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Sport et science : recherche, travail d'équipe…la France peut mieux faire (Joël Bertrand)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Tribune n°300719 - Publié le 22/09/2023 à 11:15
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©  Seb Lascoux
©  Seb Lascoux

« Apprenons du sport où la lumière s’éteint toujours cruellement, mais où survivent les organisations qui ont porté les individualités. Alors souhaitons que la Fête de la science 2023 “Sport et Science” nous aide à progresser un peu, pour l’intérêt général », écrit Joël Bertrand Directeur de recherche émérite @ Centre national de la recherche scientifique (CNRS) • Vice-président @ IRT Saint Exupéry • Président du conseil scientifique @ Naval Group
, président du conseil scientifique de Naval Group et ancien DG délégué à la science du CNRS Centre national de la recherche scientifique , dans une chronique pour News Tank, le 21/09/2023.

Il évoque les liens entre sport et ESR Enseignement supérieur et recherche alors que la Fête de la science 2023 porte sur la thématique « Sport et Science » et à l’approche des JOP Jeux olympiques et paralympiques  2024.

« Cette thématique est idéalement positionnée à quelques mois des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris où il est souhaité, et même encouragé que le monde de l’ESR ait une contribution visible en amont de l’événement », estime Joël Bertrand.

« Le chercheur de haut niveau peut s’apparenter au sportif de haut niveau. Sauf que la plupart du temps, le chercheur de haut niveau pense avoir ce statut à vie, d’ailleurs il le rappelle à l’occasion, si quelqu’un venait à l’oublier. Le sportif de haut niveau remet, lui, sa notoriété en jeu tous les trois mois, restant sur le toit du monde ou tombant dans le commun.

La performance sportive parce qu’elle se mesure objectivement, parce qu’elle est implacable, délivre une indiscutable vérité. Dans certains cas, et l’ESR doit s’en inspirer, si cela est possible, le sportif de haut niveau s’efface devant son organisation. »


« Les apports possibles de la science au sport »

La prochaine Fête de la science, ce mois d’octobre 2023, est dédiée à la thématique Sport et science, rapprochement fructueux s’il en est, et tellement illustratif de nos débats science et société, dans toutes leurs déclinaisons possibles.

Les dirigeants de l’ESR de notre pays, promoteurs de ce choix cette année, ont énuméré tous les apports possibles de la science au sport, en pharmacologie, matériaux, neurosciences, psychologie… la liste est très longue sans doute.

Nous avons même des laboratoires de recherche du CNRS et des universités dédiés au sport, à l’amélioration du geste pour certaines disciplines, à l’optimisation de l’interaction homme-machine pour d’autres — la machine doit être comprise au sens large, des skis de vitesse, un vélo de course ou plus simplement le revêtement d’une piste d’athlétisme — et beaucoup, beaucoup d’autres.

Une « thématique idéalement positionnée »

Cette thématique est idéalement positionnée à quelques mois des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris où il est souhaité, et même encouragé que le monde de l’ESR ait une contribution visible en amont de l’événement. Elle est également bien positionnée, du moins en métropole, pendant le Mondial de rugby en France.

L’affiche de l’événement est d’ailleurs une scène de plaquage au rugby, et pour la juste universalité du sport de haut niveau, c’est une scène de rugby féminin qui a été choisie. Notre ministre, Sylvie Retailleau Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche @ Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR)
, a présenté, il a y peu de temps la marraine de notre Fête de la science, Marine Lorphelin, sportive, médecin, scientifique et peut-on lire également dans son CV Curriculum vitae , Miss France 2013.

Bien sûr, le sport sera compris ici comme sport de masse, sport bien-être, sport loisir, sport plaisir mais aussi sport compétition, sport de haut niveau. Beaucoup de conférences, d’affiches, de témoignages, de visites de laboratoires, dans toutes les villes de France, déclineront à l’envi les apports de la science au sport, l’inbreeding souvent constaté entre les deux. Sur ce point précis, on peut noter les professions des participants au dernier UTMB (Ultra-trail du Mont-Blanc), médecins, ingénieurs, chercheurs, ou les activités professionnelles des participants des courses au large.

Les visiteurs des différents lieux, les citoyens, les enfants, sortiront sans doute convaincus, et si la défiance envers la science doit toujours et avec force, être combattue, cela y contribuera.

La science apporte au sport. Mais qu’apporte ou devrait apporter le sport à la science ?

Souvent les réponses à cette question sont empreintes de banalités ou de généralités convenues.

En premier lieu vient la notion de collectif, la nécessaire construction d’un esprit d’équipe. Cela est d’ailleurs davantage vérifié dans le monde des entreprises que dans le monde de la recherche publique française, où sont évoqués ces apports possibles, mais moins souvent mis en œuvre sur des temps longs.

  • Par exemple l’ancien entraîneur de l’équipe de France de handball, Claude Onesta, dispense des formations en entreprise, avec cours théoriques et pseudo-travaux pratiques jusqu’à changement d’organisation dans l’entreprise, en maximisant l’affectio societatis interne. Son objectif est la construction d’une communauté efficace au service des résultats de l’entreprise.
  • Un autre ancien sportif, Edgar Grospiron, champion olympique 1992 (en France) de ski de bosses, et champion du monde 1989, 1991 et 1995 de ski acrobatique s’est spécialisé dans le coaching pour entreprises, pour sublimer la performance et augmenter la motivation des individus. Il y a avec le précédent une petite nuance, qui pourrait illustrer les insuffisances du travail collectif dans nos laboratoires.

« Gommer les individualismes forcenés et nocifs »

Dans une récente livraison de son blog (Universités 2024, 18/09/2023 ), Jean-Michel Catin brosse un réquisitoire peu amène, l’énoncer ainsi est une litote, à l’égard de certains universitaires :

« Se plaindre, déplorer, agir individuellement et fuir le collectif, déprécier son institution, semblent être des figures imposées. »

Si cela est avéré, nous pouvons imaginer que nos dirigeants, soucieux de la performance de l’enseignement supérieur et de la recherche français, volontaires et très allants quant au rayonnement scientifique de notre pays et de ses institutions, travaillent à gommer les individualismes forcenés et nocifs.

Par exemple, ils pourraient travailler à magnifier l’ensemble des acteurs de l’ESR, débusquer tous les verrous ou grains de sable enrayant régulièrement le bon fonctionnement de nos organisations.

Comment faire ?

Le chercheur de haut niveau peut s’apparenter au sportif de haut niveau. Sauf que la plupart du temps, le chercheur de haut niveau pense avoir ce statut à vie, d’ailleurs il le rappelle à l’occasion, si quelqu’un venait à l’oublier.

Le sportif de haut niveau remet, lui, sa notoriété en jeu tous les trois mois, restant sur le toit du monde ou tombant dans le commun. La performance sportive parce qu’elle se mesure objectivement, parce qu’elle est implacable, délivre une indiscutable vérité.

Dans certains cas, et l’ESR doit s’en inspirer, si cela est possible, le sportif de haut niveau s’efface devant son organisation.

C’est leur équipier, leur collaborateur, leur doctorant en quelque sorte, qui gagne »

Un exemple récent est illustratif, c’est le dernier Tour d’Espagne cycliste. Une équipe, Jumbo-Visma, a deux leaders, Jonas Vingegaard (deux Tours de France à son actif) et Primoz Roglic (quatre grands Tours, plusieurs courses classiques dans le monde entier). Ils sont imbattables.

Et à l’arrivée, c’est leur équipier, leur collaborateur, leur doctorant en quelque sorte, leur personnel d’appui, Sepp Kuss, qui gagne, et qui ne gagne pas n’importe quoi, qui gagne la plus belle victoire, non pas en remerciement quelconque, mais parce que l’organisation est plus forte que l’individu, parce que la pérennité est ainsi assurée. Sepp Kuss monte sur le podium, c’est lui qui est glorifié, pas les autres ce jour-là, et l’équipe a gagné. Une autre fois, ce sera quelqu’un d’autre.

Mandarinat et sexisme

Quand un chercheur reçoit une médaille, une récompense, bien sûr il remercie, bien sûr il invoque un travail d’équipe, bien sûr il ajoutera qu’il n’y est (presque) pour rien. Mais c’est lui qui recevra la médaille, c’est lui qui sera sur la photo, c’est lui que la postérité retiendra, et qui sait, s’il en est encore là, il recevra pour lui-même une promotion bien méritée… par l’équipe.

Un exemple retentissant et qui fut sujet à controverse est l’attribution du prix Nobel de physique en 1974 à Anthony Hewish et Martin Ryle, alors que la découverte était due à Jocelyn Bell Burnell, mais qui n’était que la collaboratrice d’Anthony Hewish, au côté mandarin s’ajoute ici un violent préjugé sexiste.

Égalité hommes-femmes

Nos organisations travaillent beaucoup à juste raison sur l’égalité hommes-femmes dans l’ESR. Un exemple sportif procède d’une décision radicale, c’est en athlétisme la création du relais mixte 4x400 mètres, discipline désormais olympique, les ordres de départ sont homme-femme-homme-femme.

C’est ainsi qu’une femme franchit la ligne, lève les bras si elle gagne et prend toute la lumière, ce travail collectif est porté par une femme.

C’est identique en triathlon mixte, et de la sorte ont été construites de véritables équipes où gagne le groupe.

Un bon exemple dans l’ESR est la médaille de cristal à titre collectif qu’attribue le CNRS.

Une fierté d’appartenance »

Qui gagne ainsi ? Le CNRS, ou les universités. Qui gagnent aussi ? Les personnes, parce qu’elles ont servi un organisme ou une université, toujours plus grands que les individus. Leur fierté est une fierté d’appartenance, dire non pas je suis, mais dire j’en suis.

Progresser dans l’intérêt général

En vérité sans doute, diminuer les individualismes toxiques, gommer la recherche éperdue pour la lumière, restreindre l’appétit plus naïf que ridicule pour les décorations, et cela au service du bien commun, au service de la performance collective de notre recherche et de notre pays, ceci donc est et sera toujours difficile, mais sait-on jamais.

Apprenons du sport où la lumière s’éteint toujours cruellement, mais où survivent les organisations qui ont porté les individualités.

Alors que la Fête de la science, Sport et science, nous aide à progresser un peu, pour l’intérêt général. 

Joël Bertrand

Email : joel.bertrand@ensiacet.fr

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Parcours

IRT Saint Exupéry
Vice-président
Naval Group
Président du conseil scientifique
Muframex
Membre permanent du Comité d’évaluation et orientation
Fondation de Recherche pour l’Aéronautique et l’Espace (Airbus, Liebherr Aerospace, Safran, Thalès)
Président du conseil scientifique
Centre d'études mexicaines en France
Président du conseil scientifique
Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Conseiller spécial du président
Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Directeur général délégué à la science
Fondation de coopération scientifique Science et Technologie pour l’aéronautique et l’espace
Directeur
Laboratoire de génie chimique (UMR CNRS, UPS, INP Toulouse)
Directeur
Comité national de la recherche scientifique (CoNRS)
Président de la section 10 Milieux fluides et réactifs : transports, transferts, procédés de transformation

Fiche n° 27835, créée le 22/12/2017 à 11:54 - MàJ le 04/04/2024 à 10:58

©  Seb Lascoux
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