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Diversité sociale : les conclusions du comité stratégique présidé par Martin Hirsch

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Actualité n°202175 - Publié le 09/12/2020 à 18:38
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Martin Hirsch - ©  D.R.

• « Prendre en compte les diversités de parcours afin d’éviter une politique qui conduirait à appauvrir l’université de ces meilleurs éléments issus de milieu modeste ;
• renforcer l’accompagnement après l’entrée dans la formation ;
• développer les actions de mentorat et tutorat, qui pourraient notamment se traduire par des missions de service civique ou l’équivalent d’un emploi étudiant;
• développer le modèle CPES Cycle pluridisciplinaire d'études supérieures et l’attribution de bonifications en CPGE Classe préparatoire aux grandes écoles  ;
• renforcer des leviers comme l’alternance ou l’emploi étudiant pour lever les freins financiers, et expérimenter le “prêt contingent” ».

Telles sont quelques-unes des pistes du comité stratégique « Diversité sociale et territoriale dans l’enseignement supérieur », dans son rapport remis à Frédérique Vidal Conseillère spéciale du président @ European Foundation for Management Development (EFMD)
, ministre de l’Esri Enseignement supérieur, recherche et innovation , le 08/12/2020, et dont News Tank a obtenu copie.

Présidé par Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP Assistance publique-hôpitaux de Paris et président de l’Institut de l’engagement, ce comité a été mis en place le 20/07/2020.

Le comité indique toutefois qu’il s’agit d’une « note d’étape » du fait du « travail mené dans un délai très court ». Et donc qu’il s’est « concentré sur ce qui lui semblait réalisable en quelques séances : dégager des principes et des orientations ; mettre en perspective différents leviers complémentaires les uns les autres ; déterminer des pistes qui transcendent les oppositions qu’il peut y avoir entre acteurs ».


« Un consensus sur la nécessité d’aller plus loin »

Après plusieurs auditions d’experts, de représentants des grandes écoles, associations, étudiants et élèves, enseignants de prépa, « ce travail a mis en évidence un consensus sur la nécessité d’aller plus loin dans la politique d’égalité des chances, en confirmant la nécessité d’agir et en affirmant une volonté d’agir », indique le rapport.

« Personne ne nie la problématique française, clairement mise en évidence par les statistiques et notamment les travaux de l’OCDE Organisation de coopération et de développement économiques . Plusieurs données sont bien connues et méritent d’être rappelées. » L’une d’entre elles est « particulièrement parlante :

  • 73 % des enfants dont les parents sont diplômés de l’enseignement supérieur auront un diplôme de l’enseignement supérieur ;
  • alors que c’est le cas de seulement 17 % des enfants de parents non diplômés ».

Des différences qui se retrouvent « dans le taux de boursier entre les classes préparatoires, les grandes écoles et les universités ».

Mais pour le comité, « la politique d’égalité des chances ne concerne pas seulement les établissements eux-mêmes, mais doit être conçue en intégrant la société civile et la sphère associative et les collectivités territoriales, compte tenu du rôle des régions dans l’enseignement supérieur et dans l’orientation, de la problématique de la vie étudiante dans les métropoles, du lien entre la politique d’égalité des chances et les équilibres de territoires, de l’importance du facteur logement ».

Face à un système qui « fonctionne sur l’orientation-sélection, peu sur la réorientation » et « organisé essentiellement par tamis, pas par passerelles », le comité stratégique « s’est penché sur les manières de corriger ou de compenser, davantage que de prétendre trahir les racines du problème ».

Ainsi, il considère qu’il est « légitime de pouvoir chercher des leviers, ne posant pas comme préalable que tous les problèmes de fond soient résolus, mais permettant d’obtenir des résultats plus rapides et d’enclencher des dynamiques vertueuses. Ces actions ne sont pas simplement des actions “compensatrices” d’inégalités ou “réparatrices” de dysfonctionnements, qui ne seraient que des traitements symptomatiques. Ces actions peuvent également avoir une puissance transformatrice. »

Promouvoir l'égalité des chances lors de l’accès aux formations

Prendre en compte les diversités de parcours

Le comité rappelle que plusieurs diversités sont à prendre en compte dans la politique d’égalité des chances et qu’elles « n’appellent pas exactement les mêmes réponses » : la diversité sociale, la diversité territoriale « avec une question particulière pour les départements d’outre-mer », la diversité d’origine et la diversité ethnique, la diversité de genre.

En outre, il constate que le système d’orientation français accorde une importance forte aux parcours linéaires et ne valorise « que très peu la “différenciation”, et ne favorise pas les diversités », notamment en raison d’une absence de passerelles ou des difficultés de réorientation.

« La politique d’égalité des chances concerne aussi bien les classes préparatoires, les grandes écoles, que les universités, même si elle ne se pose pas également dans les mêmes termes », note le rapport. Pour les écoles et CPGE Classe préparatoire aux grandes écoles , la question de la sous-représentation de certaines catégories, notamment des boursiers, mais pas uniquement, se pose, tandis que les universités sont plutôt confrontées à la question de la réussite et du cursus.

Le comité encourage donc les initiatives mixtes afin d’éviter les effets contre-productifs comme « une politique qui conduirait à appauvrir l’université de ces meilleurs éléments issus de milieu modeste ». Il cite notamment les cycles pluridisciplinaires d’études supérieures « entre classes préparatoires et universités, qui répondent bien à cette préoccupation et pourraient être démultipliées ».

Diversifier les voies d’accès pour diversifier les profils

Le rapport indique qu’il est « envisageable » d’imposer une proportion minimale de boursiers pour toutes les formations supérieures à l’entrée en première année via la procédure Parcoursup, notamment à destination des « classes préparatoires aux cursus universitaires qui peuvent se distinguer par des taux de boursier plus faibles, comme la santé et le droit ». Le critère de « première génération » — enfants dont les parents ne sont pas diplômés du supérieur — « pourrait aussi être pris en compte ».

Toutefois, « le comité considère qu’il serait une erreur de faire reposer la politique d’égalité des chances uniquement sur un mécanisme de bonification des boursiers (ou des premières générations) ». S’il reconnaît à cette approche sa « grande simplicité » de mise en œuvre, le comité relève plusieurs inconvénients, dont la fragilité du critère pour refléter la situation réelle du candidat, sa non-prise en compte de toutes les formes de diversité, ou encore les effets de seuil.

Par ailleurs, il indique que les voies d’entrées diversifiées « sont une manière de reconnaître la diversité des parcours et de permettre des passerelles vers l’excellence pour des filières qui n’y ont que peu accès. Ils sont également un moyen de tenir compte d’autres critères que les critères purement scolaires ». Il note toutefois un risque de « stigmatisation » pour les voies d’accès « considérées comme moins nobles ».

Le rapport donne l’exemple de l’intégration des bacheliers professionnels au sein des CPGE puis des grandes écoles, pour lesquels « il pourrait être envisageable d’organiser un accès aux grandes écoles et aux filières sélectives pour 1 % d’entre eux d’abord et de faire augmenter progressivement ce pourcentage, avec un mode de sélection qui garantira la qualité des candidats et un accompagnement renforcé, compte tenu de ce que ces filières préparent peu aux études longues ».

Il y a, enfin, « un enjeu à sensibiliser les jurys aux objectifs de l’égalité des chances et à veiller à la diversité au sein même des jurys ».

Renforcer l’accompagnement après l’entrée dans la formation

Le comité insiste sur l’importance de l’accompagnement durant la scolarité, après l’admission des candidats, « qu’il s’agisse des classes préparatoires, des universités ou des grandes écoles ».

Sinon, « il peut y avoir des échecs de l’égalité des chances qui outre qu’ils pénalisent les jeunes concernés, décrédibilisent, pour de mauvaises raisons, les politiques d’égalité des chances ».

L'égalité des chances en amont et l’accompagnement 

Le rapport met ensuite en avant l’égalité des chances en amont et l’accompagnement. Ce « concept assez vague » de l’avis de la commission regroupe néanmoins « des modalités précises et efficaces et soutien individualisés aux élèves et étudiants ».

Développer les actions de mentorat et tutorat

Pour être efficace dans les actions de mentorat et de tutorat, il faut, selon la commission :

  • passer à l’échelle et coordonner les initiatives ;
  • impliquer les enseignants ;
  • définir un cadre en créant un label ou une certification ;
  • ne pas chercher à avoir un modèle unique d’actions ;
  • instaurer une politique publique d’évaluation de ces actions. »

Elle recommande aussi d'« étendre et garantir la qualité des initiatives » par « un pacte entre la puissance publique et les opérateurs. » Celui-ci « pourrait prendre la forme de l’équivalent d’une délégation de service public. » Il serait piloté par la puissance publique, garantirait la pluralité des acteurs et la pérennité financière, et demanderait la mise en place d’une politique publique d’évaluation avec agrémentation ou retrait d’agrémentation.

« Les grandes écoles et les universités seraient réservées à l’idée d’une délégation de service public qui ne reconnaîtrait que l’accompagnement réalisé par des acteurs de la société civile. Elles insistent donc pour que ce concept inclue l’accompagnement réalisé par les établissements et également pour qu’elles puissent avoir une certaine autonomie dans l’organisation de cet accompagnement. »

Mentorat et tutorat en service civique ou emploi étudiant

Le tutorat et le mentorat pourraient devenir des missions de service civique ou l’équivalent d’un emploi étudiant, propose le rapport.

« S’agissant du service civique, cela pourrait être l’occasion d’une adaptation du service civique permettant son développement large pour ses missions, qui ne se prêtent pas toujours à un service civique à “temps plein” ou comme une activité prédominante, mais qui peut se faire avec des obligations hebdomadaires plus légères, mais pendant une période plus longue, permettant à des étudiants ou des élèves de pouvoir le faire, tout en poursuivant leurs études.

S’agissant des emplois étudiants, ils peuvent donner une alternative aux “emplois alimentaires” pour un certain nombre d’étudiants et renforcer les liens avec leur établissement. »

Le rôle des universités

Si une première mission sur la diversité avait été donnée à l’École polytechnique, les ENS École normale supérieure - PSL et trois écoles de commerces qui ont rendu leurs rapports à l’automne 2019, l’égalité des chances ne concerne pas que les écoles « prestigieuses », déclare le comité.

Il incite donc les universités à :

  • « assurer la mixité sociale dans les filières universitaires, y compris les filières sélectives ;
  • développer à l’université (comme dans les grandes écoles) des cursus post BTS Brevet de technicien supérieur  ;
  • développer davantage de cursus mixtes université - grandes écoles, pouvant d’ailleurs mélanger des compétences (sciences humaines et sociales et sciences de l’ingénieur ; sciences humaines et sociales et management; sciences et sciences de l’ingénieur ; etc.) ;
  • améliorer l’accompagnement des étudiants de L1 (par exemple le dispositif “ascenseur social” de l’université d’Aix-Marseille, pour ne citer qu’un exemple). »

Deux autres pistes : CPES et bonification des CPGE

Le rapport propose aussi de développer le modèle CPES Cycle pluridisciplinaire d'études supérieures impliquant universités, CPGE et grandes écoles. « La CPES développée par Henri IV et PSL a retenu un niveau de 50 % de boursiers de l’enseignement supérieur ».

Enfin, les CPGE les plus diverses, prenant en compte des critères de diversité plus larges que seul celui de boursier, pourraient se voir attribuer une « bonification ». En effet, selon la commission Hirsch, « il y a une tendance à la recherche d’homogénéité dans la classe qui procure un avantage aux élèves. Une classe plus hétérogène ne peut être préparée exactement de la même manière aux concours ».

Si l’idée ne fait pas l’unanimité au sein du comité, elle « ne laisse pas indifférente : certains membres y sont opposés, ou sont dubitatifs, comme la conférence des grandes écoles, d’autres y voient une piste très prometteuse, comme la conférence des présidents d’université qui suggère de l’introduire dans Parcoursup. Il serait donc intéressant d’approfondir cette idée ».

L’enjeu du financement

Selon les auteurs, la politique d’égalité des chances et de promotion de la diversité dans l’enseignement supérieur « ne peut être traitée sans aborder des questions financières ».

Le financement du mentorat, tutorat et accompagnement

« Cette question peut être traitée dans le cadre de la délégation de service public qui pourrait disposer d’un budget calculé sur un coût d’accompagnement par élève et par an », indique le rapport. Il rappelle que « ces interventions ont pour particularité de faire intervenir des financements privés et beaucoup d’acteurs bénévoles ou volontaires, ce qui en réduit la charge pour le financeur public ».

Le coût du logement étudiant

Pour le comité, « un effort de financement conjoint entre l’État et les collectivités territoriales, notamment les régions, pour développer des internats serait un élément majeur », notamment pour accompagner la création des CPES Cycle pluridisciplinaire d'études supérieures . Le rapport suggère aussi la possibilité d’un financement public du logement intergénérationnel.

Les obstacles financiers aux études supérieures longues

Selon le rapport, malgré la « quasi-gratuité des études universitaires et le système de bourses », des barrières financières sont un obstacle à la poursuite d'études longues, notamment en CPGE Classe préparatoire aux grandes écoles « incompatibles avec un emploi étudiant », pour l’accès à certaines écoles aux frais de scolarité élevés « en général privées », et à ceux qui ont besoin d’un soutien plus marqué à l’université.

Quant aux bourses, les auteurs s’appuient sur une étude scientifique qui indique que leur efficacité est relative au montant et à des mesures d’accompagnement des étudiants. Aussi, pour le comité, au-delà « des réponses budgétaires » pour soutenir les étudiants modestes, il existe trois autres voies.

  • La formation par alternance, qui, « si elle se développe, a encore un potentiel supplémentaire », notamment dans la sphère publique ; et la possibilité de garantir un accès à l’alternance pour les boursiers dans les grandes écoles « pourrait également être étudiée avec les entreprises ».
  • Le « prêt contingent » consistant à accorder aux étudiants un prêt à taux zéro, avec des conditions encadrées de remboursement, assorties d’un mécanisme de garantie, pour que les remboursements n’excèdent pas un pourcentage du revenu futur. Les auteurs notent toutefois que ce mécanisme adopté par plusieurs pays anglo-saxons fait l’objet de critiques, « celle d’augmenter l’endettement des jeunes, de provoquer une hausse des frais d’inscription, et d’une crainte d’un désengagement de l’État ». Aussi proposent-ils de « trouver un chemin intermédiaire entre son rejet par principe et sa mise en œuvre à grande échelle », avec une expérimentation dans quelques établissements. À noter que la Fage Fédération des associations générales étudiantes y est opposée.
  • L’emploi étudiant : « Il pourrait être possible de construire des formules permettant de combiner aides et revenus d’activité, adaptées aux étudiants modestes. Les étudiants pourraient participer au service public de l’égalité des chances en fournissant des heures d’accompagnement pour les élèves plus jeunes (sous forme de salariat, de service civique) et qui pourrait se combiner avec une adaptation de la prime d’activité pour les étudiants. Ou un service civique “égalité des chances” adapté, avec une durée plus longue (deux à trois années), mais dans le cadre d’une mission à temps plus partiel, compatible avec des études. »

La prise en compte de la politique d’égalité des chances dans le financement des établissements

Le rapport interroge sur la possibilité de créer des mécanismes incitatifs de financement des établissements en fonction de leurs performances en matière de démocratisation et d’égalité des chances, et reposant sur deux visions :

  • une logique de compensation, « au moins partielle, des coûts induits par une politique active d’égalité des chances, et d’équité entre les établissements » ;
  • une logique incitative, « qui vise à reconnaître les établissements qui mettent en place une politique active d’égalité des chances visant à améliorer leurs performances ».

Genre, origine, réforme du bac : d’autres sujets à aborder

  • La réforme du bac qui peut, avec le choix des options, avoir un impact sur la question de la diversité dans l’enseignement supérieur, « notamment si certaines options comme “maths physique” sont davantage choisies par des élèves issus des catégories les plus favorisées (et de sexe masculin) », et peut impacter la diversité dans les CPGE ou L1.
  • Le genre : la question reste forte dans certaines filières scientifiques, « notamment les écoles d’ingénieurs », les seules à avoir « conservé un nom masculin », note le rapport qui y voit « un anachronisme qu’il ne peut être inutile de supprimer ».
  • La diversité selon l’origine et notamment la question des « minorités visibles » : si elle est difficile à apprécier, le comité note qu’elle « ne se réduit pas à la question du niveau des revenus et qu’elle doit être abordée en tant que telle ». Même si « l’absence de “statistiques ethniques” ne permet pas d’aborder la question dans les mêmes termes que dans certains pays ».

Le comité insiste sur l’importance de la recherche et de l’évaluation « en appui de la politique d’égalité des chances, pour avoir une politique “fondée sur la preuve” » et « éviter que chaque organisme fasse sa propre évaluation de l’action qu’il conduit ». Et sur la nécessité d’avoir « des instruments de mesure », qui pourraient même constituer un critère dans les classements.

Composition du Comité stratégique

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Martin Hirsch - ©  D.R.