière décennie, ils ont réorienté les priorités sur les savoirs fondamentaux, ils se sont attelés à la réforme du temps scolaire, de la formation des enseignants (création des IUFM Institut universitaire de formation des maîtres ), à celle du collège, du lycée et du baccalauréat, au dédoublement des classes dans le primaire, à la question du numérique à l’école…

Des sujets qui fâchent sont même venus sur la table, comme le temps de travail et de présence en établissement des enseignants, l’autonomie des établissements scolaires et, tout récemment enfin, la revalorisation de la rémunération des enseignants, rémunération qui était devenue la honte de la République. Et puisqu’on est dans les moyens, le budget de l’éducation nationale est en augmentation.

Bref, une pléiade de réformes et de mesures importantes. À deux près peut-être ? Aucun ministre ne s’est attaqué au barème [1]… Et pourtant, ce barème qui envoie les jeunes débutants enseigner dans les établissements de banlieue ou de quartiers défavorisés n’est pas de nature à les encourager à entrer dans la carrière.

On n’a pas non plus, à ma connaissance, proposé de réformes sur le management global du système : le fonctionnement de l’Administration centrale.

Alors, pourquoi, demandent les journalistes, se demandent les citoyens, au bout de tant d’années de réforme, les résultats scolaires ne s’améliorent-ils pas et le baromètre Pisa reste-t-il obstinément à la dépression ?

Oser autre chose

Et si… Et si on osait autre chose ? Si on innovait pour voir ?

Sortir du cadre ? Changer de méthode par exemple ? Cesser d’avoir l’obsession du court terme, celui du mandat, de l’élection, sur un enjeu tel qu’il est de long terme et ne peut entrer dans le cadre d’un seul quinquennat, qu’on le veuille ou non ? 

Cesser de vouloir laisser sa marque par sa réforme, d’empiler ministre après ministre les mesures disjointes, pour judicieuses qu’elles soient, mais s’inscrire dans la longue durée, dans la continuité ?

Et commencer par résister aux communicants qui conseillent de « faire des annonces » aux journalistes à la suite de la dernière enquête Pisa mais tenter, pour voir, de répondre, comme le docteur Knock de Jules Romain, qu’« on ne guérit pas en 5 minutes (ici deux ans ¾) un mal qui traine depuis 40 ans (ici 55) » : prendre l’interlocuteur à contrepied est aussi une technique de communication !

Retrouver la confiance

Revenir sur l’ambition sous-jacente de toutes ses réformes menées de façon technocratique. Il s’agit, au fond, de réformer suffisamment le système éducatif pour que les acteurs retrouvent confiance les uns dans les autres et dans l’institution, pour que la motivation revienne, qu’il redevienne valorisant, enthousiasmant d’éveiller les jeunes générations à la culture, de les ouvrir à la connaissance du monde, passé et présent pour qu’ils puissent prendre en charge le futur, ainsi que le préconisait Anna Arendt.

Bref d’assurer la transmission et la continuité de la civilisation et de la démocratie.

Cette finalité concerne tout le monde — tous les citoyens, et n’est le pré carré ni du ministre, ni du ministère, ni des enseignants.

Organiser un débat citoyen

Impliquer les citoyens, organiser un débat citoyen [2] et une convention citoyenne avec des chercheurs et des experts pour l’accompagner n’est-il pas aussi important, aussi urgent pour repenser l’éducation que pour légiférer sur la fin de vie ou sur les impacts du changement climatique ?

En tirant les enseignements des échecs des précédents c’est-à-dire en communiquant largement sur les résultats, en associant les représentants élus (nationaux et territoriaux) en amont de la démarche.

En organisant ensuite des Assises avec les professionnels de l’éducation pour co-construire avec eux, enseignants, parents d’élèves, inspecteurs, personnels administratifs centraux et académiques, chefs d’établissement, personnels éducatifs… un projet de loi de programmation sur l’éducation qui suivra ensuite son parcours habituel.

On sait faire cela. En quoi serait-ce si utopique ? Impossible ? Illusoire ?

Je ne sais honnêtement pas ce que cela pourra donner. Certainement rien pour améliorer dans les trois ans les résultats de la prochaine étude Pisa.

Il faut du temps pour mener une démarche participative. Mais c’est une piste qui a plus de chances de ramener les citoyens vers l’école, les élèves vers les connaissances, les enseignants vers leur institution, les jeunes diplômés vers l’enseignement, que de continuer à distiller de façon disjointe des mesures qui seront remises en cause par le prochain ministre ou le prochain Gouvernement.

Parcours

Direction générale pour la recherche et l’innovation (DGRI)
Directrice de cabinet
Brossard consultants puis Cap Gemini
Consultante chef de projet
EMI Conseil
Responsable de programme

Établissement & diplôme


Fiche n° 32179, créée le 27/07/2018 à 10:06 - MàJ le 20/07/2023 à 13:51


[1] Le barème est l’ensemble complexe et abstrus de règlements destiné à régir les nominations des enseignants dans les établissements du pays, en fonction de leur ancienneté, mais aussi de leur situation de famille, et d’autres critères annexes. Le niveau de formation (master ou thèse)  et de concours (Capes ou agrégation) comptant, in fine, très peu dans l’attribution des postes en établissement…

Tel qu’il est constitué, et c’est le reproche essentiel que l’on peut lui faire, mais il est de taille : il a pour résultat concret de nommer systématiquement les enseignants qui ont le moins de points, les débutants, donc les moins expérimentés, dans les établissements des quartiers socialement défavorisés… Autrement dit, si une trentaine de points suffisent  pour être nommé à La Courneuve , il en faut près de 200 pour enseigner dans un très bon lycée parisien. 

[2] En 2003, c’est ce qu’avait fait le ministre : le grand débat citoyen sur l’Ecole avait très clairement mobilisé dans toutes les communes de France, sous l’animation des maires, une grande partie de la population. C’était très bien organisé. Tous les sujets étaient abordés sans tabou. L’opération a donné lieu au rapport de Claude Tello : et puis… plus rien. Aucune information, aucun retour : silence ! La bonne méthode pour tuer toute velléité d’engagement et de participation. J’ai su plus tard que ce rapport avait été « enterré ». Peut-être n’est-il pas décomposé et pourrait-on le ressortir ?

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