Présidentielle : quelles limites à la liberté d’expression des présidents d’université ? (A. Legrand)
« On ne peut finalement reprocher qu’une chose à la présidente de Nantes, et elle n’est pas totalement négligeable : c’est d’avoir utilisé une publication de l’université pour diffuser sa position, ce qui peut donner l’impression d’une implication de l’institution. »
André Legrand
André Legrand est décédé le 01/07/2024.
, professeur émérite de droit public chargé de la veille juridique, revient pour News Tank sur la polémique déclenchée par Carine Bernault
Présidente @ Nantes Université (EPE)
, présidente de Nantes Université, après son message diffusé auprès des personnels et étudiants le 13/04, appelant à faire barrage au Rassemblement national au second tour de l’élection présidentielle.
Si elle n’est pas la seule, rappelle-t-il, « le président de l’université de Strasbourg, Michel Deneken
Président @ Udice • Président @ Université de Strasbourg (Unistra)
, [ayant] dès avant le premier tour, pris position en faveur d’Emmanuel Macron
Président de la République @ Présidence de la République (Élysée)
», cela « repose la question de la liberté d’expression des présidents d’université ».
« C’est pour les universitaires que la liberté d’expression est la plus large et elle a en particulier été justifiée par l’âge des usagers de l’université, qui les rend aptes à juger par eux-mêmes. (…) Elle reste cependant soumise à une importante limite : les prises de position restent personnelles ; elles ne peuvent pas engager les universités qui, en tant que services publics, doivent conserver en permanence une stricte neutralité. »
C’est pourquoi il estime que mieux aurait valu pour Carine Bernault d’« éviter cette utilisation de moyens de l’université pour traiter d’un objet hors de ses compétences ».
Les présidents d’universités restent avant tout des universitaires
La présidente de Nantes Université a déclenché une certaine émotion en publiant une déclaration concernant l’élection présidentielle. Elle n’est pas la seule : le président de l’Université de Strasbourg, Michel Deneken, a, dès avant le premier tour, pris position en faveur d’Emmanuel Macron. Cela repose la question de la liberté d’expression des présidents d’université.
On éliminera d’emblée toute interrogation sur le fait que France Universités (ex-CPU Conférence des présidents d’université ) se soit prononcée en faveur d’Emmanuel Macron. Il s’agit là de la prise de position d’une association privée qui ne pose à ce titre pas de problème juridique particulier.
Pour en venir au cas des individus, on sait que les fonctionnaires publics sont tous soumis à une obligation de réserve et que l’étendue de cette obligation, de l’exigence de loyalisme à une très large liberté d’expression, varie selon les catégories. C’est pour les universitaires que la liberté est la plus large et elle a en particulier été justifiée par l’âge des usagers de l’université, qui les rend aptes à juger par eux-mêmes.
Le symbole de cette indépendance est l’autorisation du cumul d’un mandat parlementaire avec les fonctions universitaires, privilège réservé initialement aux seuls professeurs, mais qui a été récemment étendu par la jurisprudence à d’autres catégories. À l’instar d’André Philip, de Marcel Prélot ou de Jean Foyer, multiples ont été les cas de vocations au cumul tout au long des Quatrième et Cinquième Républiques, jusques et y compris dans les rangs du Front, puis du Rassemblement national.
Le bénéfice de ces droits s’étend bien sûr aux présidents d’universités, qui restent jusqu’ici d’abord et avant tout des universitaires : leurs prises de position publiques, y compris politiques, sont donc autorisées par l’étendue de leur liberté d’expression. Dans le domaine très voisin de la liberté d’expression religieuse, le juge administratif a admis, dans le cas de Michel Deneken, la compatibilité entre fonctions présidentielles et état ecclésiastique et donc la possibilité d’un cumul des deux.
Mais cette liberté reste cependant soumise à une importante limite : les prises de position restent personnelles ; elles ne peuvent pas engager les universités qui, en tant que services publics, doivent conserver en permanence une stricte neutralité.
Certes l’existence de déclarations émanant de conseils d’université pourrait sembler porter atteinte à ce principe, par exemple, à l’occasion de cette élection de 2022, celle émanant du CA Conseil d’administration de l’Université d’Angers. Sans approfondir le sujet, on constatera simplement qu’en l’espèce, le conseil s’en est tenu à une position inattaquable en faisant essentiellement porter sa déclaration sur le terrain du rappel et de la défense des valeurs démocratiques et républicaines, sujet qui n’est bien sûr pas malvenu sous la plume d’un conseil d’université.
On ne peut donc finalement reprocher qu’une chose à la présidente de Nantes, et elle n’est pas totalement négligeable : c’est d’avoir utilisé une publication de l’université pour diffuser sa position, ce qui peut donner l’impression d’une implication de l’institution. Mieux aurait valu, à mon sens, éviter cette utilisation de moyens de l’université pour traiter d’un objet hors de ses compétences.
André Legrand
André Legrand est décédé le 01/07/2024.
Il est l’auteur de plusieurs livres et de nombreux articles concernant le droit public en général et le droit de l’éducation en particulier.
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Expert en charge de la veille juridique
Professeur agrégé de droit public, émérite
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Recteur
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Doyen de la Faculté de droit
Fiche n° 3147, créée le 22/03/2014 à 09:33 - MàJ le 02/07/2024 à 14:10