« 40 % des chercheurs ukrainiens ont dû se réfugier dans des endroits plus sûrs » (O. Berezko, Eurodoc)
« La guerre actuelle n’a pas commencé en février 2022, mais il y a huit ans, en 2014, avec l’annexion de la Crimée par la Russie et la prise de territoires dans l’est de l’Ukraine. (…) Depuis le début des hostilités dans la région du Donbass, 18 établissements d’enseignement supérieur ont été déplacés ».
C’est ce que déclare Oleksandr Berezko, président d’Eurodoc et professeur associé à l’Université nationale polytechnique de Lviv, en Ukraine, lors d’une table ronde intitulée « Enseignement doctoral et guerre en Ukraine », en ouverture du rendez-vous annuel de l’EUA-CDE
Conseil pour l’enseignement doctoral de l’EUA
à Manchester le 22/04 auquel News Tank consacre une série d’articles.
« Pourtant, à partir du 24/02, la situation était d’un tout autre niveau [en Ukraine] (…) Il a été signalé qu’environ 40 % des chercheurs ukrainiens ont dû se réfugier dans des endroits plus sûrs ».
Et de citer également les chiffres du ministère ukrainien de l’enseignement supérieur et de la recherche en date du 13/06 :
• « 43 établissements d’enseignement supérieur ont souffert des bombardements constants et de bombardements par l’armée russe ;
• cinq d’entre eux ont été complètement détruits. »
Il cite au cours de sa présentation plusieurs conséquences du conflit :
• « Réduction du nombre de postes de travail et du salaire ;
• destruction des infrastructures, laboratoires ;
• une partie du personnel académique, des doctorants et des étudiants se trouvent au front ;
• les hommes ne peuvent pas participer à la mobilité universitaire (aller à l’étranger) en raison de la loi martiale ;
• de nombreuses femmes se retrouvent seules avec les enfants, la famille est à l’étranger, leurs hommes sont dans l’armée ;
• migration des doctorants, des étudiants, manque d’entrants ;
• l’incertitude générale ».
« Que signifie faire un doctorat en Ukraine actuellement ? »
« Que signifie faire un doctorat en Ukraine actuellement ? La meilleure façon de répondre à cette question est peut-être de donner la parole aux doctorants actuels. Bien sûr, la situation en Ukraine diffère selon les régions. J’ai donc interviewé plusieurs doctorants de Kharkiv, d’Odessa et de Lviv. J’espère que leurs histoires aideront à façonner une vision de la situation ».
Le président d’Eurodoc présente plusieurs témoignages recueillis qui mettent en avant :
- les conséquences de la guerre sur les déplacements des doctorants dans le pays ;
- la possibilité ou non de pouvoir soutenir la thèse ;
- la gestion des terrains pendant le travail de recherche ;
- la pression psychologique et le rôle de l’environnement de recherche.
Coupes dans le budget de la recherche, 15 % des doctorants en fuite : les constats de Ganna Tolstanova, vice-rectrice de l’Université Taras Schevchenko de Kiev
- « Jusqu’à 15 % des doctorants ont fui l’Ukraine, principalement des femmes, parce que les hommes ont des restrictions pour aller à l’étranger.
- Seulement 10 % des doctorants qui ont fui ont trouvé des opportunités de mobilité académique.
- Le nombre de doctorants qui ont temporairement interrompu leurs études est trois fois plus élevé qu’à la même période en 2021.
- Certains doctorants se sont mobilisés volontairement dans les forces armées ukrainiennes. »
Tels sont les principaux enseignements de l’enquête réalisée par Ganna Tolstanova, vice-rectrice en charge de la recherche à l’Université Taras Shevchenko de Kiev, auprès des doctorants de l’établissement.
Des coupes dans les budgets consacrés à la recherche
« En Ukraine, nous sommes aussi confrontés à des coupes dans le budget de la recherche :
- la Fondation nationale de la recherche de l’Ukraine, qui est le principal organisme de soutien à la recherche dans le pays, a cessé ses activités après le début de la guerre ;
- le budget de l’État alloué aux projets d’infrastructure et aux équipements a été coupé ;
- le budget de l’État alloué à la recherche a été réduit deux fois de 10 %. »
Elle signale aussi le manque de moyens humains, dans les laboratoires. Et de citer le cas des sciences naturelles : « Le fonctionnement des installations principales a été interrompu en raison du manque d’employés hautement qualifiés ou de dégâts. »
Co-tutelles, doctorats conjoints : des pistes encouragées
« Nous sommes confrontés à la réduction du financement de la recherche et nous comprenons que cela créera des problèmes pour accomplir la partie recherche de la formation doctorale. Mais nous pensons au long terme et nous avons besoin du soutien de nos collègues européens. »
Ganna Tolstanova met en lumière plusieurs pistes :
- « Tout d’abord, un plus grand nombre de cotutelles peut aider à accomplir les formations doctorales à temps et à réaliser les projets de recherche.
- Nous serions très reconnaissants si nous pouvions obtenir plus d’informations sur les options de financement pour les cotutelles au sein de l'UE Union européenne ;
- En ce qui concerne les infrastructures détruites, l’une des étapes peut être d’augmenter le nombre de programmes de doctorat conjoints, puis d’envoyer les doctorants faire leur formation à l’étranger. »
Les solutions envisagées par Oleksandr Berezko
Au cours de sa présentation, le président d’Eurodoc partage plusieurs pistes pour aider les doctorants et les jeunes chercheurs en Ukraine.
A court terme :
• « Proposer des partenariats, pour des chercheurs devenir des mentors, inviter dans des laboratoires ;
• offrir des stages/bourses d’études ».
Plus largement :
• « Offrir des opportunités de travail temporaire ;
• fournir un accès aux bases de données scientifiques payantes et se concentrer sur la science ouverte. »
Pologne : « Éviter la fuite des cerveaux »
« Ce que nous avons entendu de la part de nos partenaires ukrainiens, c’est que l’objectif de l’introduction de tout type de programmes de soutien à la communauté universitaire devrait être d’éviter la fuite des cerveaux. Il s’agit donc d’une crainte réelle et nous la respectons en Pologne. »
C’est ce que déclare Iryna Degtyarova, coordinatrice du projet Mein-PW (Université de technologie de Varsovie) et chercheuse senior pour la fondation des recteurs de Pologne.
Le projet Mein-PW « Coopération polono-ukrainienne des institutions représentatives des recteurs, pour l’amélioration du fonctionnement des universités » est mis en œuvre par l’Université de technologie de Varsovie en coopération avec :
- des partenaires polonais : Conférence des recteurs des écoles universitaires en Pologne (Crasp), Fondation des recteurs polonais (PRF) ;
- et ukrainiens (Union des recteurs des universités en Ukraine (ZRUU), sous le patronage du ministre ukrainien de l’éducation et des sciences et financé par le ministère de l’éducation et des sciences.
« L’objectif du projet est d’améliorer les règles des processus de gestion dans les universités des deux pays et d’accroître la compétence des membres uniques, y compris les recteurs et les vice-recteurs, et de réaliser les objectifs de l’accord tripartite », indique l’Université de technologie de Varsovie.
« Les activités réalisées dans le cadre du projet comprennent :
- des analyses et des recherches sur les solutions systémiques et les modèles de gestion dans l’enseignement supérieur,
- des séminaires d’experts sur les problèmes stratégiques dans le domaine de la gouvernance au sens large,
- des visites d’étude pour les délégations des conférences de recteurs en Ukraine et en Pologne,
- des séminaires de recteurs polonais-ukrainiens accompagnés d’un débat de recteurs.
- l’organisation de l’École de gestion stratégique pour les recteurs/professeurs ukrainiens et du Forum des recteurs polonais-ukrainiens. »
Focus sur le soutien des doctorants
« Dans la nouvelle réglementation spécifique, la loi spéciale qui a été adoptée en Pologne pour soutenir les Ukrainiens, dans la première version, il n’y avait pas un seul mot sur les doctorants ou les écoles doctorales, ce qui est un grand obstacle également dans l’introduction des programmes de soutien. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est que le nombre de doctorants ukrainiens, qui en fin de compte peuvent prétendre à un soutien en Pologne, est très faible. »
Elle présente trois situations d’accueil :
- une mobilité de courte durée avec une université partenaire dans le cadre du programme Prom (échange international de bourses d’études pour les doctorants et le personnel universitaire) ;
- un stage doctoral dans le cadre du programme Research excellence initiative ;
- des séjours plus longs, de trois à six mois dans le cadre du programme University research excellence initiative.
Vers des financements de moyen terme ?
« Les institutions ukrainiennes, polonaises et européennes ont eu besoin d’un certain temps et les agences de financement ont dû réagir pour établir, introduire une certaine forme de soutien et trouver le financement nécessaire.
Lorsque nous parlons de l’agenda des perspectives de soutien, bien sûr, pour l’instant, elles sont plus à court terme qu’à long terme, mais nous voyons que nous sommes peut-être à l’orée de la prochaine étape, lorsque des programmes à moyen ou long terme pourraient être introduits. »
Les défis pour les universités polonaises
Iryna Degtyarova expose ce qui constitue selon elle des défis pour les université polonaises :
• Intérêt limité des doctorants ukrainiens ;
• financement insuffisant et manque de flexibilité ;
• l’approche « étudiante » ne fonctionne pas bien pour les doctorants ;
• limitations et réglementations formelles, également liées à l’attribution d’un diplôme ;
• l’information n’atteint pas le groupe cible ;
• problèmes de langue ;
• les universités ukrainiennes doivent prendre davantage d’initiatives ;
• temps d’adaptation, intégration dans un nouvel environnement académique pour les doctorants ukrainiens.
Fiche n° 13747, créée le 29/06/2022 à 15:14 - MàJ le 29/06/2022 à 15:15