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Ouverture des données et des publications : mobilisons-nous pour que ce soit durable ! (G. Gouret)

News Tank Éducation & Recherche - Paris - Tribune n°180942 - Publié le 20/04/2020 à 18:18
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G. Gouret - ©  D.R.

« Depuis le début de la crise sanitaire, on observe un nombre croissant d’initiatives pour faciliter l’accès aux données et publications scientifiques : c’est une avancée très encourageante, mais pas suffisante. Il faut aller plus loin et obtenir une ouverture complète et durable de ces données », écrit Gaëlenn Gouret, conservatrice des bibliothèques à l’UBO Université de Bretagne Occidentale , dans une chronique pour News Tank, le 20/04/2020.

Elle revient sur le nombre croissant de ressources documentaires en accès libre pour soutenir la recherche médicale contre le Covid-19 et faciliter la continuité pédagogique, dont elle propose un recensement.

Mais les « facilités temporaires d’accès [accordées par les éditeurs] ne sont pas de la “science ouverte“ », souligne-t-elle. Ainsi, « au niveau mondial comme au niveau national, des voix commencent à s’élever pour réclamer un accès ouvert durable ».


Les appels aux éditeurs multiplient 

Les communiqués officiels émanant d’associations professionnelles, d’institutions publiques ou de gouvernements, réclamant l’ouverture des publications et des données, sont de plus en plus nombreux.

Date Origine Lien
31/01   Appel du Wellcome Trust   https://wellcome.ac.uk/coronavirus-covid-19/open-data  
 13/03   Communiqué de l’ICOLC (International coalition of library consortia)   https://icolc.net/statement/statement-global-covid-19-pandemic-and-its-impact-library-services-and-resources 
17/03   Pétition des bibliothécaires académiques italiens  https://secure.avaaz.org/it/community_petitions/international_association_of_scientific_technical__appello_per_il_diritto_di_accesso_alla_conoscenza_scientifica_in_stato_di_emergenza_/ 
19/03   Appel français aux éditeurs (ADBU, couperin.org et EPRIST)  https://adbu.fr/appel-adbu-couperin-eprist-aux-editeurs-academiques/ 
20/03   Appel britannique aux éditeurs (bibliothèques et institutions universitaires)  https://www.jisc.ac.uk/news/statement-on-access-to-content-in-response-to-covid-19-20-mar-2020 
24/03   Appel suisse aux éditeurs (swissuniversities, Fonds national suisse, Consortium des bibliothèques universitaires suisses)  https://www.swissuniversities.ch/fileadmin/swissuniversities/Dokumente/Hochschulpolitik/Open_Access/COVID_19_-_swiss_call_to_publishers_F.pdf 
26/03   Appel canadien aux éditeurs (association des bibliothèques de recherche)  http://www.carl-abrc.ca/news/statement-on-optimal-equitable-access-to-learning-resources/ 
27/03   Appel espagnol aux éditeurs (réseaux des bibliothèques universitaires, documentation des organismes de recherche, consortia régionaux)  http://blog.csuc.cat/wp-content/uploads/2020/03/Statement_on_open_and_sustainable_knowledge.pdf 
27/03   Appel nord-américain aux éditeurs (association des bibliothèques de recherche américaines et canadiennes)  https://www.arl.org/news/arl-urges-publishers-to-maximize-access-to-digital-content-during-covid-19-pandemic/ 
 30/03   Communiqué de presse du gouvernement français  https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid150779/le-gouvernement-demande-l-ouverture-complete-des-publications-et-donnees-scientifiques-issues-de-la-recherche-francaise-sur-le-covid-19.html 
31/03   Lettre de la Commission européenne   https://ec.europa.eu/info/news/european-commission-signs-letter-scholarly-publishing-community-fight-against-coronavirus-2020-mar-30_en 

De plus en plus de ressources documentaires en accès « libre » 

Les éditeurs sont de plus en plus nombreux à adapter leur offre pour soutenir la recherche médicale et faciliter la continuité pédagogique.

Un recensement minutieux, à mettre à jour quotidiennement

En France, couperin.org recense sur son site les facilités offertes par les éditeurs du fait de la pandémie.

Les bibliothèques universitaires sont nombreuses à opérer le même travail de recensement, afin d’identifier plus spécifiquement les ressources accessibles à leur communauté. En effet, tout n’est en réalité pas librement accessible, ni de façon automatique : certains éditeurs réservent les facilités d’accès aux institutions déjà clientes, d’autres ouvrent des accès uniquement si l’institution se manifeste. Le plus souvent, l’accès élargi est présenté comme temporaire.

Les conditions (modalités, étendue, durée d’accès…) varient ainsi d’un éditeur à l’autre : dès lors, le recensement des offres et l’ouverture des accès aux usagers nécessitent l’expertise pointue des bibliothécaires en charge de la documentation électronique, qui doivent « décoder » les offres, sélectionner celles qui sont adaptées à leur public, solliciter les éditeurs pour demander des ouvertures d’accès, fournir des plages IP, paramétrer les outils informatiques et les catalogues.

Le recensement présenté ci-dessous est personnel, et n’a pas de prétention exhaustive : la typologie proposée vise surtout à illustrer la diversité des ressources et des modalités d’accès, et à aider les lecteurs de News Tank à s’orienter dans cette nouvelle offre.

 

 Soutenir la recherche médicale

Combattre efficacement la pandémie implique de mettre en commun les recherches sur le coronavirus. Chercheurs comme éditeurs en sont conscients.

Au niveau international, suite à l’appel du Wellcome Trust , de nombreux éditeurs scientifiques ont accepté de partager librement les données et publications sur le Covid-19 et les coronavirus, et de les rendre accessibles dans PubMed Central avec une licence facilitant leur réutilisation.

Les signataires s’engagent ainsi à mettre leurs publications sur le Covid-19 en libre accès au moins pendant la durée de l’épidémie, et à communiquer aussi rapidement que possible à l’OMS Organisation mondiale de la santé et aux autorités de santé les résultats des recherches concernant l’épidémie.

OpenAIRE lance une série d’initiatives pour soutenir les activités de recherche sur le Covid-19, avec notamment l’ouverture d’un espace sur Zenodo, et le lancement d’un portail « Covid-19 » prévu pour fin avril. Un tableau collaboratif recense les ressources pertinentes pour ce portail.

Au niveau national, les documentalistes des réseaux documentaires en santé alimentent très régulièrement plusieurs sites répertoriant toutes les informations fiables sur l’épidémie Covid-19 :

  • Site  réalisé par les membres des associations SIDOC et RNDH,
  • LittéCovid  (Hospices Civils de Lyon).

En local, les bibliothécaires tiennent également à jour des listes détaillées des publications utiles aux chercheurs et médecins, comme celle réalisée par mes collègues des bibliothèques de l’Université de Bretagne Occidentale .

Faciliter la continuité de l’enseignement et de la recherche

Le confinement et la fermeture des bibliothèques rendent l’accès à la documentation physique impossible. Les étudiants et chercheurs qui veulent continuer leurs travaux doivent se tourner vers la documentation numérique.

Si certains éditeurs scientifiques font preuve d’un réel effort pour ouvrir largement l’accès à leurs ressources électroniques, d’autres en revanche n’ouvrent l’accès qu’à une partie de leur catalogue, ou seulement aux institutions déjà clientes.

Les initiatives varient d’un éditeur à l’autre, de la mise en accès libre de contenus habituellement soumis à abonnement, à l’assouplissement des modalités d’accès (extension du nombre de consultations simultanées).

Facilités ou extensions d’accès temporaires pour les institutions clientes

Ces extensions d’accès sont réservées aux institutions clientes (qui disposent déjà d’un abonnement).

Pour les personnels, enseignants-chercheurs, étudiants, la consultation des ressources passe par une authentification institutionnelle (de type codes ENT Environnement numérique de travail ). 

Augmentation du nombre d’accès simultanés pour les institutions clientes :

  • Europresse (augmentation du nombre d’accès),
  • Bibliothèque numérique ENI (augmentation du nombre d’accès, sur demande auprès de l’éditeur),
  • Bases de données Brepols (accès illimités),
  • Dalloz-Revue et Bibliothèque numérique Dalloz (accès illimités),
  • Docuseek : accès en streaming aux titres de Bullfrog Films et Icarus Films pour les institutions qui ont acquis légalement une copie de ces titres,
  • Ebooks Proquest (accès illimités),
  • EBSCO ebooks (accès illimités),
  • Vocable anglais (augmentation du nombre d’accès).

Extension des collections disponibles pour les institutions clientes (et non seulement les bouquets ou collections auxquels elles sont abonnées) :

  • Brepols : accès aux archives de revues jusqu’en 2011 et aux ebooks publiés jusqu’en 2017 ; possibilité d’acquérir des ebooks récents à prix réduits,
  • Cambridge University Press : accès à plus de 700 ebooks au format html,
  • Cambridge University Press Companions : accès à plus de 700 guides rédigés par des experts,
  • Cyberlibris Scholarvox : accès à tous les ebooks,
  • Journal of Visual Experiment (JOVE) : accès aux contenus vidéos en sciences de l’éducation,
  • JSTOR : accès à toutes les collections,
  • SAGE : accès à toutes les ressources.

Extensions d’accès temporaires pour la communauté universitaire

L’accès à ces ressources est possible pour tous les établissements d’enseignement supérieur (même non clients). Les bibliothèques doivent en faire la demande auprès des éditeurs.

Pour les personnels, enseignants-chercheurs, étudiants, la consultation des ressources passe par une authentification institutionnelle (de type codes ENT).

  • Bloomsbury Digital Resources : accès gratuit sur demande,
  • Cairn : accès à l’intégralité de son catalogue d’ebooks,
  • De Gruyter : accès aux ebooks et bases de données,
  • Numérique Premium : accès à l’intégralité de son catalogue d’ebooks,
  • Elsevier : accès à l’intégralité du catalogue d’ebooks de la Elibrary,
  • Harvard Business Publishing (EBSCO) : accès à l’intégralité du catalogue Harvard Business Review,
  • Le Robert : accès aux dictionnaires numériques,
  • Havard University Press : accès à la collection Digital Loeb Classical Library,
  • MIT Press : accès à l’intégralité de son catalogue d’ebooks,
  • Statista : accès à l’intégralité de la base,
  • Taylor & Francis ebooks : accès à l’intégralité de son catalogue d’ebooks,
  • Techniques de l’ingénieur : accès à la collection « Sciences fondamentales ».

Spécificité Bibliothèque numérique ENI : les enseignants dont les établissements ne sont pas abonnés peuvent contacter ENI pour demander un accès gratuit nominatif en précisant leur établissement de rattachement. Cette possibilité n’est pas ouverte aux étudiants.

Du libre accès temporaire

Le temps de la crise sanitaire, certains éditeurs offrent un accès gratuit à leurs contenus. L’accès à ces ressources est entièrement gratuit. Il peut être libre ou sur inscription individuelle.

Un accès libre « le temps du confinement » ? Soyons plus ambitieux !

Le panorama ci-dessus montre combien, selon les éditeurs, les accès sont en réalité plus ou moins ouverts - notamment, certains accès restent réservés aux institutions clientes. Et, même pour les accès réellement ouverts, la quasi-totalité des éditeurs précise une durée de validité de l’offre : « un mois », « fin mai », « fin juin », « le temps du confinement ».

Ces facilités temporaires d’accès ne sont pas de la « science ouverte ».

Au niveau mondial comme au niveau national, des voix commencent à s’élever pour réclamer un accès ouvert durable :

  • « L’épidémie de coronavirus dévoile une vérité sur la science qui dérange : son système actuel de communication ne répond pas à ses besoins et à ceux de la société. […] Nous devons accepter ce que cet épisode de crise montre clairement : offrir un accès immédiat et public à la recherche est impératif pour garantir un système scientifique solide et une société de citoyens éclairés. » (Vincent Larivière, Fei Shu et Cassidy R. Sugimoto, « The Coronavirus (Covid-19) outbreak highlights serious deficiencies in scholarly communication », 05/03/2020) 
  • « Cette crise nous montre aussi l’urgence d’un meilleur partage des connaissances à travers la science ouverte. » (Audrey Azouley, Unesco Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture , 30/03/2020) 
  • « L’effort aujourd’hui est louable et témoigne d’une avancée notable, mais l’ouverture est étroite au regard des besoins. […] La science ouverte doit devenir le mode de fonctionnement habituel de diffusion de la recherche et ne pas demeurer un régime d’exception une fois la crise passée. »  (Comité pour la science ouverte, 03/04 2020). Le Comité pour la science ouverte demande que les dispositifs mis en place ces derniers jours par les éditeurs soient étendus et systématisés, hors période de crise. 
  • « Dans ce moment de crise, nous redécouvrons de manière aigüe l’importance de l’accès au savoir et à la culture. […] Ce qui est financé par l’argent public doit être diffusé en accès libre, immédiat, irréversible, sans barrière technique ou tarifaire et avec une liberté complète de réutilisation. […]

    [Quand la crise sera terminée,] accepterons-nous alors le rétablissement des paywalls qui sont tombés ? Ou exigerons-nous que ce qui a été ouvert ne soit jamais refermé et que l’on systématise la démarche d’ouverture aujourd’hui initiée ? » (Lionel Maurel, Silvère Mercier, Julien Dorra, « Pour un plan national pour la culture ouverte, l’éducation ouverte et la santé ouverte », 04/04/2020)

Cette tribune est co-signée par trois acteurs engagés dans l’open access, bien connus des bibliothécaires français : Lionel Maurel, juriste et conservateur de bibliothèques, directeur adjoint scientifique à l’InSHS-CNRS ; Silvère Mercier, bibliothécaire, engagé pour la transformation de l’action publique et les communs de capabilités ; Julien Dorra, cofondateur de Museomix, dispositif qui a inspiré en bibliothèque celui des Biblio Remix.

Ils réclament la création d’un Plan National pour la Culture Ouverte, d’un Plan National pour l’Éducation Ouverte, et d’un Plan National pour la Santé Ouverte, à l’image du Plan National Pour la Science Ouverte qui existe depuis 2018.

Osons trouver de nouveaux modèles

L’article 30 de la loi pour une République numérique autorise les chercheurs à mettre en libre accès (par exemple dans une archive ouverte) les publications issues des recherches financées à plus de 50 % par des fonds publics, mais ne les y contraint pas.

La loi française autorise donc le dépôt mais ne le rend pas obligatoire. En revanche, certains appels à projets, comme les appels à projets européens H2020, rendent obligatoire le libre accès aux publications financées.

Le dépôt de la version auteur peut se faire sans délai ; le dépôt de la version éditeur peut se faire immédiatement en cas d’accord de l’éditeur, sinon, à l’expiration d’un délai, qui est au maximum de six mois pour une publication dans le domaine des sciences, techniques et médecine, et de 12 mois dans celui des sciences humaines et sociales.

De nombreux acteurs de l’IST Information scientifique et technique en France réclament une politique plus incitative, qui introduise une réelle obligation pour les chercheurs.

La solution est également à trouver du côté des éditeurs, qui peuvent eux aussi s’engager durablement dans l’open access - certains le font déjà.

La « voie dorée » comporte différents modèles économiques, qui peuvent procurer aux éditeurs des rentrées financières permettant de couvrir les coûts d’édition.

D’autres modèles restent encore sans doute à trouver, le défi étant de permettre à chacun de s’y retrouver durablement en payant le prix « juste », et d’avoir la garantie :

  • pour la société, d’avoir accès librement et gratuitement aux résultats de la recherche scientifique,
  • pour les auteurs, d’être reconnus pour l’ensemble de leurs publications (notamment via un système de relecture garant de la qualité),
  • pour les institutions publiques, de ne pas avoir à payer plusieurs fois les publications (et d’éviter le modèle des revues hybrides),
  • pour les éditeurs, de parvenir à couvrir leurs frais.

Quelques initiatives inspirantes

  • OpenEdition : voie dorée, modèle freemium. L’accès au document est libre (version html) mais l’accès aux services complémentaires est facturé (fichiers PDF ou ePub, services facilitant l’intégration dans les catalogues des bibliothèques). 
  • Episciences : modèle mixant la voie dorée et la voie verte. L’hébergement des revues en open access est assuré par le CCSD Centre pour la communication scientifique directe , qui fournit l’infrastructure matérielle et logicielle (voie dorée) ; le processus de soumission des articles se fait par un dépôt dans une archive ouverte (voie verte). Episciences se positionne sur un nouveau modèle : la voie « diamantée ». 
  • Peer Community In : système d’évaluation des preprints fondé sur le peer-reviewing. Une fois recommandés par un ou plusieurs de ces « PCI » sur la base d’un examen rigoureux par les pairs, les articles deviennent des références valables, ils peuvent être utilisés par les chercheurs et cités dans la littérature scientifique. Il n’est pas nécessaire que ces articles recommandés soient ensuite publiés dans des revues classiques - mais ils peuvent l’être.
  • Open U Journals : plateforme mutualisée de journaux en accès ouvert, portée par l’Université de Bordeaux. Elle est basée sur la plateforme Open Journal Systems (OJS) du projet Public Knowledge Project (PKP), une solution open source complète de publication de revues en ligne. Ni un portail, ni un agrégateur, ni une presse universitaire : l’un des objectifs est de proposer une solution en marque blanche où l’université n’apparaît pas nécessairement.

Gaëlenn Gouret


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Parcours

Livre et Lecture en Bretagne
Elue au Comité Consultatif (collège Bibliothèques)
Université de Bretagne Occidentale (UBO)
Conservatrice des bibliothèques, responsable du Département Numérique de la BU
News Tank Education & Recherche (NT her)
Chroniqueuse - analyste
Université Paris 5 - Descartes
Stage professionnel d’élève-conservateur, service de l’Informatique documentaire de la BU
Université de Reims Champagne-Ardenne (Urca)
Bibliothécaire, responsable de l’Action culturelle

Établissement & diplôme

Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques
Certification de bibliothécaire
Université de Nantes
Maîtrise de Lettres modernes

Fiche n° 17600, créée le 18/05/2016 à 09:34 - MàJ le 26/07/2017 à 11:35

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